Jean de Longeaux (1892-1914).
Marie Joseph Xavier Sébastien Jean de Longeaux voit le jour le 5 mai 1892 dans la commune meusienne de Saint-Mihiel. À sa naissance, son père Marie Étienne Albert Xavier Joseph, qui est âgé de 26 ans, est lieutenant de cavalerie au 6e régiment de chasseurs. Sa mère, Marie Louise Voisin, est une jeune femme âgée de 21 ans. Elle met au monde le petit jean dans leur appartement de la rue de la Buanderie.
Mutation du père oblige ! Jean quitte le département de la Meuse pour venir vivre à Melun. Il est à peine âgé de quelques mois. C’est dans cette ville qu’il va passer une grande partie de sa petite enfance.
Jean de Longeaux est inscrit au collège Saint Pierre Fourier qui se trouve à Lunéville, puis à celui de Pontlevoy.
Après avoir obtenu son certificat d'études secondaires du 1er degré, il poursuit ses études au lycée Sainte-Geneviève de Versailles, entre 1909 et 1912. Le baccalauréat en poche, le jeune homme souhaite marcher sur les traces de son père. Tout comme lui, il tente et réussit le concours d’entrée de l’école spéciale militaire.
Jean sera élève de la 97e promotion Saint-Cyrienne, dite promotion de Montmirail (1912-1914). La première année de sa formation doit se dérouler dans un régiment. Il rejoint la ville de Colmar pour intégrer le 152e R.I..
Avec les 461 élèves de sa promotion, il commence les cours théoriques en octobre 1913. Le programme des deux années d’études doit être avalé en une seule ! Une loi qui a été votée la même année a modifié la formation des futurs officiers et c’est la promotion Montmirail qui se retrouve « à cheval » entre l’ancienne et la nouvelle manière d’enseigner.
Fin juillet 1914, les examens de sortie de la promotion Montmirail sont en train de se dérouler. Les jeunes hommes s’apprêtent à rejoindre leur régiment d’affectation le 1er août. Mais les nouvelles ne sont pas bonnes, la situation européenne s’aggrave… Les menaces de guerre se profilent…
Le mercredi 29 juillet, l’école est consignée, les examens sont suspendus. Il faut rejoindre les régiments d’affectations au plus vite.
C’est avec ses galons d’officier flambant neuf que Jean de Longeaux arrive à Épinal le 2 août 1914. Deux camarades de promotion, les sous-lieutenants Charlois et Cholley ont fait le voyage avec lui. Les trois hommes, qui ont été affectés au 149e R.I., rejoignent la caserne Courcy qui est le dépôt du régiment. Les effectifs en officiers des régiments, incomplets, ont été complétés par de jeunes officiers comme de Longeaux.
Le 4 août au soir, le sous-lieutenant de Longeaux quitte Épinal pour rejoindre le régiment. Celui-ci est en cantonnement du côté de la Houssière, à quelques kilomètres de Corcieux.
Le 149e R.I. est déjà en position puisqu’il fait partie des troupes de couverture. Les réservistes et les sous-officiers, en complément, arrivent dans un deuxième temps.
Le lendemain, sur ordre du colonel Menvielle, le sous-lieutenant de Longeaux doit se rendre à la 7e compagnie. Le capitaine Coussaud de Massignac lui confie le commandement d’une section de sa compagnie.
Jean a tout juste 22 ans. Excepté son passage au 152e R.I., il n’a pratiquement aucune expérience du terrain et « l’art du commandement » d’un groupe de 58 hommes (dont 2 sergents et quatre caporaux) qui connaissent, pour la plupart, parfaitement bien leur métier de soldat, est loin d’être une évidence pour lui.
Qu’à cela ne tienne, il va falloir très vite faire valoir ses compétences et son autorité !
Il ne lui faut pas longtemps pour faire ses preuves. Le 9 août, c’est le baptême du feu pour le régiment et pour le jeune officier. Celui-ci va montrer son courage en chargeant cinq fois consécutives, au sabre pour lui, à la baïonnette pour ses hommes, en direction de l’ennemi.
Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.
Le 17 août, la 7e compagnie est installée à Diespach. Le sous-lieutenant de Longeaux prend le temps de rédiger la lettre suivante à son ami Jacques de Villepin :
D… [ Diespach], Alsace, le 17 août 1914
Voici trois jours que le … [149e] Régiment d’Infanterie a passé la frontière au col de Saales. Le dimanche 9, nous avons eu un combat très violent aux Chaumes de Lusse, près du col de Sainte-Marie-aux-Mines. Avec deux bataillons, nous avons attaqué cinq bataillons retranchés dans des barbettes énormes. Le combat a duré toute la journée. Cinq cents hommes hors de combat chez nous et 18 officiers sur 33 que nous étions. Le commandant … [de Sury d’Aspremont] a été tué.
J’ai chargé cinq fois à la baïonnette et je me demande comment je n’y suis pas resté. En somme, le combat a été indécis. À 17 h 00, le colonel a dû rappeler les compagnies engagées depuis le matin et qui subissaient des pertes énormes. Deux compagnies, dont la mienne, furent chargées de couvrir la retraite. Nous étions sous bois, au bord d’une large allée qui aboutissait aux positions allemandes. Vers 17 h 30, le combat cessant, un silence de mort s’établit dans le bois, succédant à la fusillade et au crépitement des balles que nous entendions depuis le matin.
Soudain, à 18 h 00, la charge allemande retentit à l’entrée du bois. Ils prenaient l’offensive. C’était une espèce de musique brutale, saccadée, assez impressionnante, mais que couvrit bientôt le ronflement de leurs mitrailleuses. Nous étions littéralement arrosés. Puis, ce fut la contre-attaque. Nos charges, la mêlée, le vrai combat ! À côté de moi, les hommes tombaient comme des mouches. La fusillade, le crépitement des mitrailleuses, les hurlements des blessés, le râle des mourants, le sifflement des balles et les lueurs fantastiques qu’elles jetaient en ricochant sur les arbres. Tout cela faisait un tableau effrayant. Je ne me connaissais plus… J’ai tué un Allemand qui voulait m’embrocher avec son sabre, mais j’étais trop occupé à rallier des hommes, à les relancer à l’attaque pour faire autre chose que de me défendre.
Au bout d’une demi-heure, les Allemands fichaient le camp, comme des lapins et rentraient se cacher dans leurs tranchées. Nous étions trop décimés, trop épuisés pour continuer le combat. Nous gardions nos positions. C’était l’essentiel. Mais quelle nuit au milieu de ce charnier ! C’était épouvantable !
Jusqu’à avant-hier 15, nous avons continué notre rôle de couverture, perdant trois chefs de bataillon, 2 tués et 1 blessé.
Enfin, il y a 3 jours, nous avons passé la frontière, et à D… [Diespach], le 14, nous nous sommes heurtés à des forces énormes barrant la vallée de Brüche. De 8 h 00 à 18 h 00 combat d’artillerie. Nos artilleurs furent splendides d’héroïsme et d’entrain. À 18 h 00, on nous lançait à l’assaut des hauteurs de D…[Diespach], et à 18 h 30, je sautais dans les tranchées allemandes qui venaient d’être précipitamment abandonnées. Mais cinq minutes après, ma section et moi, nous étions accueillis par un feu d’enfer qui partait des hauteurs voisines. Nous avons été heureusement dégagés par les chasseurs à pied et quelques obus bien dirigés. À 19 h 00, les Allemands arboraient le drapeau blanc à la ferme de D…
Nous avions 600 prisonniers allemands, un drapeau (le 1er pris), 6 canons, un matériel énorme entre les mains. Je me promène actuellement avec un sabre magnifique dont la lame, armoriée d’un écu français, porte la mention « PARIS 18573. Ils nous l’ont volé en 70, probablement.
