7 novembre 1916
L’attaque prévue depuis le 24 octobre, reportée à plusieurs reprises, est sur le point d’être lancée malgré les conditions météorologiques toujours aussi défavorables.
Le 6, l’état-major de la 43e D.I. a transmis l’ordre suivant à ses unités : « l’attaque aura lieu le 7 novembre à 9 h 55. L’heure H, 9 h 55, ne sera communiquée aux compagnies de 1ère ligne que demain matin. »
Le 2e bataillon du 149e R.I. quitte Harbonnières dans la nuit du 6 au 7 pour aller occuper le secteur du bois Bauer.
Le bataillon Schalck a ses 3 compagnies en place à 6 h 00. Le 3e bataillon du régiment qui lui a cédé la 1ère ligne est positionné juste derrière lui. Le 2e bataillon est en liaison à droite avec le 1er B.C.P., à gauche avec le 3e B.C.P..
L’attaque doit se réaliser par « corps accolés » dans les conditions imposées par l’ordre d’opérations du 21 octobre 1916. À cette date, le 149e R.I. devait s’emparer des points 921 a, 921 b et 921 c avant de poursuivre sa route, par le sud-est ; ses objectifs étaient de prendre le village de Gomiécourt, la batterie 6283, la chapelle Saint-Georges et la casemate 6484.
Les objectifs fixés pour l’offensive du 7 novembre sont bien moins ambitieux. Cette fois-ci, la 85e brigade a reçu l’ordre de s’emparer de la 1ère ligne allemande.
L’attaque se déclenche comme prévu à 9 h 55. Une pluie aveuglante gêne considérablement l’avancée des hommes. La boue encrasse les mitrailleuses. Les F.M., les V.B. et les fusils sont vite hors d’usage. La progression est difficile, même pour des troupes qui viennent de bénéficier d’une période de repos.
Les canons allemands effectuent des tirs de barrage d’une grande violence sur le terrain occupé au sud-ouest du bois Bauer.
Les artilleurs français exécutent les tirs de protection. À la demande de l’infanterie, ils réalisent des tirs de barrage et des tirs de contre-préparation.
Les compagnies du commandant Schalck finissent par s’installer dans le boyau Couvert entre les points de 915 c et 916 j. Un petit poste est créé en avant de 916 k.
À droite, la liaison avec le 1er B.C.P. se fait vers 916 i.
La situation est plus délicate du côté du 3e B.C.P.. Dans un premier temps, il a réussi à occuper le boyau Couvert, le point 915, une centaine de mètres du boyau Minden et une cinquantaine de mètres du boyau 915 à 915b. Une violente contre-attaque allemande finit par lui reprendre le point 915 et le boyau Minden.
La marche en avant du 3e B.C.P. a été fortement gênée par des tirs des pièces de campagne et par les rafales des mitrailleuses ; celles-ci étaient placées à l’extrémité sud-est de la tranchée Minden et des points 7283-7282-6983-7582.
Aucun drachen n’a été aperçu dans le ciel.
À 17 h 00, le général Guillemot publie un nouvel ordre général en vue de la prochaine attaque :
« La brigade a atteint le boyau 6187-915 entre la tranchée des Germains et les abords ouest du point 915 a. Un poste de grenadiers du 149e R.I. est établi à mi-chemin entre 916 k et 920.
À droite, la liaison, existe au point 916 h entre la droite du 149e R.I. et la gauche du 1er B.C.P..
La 86e brigade serait dans le boyau de Sébastopol et la tranchée des Germains, mais n’aurait pas atteint le point 920 b.
Les 85e et 86e brigades ont mission d’établir leur jonction sur la ligne 920 b et 920 c de façon à tenir la ligne : tranchée de Sébastopol – tranchée des Germains.
L’action sera préparée par l’artillerie de campagne et l’artillerie lourde sur Gomiécourt en approchant le tir de 920 c.
L’attaque sur 920 b sera conduite par le 1er B.C.P.. Le 149e R.I. conservant la liaison avec le 1er B.C.P. progressera dans la tranchée Pêle-Mêle et s’efforcera d’atteindre le point 916 c. Il se reliera au 1er B.C.P. au point 920 b.
Le 149e R.I. disposera de la compagnie Mouren.
Le 3e B.C.P. s’efforcera de reprendre le point 915 a et s’y établira solidement.
Les deux corps s’organiseront sur le boyau 6187 – 915 et se relieront soigneusement l’un à l’autre.
Le 149e R.I. prolongera le boyau des Pionniers jusqu’au boyau 6187 – 915.
Le 3e B.C.P. reliera 6590 à 915 en bordure du Chemin Creux.
Réserve de brigade :
Les deux compagnies et la compagnie de mitrailleuses du 10e B.C.P. et la compagnie 21/2 du Génie, sous le commandement du capitaine Lejosne.
Emplacement sans changement
La compagnie la plus avancée se tiendra en liaison avec la compagnie Mouren de façon à la remplacer au boyau Valet dès qu’elle se portera en avant.
La réserve s’installera alors : 1 compagnie au Valet, une compagnie dans la région du Tremble. La compagnie de mitrailleuses et le Génie dans la tranchée Sans-Gêne.
Réserve de division :
Le 1er bataillon du 149e R.I., sous les ordres du capitaine De Chomereau, dans la tranchée des Bouleaux.
