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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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22 mars 2024

Que dire d’une attaque allemande à sa famille ?

 

Suite à l’attaque allemande du 3 mars 1915 et aux contre-attaques françaises qui ont suivi dans le secteur de Noulette, le 3e bataillon du 149e R.I. est ramené vers l’arrière. Il profite d’un temps de repos à la fosse 10.

 

Le 10 mars 1915, le commandant Laure rédige une lettre à ses proches. Selon lui, si on avait pris en compte son point de vue sur l’explosion des fourneaux de mine dans la nuit du 1er au 2 mars, il aurait été possible de prendre des mesures pour se préparer à contenir un assaut allemand.

 

« On a tenu à nous ramener un peu en arrière, sans que nous refassions et nous avons presque boudé à cette décision qui ne nous laissait pas la consolation de venger nous-mêmes nos pertes… Je me suis empressé d’écrire aux familles de Barril et de Larnac, mais je ne sais que faire pour celle de Thomas qui a été évacué et dont le décès ne m’est pas confirmé.

 

En dehors du bataillon, Altairac et Petitjean sont parmi les victimes : le premier a reçu une balle dans la tête, on l’a trépané et il est possible qu’il soit sauvé ; le second a « sauté » et Magagnosc, blessé, est aux mains du service de santé.

 

Bichat a eu son képi perforé en plusieurs points sans avoir même un cheveu touché.

 

Huit lieutenants et sous-lieutenants ont disparu, quant au déficit en sous-officiers et hommes, on n’en a pas encore fait le compte !

 

Dans la nuit du 1er au 2, c’est mon bataillon qui tenait les lignes après avoir remplacé le bataillon Magagnosc qui avait été en butte pendant 24 heures à un bombardement terrible et inquiétant.

 

À 10 h 00 du soir on est venu me chercher dans mon gourbi pour examiner  des entonnoirs de dimensions extraordinaires ne pouvant avoir été ouverts même par les obus les plus puissants. Grâce au clair de lune, j’ai pu me convaincre qu’il y avait là une triple explosion de fourneaux de mine, non suivie d’attaque, mais en faisant présager une.

 

J’ai regagné aussitôt mon poste pour établir un rapport affirmant que, derrière les entonnoirs reconnus, d’autres ne tarderaient pas à agrandir la brèche et que celle-ci serait alors assez large pour que l’ennemi s’y rue.

 

Le colonel, ne croyant pas en mes prévisions, m’a alors envoyé un capitaine du Génie pour les contrôler « techniquement ». Celui-ci n’est venu procéder à son inspection que dans l’après-midi du 2 et il a conclu que, selon l’habitude des fantassins, je m’inquiétais sans raison. Nos sapeurs, sous sa direction, n’ont rien tenté pour remédier à un danger que leur chef tenait pour illusoire, faisant ainsi le plus grand tort à la réputation de leur arme qui, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de l’affirmer, se montre en général d’un dévouement et d’une activité remarquables.

 

Si le colonel avait eu plus de confiance en moi, il aurait dû prescrire au bataillon Bichat, désigné pour me relever le 2 au soir, de ne pas occuper l’endroit menacé et de se tenir prêt, quelque peu en deçà, à recevoir l’attaque imminente, mais il n’a pas songé à prendre une telle responsabilité !

 

Pour en apprendre davantage concernant les journées du 1er et du 2 mars 1915, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

 

Alors, le bataillon Bichat a bel et bien sauté, puis a été bousculé sur les pentes nord-ouest du plateau entre la chapelle et Noulette.

 

Les malheureux, qui étaient sous le volcan et vivent encore, en demeurent quasi fous… et nous, ceux du 3e bataillon, nous sommes navrés qu’on ne nous ait pas laissés conduire jusqu’à son terme la riposte à la catastrophe que nous avions prévue.

 

Dès le début de la contre-attaque que nous avons donc amorcée, Baril a été frappé. Il est parti, si j’ose m’exprimer ainsi, en incroyant convaincu et on a trouvé dans ses hardes un papier interdisant à son sujet, en cas d’accident, toute cérémonie religieuse : si l’on peut pousser jusque-là le paradoxe, il sera sauvé dans l’au-delà par sa sincérité, parce que le sang versé purifie tout…

 

Quant au petit Larnac, c’était un enfant : il est parti bravement à la tête de sa section et a été tué d’un seul coup avec, sur son visage, un rayonnement de juvénile enthousiasme… J’espère ne pas trop tarder à savoir ce qu’il en est advenu finalement de Thomas.

 

Ici, on est en train de nous « séraphiniser », selon l’expression qui accueille l’inauguration du « bleu-horizon ». Nous devons, malgré nos tristesses, nous réjouir de cette transformation qui, à certains égards, nous rajeunit et qui nous ramènera peut-être en meilleures conditions au combat. »    

 

Sources :

 

« Deux Guerres en un siècle - Lettres d’Émile Laure à son épouse ». Éditions de Sauvebonne.

 

Les portraits du commandant Laure proviennent de la collection personnelle de F. Amélineau.

 

La photographie du bois 5 a été réalisée par P. Lamie.

 

 Un grand merci à M. Bordes, F. Amélineau, à A. Carrobi, à P. Lamie et aux descendants du commandant Laure.

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