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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.

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15 février 2019

Pierre Joseph Guilleminot (1888-1918).

Pierre_Guilleminot

Pierre Joseph Auguste Guilleminot naquit au « hasard des garnisons », le 17 décembre 1888 à Besançon. Son père, Claude, est un capitaine âgé de 36 ans qui exerce ses fonctions d’officier au 10e bataillon d’artillerie de forteresse. Sa mère, Marie Eugénie Joséphine Guyotte, vient de donner vie à son premier enfant. Elle est âgée de 32 ans.

Pierre Guilleminot est l'aîné d’une fratrie composée d’une sœur et deux frères.

Genealogie_famille_Guilleminot

Après l’école primaire obligatoire, Pierre a la possibilité de poursuivre des études qui le mèneront jusqu’au baccalauréat « latin, sciences et mathématiques ».

L’année de ses 20 ans, il tente le concours d’entrée de l’école spéciale militaire qu’il réussit. Le 20 juillet 1909, il est reçu sous le numéro 25. Ce succès lui permet de contracter un engagement spécial, réservé aux grandes écoles. Le 8 octobre 1909, il appose sa signature sur ce contrat, promettant ainsi de servir avec « fidélité et honneur » la France pendant une durée de quatre ans.

Le lendemain, il est à Montbéliard, incorporé dans les effectifs d’une compagnie du 21e B.C.P.. Pierre entreprend sa formation de caporal qu’il termine le 10 avril 1910. À cette période, il sert à la 4e compagnie.

Le 15 octobre 1910, le jeune homme entre à l’école spéciale militaire avec le grade d'aspirant, intégrant ainsi la promotion de Fez.

Il fait ses deux années d’études obligatoires avant de quitter Saint-Cyr, obtenant le numéro 99 sur 211 élèves classés.

Son livret matricule nous apprend qu’il a eu, au total, 18 jours d’arrêts simples durant sa formation. Toutes ces punitions sont minimes, mais elles nous montrent la rigueur de la vie militaire.

Le 6 janvier 1910, son capitaine lui inflige 4 jours pour avoir fumé une cigarette en étude pendant le repos qui suit le repas de midi. Le 24 février, ce capitaine lui donne de nouveau 4 jours pour être encore couché dix minutes après le réveil. Le 22 juin, Pierre Guilleminot a un avertissement pour négligence de pliage réglementaire de fournitures de literie. Le 18 octobre 1911, il écope de 2 jours pour avoir laissé traîner sa vareuse sur le pupitre. Le 29 février 1912, l’aspirant prend 4 jours pour avoir présenté, lors de l’inspection par l'officier de semaine, une vareuse à laquelle il manquait un bouton. Le 16 juillet, le capitaine de service lui impose 4 jours pour avoir quitté, en étude, sa vareuse et sa veste.

Le 10 octobre 1912, le général responsable de l’école écrit ceci : « Manque encore un peu d’assurance et d’entrain. Très bien doué, cependant zélé, bon esprit, pourra avec quelques efforts faire un très bon officier. S’est bien présenté »

Affecté au 149e R.I., il rejoint les rangs de ce régiment cantonné à Épinal comme sous-lieutenant.

C’est au tour du colonel Menvielle de l’évaluer. Le 10 avril 1913, cet officier supérieur rédige le texte suivant dans le feuillet individuel de campagne  de son subordonné :

« Jeune officier en période de formation. S’annonce comme devant faire un bon officier. Instruit, intelligent, a beaucoup lu et continue de travailler. A fait l'instruction des élèves caporaux, s’en est occupé avec zèle. Très apte à faire campagne. »

Le 25 septembre 1913, il poursuit : « Officier vigoureux, ayant du calme et du sang-froid, sans beaucoup d’allant. Est animé du désir de bien faire et sert avec zèle, donnant toutes satisfactions à son capitaine. A bien fait les marches-reconnaissances dans les Vosges et les manœuvres d’automne. »

Pierre Guilleminot est nommé dans le grade supérieur le 1er octobre 1913.

La guerre le trouve à la tête d’une des sections de la 7e compagnie, sous les ordres directs du capitaine Coussaud de Massignac.

Le lieutenant Guilleminot prend part à l’affrontement du Renclos des Vaches près de Wisembach et à la retraite d’Abreschviller avant d’assurer le commandement de la 5e compagnie. Ce commandement a été laissé vacant à la suite du décès du capitaine Micard le 23 août 1914 ainsi que de l’absence du lieutenant Petin et du sous-lieutenant Camus ; cette absence faisait suite à leurs blessures du 9 août 1914.

Trois jours plus tard, le lieutenant Guilleminot est engagé du côté de Ménil-sur-Belvitte avec les sections de sa compagnie. Il participe ensuite aux attaques qui se déroulent à l’intérieur et autour du petit village de Souain, dans la Marne.

Le 27 septembre 1914, Le lieutenant Petin est de retour au 149e R.I.. Il prend le commandement de la 5e compagnie. Pierre Guilleminot retourne à la 7e compagnie pour en devenir le chef. Avec ses hommes, il combat en Artois en octobre 1914, puis en Belgique au mois de novembre et, de nouveau en Artois, une région où le régiment restera pratiquement dans le même secteur durant toute l’année 1915.

Au combat, c’est un homme courageux. Le lieutenant-colonel Gothié, chef du 149e R.I. inscrit ceci dans son feuillet de campagne :

« Commandant de compagnie très brillant au feu. (3 citations, décoré sur le champ de bataille) Plein d’allants et d’entrain, mais un peu jeune et manquant quelques fois de pondération. Avec plus d’expérience et de maturité d’esprit, il fera un officier de tout premier ordre. »

Une décision ministérielle du 3 juin 1915, publiée dans le J.O. du 7 juin,  lui permet de porter le titre de capitaine de façon temporaire. Cette nomination prend rang à compter du 22 mai 1915. Pierre Guilleminot est définitivement admis dans ce grade à partir du 3 septembre 1915. Il n’a pas encore fêté ses 27 ans.

Le 6 décembre 1915, il écope de 4 jours d’arrêts simples par ordre du lieutenant-colonel Gothié avec le motif suivant : « Commandant son bataillon en 1ère ligne en l'absence de son chef de bataillon en permission, n’a pas rendu compte à son chef de corps de faits graves intéressant le régiment et qu’il avait signalés au commandant de l’infanterie du secteur. »

Trois jours plus tard, le Journal Officiel annonce qu’il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

Le 149e R.I. est  ensuite engagé durant un mois dans la bataille de Verdun durant un mois. Le régiment y perd beaucoup d’hommes.

Lorsqu’il laisse derrière lui le secteur meusien à la mi-avril 1916, Pierre Guilleminot reçoit l’ordre de quitter la 7e compagnie pour prendre le poste de capitaine adjudant-major au 2e bataillon. Il doit seconder le commandant Schalck à partir du18 avril. Il lui est nécessaire de se former.

Le capitaine suit les cours d’informations des adjudants-majors au centre de perfectionnement de Châlons-sur-Marne du 29 mai au 1er juin 1916.

Début septembre 1916, le régiment spinalien combat dans la Somme. Le lieutenant-colonel Gothié est fait prisonnier. Le lieutenant-colonel Pineau  est nommé à la tête du régiment.

Cet officier ne se fait pas une très bonne opinion de son subordonné. Le 23 décembre 1916,  il inscrit noir sur blanc : « Officier un peu jeune, ne montre pas toute l’énergie que l’on serait en droit d’attendre de lui. Un peu nonchalant a besoin d’être stimulé de temps à autre. A pris trop jeune les fonctions d’adjudant-major. Ne semble pas encore apte à prendre le commandement d’un bataillon. A été proposé comme stagiaire d’E.M. pendant l'absence du colonel. Cette proposition n’est pas du tout justifiée et le colonel ne l’aurait pas faite. Il espère qu’elle n’aura pas de suite. A besoin de beaucoup travailler. »

Le 23 mars 1917, Pierre Guilleminot est « rétrogradé ». Il quitte ses fonctions de second de bataillon pour prendre le commandement de la 1ère compagnie du régiment.

Cette situation ne dure pas. En mai 1917, le lieutenant-colonel Pineau est remplacé par le lieutenant-colonel Boigues.

Pierre Guilleminot retrouve ses fonctions de capitaine adjudant-major le 22 août 1917 ; cette fois-ci, il est affecté au 1er bataillon sous les ordres du commandant de Chomereau de Saint-André.

Le_capitaine_Guilleminot_et_son_ordonnance__aout_1917

Le 23 septembre 1917, le colonel Boigues note ceci sur le feuillet de campagne du capitaine : « Je ne partage pas l’avis de mon prédécesseur sur le capitaine Guilleminot, qui, à ce que j’ai cru comprendre, s’est trouvé comme adjudant-major, dans une situation délicate vis-à-vis de son chef de bataillon à raison d’une vieille intimité. Intelligent, courageux, je crois qu’il peut faire un bon adjudant-major. S’est, d’autre part fait noter très élogieusement comme commandant d’unité. »

Deux mois plus tard, le régiment est engagé dans la bataille de la Malmaison.

C’est à la tête de son bataillon, à proximité du commandant de Chomereau de Saint-André, qu’il quitte la tranchée pour se lancer à l’assaut de la 1ère ligne allemande au cours de la 1ère phase de l’attaque.

Pour en savoir plus sur les évènements de la journée du 23 octobre 1917, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte 1 emplacements des 3 bataillons du 149e R

Son attitude au feu lui vaut une citation à l’ordre de l’armée, confortant ainsi l'opinion que s’était fait de lui le colonel Boigues qui écrit ceci en février 1918 : «  Le capitaine Guilleminot fait un très bon adjudant-major. Il est au-dessus de tout éloge comme bravoure individuelle et comme dévouement. Doué d’une très bonne instruction générale, intelligent, il fera un bon chef de bataillon supérieur à la moyenne, s’améliorera encore certainement en face des responsabilités du commandement qui le stimuleront. »

Février 1918, le 149e R.I. occupe un secteur dans les Vosges. Le cliché suivant a été réalisé durant cette période.

La Cude Commandant Gaston de Chomereau de Saint-André

La photographie suivante n’est ni datée ni légendée. Grâce à la palme bien visible sur la croix de guerre du capitaine Guilleminot, nous pouvons affirmer qu'elle a été réalisée entre le 18 novembre 1917 et son départ du 149e R.I..

Capitaine Guilleminot photographie non datee

Début mai 1918, Pierre Guilleminot est muté au 4e B.C.P., il ne reste que quelques semaines dans cette unité. Au début du mois de juillet 1918, il est affecté au 70e R.I. pour y prendre le commandement du 3e bataillon.

Sorti indemne de toute blessure lorsqu’il était au 149e R.I., Pierre trouve la mort dans l’Aisne à la ferme la Grange au nord de la Vesle le 4 août 1918. Le J.M.O de ce régiment nous indique les circonstances de son décès. Les Allemands ont piégé la ferme avant de l’abandonner. La violence de la charge explosive est telle qu’elle ensevelit plusieurs hommes.

Le corps de cet officier n’est retrouvé que bien plus tard. Le capitaine Guilleminot est dans un premier temps enterré dans le cimetière communal de Braine, dans une fosse individuelle qui porte le numéro 156.

Pierre Joseph Guilleminot repose actuellement avec ses parents et l’intégralité de sa fratrie dans un caveau familial placé dans le cimetière des Chaprais à Besançon. Les trois frères et la sœur ne se sont jamais mariés. Il n’y a pas de descendance connue pour l’ensemble de cette fratrie.

Sepulture famille Guilleminot

Cet officier a obtenu les citations suivantes :

Citation à l’ordre du régiment  n° 46 du 22 avril 1915 :

« Chargé d’une reconnaissance délicate dans la nuit du 5 au 6 mars en avant de Noulette, s’en est acquitté parfaitement. A contribué dans une large mesure à la réussite de l’attaque du 6 mars par la précision et l’à propos de ses ordres. »

Citation à l’ordre de la 43e D.I. n° 61 du 8 juin 1915 :

« Commandant de compagnie remarquable par son entrain, son mépris du danger, son calme sous le feu. En dernier lieu dans l’attaque du 29 mai, étant en 1ère ligne, a entraîné sa compagnie hors des tranchées ennemies dont il a conquis une cinquantaine de mètres »

Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 11 en date du 23 septembre 1916 :

« Officier brillant, sur le front depuis le début de la campagne, s’est distingué dans tous les nombreux combats livrés par le régiment par son énergie, son sang-froid, son esprit de décision, ses remarquables qualités de commandement dans la part prise par le 2e bataillon, aux succès remportés par le 149e Régiment d’Infanterie, les 4, 5 et 6 septembre 1916 et le 17 septembre 1916, a secondé son chef de bataillon avec le dévouement le plus absolu. »

Citation à l’ordre de l’armée n° 539  en date du 18 novembre 1917 :

« Officier d’une haute valeur morale. Le 23 octobre 1917 a chargé en première vague, avec la même bravoure insouciante qu’à Sainte-Marie, Souain, Ypres, Lorette, Verdun et Soyécourt. A été là comme ailleurs le bras droit de son chef de bataillon »

Citation à l’ordre de la 11e D.I.  n° 229 du 18 juin 1918 :

« Officier de premier ordre d’un grand sang-froid, d’une belle bravoure, s’est dépensé sans compter au cours des combats du 10 et 11 juin 1918 pour assurer la liaison entre les différentes unités engagées et le chef de bataillon, auxiliaire le plus précieux pour son chef de corps. »

Sa croix de guerre est constituée d’une palme, d’une étoile de vermeil, de deux étoiles d’argent et d’une étoile de bronze.

Chevalier de la légion ordre n° 1743 en date du 9 octobre 1915. 

« Commandant de compagnie d’un calme, d’un entrain et d’un courage remarquables, le 26 septembre 1915 a maintenu sa compagnie sous un bombardement des plus violents.

A entraîné sa première vague d’attaque, a réussi à prendre pied avec elle dans la tranchée allemande » 

Sources :

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

Les fiches signalétiques et des services des frères Guilleminot et la plupart des actes de naissance, de mariage et de décès de la famille  ont été trouvés sur les sites des archives départementales du Doubs.

La photographie de la plaque mortuaire de Bernard et de Pierre Guilleminot a été trouvée sur le site « Généanet ».

Un grand merci à M. Bauer, à M. Bordes, à A. Carobbi, à J. Huret, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes, aux archives départementales du Doubs et aux mairies de Besançon et de Bainville-sur-Madon. 

8 février 2019

Les pertes du 149e R.I. durant la bataille de la Malmaison.

Fin octobre 1917 le cimetiere de Conde-sur-Aisne

En l'absence de J.M.O. du 149e R.I. pour la période des combats de la Malmaison, j'ai été amené à construire mes récits à partir d’autres sources : J.M.O. de la 43e D.I., documents en provenance du S.H.D. de Vincennes tels que rapports écrits, cartes d’état-major ou encore témoignages laissés par des combattants qui ont participé directement à cet évènement.

Le problème posé pour établir un état des pertes du régiment assez précis fut encore plus difficile à résoudre étant donnée la rareté des sources.

Concernant la réalisation de cet article, je n'ai eu à ma disposition que trois petits feuillets trouvés dans un carton du S.H.D. de Vincennes.