L’heure de l’attaque sera notifiée ultérieurement. »
La fin de la journée est extrêmement agitée. Les fusils et les mitrailleuses allemandes tirent constamment sur la nouvelle ligne française. Les feux des mitrailleuses, des F.M. et des V.B. français arrosent par rafales les points occupés par l’ennemi.
L’aviation allemande se manifeste à nouveau dans la soirée. Trois de ses avions survolent les lignes occupées par la 85e brigade.
Il faut impérativement approvisionner la 1ère ligne avec le maximum de grenades possibles et acheminer du matériel pour consolider les tranchées.
Dans la nuit, le 1er bataillon du 149e R.I., sous les ordres du commandant de Chomereau, s’installe dans la zone de la tranchée des Bouleaux et du boyau du Valet.
Plusieurs patrouilles de couverture et de liaison parcourent le nouveau no man’s land.
Un officier a été tué (lieutenant Poncelet) et deux officiers blessés (lieutenant Ribaut et sous-lieutenant Blandin) au 149e R.I..
Le décompte des blessés du régiment n’est pas connu.
Une recherche réalisée sur le fichier « mémoire des Hommes » a permis d’identifier 38 hommes tués au cours des combats.
Tableau des tués du 149e R.I. pour la journée du 7 novembre 1916
Trois jours après l’attaque, le lieutenant-colonel Pineau résume les conditions dans lesquelles ses hommes ont combattu, voici ce qu’il a écrit :
« Prise d’Ablaincourt,
On nous communique ce récit officiel : la journée du 7 novembre au sud de la Somme a montré sous son jour véritable l’admirable vaillance qui anime nos troupes et le degré élevé de leur moral. C’est non seulement contre l’ennemi que nos braves ont eu à lutter, mais encore contre les éléments déchaînés.
Une pluie torrentielle que des rafales de vent chassaient avec violence n’a cessé de tomber pendant l’attaque. Depuis le bois de Chaulnes jusqu’au-delà de la sucrerie d’Ablaincourt où s’est déroulée l’action, le sol n’était plus que cloaque. La pluie persistante de ces derniers jours avait transformé en fondrière ce terrain labouré par l’artillerie.
Qu’on se représente l’effort physique qu’il faut à des hommes aux vêtements mouillés et aveuglés par la bourrasque pour se lancer en avant au milieu d’un tel chaos. Et pourtant, à 9 h 55, heure fixée, la ligne tout entière, sous la voûte de l’artillerie qui allongeait son tir, surgit des tranchées.
Le combat revêt des aspects différents suivant les secteurs, mais il offrit partout ces mêmes caractéristiques ; ce fut un perpétuel corps à corps ; les fusils bouchés par la boue se refusaient à cracher la mort. L’arme blanche fit largement son office en cette affaire, ainsi que les grenades dont les soldats ont usés avec une habileté incomparable.
Les tranchées ennemies bouleversées par la pluie et les obus n’avaient plus que l’aspect des taupinières où, çà et là, des hommes étaient encore blottis. Malgré l’enchevêtrement des fils de fer, malgré les trous obus transformés en lacs dans lesquels on plongeait à chaque pas. Le nettoyage fut vite fait. Les Allemands surgissaient des tranchées en ruines et fuyaient à toute allure en faisant « Kamarad ». L’objectif était atteint vers 10 h 15, vingt minutes après le signal d’attaque.
Au sud de la sucrerie d’Ablaincourt, les 1er et 3e B.C.P. et le 149e R.I. avaient affaire à forte partie. Le terrain était particulièrement défavorable. Un combattant a traduit l’état du sol par ces mots pittoresques : « À notre gauche, ils avaient de l’eau jusqu'aux genoux, mais ici, nous en avions jusqu’au ventre. »
Pendant toute la bataille, la violence de l’orage empêcha la liaison par avion de fonctionner. Néanmoins, par les moyens ordinaires, le service de renseignement fonctionna, si bien qu’à 15 h 00, l’état-major de l’armée connaissait de la façon la plus complète le nombre de prisonniers faits par nous et les résultats exacts de la lutte.
Un détail caractérise bien la journée. Un pilote qui sortit malgré le mauvais temps, et vola à 300 mètres déclara que nos hommes ressemblaient à des blocs de boue.
Un témoin militaire
Les blocs de boue, c’est nous !
Le lieutenant-colonel du 149e R.I. »
Les hommes du 149e R.I. s'apprêtent à passer une nuit en terrain conquis dans l'attente d'une nouvelle action offensive.
Sources :
Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.
J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 344/5.
J.M.O. de la 85e brigade. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 520/12.
J.M.O. du 1er B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 815/3.
J.M.O. du 3e B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 816/3.
Historique du 149e Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.
Le texte rédigé par le lieutenant-colonel Pineau est extrait du livre « Et le temps à nous, est compté. » Lettres de guerre (1914-1919) d’Albert Marquand. Cet ouvrage est présenté par Francis Barbe, avec une postface du général André Bach. Éditions C’est-à-dire. 2011.
Le dessin intitulé « attaque du 7 novembre 1916 – prise d’Ablaincourt -Somme » a été réalisé par Hippolyte Journoud, soldat au 149e R.I.. Il est extrait du fascicule « Hippolyte Journoud, imprimerie de la maison des deux-collines, XXXII phototypies MCMXIX.
Un grand merci à M. Bordes, à R. Mioque, à F. Barbe, à A. Carobbi, à M. Porcher, et au Service Historique de la Défense de Vincennes.