Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
Archives
11 janvier 2019

Un témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (10e partie) La bataille de la Malmaison.

9e_compagnie_du_149e_R

La section Douchez va bientôt devoir quitter la carrière des Volvreux pour gagner ses emplacements dans les tranchées de 1ère ligne. La bataille de la Malmaison est sur le point de commencer.

23 octobre 1917

0 H 30 : nous recevons l’ordre d’être sur nos emplacements de départ pour 2 h 00. Le trajet se fait en pleine obscurité, très péniblement, à cause de l’étroitesse des boyaux, mais sans autre incident que la mise des cagoules. Ma section se déploie dans la « parallèle », à cheval sur le boyau C2. Dès notre arrivée, je dois faire décharger mes hommes où ils peuvent et leur faire creuser les gradins de franchissement.

Je fournis deux hommes à une équipe qui va ouvrir les passages dans nos réseaux. L’un d’eux, blessé, a les plus grandes difficultés à passer dans la parallèle pour gagner le poste de secours

Un éclat me blesse un autre homme à droite. Il lui faut une douzaine de minutes pour franchir 20 mètres.

Que ne peut-on fourrer ici, à notre place, les misérables qui ont fait creuser cela.

2 h 30 : L’agent de liaison m’apporte un papier. Je m’enfouis la tête dans un trou du parapet. On m’entoure de pans de capotes et j’allume ma lampe électrique. C’est l’indication de l’heure. H = 3 H 15.

3 h 00 : Je préviens tout le monde d’achever de se rééquiper, de charger les magasins des fusils et de se tenir prêt.

Ces instructions sont transmises d’homme à homme, à voix basse.

3 h 10 : Je fais « passer » qu’il faut sortir simultanément de la tranchée dès qu’on me verra sur le parapet, puis se former aussitôt en ligne de sections à 50 pas, en avançant. L’aube s’annonce.

Le lieutenant Claudin vient de la tranchée des Territoriaux par le boyau C2, me serrer la main…

3 h 14 : Sans coup de sifflet, sans geste, je me hisse sur le parapet. Toute la section l’escalade rapidement et nous prenons la formation indiquée. Je prends la tête de la fraction de droite. Il fait encore noir. Le sergent conduisant celle de gauche oublie d’assurer sa liaison. Il s’éloigne trop vers la gauche.

Je roule dans un des entonnoirs dont le bled est parsemé. Vite sur pieds, je boule de nouveau quelques pas plus loin. Ma main n’a pas lâché la boussole, mes lunettes ont tenu bon, tout va bien.

Le début de la marche générale, sur toute la ligne de front d’attaque, est quelque peu chaotique. J’attribue cela aux facteurs suivants :

      1. nos boussoles lumineuses sont influencées par les armes et par les masses de fer au milieu desquelles nous évoluons.

      2. les points de repère que nous connaissons bien, qui nous seraient d’un concours très précieux pour rectifier et fixer notre marche, sont encore noyés dans l’obscurité.

      3. la marche voulue en zigzag des chars d’assaut a dû tromper la 1ère vague, avec répercussion sur les suivantes.

      4. le non-fonctionnement, très difficile d’ailleurs, des liaisons.

Moi-même, je suis accolé à une fraction du 158e R.I., spécialement chargée d’assurer la jonction, sans « trous », de ce régiment, avec ma section. Celle-ci devant former le flanc droit du 149e R.I. durant le 1er bon, avant d’occuper tout le front du régiment durant le second. Or, à aucun moment, cette fraction ne me signalera sa présence.

Pour suivre les évènements qui se sont déroulés durant la 1ère phase de l’attaque de la Malmaison, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Carte_1_journee_du_23_octobre_1917_1er_objectif

En dépit de ces à-coups, non seulement tous nos objectifs seront atteints, mais ils seront dépassés en certains points.

Les détails qui suivent, primitivement altérés dans ma mémoire, du fait de l’anémie cérébrale résultant de la perte de sang, me sont revenus graduellement, quoiqu’avec une netteté incomplète par endroits.

La zone du barrage ennemi franchie, je fais faire halte pour m’orienter. N’ayant pu avancer en ligne directe, je crains de me lancer à faux. Je suis tout heureux de distinguer, dans le noir, la masse plus sombre du bois du Rumpler dont je dois traverser la corne nord, où passe la tranchée allemande du Blocus.