Chacun d’entre eux a été écrit depuis l'état-major de la division, à partir des informations remontantes fournies par les unités qui la constitue.

Le tableau suivant recoupe toutes les données concernant le 149e R.I. figurant sur ces trois feuillets.

Tableau des pertes durant la bataille de la Malmaison

La première partie du tableau, datée au 26 octobre 1917, fournit l’état des pertes pour la période allant du 21 au 25 octobre.

Ce premier bilan comptable, enregistré sous la référence 8097s, concerne les officiers, sous-officiers et hommes de troupe qui ont été tués, blessés ou considérés comme disparus durant la période allant du 21 au 25 octobre 1917.

Au premier abord, ce bilan reste assez difficile à interpréter.

La plupart des chiffres sont barrés et portent plusieurs mentions annexées au crayon à papier.

Au fil du temps, les sources fournies par les compagnies s’affinent.

Un deuxième bilan datant du 28 octobre (2e liste nombre augmenté) complète le précédent état numérique des pertes. Contrairement au précédent, celui-ci ne comporte aucune rature.

Lorsque nous additionnons les chiffres de ces deux bilans par catégories, les résultats trouvés correspondent tout à fait à ceux qui ont été ajoutés au crayon à papier sur le 1er état des pertes.

La période allant du 26 au 31 octobre est enregistrée sur le dernier feuillet.

La plupart des hommes tués durant les combats de la Malmaison ont été enterrés dans le petit cimetière militaire de Condé-sur-Aisne. Plus tard, un grand nombre d’entre eux furent exhumés pour être mis en terre dans la nécropole nationale de Vauxbuin ; ce lieu est situé à 4 kilomètres au sud-ouest de Soissons. Il a été créé en 1919. De nombreux corps ont été rendus aux familles.

Les carres A,B,C et D de la necropole de Vauxbuin

Une recherche approfondie effectuée sur le site « Mémoire des hommes » a  permis d’identifier 114 hommes tués entre le 22 et le 29 octobre 1917.

                                     Tableau des tués durant la bataille de la Malmaison

Sources :

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

Site « Mémoire des hommes ».

La photographie représentant le cimetière de Condé-sur-Aisne à été réalisée par Gaston de Chomereau de Saint-André. Elle est la propriété de la famille descendante de cet officier.

Les clichés des carrés A, B, C et D de la nécropole de Vauxbuin ont été réalisés par J. Baptiste en 2003.

Un grand merci à M. Bordes, à J. Baptiste, à A. Carobbi,  à T. de Chomereau, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes. 

1 février 2019

Raymond Clément David (1874 - ....).

Raymond_Clement_David

Raymond Clément David est né le 23 novembre 1874 dans le Haut-Rhin. Son père, Jean Baptiste, accompagné d’Étienne Ernest Freschet et de Charles Marie du Crest, se sont rendus le jour même à la mairie de Belfort pour se présenter devant l’adjoint au maire, François Juteau. Ces trois officiers sont venus apposer leurs signatures sur le registre d’état civil qui officialise ainsi la naissance de Raymond.

Le père a 44 ans, il exerce les fonctions de capitaine d’habillement au 42e R.I.. La mère, Catherine Roland, est originaire de Corse. Âgée de 25 ans, elle vient, avec la naissance de Raymond, de donner vie à son troisième enfant.

Le couple David s’est marié le 19 octobre 1868 à Bastia. Cinq enfants sont nés de cette union. La sœur ainée n’a pas survécu à sa 10e année.

Genealogie famille David

Raymond perd son père à l’âge de 11 ans. La lecture de sa fiche signalétique et des services nous apprend qu’il possède un degré d’instruction de niveau 3. Le jeune David fait des études au Prytanée de la Flèche. Plus tard, probablement après son engagement dans l’armée, il suit les cours de l’institut de chimie de Lille.

À sa sortie de l’école militaire, Raymond a la ferme intention de faire une carrière de soldat.

Le 17 mars 1893, il se rend à la mairie du Mans pour y signer un engagement volontaire d’une durée de 4 ans. Il n‘a pas encore fêté ses 19 ans. Raymond doit se rendre à Caen pour rejoindre le dépôt du 36e R.I..

Le soldat David est nommé caporal le 1er octobre 1893, puis sergent le 14 octobre 1894.

L’ancien élève du Prytanée ne va pas aller jusqu’au bout de son contrat. Il est envoyé en congé le 28 août 1896 en attendant son passage dans la réserve. Un de ses frères vient de mourir sous les drapeaux. Cette situation lui donne le droit d'interrompre son engagement.

Raymond se retire à Lille. Le 29 août 1896, il est rattaché au régiment d’infanterie de réserve stationné au Mans.

Le 20 avril 1900, Raymond passe au recrutement de Lille. Il appartient maintenant au régiment d’infanterie de réserve stationné à Arras. Il vit avec une Lilloise avec qui il a deux enfants.

En 1903, il est rattaché au  régiment de réserve de Bar-le-Duc-Lerouville.

Sa compagne et lui se marient en 1905, reconnaissant et légitimant comme issus de leur œuvre leurs deux enfants.

Le 17 mars 1906, Raymond David a l’âge de passer dans l’armée territoriale. Le 1er octobre  il est affecté au 5e R.I.T..

Six ans plus tard, il est l’heure pour lui de rejoindre la réserve de l’armée territoriale rattachée à la place forte de la ville de Lille.

À cette période de sa vie, il pense peut-être en avoir presque terminé avec la question militaire, mais les évènements européens qui se profilent à l’horizon vont en décider tout autrement.

Le sergent David est rappelé à l’activité par décret de mobilisation générale du 1er août 1914. Il doit rejoindre, le 2 septembre 1914, le dépôt du 5e R.I.T. qui se trouve à Jarnac.

Envoyé au bataillon de Calais le 14 septembre, il arrive dans la ville portuaire du nord de la France le 19 septembre pour intégrer les effectifs de la 8e compagnie de cette unité.

Le 28 décembre 1914, Raymond David se porte volontaire pour passer à la section des autos mitrailleuses de la place de Calais.

Le 20 novembre 1915, il retrouve son ancien régiment pour intégrer la 7e bis compagnie du 5e R.I.T.. Pourquoi a-t-il demandé à quitter un poste à l'écart des dangers du front ?

La suite de son parcours plaide en faveur d’un besoin d'être actif dans le conflit, de ne pas rester « embusqué ».

Le 1er décembre 1915, le sergent David est affecté à la 2e compagnie de mitrailleuses du régiment.

Il est nommé dans le grade supérieur le 10 janvier 1916.

Avec cette unité, il fait campagne aux tranchées de Nieuport du 26 novembre 1915 à la fin avril 1915.

Du 1er mai au 26 juin 1916, il est à Verdun, puis en Haute-Alsace.

Prenant goût au commandement, l’adjudant David informe ses supérieurs qu’il souhaiterait devenir officier. Pour cela, il va devoir suivre les cours d’élèves officiers de la 7e armée à partir du 15 octobre 1916.

Il  a été photographié avec une partie de sa promotion.

Stage officiers David

À la fin de la formation, il ne reste plus que 72 candidats sur 108. Raymond Clément David  termine 3e. Très bien noté, il est jugé apte à faire un excellent officier d’active, voire même à commander une compagnie. 

Début janvier 1917, il retrouve son poste à la 2e compagnie de mitrailleuses du 5e R.I.T..

Mais ce n’est pas pour longtemps. L’adjudant est promu sous-lieutenant à titre temporaire le 29 janvier 1917. Malgré son âge, il a demandé à partir dans un régiment d’active.

Une note provenant du G.Q.G. numérotée 25 258 et datée du 5 février 1917 l’affecte au 149e R.I.. Il arrive au corps le 8 février 1917, pour être affecté à la 2e compagnie du régiment.

À cette époque du conflit, le 149e R.I. occupe en alternance plusieurs secteurs du côté de la Malmaison, à proximité du chemin des Dames. Le secteur est assez instable, mais il n’y a pas d’attaque majeure avant l’offensive du 23 octobre 1917.

Durant cette période, Raymond David a la possibilité de parfaire ses connaissances avec les nouvelles tactiques de combat et les nouveaux armements.

Il suit les cours du fusil R.S.C. du 1er au 8 mai 1917 inclus puis du 12 au 21 juillet 1917, il entreprend un stage sur le canon de 37 mm au dépôt divisionnaire 43. Ces deux formations ont lieu au dépôt divisionnaire de la 43e D.I..

Le sous-lieutenant David est promu dans son grade à titre définitif par décret du 16 novembre 1917. Ce titre prend effet à partir du 29 janvier 1917.

Une nouvelle fois il se rend au dépôt divisionnaire pour effectuer un stage d’obusier Stocke du 5 au 13 octobre  1917.

Raymond David prend ensuite le commandement de la section de discipline de la 43e D.I. entre le 1er décembre 1917 et le 28 février 1918.

En février 1918, le colonel Boigues écrit dans le feuillet individuel de campagne de Raymond David «  A montré dans le commandement de la S.D. de réelles qualités de tact et d’intelligence. C’est un très bon officier qui a fait ses preuves dans les attaques de l’Aisne. Très méritant»

Groupe d'officiers du 149e R

Réaffecté à la 2e compagnie du 149e R.I.,le lieutenant David bénéficie d’une permission du 26 mai au 4 juin inclus. Durant sa permission, son régiment est envoyé d’urgence dans la région d’Arcy-Sainte-Restitue. Les Allemands viennent de lancer une vaste offensive qui  pourrait faire une brèche dans la ligne de front. Le sous-lieutenant David ne participe pas aux évènements.

Le 9 juin 1918, il est affecté à la 1ère compagnie.

Le 149e R.I. est engagé plusieurs fois en Champagne en juillet 1918. Cette fois-ci, Raymond combat avec ses hommes.

Sous-lieutenant David petit groupe d'officiers

Le 29 juillet 1918, il est nommé lieutenant d’infanterie territoriale par décret présidentiel, directement à titre définitif. (J.O. du 31 juillet 1918).

Fin septembre 1918, le 149e R.I. participe à une attaque en Champagne qui va durer trois jours. Le lieutenant David s’y fait particulièrement remarquer puisqu’il sera décoré de la Légion d’honneur à la suite de ces évènements.

Le 2 octobre 1918, le lieutenant David est évacué pour intoxication par les gaz. Il obtient une permission de convalescence de 10 jours qui commence le 15 octobre.

Raymond David est de retour au corps le 2 novembre 1918.

Le 3 novembre 1918, c’est au tour du lieutenant-colonel Vivier d’y aller de sa plume pour noter son officier. Voici ce qu’il écrit :

« Très belle figure de soldat, le lieutenant David est venu sur sa demande au 149e R.I., alors que, par son âge, il pouvait servir dans l’A.T.. Très bon commandant de compagnie, possédant, avec la maturité qui lui donne son âge, un cœur et un tempérament d’officier. Très bel exemple pour le régiment, proposé plusieurs fois pour la croix. Je regrette de quitter le commandement du régiment sans avoir pu lui faire obtenir cette récompense si justement méritée. »

Excepté au cours d’une attaque dans laquelle son capitaine a été blessé, Raymond David n’avait encore jamais commandé de compagnie. Le 15 août 1918, c’est chose faite. Il prend la tête de la 1ère compagnie.

La fin de la guerre approche, il faut maintenant penser à l’avenir, mais la situation est loin d’être simple malgré la signature de l’armistice.

Le 26 décembre 1918, le lieutenant David rédige une lettre à son colonel :

« Mon colonel,

Lors de ma dernière permission, il m’a été donné de constater la situation vraiment désastreuse de Lille. Notamment au point de vue industriel.

Cette situation d’après un article du «Matin», paru avant-hier, ne semble nullement s’être améliorée.

Dans ces conditions, je serais heureux d’obtenir mon maintien provisoire aux armées dans les conditions de la dernière circulaire concernant les officiers de complément (jusqu’au décret mettant fin à l’état de guerre).

Je vous serais très reconnaissant de me faire maintenir également au 149e R.I. qu’il me serait très pénible de quitter  quelques mois avant ma démobilisation. »

Cette demande remonte la voie hiérarchique et obtient une réponse favorable.

Une décision ministérielle du 13 mars 1919 fait savoir au lieutenant David que l’application de la circulaire du 7 décembre 1918 permet son maintien en activité jusqu'à la publication du décret mettant fin à l’état de guerre.

Le 2 octobre 1919, il fait une nouvelle demande écrite pour être maintenu dans la réserve de l’armée active jusqu’à la limite d’âge fixée par la loi. Cette demande est également accordée.

Le 24 octobre 1919, le lieutenant-colonel Lecoanet rédige le texte suivant dans le relevé de note du lieutenant David : 

«  Bonne constitution physique. Très résistant à la fatigue. Élève de mathématiques spéciales. Élève au Prytanée militaire de la Flèche, institut de chimie de Lille. Tenue et conduite irréprochables. Très bonne éducation. Instructeur parfait. Très bon mitrailleur. A commandé une compagnie de la façon la plus brillante. Dégagé par son âge d’obligation militaire dans un corps d’actif, a tenu à rester avec les jeunes. D’un allant et d’un courage admirables, ayant beaucoup d'expérience et un grand tact, a toujours eu un grand ascendant sur ses subordonnés. S’impose par son service et son exemple personnel, aimé de ses hommes desquels il obtient d’excellents résultats. Demande à être maintenu comme officier de complément dans son régiment actif jusqu’à la limite d’âge. Décoré. »

Il est officiellement démobilisé le 25 octobre 1919. Envoyé en congé illimité de démobilisation le 16 novembre 1919, il se retire à Lille. Il est maintenu dans les cadres de l’armée territoriale ; ce maintien est décidé, le 14 octobre 1922, par le général commandant le 1er groupe de subdivision de la 1ère région.

Revenu à la vie civile, Raymond David travaille comme chimiste.

Il passe au 110e R.I. par décision ministérielle du 20 novembre 1922 (J.O. du 23 novembre 1922) puis est affecté au centre mobilisateur d’infanterie n°11 par décision ministérielle du 12 août 1927.

L’ancien militaire est proposé, le 30 novembre 1927, pour une mise en non-disponibilité  en raison d’un problème de tuberculose.

Son état de santé se dégrade. Il est suggéré qu’il soit radié des cadres avec une pension temporaire de 40 % par la C.R. de Lille le 24 septembre 1930.

Un décret du 30 novembre 1931, valable à compter du 23 novembre 1931, le raye des cadres. Il en a définitivement terminé avec la vie de soldat.

Raymond est placé dans la position de lieutenant honoraire le 30 novembre 1931.

Cet officier a obtenu les citations suivantes :

Citation à l’ordre de la VIe armée n° 545 en date du 28 décembre 1917 :

« A quitté sur sa demande la territoriale pour passer dans un régiment de choc de l’active. Joint les qualités d’un officier d’élite à la plus haute valeur morale. Blessé un peu avant l’attaque a refusé de se laisser évacuer. A enlevé sa section avec une fougue superbe, réduisant plusieurs nids de mitrailleuses et contribuant largement au succès de son bataillon.»

Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 219 du 21 août 1918 :

« Chargé de l’exécution d’un coup de main, a entraîné ses hommes avec un élan admirable, a atteint tous ses objectifs et malgré un bombardement violent ennemi, a maintenu ses hommes sur la position conquise. Officier d’élite très courageux, fanatique, enthousiaste.»

Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 220 du 28 août 1918 :

« Officier d’une haute valeur morale. Malgré son âge et sa classe, tient à rester dans un régiment actif. Au milieu de circonstances critiques, son capitaine venant d’être blessé, le 15 août 1918, a pris le commandement de sa compagnie, repoussant victorieusement une attaque violente en maintenant ses positions. »

La Légion d’honneur lui est attribuée par décision ministérielle n° 11204 « D» du G.Q.G. du 5 novembre 1918 :

« Officier d’élite, d’une bravoure incomparable et d’un sang-froid superbe. Véritable entraîneur d’hommes, n’a cessé pendant les combats des 26 et 27 septembre 1918 de manœuvrer les centres de résistance ennemis, les réduisant et capturant des prisonniers. Toujours en avant, poussant des pointes audacieuses dans les lignes ennemies pour aider la progression des unités voisines. A montré partout le plus absolu mépris du danger. Une blessure, trois citations»

Le lieutenant David parlait et écrivait l’allemand couramment.

La date exacte de décès de cet ancien officier n’est pas connue. Cependant, un courrier adressé à l’administration militaire rédigée par son épouse le 20 août 1943, en vue de constituer un dossier de pension de veuve de victime civile de guerre, laisse supposer qu’il est mort à cause de la guerre comme victime civile, peut-être au cours d’un bombardement.

Sources :

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

J.M.O. du 5e R.I.T.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 773/1

La fiche signalétique et des services du lieutenant David a été lue sur le site des archives départementales de la Sarthe.

Un grand merci à N. Bauer, à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher  et au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de la Sarthe. 

25 janvier 2019

Un témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (11e partie) Blessures.

Paul Vincent Constantin Douchez

Le sous-lieutenant Douchez vient d’être blessé par l’éclatement d’une grenade. Il attend les secours qui vont être très longs à intervenir.

23 octobre 1917

Un sergent que je connais, mais dont je n’ai pu depuis, ni par mémoire, ni par les lettres à ma compagnie et à la compagnie de David, retrouver le nom ou l’unité m’engage à descendre. Je lui fais signe que je ne le puis. « Je vais vous chercher mon lieutenant ». À peine achève-t-il, qu’une balle vient s’enfoncer dans les plaies de ma cuisse droite, en me causant, elle aussi, une sensation de brûlure. Je vois le danger qu’il courait à sortir pour m’enlever. « C’est inutile, je suis perdu et tu te ferais tuer ». Je ne sais comment je n’ai pas été criblé de balles. Outre celles de mitrailleuses qui fauchent le sol, le groupe terré qui m’a abattu, ne me voyant pas entendu, doute peut-être de m’avoir atteint. Posément, il continue à me viser.

L’examen ultérieur de ma capote et de ma vareuse, les seuls effets que j’ai pu conserver, me montra que d’autres balles m'avaient manqué de peu. L’une notamment, pénétrant sous le sein gauche, a traversé la capote et la vareuse. Elle a ricoché, grâce à la position horizontale du buste, sur mon portefeuille. Sous le choc, l’étui en mica qu’il renfermait contenant notre photographie fut brisé. En déviant, elle a tracé un sillon sur le portefeuille, troué de nouveau de nouveau la vareuse, fit sauter le bouton fermant la poche extérieure, sortit par la boutonnière en la déchirant, et de là par la capote à quelques centimètres de son point de pénétration.

Dans la poche du pan gauche, mon carnet de section, ma lampe électrique furent troués. Si j’avais pu garder mes accessoires d’équipement et ma culotte, nul doute que j’y aurais trouvé de nombreuses traces semblables.

Ce brave sergent, insistant, me déclare son intention de passer sous moi pour m’entraîner dans le trou. Sur ma demande, il coupe d’abord au canif les nombreuses courroies arrimant le barda volumineux qui me cale sur place, puis il se glisse sous moi.

J’ai quelque peine à ôter mes mains du sol pour lui entourer le cou. En rampant, il s’engage sur la pente de l’entonnoir où il me fait basculer. Il me couche sur le dos, la tête non loin du bord, les pieds à moitié de la descente. Là, je vois Lorinquier, le barbier de la compagnie, resté pour s’occuper de moi.

À deux, ils coupent mes jambes de culotte et de caleçon toutes de sang et fumantes.

Je ne puis bouger. Mes deux paquets de pansements ne suffisent pas. D’ailleurs, ne pouvant me soulever les jambes, ils ne voient qu’une partie de mes blessures. Le sang continue de couler, s’amassant en large flaque retenue par les plis de la capote.

La pluie tombe, je grelotte avec les cuisses maintenant nues. Ils étendent sur moi leurs couvre-pieds et une toile de tente prise sur un mort. Je bois successivement une gorgée de café glacé, de l’alcool de menthe, du vin, pour me réchauffer. Je ne tarde pas à rejeter le tout.

J’ai toute ma lucidité. Des ruisselets coulent sous moi. Je pense que je vais mourir exsangue et je songe au camarade Lemire, mort dans mon P.C. de la tranchée Rousseau, de la même blessure.

Sans que je m’en sois rendu compte, c’est-à-dire pendant un nouvel évanouissement, David et sa section ont quitté la place par un boyau qui y accède et dont je vois l’orée à ma droite.

Quelques hommes cependant sont restés. Ils ont repéré le « nid » dépassé. Une moitié tiraille de ce côté à coups de fusil et de grenade V.B., l’autre moitié faisant de même, vers l’avant. Tous sont plaqués sur les pentes du trou.

Cette vue m’est agréable. Elle évoque à mon esprit les tableaux de Letaille et d’A. de Neuville. Maintenant encore, je revois très exactement cette belle scène héroïque.

 Je dis à Lorinquier de me laisser et de faire le coup de feu. Le pauvre tremble et tire au hasard, ce qui lui vaut une remarque d’un autre combattant admirable de calme.

J’ai une nouvelle syncope, durant laquelle je m’imagine voir ma section, ayant à sa tête mon ancienne ordonnance Magnien, traverser, à la file indienne, l’entonnoir et me souriant au passage !!!

Toujours est-il, qu’en rouvrant les yeux, je revois ledit entonnoir vide. À l'exception du barbier et du combattant qui m’a traîné là, il n’y a personne. Le sergent me dit alors : « Mon lieutenant, je vais vous chercher vos affaires ».

Je crois avoir ma pleine liberté d’esprit. Je ne souffre réellement que du froid. Ma pensée va vers Jeanne, vers ma mère, vers mon père dont j’ignore la mort, lui que j’aurais tant aimé embrasser avant de mourir et qui, il y a douze jours, m’a devancé dans le grand inconnu.

Je suis attristé en songeant à leur douleur à l’annonce de ma mort et c’est dans une grande tranquillité d’esprit que je prie pour moi, pour eux que je recommande à dieu et pour mes petits.

Je fais l’examen de mon comportement depuis le départ de l’attaque. J’en retire l’assurance d’avoir accompli mon devoir sans avoir commis aucune erreur, aucune faute. Je n’ai nul regret. Je me dis que si j’avais à revivre ces dernières heures, avec la possibilité de les éviter, je n’hésiterais pas à suivre ma destinée. Je souris au souvenir du vœu le plus cher de mon jeune âge : mourir sur un champ de bataille… et qui s’accomplit. J’en remercie la providence.

La lecture d’études médicales sur les blessures de guerre m’a permis depuis d’acquérir, pour l’apaisement de ma conscience, la conviction que je n’ai pas, dans le triste événement qui va s’accomplir, agi en égoïste. J’atteignais ce moment à la fois psychologique et physiologique avec la gravité du traumatisme, la perte de sang, les rapides progrès de la gangrène qui avaient envahi mes plaies. Tout cela m’amenait progressivement à l’affaiblissement général de mes facultés et me plaçait dans un état d’apathie, de somnolence, contre lequel je n'avais plus le pouvoir de réagir.

Quoique le bruit du combat aille en s’éloignant, je sais parfaitement quel risque capital il y a encore à « aller chercher mes affaires », comme vient de dire ce malheureux, bien qu’elles ne soient guère distantes que de 1 m 50 au plus sur le bled.

Un mot suffisait sans doute à l’en dissuader. Ce mot, je ne le dis pas… Il escalade l’entonnoir… Quelques instants après Lorinquier se hasardant à passer le haut de la tête se retourne : « Mon lieutenant, x…. est tué ! »  J’éprouve un sentiment mêlé de tristesse et de désir d’ignorer !  Je ne réponds pas. « Mon lieutenant X…. a reçu une balle dans la tête ! » Je garde obstinément le silence.

Le regret que j’ai de la mort de ce brave que j’aurais dû empêcher, qu’il me semble avoir sciemment laissé s’accomplir, n’est même pas atténué par l’illusoire consolation, n’étant pas parvenu à l’identifier, d’avoir pu faire obtenir aux siens la récompense posthume due à son dévouement.

Le temps passe, les mitrailleuses écrêtent toujours par intermittence les bords du trou. Je suis à la merci d’une trajectoire un peu moins tendue. Des obus tombent toujours autour, me jetant de la boue. Un éclat frappe mon casque. Heureusement que j’ai pu le garder sur la tête, grâce à la jugulaire, le cou posé sur une motte de terre.

Nos troupes avancent, le combat s’éloigne, les brancardiers commencent à circuler. Lorinquier hèle une équipe du 109e R.I., mais il essuie un refus en donnant le numéro du notre régiment.

Des gaz toxiques passent. Il met son masque puis m’en ajuste un après avoir ôté mon casque J’ai donc le temps d’en goûter la saveur âpre, suffocante. Je ne puis reconnaître leur nature, toutefois, ce n’est pas du gaz lacrymogène.

Il pleut toujours, l’eau coule sur le visage, dans les yeux, dans la bouche. Une rigole s’est formée de chaque côté de la tête et du corps. J’ai de plus en plus froid. Un tremblement perpétuel me secoue. Les pieds sont glacés. J’essaye en vain de réchauffer le droit en l’appuyant contre une motte de terre glaise.

Nos avions volent au-dessus du champ de bataille, scrutant le terrain à quelque trente mètres de hauteur. Je suis tenté plusieurs fois de leur faire un signe de détresse. Je m’en abstiens, comprenant l’inanité de ce geste.

Voyant que la mort ne vient pas, je dis à Lorinquier d’aller à la recherche de brancardiers. Resté seul, je vois venir, par le débouché du boyau, un blessé qui avance à tâtons, un bandeau sur les yeux, les deux mains sanglantes à hauteur du visage, comme pour les protéger des heurts. Il bute, s’abat à 4 ou 5 mètres de moi et reste immobile.

Notre caporal brancardier passe si près que je l'aperçois. Je l’appelle. Il me promet de m’envoyer relever. Une heure après, le barbier revient. Il a trouvé le .P.S. du régiment, mais toutes les équipes étaient en recherche. Il panse les mains du pauvre diable et lui donne à boire.

Ici encore, ce pénible état de mes facultés se manifeste. Je déplore de voir ce malheureux, comme moi, sous la pluie, mais sans couverture. J’en ai deux sur moi, plus une toile de tente. Je voudrais m’en faire retirer une pour lui, mais mes lèvres ne s’ouvrent pas pour en prier Lorinquier.

Encore des gaz ! J’abaisse mon masque que j’ai gardé sur le front. Je vois s’éloigner, chassé par le vent, le nuage noirâtre.

Voilà des brancardiers. Croyant qu’ils me cherchent, je les fais appeler. Ils répondent des mots inintelligibles et s’éloignent. Le froid me fait bien souffrir. La perte de sang aidant, la vie semble s’être arrêtée aux hanches.

Il doit y avoir quatre à cinq heures que je suis tombé. Le caporal brancardier repasse, étonné de me retrouver là. Il réitère sa promesse et s’en va.

Je vois apparaître la tête d’un Allemand, puis le buste, puis le corps. Il descend dans l’entonnoir, suivi d’un deuxième, d’un troisième d’un quatrième. Je n’ai plus de revolver et je me vois par avance dépouillé et achevé. À la place de Lorinquier, j’en aurais déjà abattu deux, lui reste médusé ! Enfin, un cinquième homme se montre. C’est un français ! Il conduit les prisonniers…

Le premier me regarde et me dit en bon français : « Je vais dire à l’ambulance qu’on nous envoie venir vous chercher. »

Une nouvelle heure s’écoule. J’envoie Lorinquier dire à notre P.S. que si l’on ne peut venir de suite ce ne sera pas utile.

Le blessé se met à geindre lamentablement. Ne pouvant le secourir, je me garde de lui signaler ma présence. Je voudrais maintenant le faire venir me prendre un couvre-pied, mais je crains sa maladresse forcée et je me tais.

La pluie redouble, le froid se fait plus intense. Peut-être que mon épuisement progressif me le rend-il moins supportable. Je ne cesse de trembler violemment.

Une troisième fois les gaz passent…

Me voyant toujours vivre, je prends la résolution de traîner hors du trou pour gagner un passage de brancardiers où un P.S.. Je me découvre et je vois sous moi, dans une mare de sang, des morceaux de chair et de graisse que je prends, à tort, pour de la matière provenant de la moelle épinière !

Dès le premier effort, je constate que je suis condamné à une immobilité absolue. J’en suis contrarié, car j’avais cru voir là, une chance de me repêcher. C’était d’ailleurs une erreur, car je n’aurais pu ramper dans la boue qui recouvrait maintenant tout le champ de bataille.

L’absence de Lorinquier me parait interminable, car je ne me représente pas que notre P.S. est peut-être très éloigné. Je prie de nouveau.

Enfin, j’entends parler. C’est le barbier qui revient flanqué de quatre brancardiers. Il est, me dit-on, 13 h 30. Il y a alors 7 à 8 heures que je suis là.

Je pense d’abord à faire emporter le blessé, puis je songe que je suis à bout de résistance, que lui est moins saigné et que les brancardiers ne reviendraient peut-être pas. Cette mauvaise pensée est tempérée par celle que l’équipe promise par le caporal va venir et le prendra…

C

Je lui fais mettre un couvre-pied. Il ne dit rien. Sait-il qu’on emporte quelqu’un près de lui et qu’on le laisse là, seul ? Quelle doit être alors sa détresse !

Lorinquier me demande si je veux mes affaires. Un brancardier, sur le bled, répond qu’il n’y a plus qu’un porte-cartes déchiqueté dans un trou d’obus. J’ai tant de hâte à présent d’être entre les mains d’un médecin que je dis de laisser tout et de partir. Cependant, ces souvenirs me seraient aujourd’hui bien précieux à conserver. Comme on m’avait ôté mes jambières de cuir pour me panser, un brancardier les trouve et je l’entends discuter avec ses collègues sur celui qui se les offrira. Je ne proteste pas, tant j’ai hâte d’être emporté bien vite.

J’ai froid… grand froid…

Lorinquier, marri de devoir se mettre à la recherche de la compagnie, me regarde enlever.

Je n’ai pas un regard pour le malheureux couché, le bras tendu vers « mes affaires », le front troué d’une balle…

Les brancardiers, qui me portent sur l’épaule, font des haltes fréquentes, geignant à cause de la fatigue qui leur est imposée. Ils oublient celles autrement plus dures des combattants. Ils oublient que pendant les périodes de tranchée, eux, dorment nuit et jour dans les P.S.. Ils oublient qu’au repos, où ils redeviennent musiciens, ils échappent aux exercices, aux manœuvres, aux corvées, qu’ils bénéficient des meilleurs cantonnements, de faveurs spéciales, etc…

Dès qu’ils me déposent, un tremblement me secoue pour cesser dès que recommence le ballottement du transport.