Voici en deux mots le récit de deux engagements où j’ai reçu le baptême du feu. Le 2e est une victoire magnifique ! Bien que ce soit un combat partiel, c’est le combat de D… [Diespach], qui permet à la 1ère armée de faire sa marche sur Molsheim.
Au revoir mon vieux ! Fais ton service sérieusement. Tâches de rejoindre vite le… Pour cela, sois bon marcheur et bon tireur et tu seras vite mobilisé.
Au revoir ou adieu ; je ne sais si je reviendrai ; mais cela ne fait rien !
Ton ami
Jean de Longeaux
Le 21 août, le régiment est à nouveau engagé. Le sous-lieutenant de Longeaux participe au combat qui se déroule tout près d’Abrechviller. Son régiment est très vite en difficulté, il faut retraiter…
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Le 25 août 1914, le sous-lieutenant de Longeaux se repose un peu avec ses hommes à Menil-sur-Belvitte. Deux des bataillons du 149e R.I. y sont installés depuis la veille.
À 4 h 00, l’ennemi est signalé dans le bois de Glonville, à quelques kilomètres de là. Le réveil est rapide, les 2e et 3e bataillons du 149e R.I. doivent se tenir prêts à intervenir au plus vite. Le sous-lieutenant de Longeaux est désigné pour faire la tête d’avant-garde avec son peloton.
Arrivé à hauteur de Bazien, il est avisé que les 2e et 3e bataillons du régiment vont devoir stationner dans le secteur. Il reçoit l’ordre de couvrir le rassemblement.
Rapidement, il se rend compte que l’ennemi est tout proche, à la lisière des bois. Il faut essayer d’en savoir plus…
Un sergent voit de loin le sous-lieutenant de Longeaux, debout au milieu des blés, fouillant avec sa lorgnette la bordure de la forêt. On entend un feu violent de mitrailleuses et de mousqueterie… Au moment où la liaison est vérifiée, on ne trouve personne…
L’officier a été très grièvement blessé d’une balle reçue dans le ventre. Relevé par l’ennemi il est porté à Azerailles où il meurt le 28 août, assisté d’un aumônier catholique. Le sous-lieutenant de Longeaux est décédé dans la maison de Camille Hellé où il était soigné par les médecins allemands.
Dans un très court billet qu’il écrit à sa famille le 23 août 1914, on peut lire : « … J’ai le pressentiment que je vais y rester ce soir, et je vous écris ce mot pour vous dire adieu. Je tiens à vous assurer que je suis mort la conscience en règle, en faisant mon devoir, en pensant à Dieu, à vous, à papa. »
Le sous-lieutenant de Longeaux a certainement été dans un premier temps enterré à Azerailles.
Après la guerre, la famille demande à récupérer le corps de l’officier pour qu’il puisse reposer auprès des siens. Jean de Longeaux est enterré dans le cimetière communal de La Gacilly.
Le sous-lieutenant de Longeaux a obtenu la citation suivante :
Citation à l’ordre de l’armée : (ordre n° 79 du 8 juin 1915)
« Officier d’une très grande bravoure. Au combat du col de Sainte-Marie, le 9 août 1914, a montré le mépris le plus absolu du danger en entraînant sa section sous une grêle de balles. A été blessé mortellement à Ménil-sur-Belvitte (Vosges), en résistant jusqu’au bout contre un ennemi très supérieur en nombre. » Signé d’Urbal.
Le sous-lieutenant de Longeaux a été fait Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume le 4 septembre 1919 (publication dans le J.O. du 17 octobre 1919).
Sources :
Dossier individuel consulté au Service Historique de Vincennes.
Informations fournies par la famille du sous-lieutenant Jean de Longeaux.
Livre d’or de l’école Sainte-Geneviève (1854-1924). 576 pages. Imprimerie de Catalar frères. 1925.
La photographie de la sépulture du sous-lieutenant Jean de Longeaux et la lettre qu’il a adressée à son ami Jacques de Villepin m’ont été envoyées par le général de Longeaux (avec sonaimable autorisation pour leurs publications dans cette notice biographique).
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carrobi, au général D. de Longeaux, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.