Bois_du_Rumpler

Nous sommes à genoux, en file indienne. Une balle me frappe le côté avec un bruit sec. Un caporal, derrière moi, me dit que je suis blessé, mais je ne sens rien d’anormal. Nous repartons en avant.

Un 77 tombe à nos pieds, dans un trou précédent, éclate sans blesser personne.

Dans un entonnoir, nous trouvons le lieutenant Claudin et sa liaison, venus se placer là pendant notre station. Au passage, nous nous souhaitons bonne chance.

C’est là que dans quelques minutes, il apprendra que le sous-lieutenant Berteville vient d’être tué. Brave et très calme, il n’a pas jugé utile de se conformer aux instructions prescrivant la marche très rapide au départ. Il a été pris, avec sa section, dans le tir de barrage auquel nous venons nous-mêmes d’échapper de justesse. Il est tombé le premier de nous trois.

Pour en savoir plus sur le sous-lieutenant Berteville, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Roger_Georges_Berteville

Quant au lieutenant Claudin, il est à son tour frappé d’une balle qui lui traverse la poitrine de part en part, perforant un poumon, peu de temps après avoir quitté son entonnoir.

Son ordonnance courut chercher des brancardiers et le fit relever une demi-heure après. Quant à celui de Berteville, alcoolique qu’il comblait de cadeaux et d’argent, il abandonne son officier, comme fera bientôt le mien.

Pour en savoir plus sur le lieutenant Claudin, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Paul_Z_phirin_Claudin

Nous passons le bois du Rumpler. Ses arbres ébranchés, brisés, clairsemés se découpent sur la clarté indécise et blême, avant-courrière de l’aube. Ils forment un ensemble fantomatique et lugubre. L’impression est accentuée par le fait que nous abordons ce qui fut l’embranchement des tranchées du Rumpler, du Carlin et du Blocus, 1ère ligne ennemie. Nous en percevons le tracé, jalonné de petits tas incandescents (restes présumés de grenades incendiaires ?)

Ces lueurs rouge sombre, tels des foyers couvant sous la terre, ont un aspect sinistre et sournois.

Désormais, le no man's land est dépassé. Nous avançons en terrain conquis.

Sur une ondulation de terrain se détachent, ombres mouvantes, à quelques dizaines de mètres, les hommes du 1er bataillon dont je me rapproche de nouveau sensiblement.

Je cherche à prendre contact, à ma droite, avec la fraction du 158e R.I.. Je trouve enfin un homme qui lui appartient. Il ne peut me donner aucune indication sur ses camarades ni sur leur gradé.

Ma demi-section de gauche a disparu. Elle est, sans doute, moins avancée que celle qui m’accompagne. Le sergent qui devait rester en serre-file de ma fraction s’est joint, au départprobablement involontairement, à son collègue.

Je n’ai plus vu mon ordonnance, que je comptais utiliser pour ma liaison. Je lui avais donné l’ordre de ne pas me quitter et de me dépouiller si j’étais tué. J’ai su, par la suite, qu’il était porté comme manquant après le combat. Une lettre, que je recevrai de lui à l’ambulance, m’annonçant une blessure légère et son traitement dans un hôpital américain me permettra de conclure qu’il a été atteint en se dérobant vers l’arrière. Avec un autre, ce sont les deux seuls qui ont eu cette conduite, sur 33 soldats, caporaux et sergents qui composaient mon effectif de combat.

J’escompte beaucoup, pour m’orienter avec facilité, la rencontre des tranchées et boyaux ennemis successifs, dont j’ai étudié, avec un grand soin, la disposition d’après les plans et les photos aériennes.

Du_cote_de_la_tranchee_Carlin

J’ai compté sans leur destruction qui ne laisse qu’un terrain chaotique où plus rien ne se détache.

L’aube naissante commence à nous montrer nos rangées de morts. La nuit a été douce et belle. Les capotes bleues, biens propres, fixent l’attitude dernière, généralement face en terre, de ces derniers « tombés au champ d’honneur.

Dans quelques heures, ce ne seront que des tumuli de boue… comme à Verdun.

J’ai rejoint la 1ère vague qui s’est disloquée. Ses groupes, en prenant de la profondeur, amènent de la confusion. Quelque 75 courts me coûtent un blessé qui se met à crier.

Je fais tapir ma fraction dans deux entonnoirs pour laisser se rétablir un intervalle avec le 1er bataillon.