Nous rencontrons un Allemand désarmé, l'air hagard. Je lui enjoins de se joindre à nous. Craintif, il se met à notre suite, puis il reste en arrière.

Je manque verser par inattention d’un porteur. On me descend dans le boyau qui conduit au P.S. du bataillon : P.O.I. (P.C. Volvreux).

Je donne dix francs à mes brancardiers en leur faisant promettre d’aller chercher le pauvre diable resté dans l’entonnoir.

Le docteur Ruffin ne peut qu’entourer mes cuisses et leur pansement rudimentaire d’une bonne épaisseur de ouate et de bande.

Sur ma demande, il me garnit de même les jambes et les pieds, ce qui ne parvient pas à les réchauffer. Je claque des dents violemment. Il me regarde d’un œil attristé qui m’édifie sur sa pensée. Il me fait une piqûre d’huile mentholée, puis établit comme suit ma « fiche » :

« Plaies pénétrantes des deux cuisses par éclats de grenade et balle. Injection sérum antitétanique à pratiquer le plus tôt possible. »

Il m’envoie par de nouveaux porteurs au P.S. Pigeon du régiment. Là, le médecin-chef me fait une piqûre de citrate de caféine.

Des prisonniers faits au cours du combat me transportent à Vastiboute où une auto me prend avec trois autres blessés pour Sermoise.

Les deux conducteurs, véritables brutes, ont hâte de s’éloigner de la zone bombardée. Malgré nos plaintes, ils franchissent en vitesse, caniveaux, trous, monticules, ricanant des cris de douleurs qui emplissent la voiture. Nous sommes projetés contre les parois. Nos têtes sont secouées. Je ne sais comment nous avons résisté à ce trajet.

Je n’ai pu me rappeler si nous avons réellement fait un arrêt à Sermoise, si nous y avons été descendus d’auto, et si c’est bien là que nous avons reçu la première piqûre antitétanique, ou si nous sommes allés directement à Vasseny.

Toujours est-il que le terme de notre voyage en automobile est Vasseny, à l’H.O.E. 18, ambulance 212. Des Annamites nous introduisent dans un vaste baraquement où s’alignent de nombreux blessés.

Carte Couvrelles-Vasseny

Un homme nous invite à lui déposer ce que nous avons, nous prévenant « que ce qui ne lui est pas remis sera perdu ». Je lui fais compter ce que contient mon portefeuille et me fais remettre un reçu. Les quelques bibelots que contiennent mes poches sont liés dans un mouchoir.

H

Ainsi s'achève le témoignage de Paul Douchez concernant son passage au 149e R.I.. Nous l'avons suivi dans ses activités d'officier pendant les mois qui ont précédé les combats de la Malmaison. On pourra lui reprocher son regard très orienté vers les cadres du bataillon et sur sa vie d'officier plus que sur sa compagnie. Mais ses riches écrits permettent malgré tout, en l'absence de J.M.O., de mieux comprendre la vie quotidienne et les différentes activités au sein de son bataillon. Les nombreuses anecdotes qui ponctuent cette longue période qui s'étend de la fin janvier à la fin octobre 1917 ne rendent tout ce qui se passe que plus humain.

Sources 

Fond Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

Le portrait du sous-lieutenant Douchez provient de ce même fonds.

Le plan qui se trouve sur le montage est extrait du J.M.O. du 10e B.C.P. 26 N 819/6. S.H.D. de Vincennes.

La photographie de groupe représentant les musiciens-brancardiers de la C.H.R. du 149e R.I. provient du fonds Rémy qui se trouve aux archives départementales des Vosges.

Un grand merci à M. Bordes, à J. Breugnot à A. Carobbi, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales des Vosges.

18 janvier 2019

Charles Alphonse Rapenne (1885-1914).

Charles_Alphonse_Rapenne

Charles Alphonse Rapenne naît le 22 octobre 1885 dans la demeure parentale de Luxeuil-les-Bains, une commune située dans le département de la Haute-Saône. Son père, Charles Auguste, exerce le métier de carrier. Il a 33 ans à la naissance de son fils. Sa mère, Marie Joséphine Célina Jeudy, est âgée de 30 ans. Elle travaille comme journalière. La fratrie de Charles Alphonse compte cinq frères et une sœur.

La fiche signalétique et des services de Charles Rapenne est accessible à la lecture sur le site des archives départementales des Vosges. Elle nous informe qu’il possède un degré d’instruction de niveau 3 et qu’il travaille comme tisserand. Le registre matricule notifie également que le conseil de révision l’a ajourné pour faiblesse en 1905, avant de le classer dans la 1ère partie de la liste en 1906.

En dehors de son état civil et des décisions prises par le conseil de révision, il n’est fait aucune allusion à son parcours de soldat dans la partie « détail des services et des mutations diverses ». Nous ne saurons donc rien de plus en consultant ce document.

Un portrait préservé par la famille nous apprend que cet homme a effectué ses obligations militaires au sein du 149e R.I..

De retour à la vie civile, Charles Rapenne se marie avec Henriette Héloïse Guntz dans la petite ville de Golbey le 13 novembre 1909.

Le registre de recensement de cette commune, réalisé en 1911, permet de savoir qu’il est employé comme tisserand dans l’établissement Ziegler et Cie et qu’il demeure dans les cités de Pruines avec son épouse. À cette époque, le couple n’a pas d’enfants.

Golbey_Etablissement_Ziegler_et_Cie___la_Gosse

Lorsque le conflit contre l’Allemagne débute en août 1914, Charles Rapenne est, comme des milliers d’hommes de sa génération, obligé de regagner les rangs de son régiment d’appartenance. Il sait qu’il devra rejoindre la caserne Courcy du 149e R.I. à l’appel des réservistes de la classe 1905.

Est-il arrivé à Vanémont, le 4 août 1914, avec le 2e échelon du régiment ? Faisait-il partie des tout premiers renforts qui servirent à combler les pertes du 149e R.I. après son baptême du feu du 9 août au Renclos des Vaches, le 16 août 1914 ? Le vide intégral laissé par son registre matricule ne permet pas de fixer une date exacte pour son arrivée dans la zone des opérations.

Nous savons simplement que le soldat Rapenne fait partie des effectifs de la 11e compagnie.

Son passage dans le régiment est court. Charles Rapenne est tué durant les combats qui se sont déroulés dans le secteur d’Abrechviller en août 1914.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Carte_1_journee_du_21_aout_1914

Plusieurs informations contradictoires émergent des différents documents officiels concernant le décès du soldat Rapenne.

Cet homme est inscrit dans l’état des pertes du régiment du J.M.O. du 149e R.I. sur la liste des hommes enregistrés comme disparus, dans les combats de Ménil, de Thiaville et de Saint-Benoit qui eurent lieu durant les 25 et 26 août 1914.

Une première indication sur sa fiche « mémoire des hommes » précise qu’il est « mort pour la France » le 21 août 1914 à Abreschviller.

Cette donnée a été raturée pour être remplacée par la mention « mort pour la France » dans la région de Val-et-Chatillon le 20 août 1914.

Nous avons donc trois lieux et quatre dates de décès possibles !

Espérant sa captivité en Allemagne, ses proches firent une demande auprès du Comité International de la Croix Rouge.

RAPENNE_Charles_Alphonse_fiche_C

Hélas, la réponse reçue ne laisse aucun espoir aux siens. Un lieu de sépulture est indiqué sur la fiche du C.I.C.R.. Elle confirme la présence du corps du soldat Rapenne dans la tombe n° 3 de la lisière du Freiwald à Biberkirch.

Si les informations manquent sur son retour à la caserne, sur son court passage au front et sur les circonstances de sa mort, sa mémoire n’en est pas moins conservée par la famille, aujourd’hui encore, par l’intermédiaire de quelques objets.

Les Allemands firent parvenir aux autorités françaises une boîte contenant le porte-monnaie et la plaque d’identité qui appartenaient à Charles Rapenne qui a ensuite été restituée aux siens.

Charles_Alponse_Rapenne_2

La Médaille militaire lui a été attribuée à titre posthume (Publication dans le J.O. du 9 juin 1921).

« Soldat courageux et dévoué. Glorieusement tombé au champ d’honneur, le 20 octobre 1914 à Abreschviller. »

Cette décoration lui donne également droit à la croix de guerre avec étoile de bronze.

Une autre discordance concerne sa fonction au sein du 149e R.I.. Dans le journal officiel du 9 juin 1921, il est écrit qu’il fait office de clairon alors que dans l’état des pertes du J.M.O. du régiment des 25 et 26 août, il est noté qu’il bat le tambour à la 11e compagnie. Ces informations laissent entendre qu’il a été formé à l’école des tambours et des clairons durant la période où il se trouvait sous les drapeaux.

Il n’y a pas de sépulture individuelle connue pour ce soldat.

Le nom de Charles Alphonse Rapenne est gravé sur le petit monument aux morts de la commune de Golbey.

Sources :

La fiche signalétique et des services et l’acte de naissance de Charles Alphonse Rapenne ainsi que le registre de recensement de la commune de Golbey ont été consultés sur le site des archives départementales des Vosges.

Le portrait, le porte-monnaie, la plaque d’identité et la boîte qui a permis la restitution de ces objets ont été photographiés par la famille descendante du soldat Rapenne.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à É. Mansuy, à la famille descendante du soldat Rapenne et aux archives départementales des Vosges. 

11 janvier 2019

Un témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (10e partie) La bataille de la Malmaison.

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La section Douchez va bientôt devoir quitter la carrière des Volvreux pour gagner ses emplacements dans les tranchées de 1ère ligne. La bataille de la Malmaison est sur le point de commencer.

23 octobre 1917

0 H 30 : nous recevons l’ordre d’être sur nos emplacements de départ pour 2 h 00. Le trajet se fait en pleine obscurité, très péniblement, à cause de l’étroitesse des boyaux, mais sans autre incident que la mise des cagoules. Ma section se déploie dans la « parallèle », à cheval sur le boyau C2. Dès notre arrivée, je dois faire décharger mes hommes où ils peuvent et leur faire creuser les gradins de franchissement.

Je fournis deux hommes à une équipe qui va ouvrir les passages dans nos réseaux. L’un d’eux, blessé, a les plus grandes difficultés à passer dans la parallèle pour gagner le poste de secours

Un éclat me blesse un autre homme à droite. Il lui faut une douzaine de minutes pour franchir 20 mètres.

Que ne peut-on fourrer ici, à notre place, les misérables qui ont fait creuser cela.

2 h 30 : L’agent de liaison m’apporte un papier. Je m’enfouis la tête dans un trou du parapet. On m’entoure de pans de capotes et j’allume ma lampe électrique. C’est l’indication de l’heure. H = 3 H 15.

3 h 00 : Je préviens tout le monde d’achever de se rééquiper, de charger les magasins des fusils et de se tenir prêt.

Ces instructions sont transmises d’homme à homme, à voix basse.

3 h 10 : Je fais « passer » qu’il faut sortir simultanément de la tranchée dès qu’on me verra sur le parapet, puis se former aussitôt en ligne de sections à 50 pas, en avançant. L’aube s’annonce.

Le lieutenant Claudin vient de la tranchée des Territoriaux par le boyau C2, me serrer la main…

3 h 14 : Sans coup de sifflet, sans geste, je me hisse sur le parapet. Toute la section l’escalade rapidement et nous prenons la formation indiquée. Je prends la tête de la fraction de droite. Il fait encore noir. Le sergent conduisant celle de gauche oublie d’assurer sa liaison. Il s’éloigne trop vers la gauche.

Je roule dans un des entonnoirs dont le bled est parsemé. Vite sur pieds, je boule de nouveau quelques pas plus loin. Ma main n’a pas lâché la boussole, mes lunettes ont tenu bon, tout va bien.

Le début de la marche générale, sur toute la ligne de front d’attaque, est quelque peu chaotique. J’attribue cela aux facteurs suivants :

      1. nos boussoles lumineuses sont influencées par les armes et par les masses de fer au milieu desquelles nous évoluons.

      2. les points de repère que nous connaissons bien, qui nous seraient d’un concours très précieux pour rectifier et fixer notre marche, sont encore noyés dans l’obscurité.

      3. la marche voulue en zigzag des chars d’assaut a dû tromper la 1ère vague, avec répercussion sur les suivantes.

      4. le non-fonctionnement, très difficile d’ailleurs, des liaisons.

Moi-même, je suis accolé à une fraction du 158e R.I., spécialement chargée d’assurer la jonction, sans « trous », de ce régiment, avec ma section. Celle-ci devant former le flanc droit du 149e R.I. durant le 1er bon, avant d’occuper tout le front du régiment durant le second. Or, à aucun moment, cette fraction ne me signalera sa présence.

Pour suivre les évènements qui se sont déroulés durant la 1ère phase de l’attaque de la Malmaison, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Carte_1_journee_du_23_octobre_1917_1er_objectif

En dépit de ces à-coups, non seulement tous nos objectifs seront atteints, mais ils seront dépassés en certains points.

Les détails qui suivent, primitivement altérés dans ma mémoire, du fait de l’anémie cérébrale résultant de la perte de sang, me sont revenus graduellement, quoiqu’avec une netteté incomplète par endroits.

La zone du barrage ennemi franchie, je fais faire halte pour m’orienter. N’ayant pu avancer en ligne directe, je crains de me lancer à faux. Je suis tout heureux de distinguer, dans le noir, la masse plus sombre du bois du Rumpler dont je dois traverser la corne nord, où passe la tranchée allemande du Blocus.

Bois_du_Rumpler

Nous sommes à genoux, en file indienne. Une balle me frappe le côté avec un bruit sec. Un caporal, derrière moi, me dit que je suis blessé, mais je ne sens rien d’anormal. Nous repartons en avant.

Un 77 tombe à nos pieds, dans un trou précédent, éclate sans blesser personne.

Dans un entonnoir, nous trouvons le lieutenant Claudin et sa liaison, venus se placer là pendant notre station. Au passage, nous nous souhaitons bonne chance.

C’est là que dans quelques minutes, il apprendra que le sous-lieutenant Berteville vient d’être tué. Brave et très calme, il n’a pas jugé utile de se conformer aux instructions prescrivant la marche très rapide au départ. Il a été pris, avec sa section, dans le tir de barrage auquel nous venons nous-mêmes d’échapper de justesse. Il est tombé le premier de nous trois.

Pour en savoir plus sur le sous-lieutenant Berteville, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Roger_Georges_Berteville

Quant au lieutenant Claudin, il est à son tour frappé d’une balle qui lui traverse la poitrine de part en part, perforant un poumon, peu de temps après avoir quitté son entonnoir.

Son ordonnance courut chercher des brancardiers et le fit relever une demi-heure après. Quant à celui de Berteville, alcoolique qu’il comblait de cadeaux et d’argent, il abandonne son officier, comme fera bientôt le mien.

Pour en savoir plus sur le lieutenant Claudin, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Paul_Z_phirin_Claudin

Nous passons le bois du Rumpler. Ses arbres ébranchés, brisés, clairsemés se découpent sur la clarté indécise et blême, avant-courrière de l’aube. Ils forment un ensemble fantomatique et lugubre. L’impression est accentuée par le fait que nous abordons ce qui fut l’embranchement des tranchées du Rumpler, du Carlin et du Blocus, 1ère ligne ennemie. Nous en percevons le tracé, jalonné de petits tas incandescents (restes présumés de grenades incendiaires ?)

Ces lueurs rouge sombre, tels des foyers couvant sous la terre, ont un aspect sinistre et sournois.

Désormais, le no man's land est dépassé. Nous avançons en terrain conquis.

Sur une ondulation de terrain se détachent, ombres mouvantes, à quelques dizaines de mètres, les hommes du 1er bataillon dont je me rapproche de nouveau sensiblement.

Je cherche à prendre contact, à ma droite, avec la fraction du 158e R.I.. Je trouve enfin un homme qui lui appartient. Il ne peut me donner aucune indication sur ses camarades ni sur leur gradé.

Ma demi-section de gauche a disparu. Elle est, sans doute, moins avancée que celle qui m’accompagne. Le sergent qui devait rester en serre-file de ma fraction s’est joint, au départprobablement involontairement, à son collègue.

Je n’ai plus vu mon ordonnance, que je comptais utiliser pour ma liaison. Je lui avais donné l’ordre de ne pas me quitter et de me dépouiller si j’étais tué. J’ai su, par la suite, qu’il était porté comme manquant après le combat. Une lettre, que je recevrai de lui à l’ambulance, m’annonçant une blessure légère et son traitement dans un hôpital américain me permettra de conclure qu’il a été atteint en se dérobant vers l’arrière. Avec un autre, ce sont les deux seuls qui ont eu cette conduite, sur 33 soldats, caporaux et sergents qui composaient mon effectif de combat.

J’escompte beaucoup, pour m’orienter avec facilité, la rencontre des tranchées et boyaux ennemis successifs, dont j’ai étudié, avec un grand soin, la disposition d’après les plans et les photos aériennes.

Du_cote_de_la_tranchee_Carlin

J’ai compté sans leur destruction qui ne laisse qu’un terrain chaotique où plus rien ne se détache.

L’aube naissante commence à nous montrer nos rangées de morts. La nuit a été douce et belle. Les capotes bleues, biens propres, fixent l’attitude dernière, généralement face en terre, de ces derniers « tombés au champ d’honneur.

Dans quelques heures, ce ne seront que des tumuli de boue… comme à Verdun.

J’ai rejoint la 1ère vague qui s’est disloquée. Ses groupes, en prenant de la profondeur, amènent de la confusion. Quelque 75 courts me coûtent un blessé qui se met à crier.

Je fais tapir ma fraction dans deux entonnoirs pour laisser se rétablir un intervalle avec le 1er bataillon.

L’artillerie ennemie est nourrie. Ses mitrailleuses, non détruites, sont en pleine action. Je fais avancer par bonds, sans obtenir que les hommes renoncent à se grouper en tas autour de moi.

Nous rejoignons encore la 1ère ligne qui se disloque de plus en plus et qui, cette fois, est accrochée par endroits. Là, je vois un «nettoyeur» accroupi au-dessus d’un abri, une grenade à chaque main, bondissant avec une agilité incroyable. On dirait un chat guettant quelque rat.

Le 1er bataillon reprend sa progression. J’utilise comme cheminement un bout de talus. Celui de la route Paris-Maubeuge ou fragment subsistant d’une tranchée large ? Au-delà, je trouve les tirailleurs en tête, arrêtés par un « nid » de mitrailleuses.

Ayant fait abriter mes escouades dans deux trous, je m’avance afin de savoir, pour ma gouverne, quelle unité j’ai devant, ou plutôt autour de moi. Des gerbes de balles sifflent en éventails, au ras du sol en faisant sauter de petites mottes de terre avec un bruit mat. Cette impression d’être ainsi frôlé sans être touché me donne cette étrange croyance à l’invulnérabilité déjà eue tout à l’heure près d’un éclatement de 77. Réfléchissant néanmoins que je peux être bêtement frappé aux chevilles, je renonce à ma recherche. Je reviens près des miens et j’essaie, à genoux sur le bled, de découvrir ces pièces pour les réduire.

J’aperçois, à 10 m à ma droite, des hommes qui, la baïonnette haute, font demi-tour et rebroussent chemin. Je me représente aussitôt le danger de toute ébauche de retraite. Déjà, un de mes hommes crie : « Y en a qui reculent là-bas ! ».

Je me relève en lui disant de me suivre. Je me dirige vers les autres, leur criant de tenir bon, que je leur apporte du renfort. Mais je n’ai pas le temps d’achever…

En se dispersant, la 1ère ligne a dépassé un entonnoir organisé (j’ai évacué depuis que je me trouvais à une dizaine de mètres en avant et à droite). Il doit être entre six et sept heures. Le ciel s’est couvert. Nous ne pouvons encore bien voir à distance. Par contre, nous offrons aux ennemis terrés, en nous détachant sur l’horizon blafard, de véritables cibles.

Fidèles à leur tactique de frapper avant tout le conducteur d‘une troupe, et ayant vu mon geste de ralliement, ils m’ont pris pour objectif. Une grenade explose sous moi. La gerbe d’éclats se loge dans les cuisses, que sur le moment, je crois fracassées. Je suis violemment jeté sur les genoux et les mains, avec la sensation d’un coup de faux brûlante au travers des cuisses.

Mes hommes se sont arrêtés. Je leur dis : « Cette fois, j’ai mon compte, passez le commandement et en avant ! » Ils s’éloignent.

Mes yeux se portent devant moi. Je me vois tomber au bord d’un vaste entonnoir qui avait dû être « organisé » et dans lequel se trouve le sous-lieutenant David de la 2e compagnie. Il est avec quelques hommes. Il me regarde d’un air anxieux. Je lui souris tristement en lui disant : « Je crois que j’ai les deux cuisses brisées » et je m’évanouis. Détail curieux, à mon réveil, j’ai le souvenir très précis d’un rêve fait pendant cette perte de connaissance. J’étais assis près de Jeanne, à Cambrai (?). Plus tard, un médecin m’expliquera que cette syncope immédiate, en affaiblissant la circulation sanguine, m’a sauvé d’une hémorragie totale.  En rouvrant les yeux, je suis d’abord tout étonné de sentir la fraîcheur de cette matinée d’octobre, de « quitter une chambre claire et tiède » et de me retrouver dans une clarté si triste, enfin de me voir à quatre pattes (car j’ai gardé cette attitude).

Ma vue en se reportant vers l’intérieur du trou me rappelle à la rude réalité.

Grièvement blessé, le sous-lieutenant Douchez croit sa fin proche…

Sources 

Fond Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

La photographie de groupe qui se trouve sur le montage représente la 9e compagnie  du 149e R.I. qui a été photographiée quelque temps avant le commencement de la bataille de la Malmaison. Elle fait partie du fonds Douchez.

Le plan situant le bois Rumpler est extrait du J.M.O. du 10e B.C.P. 26 N 819/6. S.H.D. de Vincennes.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes. 

4 janvier 2019

Paul Zéphirin Claudin (1886-1971).

Paul Zéphirin Claudin

Paul Zéphirin Claudin voit le jour le 23 novembre 1886 à Domvallier, une petite commune située à l’est de Mirecourt, en pays vosgien. Le père, Jean Éloi Zéphirin, est alors âgé de 34 ans. Travaillant comme mécanicien spécialisé dans les machines agricoles, il possède un atelier, à proximité de l’église et du ruisseau le Val d’Arol, ce qui lui permet de fabriquer des machines à battre, des tarares, des concasseurs, des coupes racines et des rouleaux squelettes. La mère, Marie Eugénie Thomas, a 26 ans. Elle élève déjà trois garçons.

La fratrie est au complet après la naissance tardive d’une sœur venue au monde en 1894.

Après avoir fréquenté l’école primaire de Domvallier, Paul obtient une bourse entière d’internat qui va lui permettre de poursuivre sa scolarité à l’école primaire supérieure de Charmes.

Au fil des ans, son orientation professionnelle se dessine.

Il obtient les connaissances suffisantes pour lui permettre de faire carrière dans l’enseignement.

Devenu élève maître, Paul doit maintenant penser à réaliser ses obligations militaires. Le 5 octobre 1905, il se décide à signer un engagement volontaire de trois ans. Deux jours plus tard, il est incorporé au 79e R.I. de Neufchâteau-Nancy.

Son contrat avec l’armée n’est pas mené à terme.

Paul Claudin a eu le droit de contracter un engagement volontaire dans le cadre de l'article 23 de la loi de recrutement de 1889. Il avait un avantage important à le faire : il s'engage, mais en échange d'un engagement d'au moins dix ans dans la fonction publique. Ensuite, il ne fait qu'un an de service actif.

Plus subtil encore, en raison de la mise en place de la nouvelle loi sur le recrutement de 1905, il n'avait que jusqu'au 9 octobre 1905 pour en bénéficier. Signant son engagement le 5 octobre, il ne s'en est pas fallu de beaucoup. Peut-être qu’il a hésité un peu !

Le jeune homme est envoyé dans la disponibilité le 18 septembre 1906 avec le grade de caporal, obtenu 3 jours plus tôt, en attendant son passage dans la réserve de l’armée active.

L’ancien soldat retourne vivre quelque temps dans sa commune d’origine avant de la quitter définitivement pour aller s’installer comme enseignant à Raon-l’Étape. Militairement parlant, il est toujours rattaché, comme caporal de réserve, au dépôt du régiment de Neufchâteau stationné à Nancy.

Ses compétences lui permettent d’être nommé, le 30 avril 1907, sergent de réserve sans porter l’uniforme.

Le 4 septembre de la même année il épouse à Marainviller Marie Berthe Adelphine Humbert, une institutrice qui enseigne à Lunéville.

L’année suivante, Paul accomplit une période d’exercice, du 23 août au 19 septembre, dans le régiment où il a effectué son service militaire.

Il fait sa seconde période d’exercices, toujours dans la même unité, au 79e R.I., du 28 août au 17 septembre 1910.

Ces deux périodes correspondent aux manœuvres d'automne.

Un changement de domicile le fait ensuite dépendre administrativement du 146e R.I. de Toul à partir du 22 décembre 1910.

Le 1er octobre 1913, le sergent de réserve Claudin est rattaché au 21e B.C.P.. Ce bataillon se prépare à quitter Montbéliard. Dix jours plus tard, ses chasseurs s’installent à la caserne Dutertre nouvellement construite à Raon-l’Étape.

Raon-l'Etape

Au moment de la mobilisation générale, évènement annonciateur d’un nouveau conflit contre l’Allemagne, le sergent Claudin rejoint le dépôt de son bataillon le 1er août 1914.

Avec les chasseurs de cette unité, il participe aux combats du Donon, à ceux qui se déroulent dans la région de Badonviller et à ceux qui eurent lieu au col de la Chipotte et dans sa région avoisinante.

Le 19 septembre 1914, Paul Claudin est touché par des éclats d’obus qui le blessent sérieusement à la hanche gauche. Ce jour-là, le 21e B.C.P. est engagé dans le secteur de Souain, un petit village marnais situé au nord-est de Châlons-en-Champagne.

Les soins prodigués par les médecins au sergent Claudin durent longtemps. Le rétablissement complet de ce dernier demande plusieurs mois.

Sa convalescence terminée, il doit rejoindre les rangs de la 25e compagnie du dépôt de son bataillon le 15 mai 1915. Il est très rapidement renvoyé dans la zone des armées.

Le 19 juin, le sergent Claudin est de nouveau blessé dans le secteur de Lorette en Artois. Cette fois-ci, il est victime d’une balle qui lui blesse le 3e orteil du pied gauche.

Paul est de retour dans la zone des armées le 3 décembre 1915. Le 22 décembre, il est nommé au grade de sous-lieutenant de réserve à titre temporaire, pour la durée de la guerre.

Devenu officier il sait qu’il a de fortes chances d’être affecté dans une nouvelle unité.

Il quitte le 21e B.C.P. à la fin du mois de février 1916 pour rejoindre le dépôt du 3e B.C.P. à Langres. Il n’ira jamais combattre avec les chasseurs de ce bataillon.

Le 21 avril 1916, le sous-lieutenant Claudin est envoyé à Somme-Yèvre, à l’est de Châlons-en-Champagne, avec un groupe de renfort qui doit combler une partie des pertes du 1er B.C.P.. Cette unité a perdu beaucoup d’hommes du côté de Verdun. Un peu plus de deux mois plus tard, il apprend qu’il doit abandonner son uniforme de chasseur pour revêtir celui de fantassin.

Une décision ministérielle du 28 juin 1916 l’affecte à la 11e compagnie du 149e R.I..

Ce régiment occupe un secteur en Champagne entre les buttes de Tahure et de Mesnil.

Le 9 juillet, Paul Claudin participe à un coup de main important qui permet de prendre une tranchée de 1ère ligne aux Allemands.

Le 149e R.I. se rend ensuite dans la Somme pour une durée de quatre mois, pour participer à plusieurs attaques dans les secteurs de Soyécourt et d’Ablaincourt.

Paul Claudin est nommé à la tête de la 9e compagnie du régiment spinalien en décembre 1916.

Le 9 janvier 1917, le lieutenant-colonel Pineau inscrit dans le feuillet individuel de campagne de Paul Claudin ceci : « S’est montré, en toutes circonstances, un officier énergique ayant de très sérieuses qualités militaires, initiative, décision, sang-froid, conscience de ses devoirs de chef. Belle tenue. Commande une compagnie depuis un mois, à l’entière satisfaction de ses chefs.   »

Il devient lieutenant de réserve à titre temporaire le 14 janvier 1917.

L’année 1917 est une année assez clémente pour le 149e R.I.. Même si le régiment occupe des secteurs plutôt instables du côté de La Malmaison à proximité du chemin des Dames, il à la chance de ne pas être engagé dans un combat meurtrier avant la fin du mois d’octobre 1917.

Durant cette période, le lieutenant Claudin bénéficie d’une permission entre le 3 et le 13 juillet inclus.

Paul Claudin a pu être photographié avec l’ensemble des officiers du 3e bataillon du 149e R.I., quelques jours avant le commencement de l'offensive de la Malmaison du 23 octobre 1917.

Photographie de groupe des officiers du 3e bataillon du 149e R

Il est atteint d’une balle durant la 2e phase de l’attaque de la Malmaison. Les circonstances de sa blessure sont connues. Elles sont évoquées dans le témoignage laissé par le sous-lieutenant Douchez. Voici ce qu’il a écrit :

« …Quant au lieutenant Claudin, il est à son tour frappé d’une balle qui lui traverse la poitrine de part en part, perforant un poumon, peu de temps après avoir quitté son entonnoir. Son ordonnance courut chercher des brancardiers et le fit relever une demi-heure après.»

La blessure est très grave. Évacué pour la 3e fois depuis le début du conflit, il ne reviendra jamais sur le terrain des opérations.

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés durant la bataille dite de la Malmaison, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte_2_journee_du_23_octobre_1917__2e_objectif_

Cet officier est promu lieutenant à titre définitif le 22 décembre 1917.