L’artillerie ennemie est nourrie. Ses mitrailleuses, non détruites, sont en pleine action. Je fais avancer par bonds, sans obtenir que les hommes renoncent à se grouper en tas autour de moi.

Nous rejoignons encore la 1ère ligne qui se disloque de plus en plus et qui, cette fois, est accrochée par endroits. Là, je vois un «nettoyeur» accroupi au-dessus d’un abri, une grenade à chaque main, bondissant avec une agilité incroyable. On dirait un chat guettant quelque rat.

Le 1er bataillon reprend sa progression. J’utilise comme cheminement un bout de talus. Celui de la route Paris-Maubeuge ou fragment subsistant d’une tranchée large ? Au-delà, je trouve les tirailleurs en tête, arrêtés par un « nid » de mitrailleuses.

Ayant fait abriter mes escouades dans deux trous, je m’avance afin de savoir, pour ma gouverne, quelle unité j’ai devant, ou plutôt autour de moi. Des gerbes de balles sifflent en éventails, au ras du sol en faisant sauter de petites mottes de terre avec un bruit mat. Cette impression d’être ainsi frôlé sans être touché me donne cette étrange croyance à l’invulnérabilité déjà eue tout à l’heure près d’un éclatement de 77. Réfléchissant néanmoins que je peux être bêtement frappé aux chevilles, je renonce à ma recherche. Je reviens près des miens et j’essaie, à genoux sur le bled, de découvrir ces pièces pour les réduire.

J’aperçois, à 10 m à ma droite, des hommes qui, la baïonnette haute, font demi-tour et rebroussent chemin. Je me représente aussitôt le danger de toute ébauche de retraite. Déjà, un de mes hommes crie : « Y en a qui reculent là-bas ! ».

Je me relève en lui disant de me suivre. Je me dirige vers les autres, leur criant de tenir bon, que je leur apporte du renfort. Mais je n’ai pas le temps d’achever…

En se dispersant, la 1ère ligne a dépassé un entonnoir organisé (j’ai évacué depuis que je me trouvais à une dizaine de mètres en avant et à droite). Il doit être entre six et sept heures. Le ciel s’est couvert. Nous ne pouvons encore bien voir à distance. Par contre, nous offrons aux ennemis terrés, en nous détachant sur l’horizon blafard, de véritables cibles.

Fidèles à leur tactique de frapper avant tout le conducteur d‘une troupe, et ayant vu mon geste de ralliement, ils m’ont pris pour objectif. Une grenade explose sous moi. La gerbe d’éclats se loge dans les cuisses, que sur le moment, je crois fracassées. Je suis violemment jeté sur les genoux et les mains, avec la sensation d’un coup de faux brûlante au travers des cuisses.

Mes hommes se sont arrêtés. Je leur dis : « Cette fois, j’ai mon compte, passez le commandement et en avant ! » Ils s’éloignent.

Mes yeux se portent devant moi. Je me vois tomber au bord d’un vaste entonnoir qui avait dû être « organisé » et dans lequel se trouve le sous-lieutenant David de la 2e compagnie. Il est avec quelques hommes. Il me regarde d’un air anxieux. Je lui souris tristement en lui disant : « Je crois que j’ai les deux cuisses brisées » et je m’évanouis. Détail curieux, à mon réveil, j’ai le souvenir très précis d’un rêve fait pendant cette perte de connaissance. J’étais assis près de Jeanne, à Cambrai (?). Plus tard, un médecin m’expliquera que cette syncope immédiate, en affaiblissant la circulation sanguine, m’a sauvé d’une hémorragie totale.  En rouvrant les yeux, je suis d’abord tout étonné de sentir la fraîcheur de cette matinée d’octobre, de « quitter une chambre claire et tiède » et de me retrouver dans une clarté si triste, enfin de me voir à quatre pattes (car j’ai gardé cette attitude).

Ma vue en se reportant vers l’intérieur du trou me rappelle à la rude réalité.

Grièvement blessé, le sous-lieutenant Douchez croit sa fin proche…

Sources 

Fond Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

La photographie de groupe qui se trouve sur le montage représente la 9e compagnie  du 149e R.I. qui a été photographiée quelque temps avant le commencement de la bataille de la Malmaison. Elle fait partie du fonds Douchez.

Le plan situant le bois Rumpler est extrait du J.M.O. du 10e B.C.P. 26 N 819/6. S.H.D. de Vincennes.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes. 

Commentaires
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
Visiteurs
Depuis la création 840 684
Newsletter
41 abonnés
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.