Il est envoyé en congé de démobilisation le 21 mars 1919, pouvant ainsi se retirer à Raon-l’Etape au n° 60 de la rue Jules Ferry.

Paul part ensuite s’installer à Gérardmer au n° 53 de la Grande Rue ; il retrouve ses fonctions d’enseignant à l’école primaire supérieure de cette ville le 2 août 1919.

Ecole primaire superieure de Gerardmer

Par application de la loi du 30 mars 1920, son rang d’ancienneté de sous-lieutenant est fixé au 22 décembre 1915 et celui de lieutenant au 22 décembre 1917 (J.O. du 29 janvier 1922).

En tant que réserviste, il dépend toujours du dépôt du 149e R.I.. Paul Claudin passe dans l’armée territoriale le 11 avril 1922 (J.O. du 13 avril 1922).

Le 7 décembre 1923, le lieutenant de réserve Claudin est rattaché au 27e Régiment de Tirailleurs. Le 21 décembre de la même année, il est inscrit au 17e Régiment de Tirailleurs.

Un avis du commandant de recrutement de Neufchâteau datant du 3 août 1929 nous apprend qu’il est détenteur d’un permis de conduire d’autos.

Durant quatre années consécutives, entre 1928 et 1931, il fut proposé pour le grade de capitaine, une promotion qu’il n’obtint jamais. 

Le 1er février 1931, Paul Claudin passe au C.M.I.R. n° 205 d’Épinal.

Rayé des cadres par décret du 17 octobre 1933 en application de l’article 10 de la loi du 8 janvier 1925, il peut ranger de manière définitive ses papiers militaires. Il s’apprête à fêter son 47e anniversaire.

Paul Zéphirin Claudin a obtenu la citation suivante :

Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 123 en date du 8 décembre 1916.

« Officier très énergique, très actif et d’un sang-froid remarquable. Pendant la période du 13 au 16 novembre 1916, a admirablement organisé son secteur de première ligne nouvellement conquis, dirigeant lui-même nuit et jour le travail sous un très violent bombardement et malgré des pertes importantes, a fait preuve, en toutes circonstances, des plus brillantes qualités militaires. Sur le front depuis le début de la guerre. Blessé deux fois et proposé pour la Médaille militaire alors qu’il était sous-officier. »

Chevalier de la Légion d’honneur ordre numéro 8229 D, prend rang le 2 juillet 1918 (publication au J.O. du 09/09/1918).

« Commandant de compagnie qui a fait preuve le 23 octobre 1917 au chemin des Dames, de brillantes qualités de commandement, de bravoure et d’entrain, à l’assaut d’un fortin qui opposait à notre avance une résistance acharnée. A été blessé grièvement au cours de l’opération. 2 blessures antérieures, 1 citation.»

Ce texte a d'abord été une citation à l’ordre de l’armée du 9 novembre 1917. Celle-ci a été annulée après l’attribution de la Légion d’honneur.

Paul Zéphirin Claudin est décédé le 6 janvier 1971 à Marainviller en Meurthe-et-Moselle.

Deux enfants sont nés de l'union de Paul Zéphirin Claudin et de Marie Berthe Adelphine Humbert. Robert Georges Émile et Paulette sont décédés avant d'avoir pu fêter leur troisième anniversaire.

Sources :

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

Une grande partie des informations concernant la généalogie de cet officier a été trouvée sur le site « Généanet ».

Geneanet

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Collin, à D. et B. Crochetet, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales des Vosges. 

28 décembre 2018

Un témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (9e partie) Derniers préparatifs avant l’attaque de la Malmaison.

Sous-lieutenant Paul Douchez

Les hommes de la 9e compagnie du 149e R.I. se préparent à remonter en 2e ligne dans le secteur nord-est de la ferme Volvreux. Cette fois-ci, ils vont devoir s’équiper lourdement.

La compagnie Claudin est installée avec la 10e dans une carrière aux Volvreux en attendant de rejoindre, quelques heures avant le déclenchement de l’attaque de la Malmaison, l’emplacement qui lui a été assigné.

20 octobre 1917

De Billy-sur-Aisne, nous allons en 2e ligne aux Volvreux. Les 9e et 10e compagnies, le petit E.M. la 3e compagnie de mitrailleuses, les brancardiers, etc… soit environ 400 hommes, sont entassés dans une carrière. La moitié dispose de « cadres ». Une cloison crée un dortoir-réfectoire pour les officiers de la compagnie. Une autre est réalisée pour l’E.M.. Des sacs, à terre, forment notre couche. Berteville dort sous la table, et moi-même à côté.

Dans cette atmosphère, lourde et viciée, les bougies s’éteignent. Les hommes sont pris de vomissements, je souffre de la tête. Deux ventilateurs sont là, mais il manque, paraît-il, des bouts de tuyaux pour pouvoir les mettre en action.

Carte_1_journee_du_20_octobre_1917

Le 2e jour, nous crevons la voûte. Par ce puit, il sort continuellement une épaisse colonne de vapeur, sans que nous trouvions un soulagement sensible. Notre respiration condensée retombe sur nous en gouttes d’eau. Les hommes s’obstinent à obstruer les deux entrées entre lesquelles pourrait s’établir un salutaire courant ; ils y restent groupés, à trois ou quatre.

Respirer dehors est dangereux. Les accès sont vus des chenilles et des P.O., auxquels nous aurions avantage à cacher notre présence. En dépit d’une consigne formelle, les abords sont constamment animés. Nous ne tardons pas à avoir plusieurs tués.

Derrière nous, il y a des 75. Notre aspirant, en séjour au C.I.D. y a été affecté,  après une brève instruction, comme chef de pièce. Un obus éclate à l’intérieur du canon. Il est tué ainsi que deux autres servants.

Claudin et moi, nous allons nous découvrir devant son jeune corps mutilé. C’était notre meilleur gradé.

Des pièces lourdes sont en contrebas de ces batteries. Nous nous complaisons à suivre, à l’œil nu ou à la jumelle, la trajectoire de ces gros obus qui martèlent les premières lignes adverses. Le résultat de ce travail préparatoire est tel que nos soldats des 1ère lignes, hors de la tranchée jusqu’à mi-corps, le contemplent impunément, sans qu’un ennemi se risque à tirer.

Nous voyons exploser nos récents 400 sur le fort de la Malmaison.

Nos patrouilles nocturnes trouvent détruites et abandonnées les tranchées avancées. Mais en se retirant au petit jour, elles aperçoivent les détachements ennemis qui viennent les réoccuper !

Sous cet orage, contre lequel leur artillerie ne réagit que faiblement, soit par paralysie soit parce qu’elle se retire en prévoyance d’un recul, la valeur combative de notre adversaire reste forte. La nuit, les détachements ennemis parviennent, à deux endroits, à nous enlever des hommes pour se procurer des informations.

Des déserteurs vont aussi leur fournir des renseignements très précieux pour eux, grâce auxquels ils pourront nous rendre plus ardue et plus meurtrière l’action imminente.

La préparation d’artillerie s’étant révélée insuffisante, surtout à notre droite, au fort de la Malmaison, l’attaque est remise du 21 au 22 puis au 23 octobre.

21 octobre 1917

La 9e compagnie est commandée pour faire une patrouille. Il faut désigner un officier, un sous-officier et douze hommes, tous volontaires. La mission est de reconnaître, dans la tranchée du Blocus, face à notre front de départ, l’état de destruction de cette tranchée et son abandon présumé.

Tranch_e_du_Blocus

Le sous-lieutenant Berteville s’offre spontanément. Mais, sur ma demande, nous tirons à la courte paille. Le sort le désigne.

Berteville exécute sa mission sous la protection d’un barrage dit d’encagement.

Dans le même temps, je dirige le nettoyage des boyaux envasés que nous aurons à suivre pour gagner nos emplacements de départ.

22 octobre 1917

Le lieutenant Claudin, le sous-lieutenant Berteville, moi et deux sergents de la 9e compagnie ainsi que le sous-lieutenant Reigneau de la 3e compagnie de mitrailleuses, nous allons reconnaître notre position de départ qui est établie entre la « tranchée des territoriaux » (derrière) et la « tranchée nouvelle » (devant). Elle est lamentable, à peine assez profonde, et si étroite, que, non seulement on ne peut s’y croiser, mais aussi, grâce au bagage d’assaut, on racle les parois boueuses d’un bout à l’autre. Il en est de même pour le boyau C2 qui y accède.

Le sous-lieutenant Reigneau est chargé de nous accompagner pendant l’assaut avec deux pièces, jusqu’au ravin des Vallons.

Il n’y a pas d’abris, nulle « place d’armes » pour les croisements, nul gradin de franchissement. Où sont les principes ressassés sur l’organisation d’un secteur d’attaque ?

L’officier supérieur chargé des travaux a sans doute jugé qu’ils ne valaient pas un dérangement personnel. Les officiers qui avaient reçu l’ordre d’exécuter les travaux s’en sont désintéressés. Les travailleurs, qui n’utiliseront pas ses parallèles, et ne se voyant pas surveillés, ont expédié la besogne au plus vite et au plus mal. Comme toujours, en pareil cas, peu leur importe le massacre de leurs camarades, pourvu que leur paresse soit satisfaite.

L’ennemi, inquiet, commence à faire tirer son artillerie sur ce fossé. Il est visible que son tir n’a pas pu être réglé. S’il en était autrement, notre compagnie aurait été anéantie dans cette soi-disant parallèle, avant que ne soit arrivée l’heure de l’assaut.

Par contre, le boyau C2, déjà ancien et pris d’enfilade, reçoit en plein coeur des projectiles. Au retour, nous trouvons des éboulements qu’il n’y avait pas à l’aller. Les parapets du boyau sont copieusement servis. Durant ce retour, il nous arrive des obus à gaz « moutarde », toxiques, tout récemment mis en usage, avec lesquels nous faisons connaissance.

Cela me vaut la perte d’un pince-nez que j’ai posé sur une berne avant de mettre mon masque. Je l’oublie en partant.

Disposition générale avant l’attaque 

Front d’attaque : 12 kilomètres

Axe du 149e R.I. : Gauche du fort de la Malmaison, origine du chemin des Dames, le bois de la Belle-Croix, le bois des Hoinets, la route du Point du jour comme objectif extrême.

Dispositif du régiment :

1er bataillon : Départ de la « Tranchée Nouvelle »

Mission :

  1. Enlever les premières lignes.

  2. Se fixer et se retrancher à hauteur de la route Paris-Maubeuge, direction sud-nord.

3e bataillon :

Départ de la parallèle (cent mètres derrière la Tranchée Nouvelle).

Mission :

  1. Arrêt dans les organisations de premières lignes ennemies après leur franchissement par le 1er bataillon.

  2. Dépasser le 1er bataillon et conquérir le terrain jusqu’à la route du Point-du-Jour.

Soit une progression supérieure à 3, 5 kilomètres.

Tanks : Quatre Saint-Chamond précèdent le régiment.

Liaisons : À gauche : le 109e R.I.

                À droite : le 158e R.I.

Répartition de ma compagnie (la 9e)

1ère et 4e sections (la mienne) : dans la parallèle de départ.  À ma droite, une section de la 2e compagnie de C.M..

2e et 3e sections : dans la tranchée des Territoriaux.

1ère phase : (1er bond)

Départ général simultané à l’heure H.

Le 3e bataillon, à l’allure accélérée, ira se coller au 1er bataillon, après avoir franchi la zone où s’abattra le barrage ennemi, avant son déclenchement. Il reprendra alors sa distance (une centaine de mètres) en s’échelonnant comme suit :

pointe de ma section (4e) en ligne de demi-sections :

1er arrêt dans la tranchée allemande des Épreuves. Éventuellement, renforcer la 1ère vague, qui se trouverait avoir rencontré une forte résistance et l’aider à forcer l’obstacle.

Immédiatement derrière, à droite, la section de mitrailleuses. À gauche, la 1ère section. 1er arrêt dans la tranchée allemande des Lassitudes.

Derrière encore : 2e et 3e sections.

Le commandant de la compagnie et sa liaison au centre.

Au premier arrêt, je devrai reconnaître, en avant du 1er bataillon, un emplacement pour le départ de ma section pour le 2e bond et le faire jalonner par quelques hommes. Je devrai ensuite y porter ma section, derrière laquelle, viendront se placer les autres sections de la compagnie, qui prend ainsi la tête de l’attaque.

J’ai obtenu spontanément du commandant de compagnie l’honneur de conduire cette affaire en ce qui concerne le front de notre régiment et plus difficilement du sous-lieutenant Berteville qu’il m’en abandonnât les risques d’abord revendiqués par lui.

2e phase : (2e bond)

À l’heure H : Départ du 3e bataillon, ma compagnie est en « losange ».

1ère vague : ma section qui devra briser toutes les premières résistances, sur un front d’un peu plus de 200 mètres (avec 32 hommes, gradés compris, non prévues les pertes subies à ce moment) disposition en tirailleurs à 7 m.

Échelon droite : section Berteville (1ère)                      

Échelon gauche : l’une des deux autres sections  en lignes de demi-sections

Queue : la section restante

La section de mitrailleuses utilisant au milieu le terrain.

Tenue d’assaut :

Le bagage est énorme. D'abord, les armes : F.M., tromblons, fusils, baïonnettes, pistolets, cartouches, chargeurs de FM..

En plus, tout le monde porte :

des grenades offensives et défensives,

1 outil portatif,

2 masques : un en boîte de métal, l’autre pendu au cou,

2 grandes boîtes en métal protégeant les deux jours de vivres contre les gaz « moutarde »,

2 litres d’eau, de vin, ou de café,

2 petits sachets à délayer dans ¼ d’eau en cas d’absorption de gaz !!! (3 grammes de bicarbonate de soude),

2 musettes, non comprises les musettes spéciales des F.M.,

2 paquets de pansements,

1 couvre-pied en sautoir contenant la toile de tente et la vareuse,

L’attaque a lieu en capote.

Il y a d’autres matériels à porter, il faut répartir dans chaque section :

205 fusées, bengales, cartouches-signaux de toutes couleurs pour tromblon et pistolets spéciaux,

2 pistolets lance-fusées et un tromblon,

12 panneaux de signalisation pour avions,

Je renonce à contraindre mes hommes à emporter :

des grenades incendiaires, dont une sur douze en moyenne fonctionne ! (Combien touchent donc sur ces grenades les contrôleurs aux munitions ?)

Les sacs à terre prescrits,

La cuirasse ventrière, etc…

Pour moi, je n’ai pas d’outil, mais j’ai en plus mon caoutchouc, un porte-carte contenant les multiples cartes et plans, distribués jusque dans la « creute », un dossier pour C.R. et topos.

J’ai une canne à la main droite, la boussole lumineuse dans la gauche, le révolver dans sa gaine.

Sous un tel attirail, qui nous fait ressembler à des toupies hollandaises, tout se complique. Laisser pendre les bras, plonger une main dans une poche, atteindre ses paquets de pansements, circuler dans les boyaux sont autant de problèmes complexes. S’y croiser est impossible. Cependant, il faudra ainsi franchir le parapet, courir, sauter tranchées et entonnoirs, tomber et se relever, se coucher, monter, descendre, se battre enfin… Tous ces accessoires sont utiles, tous peuvent devenir indispensables, non seulement au succès de l’opération, mais aussi à la conservation individuelle.

La « préparation »

L’intensité de la préparation d’artillerie n’a jamais encore atteint ce degré au cours de la guerre. Dans une conférence faite aux officiers, elle a été donnée comme une préparation type. Placés en ligne,  le nombre des  canons serait d’un par 5 m. Que l’on s’imagine, si  l’on peut, environ 2400 pièces d’artillerie, allant du 75 au 400, tonnant jour et nuit, sans parler de la réplique et des engins de tranchée.

À la destruction des positions, à la neutralisation des batteries adverses, doit succéder, pendant une minute, un tir de roulement redoublé, suivi du départ des vagues.

Ces dernières règleront leur allure sur un « barrage roulant » qui les précédera, à raison de 100 m toutes les 3 minutes, accompagné d’un barrage aérien de shrapnells destinés à atteindre les trous d’obus organisés.

Le prochain extrait des notes de Paul Douchez vont nous plonger au cœur de l’action de sa compagnie qui attend ses ordres pour gagner ses emplacements de départ.

Sources 

Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

21 décembre 2018

Gaston Gustave Adolphe Louis Prenez (1880-1952).

Gaston_Prenez

Enfance et jeunesse

Originaire du département du Doubs, Gaston Gustave Adolphe Louis Prenez voit le jour le 5 août 1880. Ses parents ont vécu plusieurs années à Méziré. Ils sont maintenant installés au Rondelot, un hameau dépendant de la commune de Fesches-le-Châtel. Sa mère, Eugénie Coury, 33 ans, élève déjà plusieurs enfants. Son père, Louis, travaille comme contremaître de fabrique dans une des usines des frères Japy, un établissement qui produit essentiellement des articles de quincaillerie. Louis a le même âge que son épouse.

Genealogie_famille_Prenez

Gaston termine sa scolarité obligatoire en maîtrisant parfaitement les bases de la lecture, de l'écriture et du calcul avant de rejoindre le monde du travail.

Lorsque l’heure des obligations militaires arrive, Gaston Prenez se présente devant le conseil de révision d’Audincourt qui le classe dans la 1ère partie de la liste.

Déclaré bon pour le service armé, il apprend, quelques semaines avant de partir pour le régiment, que son numéro de tirage au sort ne lui a pas été favorable. Le tirage au sort est encore en pratique à cette époque. Il fut supprimé par la loi du 21 mars 1905. Gaston Prenez va maintenant devoir porter l'uniforme pendant trois ans.

Au 149e R.I..

Le 15 novembre 1901, le jeune homme est à Épinal. Il intègre les effectifs d’une des compagnies du149e R.I..

Gaston Prenez met à profit cette longue période sous les drapeaux pour acquérir les premiers grades militaires.

Autorisé à suivre les cours de l’école des caporaux, il obtient ce grade le 25 septembre 1902.

Un an plus tard, Gaston Prenez découd ses deux chevrons rouges de caporal pour les remplacer par une « sardine » de sergent. Nous sommes le 27 septembre 1903. Désireux de poursuivre une carrière militaire, il signe un contrat de deux ans le 1er novembre 1904.

Il occupe ensuite les fonctions de sergent-fourrier, fonction de plume, entre le 6 juin 1905 et le 20 avril 1907. Au cours de cette période, il se réengage pour la seconde fois.

Le 4 juin 1907, Gaston Prenez épouse Marceline Marguerite Gietmer, une Spinalienne âgée de 17 ans.

Toujours satisfait par la vie de caserne, il signe à nouveau pour trois ans. Cet engagement contracté le 11 octobre 1906, débute le 1er novembre.

Gaston Prenez retrouve son poste de sergent le 21 avril 1907. Il remplace ses deux chevrons accolés couleur or par un chevron de la même teinte, laissant derrière lui les registres administratifs et de comptabilités.

Il signe à nouveau, une première fois pour deux ans, le 18 septembre 1909, puis une seconde fois, pour cinq ans, le 6 octobre 1911.

Le 1er juillet 1913, le sergent Prenez poursuit sa progression dans l’échelle des grades en devenant adjudant.

Période de guerre

Juillet 1914, la paix établie depuis 1871 avec l’Allemagne est en train de s’éffriter. De nouvelles hostilités sont à craindre. À cette période, l’adjudant Prenez est sous l'autorité du capitaine Cadeau, à la 12e compagnie du régiment.

Revenu précipitamment des manœuvres organisées au Valdahon, le 149e R.I. s’apprête à se rendre sur ses emplacements définis par le plan XVII (plan de mobilisation et de concentration des troupes françaises).

Tous les régiments cantonnés à proximité de l’Allemagne reçoivent l’ordre de se diriger vers la frontière, avant même la déclaration de la guerre. Ils ont pour mission de contenir une éventuelle attaque ennemie qui pourrait avoir lieu durant la période de mobilisation de l’armée française.

Le 1er août 1914, le 149e R.I. se rassemble une dernière fois dans la grande cour de la caserne Courcy.

Les 9e, 10e, 11e et 12e compagnies rejoignent la gare. Les trains prennent la direction de la ligne virtuelle délimitant la zone neutre placée entre elle et la frontière. Les hommes du 3e bataillon sont les premiers du régiment à embarquer dans les wagons prévus à cet effet.

Le 3 août, le régiment entre officiellement en campagne. L’Allemagne vient de déclarer la guerre à la France.

L’adjudant Prenez participe à l’ensemble des combats du 149e R.I. durant le premier mois du conflit. Sa compagnie paye un lourd tribut. Les pertes en officiers sont importantes. Ce contexte permet à Gaston Prenez de prendre rapidement du galon. Le 2 septembre 1914, il est nommé sous-lieutenant. Le nouvel officier peut ainsi prendre le commandement d’une des sections de sa compagnie sans passer par les écoles.

Le 14 septembre 1914, le 149e R.I. occupe le petit village marnais de Souain, mais il doit l’abandonner. Les tirs de l’artillerie allemande sont d’une grande violence, rendant impossible le maintien de la position. Gaston Prenez est touché par un éclat d’obus à la tête, très exactement dans la région pariétale gauche. Il est 8 h 00… Deux heures plus tard, un second éclat d’obus lui fait une plaie au talon droit. Une commotion cérébrale aggrave son état de santé déjà bien fragilisé.

Carte postale Souain (1)

Évacué vers l’arrière, le sous-lieutenant Prenez est en traitement du 19 septembre au 17 octobre 1914, après quoi il est renvoyé sur le dépôt d’Épinal.

Le 20 novembre, Gaston Prenez retrouve son ancienne unité  en Belgique. Il reçoit le commandement d’une section de la 8e compagnie.

Fin décembre, son régiment rejoint le territoire français. Il prend position dans un secteur de l’Artois.

Le 3 mars 1915, c’est la troisième blessure. Les Allemands viennent de lancer une virulente attaque-surprise dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette. Une balle traverse la chaussure gauche du sous-lieutenant Prenez .Ne voulant pas laisser son capitaine seul, il continue de se battre malgré la douleur. Une fois l’attaque ennemie contenue, il accepte de se faire évacuer au poste de secours.

Carte du 149e R

Durant sa convalescence, le 2 juillet 1915, le sous-lieutenant Prenez est nommé à titre définitif dans son grade d’officier avec une ancienneté fixée au 3 novembre 1914.

Il retourne dans la zone des armées le 24 août 1915 prendre la tête de la 11e compagnie du 149e R.I..

Le 3 septembre 1915, il peut coudre ses galons de lieutenant sur sa vareuse.

Le 25 septembre, le 149e R.I., toujours positionné en Artois, est engagé dans une vaste offensive dans le secteur de Noulette. Le lendemain, le lieutenant Prenez est une nouvelle fois blessé. Une balle lui perfore la main droite. Il est soigné à Creil avant d’être redirigé sur son régiment après huit jours de permission passés à Fesches-le-Châtel, son village natal.

Gaston Prenez rejoint la zone des armées le 12 novembre 1915, pour exercer à nouveau son autorité sur les hommes de la 11e compagnie. Il constate des changements importants dans sa compagnie. Beaucoup de « têtes nouvelles » sont arrivées depuis son départ. Les combats de la fin septembre ont été particulièrement dévastateurs dans les rangs du régiment.

Le 12 février 1916, il prend le commandement de la 2e compagnie de mitrailleuses du 149e R.I., en pleine restructuration. En peu de temps, il fait de sa troupe un outil de combat remarquable.

Le 8 mars 1916, le lieutenant Prenez est blessé dans le secteur de Verdun au moment où il conduit ses hommes au feu. Grièvement blessé par un éclat d’obus à la jambe droite, il est, pour la 5e fois, envoyé vers l’arrière. Le 11 mars, Gaston entre à l’hôpital temporaire n° 53 de Vichy.

Carte_journees_des_7__8_et_9_mars_1916

Sa convalescence, qu’il passe à Chantraine, une petite commune vosgienne, débute le 25 mai 1916. Elle dure 2 mois. Il retourne dans la zone des armées le 13 août 1916.

Le lieutenant Prenez, titularisé à titre définitif dans son grade le 24 juin 1916, est nommé capitaine le 7 octobre.

Son régiment est engagé dans la bataille de la Somme depuis le début du mois de septembre.

Gaston Prenez reprend le commandement d’une compagnie de mitrailleuses du 149e R.I.. Cette fois-ci, c’est aux hommes de la 3e compagnie qu’il va donner ses ordres.

Le 2 janvier 1917, le lieutenant-colonel Pineau écrit dans son relevé de notes :

« A repris en septembre 1916, le commandement d’une compagnie de mitrailleuses, s’est montré très brillant commandant aussi bien dans l’emploi au feu qu’a l’instruction. Officier hors ligne. »

L’année 1917 est plutôt indulgente pour le 149e R.I.. Le régiment ne participe pas à une grande offensive avant la fin du mois d’octobre. Durant cette période, Gaston obtient une 1ère permission du 3 au 15 avril inclus, puis une seconde du 4 au 14 juillet inclus.

Capitaine_Prenez_dans_le_parc_du_chateau_de_Maucreux

Quelque temps avant le déclenchement de la bataille de la Malmaison, le capitaine Prenez est photographié avec l’ensemble des officiers du 3e bataillon du 149e R.I..

Photographie_des_officiers_du_3e_bataillon_du_149e_R

Le 23 octobre 1917, l’attaque dite de la Malmaison est lancée. Le capitaine Prenez est blessé pour la 6e fois. Il reçoit une balle à la cuisse gauche. Gaston Prenez est soigné dans un hôpital de Beauvais pendant un mois, avant d’être mis en convalescence à Épinal pour la même durée.

Le 19 novembre 1917, il est de retour dans la zone des armées, toujours inscrit dans les effectifs des cadres du 149e R.I..

Gaston Prenez retrouve son régiment le 8 décembre. Il est promu à titre définitif dans son grade de capitaine la veille de Noël.

Le 10 mai 1918, il est nommé capitaine adjudant-major du 1er bataillon du régiment, une fonction plus qu’honorable pour un homme qui a débuté la guerre comme adjudant !

Le 28 mai, avec les autres éléments de la 43e D.I, son régiment tente de faire obstacle à une vaste offensive allemande lancée sur le chemin des Dames, entre le moulin de Laffaux et les abords de la ville de Reims. Plusieurs divisions sont engagées dans cette attaque. Les combats font rage.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte_journ_e_du_30_mai_1918

Le 25 juillet 1918, Gaston Prenez bénéficie de sa 1ère permission de l’année. Il doit être de retour au régiment pour le 11 août.

Le capitaine Prenez est souvent en tête lorsque le 149e R.I. occupe des positions de 1ère ligne durant les derniers mois du conflit. Il participe à plusieurs reconnaissances, au-delà des éléments les plus avancés du régiment, durant les combats des 25, 26 et 27 septembre 1918 et durant ceux qui ont lieu les quatre premiers jours du mois d’octobre. Ces fonctions de cadre supérieur de bataillon ne l’obligent probablement pas à prendre de tels risques. Il aurait certainement pu déléguer ces missions à un de ses subordonnés.

Ces attaques sont les dernières pour le 149e R.I.. La fin du conflit est proche. Gaston Prenez est envoyé une seconde fois en permission. Celle-ci dure du 16 octobre au 1er novembre.

Le 3 novembre, le lieutenant-colonel Vivier, rédige dans le relevé de notes de son officier, le texte suivant : « Très beau type de soldat de carrière, d’une vigueur et d’une activité sans égales. Plein d’entrain, toujours prêt à marcher, inspirant confiance à tous, par son assurance et son courage. Possédant des états de service superbes, le capitaine Prenez, qui exerce depuis six mois, les fonctions d’adjudant-major se montre un précieux auxiliaire pour son chef de bataillon, dans des circonstances délicates, en particulier au cours des opérations de mai-juin. Il a acquis l’expérience suffisante pour prendre dès maintenant le commandement d’un bataillon. »

La guerre se termine huit jours plus tard.

Période de Paix

Gaston Prenez occupe le poste de capitaine adjudant-major plusieurs mois après la signature de l’armistice.

Ce n’est que le 1er septembre 1919, qu’il laisse ses fonctions de 2e responsable de bataillon pour reprendre le commandement de la 3e compagnie de mitrailleuses.

Pourquoi ce retour en arrière ?  Le lieutenant-colonel Lecoanet, nouveau responsable du 149e R.I., donne l’explication.

Le 24 octobre 1919, il écrit ceci :

« Officier vigoureux. Belle attitude, très sympathique. Après avoir exercé avec autorité et une grande compétence le commandement d’un bataillon, a dû être replacé à la tête d’une compagnie de mitrailleuses. Le cadre très réduit des officiers de régiment ne permettant plus de laisser les adjudants-majors dans leur emploi.

A de brillants états de services. Excellent instructeur, caractère ferme et bienveillant, il est très obéi et très aimé. Il possède une bonne instruction primaire.

C’est un homme sûr, d’un grand bon sens et très travailleur. Il est bien élevé et d’une tenue toujours très soignée. Il connaît parfaitement l’administration d’une compagnie. C’est un bon mitrailleur.

Il sera un candidat sérieux pour l'avancement au choix, quand il aura une ancienneté raisonnable dans le grade de capitaine. »

Le parcours de cet officier au sein du 149e R.I. est exceptionnel. Les hommes partis en août 1914, en troupe de couverture, restés dans cette unité jusqu’à la fin du conflit, ne sont pas très nombreux. De plus, il est extrêmement rare de voir un homme entré comme simple soldat et finir capitaine dans le même régiment.

Ce qui est encore moins courant c’est le fait qu’il n’y a eu aucune interruption dans son affectation dans cette unité entre 1914 et 1918, après une nomination ou une blessure. La plupart du temps ces situations conduisaient à un changement de corps.

Après plus de vingt ans de services passés à porter les écussons du 149e R.I., le capitaine Prenez est affecté au 151e R.I. le 22 juillet 1922. Il va rester dans cette unité pendant quatre années.

Gaston Prenez est ensuite détaché aux cours des chefs de section du C.I./30 au mois d’août 1926. Son supérieur note ceci : « A dirigé le cours des chefs de section d’une manière remarquable et a obtenu des élèves, une tenue, un ordre et une discipline exemplaires, ainsi que des résultats excellents qui lui font honneur. »

Une décision ministérielle du 6 septembre 1927 le met « hors cadre ». Il est affecté au bureau de recrutement d’Ajaccio.

Dès son arrivée, il se met rapidement au courant de ses nouvelles obligations. Méthodique et zélé, il a beaucoup d’ascendant sur le personnel employé qu’il sait guider et conseiller judicieusement.

Inscrit au tableau d’avancement plusieurs fois, il obtient le grade de commandant le 21 décembre 1932.

En février 1933, il prend le commandement du bureau de recrutement de Grenoble.

Le 5 août 1936, il est admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite pour ancienneté de service.

Le 25 août 1939, il est rappelé à l’activité avant d’être démobilisé le 21 septembre 1940. Durant cette courte période, il fut chargé d’un service qui s’occupait de la réforme.

Par six fois, le commandant Prenez a tutoyé la « grande faucheuse ». Celle-ci vient à sa rencontre peu de temps avant qu’il ne fête son 72e anniversaire. Le 16 mai 1952, Gaston Prenez décède à son domicile du 31 bis avenue des Templiers. Son neveu Daniel Fahy se rend à la mairie d’Épinal pour effectuer la déclaration officielle.

Gaston_Prenez

Au service du drapeau du 149e R.I. durant plus de vingt ans, la croix de guerre 1914-1918  du commandant Prenez est probablement l’une des plus titrées du régiment.

Gaston Gustave Adolphe Louis Prenez a obtenu les citations suivantes :

Citation à l’ordre de la Xe armée n° 55 en date du 20 mars 1915 :

« Le 3 mars 1915, lors d’une attaque allemande sur les tranchées de premières lignes, devant Noulette, quoique blessé, a voulu conserver le commandement de sa section jusqu’à la fin de la journée pour ne pas laisser son capitaine seul. Déjà blessé une première fois au début de la campagne, s’est en toute circonstance très bien conduit »

Citation à l’ordre de la VIe armée n° 527 en date du 30 novembre 1917 :

« Officier d’une rare bravoure, d’un courage et d’une énergie exemplaires. A été blessé pour la 5e fois depuis le début de la campagne, en tête de vague d’assaut, à la conquête des positions ennemies fortement organisées. »

Citation à l’ordre de la VIe armée n° 587 en date du 10 juin 1918 :

« Officier de devoir, d’un courage et d’une énergie reconnus de tous. Le 30 mai 1918, dans les circonstances les plus difficiles, a surveillé et dirigé les mouvements d’unités du bataillon submergées par le nombre, restant le dernier sur la position presque entièrement entourée, battue au tir direct et à courte portée de nombreuses mitrailleuses. »

Citation à l’ordre de la 43e D.I. n° 356 en date du 10 août 1918 :

« Officier d’un dévouement et d’une activité au-dessus de tout éloge. A pris une large part à l’organisation méthodique et judicieuse des positions confiées au régiment et à la réalisation des dispositions prévues pour parer aux attaques ennemies. »

Citation à l’ordre du 149e R.I. n° 66 en date du 5 décembre 1918 :

« Officier d’élite adoré de ses hommes. Au régiment depuis 17 ans, sur le front depuis le 1er jour de la guerre. Par son admirable bravoure, son énergie, l’ascendant qu’il avait sur sa troupe et l’exemple qu’il donnait, a été un véritable entraîneur d’hommes, au cours des nombreux combats, auxquels il a pris part. Six fois blessé, dont une fois très grièvement à Verdun, le 8 mars 1916, est toujours revenu au régiment sans même attendre sa complète guérison. »

Citation à l’ordre de la IVe armée l’armée n° 1551 en date du 24 décembre 1918 :

« Officier digne de tous les éloges, d’une grande bravoure et d’une activité inlassable. Pendant la bataille des 25, 26 et 27 septembre 1918 et du 1er au 4 octobre, comme adjudant-major, a fait personnellement de nombreuses reconnaissances jusqu’en avant de nos éléments les plus avancés, parcourant fréquemment tout le front occupé par nos premières lignes et rapportant de précieux renseignements sur la situation de l’ennemi, communiquant à tous les hommes, par sa présence et ses paroles, son ardeur et son allant personnel. »

Autres décorations :

Le lieutenant Prenez est fait chevalier de la Légion d’honneur le 1er octobre 1915. Ordre n° 1743 D en date du 9 octobre 1915.

« Au cours de la nuit du 25 au 26 septembre 1915, a organisé, dans les circonstances les plus périlleuses, une tranchée conquise. Le lendemain, sous un feu des plus violents, a entraîné très brillamment sa compagnie à l’attaque des nouvelles positions allemandes. Très belle attitude au feu. A été blessé au cours de l’action. »

Cette citation lui vaut également une palme supplémentaire sur sa croix de guerre.

Officier de la Légion d’honneur le 16 juin 1920.

Commandeur de la Légion d’Honneur Décret du 7 juillet 1936.

Décoré de la croix de guerre anglaise (M.C.) par ordre général n° 20 le 10 mai 1918.

Le commandant Gaston Prenez possède un dossier dans la base de données « Léonore ».

Site_base_Leonore

Sources :

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

La photographie de groupe représentant les officiers du 3e bataillon du 149e R.I. à la veille de la bataille de la Malmaison, est extraite du fonds Paul Douchez, un témoignage en trois volumes. Ce volumineux travail a été déposé par le fils de cet officier, aux archives du Service Historique de la Défense de Vincennes en 1983. Fond Douchez ref : 1K 338.

L’acte de naissance et la fiche signalétique et des services de Gaston Prenez ont été consultés sur le site des archives départementales du Doubs.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Doubs. 

14 décembre 2018

Témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (8e partie). Un repos bien mérité avant de remonter en 1ère ligne.

Sous_lieutenant_Paul_Douchez

La compagnie du sous-lieutenant Douchez est à Billy-sur-Aisne depuis le 24 août 1917.

Elle vient de passer plusieurs jours dans un secteur particulièrement exposé, au nord-est de la ferme Hameret. La 9e compagnie du 149e R.I. est sur le point de partir. Les hommes s'apprêtent à monter dans les véhicules qui doivent les conduire à Troënes.

Une période de repos commence.

25 août 1917

De Billy-sur-Aisne nous allons à Berzy-le-Sec.

28 août 1917

Nous quittons Berzy-le-Sec pour Troësnes.

Itinéraire suivi : Chaudun, Beaurepaire, Longpont, Louâtre, la Loge, Villers-le-Petit, Ancienville, Noroy-sur-Ourq.

28_aout_1917_de_Berzy_le_Sec___Troenes

Legende_de_carte_journee_du_28_aout_1917

Je loge chez un vieux ménage de jardiniers.

Popote près de l’Ourcq et de la Savières, où, à titre de curiosité, je jette des grenades pour recueillir le poisson.

30 août 1917

Je prends la route de Troësnes à la Ferte-Milon pour aller en promenade. Visite des ruines féodales du XIIIe siècle.

Troesnes

1er septembre 1917

 Avec la voiture de compagnie, nous allons à Villers-Cotteret pour le ravitaillement du bataillon. Nous passons par Faverolles, Vouty et Dampleux. 

Le sous-lieutenant Bloch est parvenu à se faire envoyer au C.I.D.. Étant le plus récent des officiers du bataillon, j’ai dû prendre la direction de la popote.

J’ai, à titre d’innovation, supprimé tout achat d’alcool, liqueurs fines et autres, faisant une seule exception pour le prochain dîner de réception du 6 octobre.

La consommation mensuelle en était, pour le seul bataillon, de 100 à 150 francs, soit 7 à 8 francs par tête.

Cet emploi ne me dispense en rien de mes attributions actuelles qui s’accumulent :

Officier chef de section,

Officier F.M. du bataillon,

Officier de gaz du bataillon,

Chef de popote du bataillon.

2 septembre 1917

Promenade sur la route de Troësne à Chouy en passant par Noroy-sur-Ourq.

3 septembre 1917

Revue de la division (149e, 158e, 1er et 3e B.C.P.) au bois de Mauloy, par Blanzy et Rémy-Blanzy.

Au moment de passer devant le drapeau avec ma section, un faux pas fait pénétrer la pointe de mon épée sous ma paupière droite, me valant une piqûre vers la racine du nez. Mon pince-nez tombe. Le sang achève de m’aveugler et inonde ma vareuse et mon équipement. Je crois avoir l’œil crevé. Pourtant, le globe n’a pas la plus légère égratignure.

Je renvoie l’adjudant accouru pour me remplacer. Je fais aussi bonne contenance que possible. Croyant bien ma carrière de soldat terminée, je tiens à la clôturer en saluant une dernière fois le drapeau. Aussitôt après le défilé de ma section, je me fais conduire au major. J’en suis quitte pour avoir l’œil et les paupières de toutes les couleurs pendant quelques jours.

Je dîne sur le terrain avec mes camarades. Mon pansement m’empêchant de marcher convenablement, je rentre par la voiture médicale.

8 septembre 1917

J’ai une permission exceptionnelle de 48 heures. Je vais à Paris voir le commandant Pajot, qui a été fait prisonnier à Maubeuge le 8 septembre 1914. Interné un moment en Suisse, il a été récemment rapatrié. J’en profite pour pousser jusqu’à Calais pour passer quelques heures auprès de Jeanne.

11 septembre 1917

L’ordre arrive de remonter d’urgence en secteur. Des camions nous prennent. Je suis, avec mon collègue Bertheville, dans la limousine de l’officier qui conduit la formation d’autos.

Nous prenons l’Itinéraire suivant : Troësnes à Noroy-sur-Ourcq par la route. Nous embarquons dans les camions à Noroy-sur-Ourq jusqu’à Condé-sur-Aisne, passant par Chouy, Billy-sur-Ourq, Saint-Rémy-Blanzy, Hartennes-et-Taux, Soissons, Saint-Paul, Bucy-le-Long, Missy-sur-Aisne.

11_septembre_1917__carte_1__de_Troesnes___Soissons

Legende_de_carte_journee_du_11_septembre_1917__1_

De Condé-sur-Aisne, nous prenons la direction de nord-est de Chantereine, près de Vastiboute. Nous sommes en 2e ligne.

11_septembre_1917__carte_2__de_Soissons___Vastiboute

Legende de carte journee du 11 septembre 1917 (2)

Les sections occupent une vaste « creute » ou carrière souterraine. Les P.C. sont de véritables petits chalets, accrochés au flanc d’un ravin très encaissé. Ils ont été construits avec goût par les Allemands, lors de leur occupation de ce secteur.

Le nôtre a pour enseigne « Schwalbennest » (chalet des hirondelles). Celui du bataillon, à mi-côte du bois est, par ses proportions, une villa avec salon, fumoir, salle de bains, douches, loggia suspendue, etc…

Dans ces constructions règnent la propreté et l’hygiène. Le confort a été créé ingénieusement avec des moyens de fortune. Les revêtements au ripolin, le plaisir des yeux, les décorations rustiques en font un séjour de paix que j’envierais pour y finir ma vie.

Tout cela change vite, hélas, dès notre prise de possession.

12 septembre 1917

Avec la voiture de la compagnie, je quitte le nord-ouest de Vastiboute pour aller à Soissons. Il faut faire le ravitaillement de la popote des officiers du bataillon. Je couche à Billy-sur-Aisne.

21 septembre 1917

Je vais du nord-est de Vastiboute à Billy-sur-Aisne. Cette fois-ci, tous les services, hommes et officiers, logent dans des baraques Adrian. Le village a été réquisitionné par les E.M. et les « services » administratifs, qui en interdisent formellement l’accès à tout combattant.

23 septembre 1917

Billy-sur-Aisne à Chaudun (route) par Septmonts, Noyant-et-Aconin, Ploisy.

23 septembre 1917 de Billy-sur-Aisne à Chaudun

Legende de carte journee du 23 septembre 1917

24 septembre 1917

Chaudun à Ancienville (route) par Longpont, Corcy, Château-de-Maucreux.

24 septembre 1917 de Chaudun a Ancienville

Legende de carte journee du 24 septembre 1917

Ancienville : popote contre l’église. Je loge chez une femme dont le mari est soldat. La vieille demoiselle de Maucroix a mis à notre disposition son château, avec le grand salon où nous nous réunissons.

Chateau de Maucreux

Le capitaine Houel et le capitaine Prenez y logent. Déjà s’y trouve l’officier commandant la compagnie des Annamites. Il vole au capitaine Prenez ses jumelles et y substitue dans l’étui, pour compenser le poids, un masque contre les gaz. Grâce à cette précaution, le capitaine Prenez ne constate le vol que plusieurs jours plus tard, en secteur, lorsque nous avons quitté ce cantonnement.

Chaque matin, sur un terrain dont la configuration se rapproche de celle de notre futur champ de bataille, nous faisons des « répétitions » de la prochaine grande attaque.

27 septembre 1917

D’Ancienville nous allons en voiture de compagnie à Villers-Cotterêts pour le ravitaillement de notre popote.

30 septembre 1917

Nous quittons Ancienville en camions-autos pour aller à Champlieu effectuer des manœuvres avec des tanks types Schneider et Saint-Chamond.

2 octobre 1917

 D’Ancienville, nous nous rendons à Longpont, où nous avons un peloton détaché aux travaux forestiers. La principale occupation des hommes est de tendre des collets et de massacrer les cerfs à coups de fusil Lebel.  En promenade, je vais dire bonjour à Bertheville qui commande ce peloton.

Nous déjeunons chez le concierge du château dans lequel il y a sa chambre. Nous le parcourons, ainsi que le beau musée particulier qu’il renferme, ainsi que les belles ruines de l’Abbaye.

6 octobre 1917

Nous venons d’avoir un nouveau chef de bataillon, le commandant Putz. À sa réception par les officiers du bataillon sont invités le commandant Desanti et le lieutenant Anceau. Étant chef de popote, je mets tous mes soins à composer un dîner. D’une nuit à l’autre, nous pouvons partir pour l’attaque en préparation, attaque à laquelle je fais une seule allusion en baptisant le dessert : « rocher de la Malmaison ». Cette petite fête sera la dernière pour beaucoup d’entre nous. Je veux qu’elle apporte à chacun quelques heures de délassement et de joie.

En les voyant manger et boire, insouciants et gais, je songe au « repas des Girondins » et je me demande quels sont ceux parmi nous que le destin a marqué.

Au dessert, je dis peut-être pour la dernière fois, quelques pièces de vers : « pour le drapeau » et « l’Épave » de François Coppée et « la soumission de Béhanzin » de l’humoriste Jean Goudezki.

La liste de ceux qui prirent part aux combats du 23 octobre et qui tombèrent prouve que mes pressentiments ne devaient que trop se réaliser.

Avant de quitter Ancienville, le photographe de la division, vient, par ordre du colonel, photographier les officiers du bataillon.

Ce cliché a été pris dans le parc de la demoiselle de Maucroix.

Photographie_des_officiers_du_3e_bataillon_du_149e_R

Comme il l'a pressenti à la fin de son écrit du 6 octobre, un nouveau chapitre s'ouvre pour le lieutenant Douchez et sa 9e compagnie : le 149e R.I. doit participer à l'attaque de la Malmaison. Cette bataille est restée comme une belle victoire. Mais chaque victoire a un prix et la suite de son récit va bientôt nous confronter à la réalité de ces jours de combats.

Sources 

Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

 

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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