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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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24 avril 2020

Alexandre Émile Jeudy (1890-1914).

Alexandre Emile Jeudy

Natif du département de la Haute-Saône, Alexandre Émile Jeudy voit le jour le 30 octobre 1890 dans la petite commune d’Amage. Ses parents s’y sont mariés le 23 août 1879.

Le père, Auguste Constant, travaille comme journalier. Il a 48 ans à la naissance de son fils. 

Accompagné de l’instituteur Jean Baptiste Belot et du sabotier Louis Lallez, les trois hommes se rendent à la maison commune du village pour y déclarer la naissance d’Alexandre et signer le registre d’état civil.

La mère, Marie Adèle Philomène Tirvaudey, est alors âgée de 36 ans. Elle travaille comme ménagère. Elle élève déjà une fille, Marie Clémentine Amélie âgée de 8 ans. En 1893, Adèle donne vie à un 3e enfant, une fille qui fut prénommée Marie Louise.

La vie n’est pas facile pour les Jeudy. La mère travaille maintenant comme journalière. Les gages d'ouvriers agricoles devaient être bien modestes pour imaginer faire des économies, améliorer le quotidien.

En 1894, un premier drame frappe la famille. Adèle décède le 5 septembre. Alexandre n’a pas encore fêté ses quatre ans et sa petite sœur a tout juste 15 mois. C’est probablement la sœur aînée qui, du haut de ses douze ans, fut sollicitée pour s’occuper des tâches ménagères et pour la prise en charge quotidienne de ses cadets.

Moins de deux ans plus tard, c’est à son tour de perdre la vie. Le père, qui ne s’est pas remarié, est maintenant seul avec ses deux petits enfants à charge. Il lui faut faire face.

Alexandre fréquente l’école devenue obligatoire depuis 1882. Comme la plupart des enfants issus des milieux pauvres, il ne s’y rend que 6 mois dans l’année, de novembre à avril. Les registres de l’école communale mentionnent plusieurs motifs d’absences : n’a pas de sabots, va à la charrue, mendie… La famille vit dans un degré de précarité très élevé.

La fiche signalétique et de services d’Alexandre Jeudy indique un degré d’instruction de niveau 3. Alexandre s’en sort plutôt pas mal malgré son enfance difficile et ses nombreuses absences scolaires. Il a réussi à intégrer les bases de l’écriture, de la lecture et du calcul.

Le 19 février 1911, le conseil municipal accorde au père une allocation journalière de 0.75 franc, soit l'équivalent de 2.75 euros, ce père ne possédant absolument rien d’autre que ses gages de journalier.

Le registre de recensement de la commune de naissance d’Alexandre, réalisé en 1911, nous apprend que ce dernier vit toujours chez son père et qu’il travaille comme tisseur de coton à l’usine Desgrange ; c’est une industrie implantée à Raddon, située à moins de deux kilomètres d’Amage. La date d’entrée d’Alexandre dans cette entreprise n’est pas connue.

L’année 1911 est également la période des obligations militaires pour celui-ci. Le jeune homme ne s’est pas présenté devant le conseil de révision qui le déclare d’office bon pour le service armé.

Alexandre Jeudy est incorporé au 149e R.I.. Il doit se présenter au corps le 1er octobre 1911. Son arrivée pose problème. La médecine militaire doit donner son avis. Alexandre passe devant une commission spéciale de réforme qui se réunit le 21 octobre 1911. Cette commission suggère que le soldat Jeudy soit versé dans le service auxiliaire pour « insuffisance de taille ».

Une décision est prise le 17 novembre 1911 par le général commandant la 4e subdivision de la VIIe armée : cette décision le fait officiellement classer dans le service auxiliaire tout en le maintenant au 149e R.I..

Le 18 février 1912, le conseil municipal accorde une nouvelle allocation journalière au père. Le maigre salaire qu’Alexandre apportait n’étant plus là, il lui est impossible de joindre les deux bouts.

Alexandre Jeudy fait une requête pour réintégrer le service armé à la fin de l’année 1912. Sur avis favorable de la commission spéciale de réforme qui s’est réuni à Épinal le 13 janvier 1913, le général commandant la 4e subdivision de la VIIe armée accepte sa demande le 21 janvier 1913.

L’article 33 de la loi du 21 mars 1905 maintient le soldat Jeudy dans son régiment jusqu’à la fin de ses obligations militaires.

Il passe dans la réserve de l’armée active à partir du 8 novembre 1913 avec l’obtention de son certificat de bonne conduite.

Il n’est pas sûr qu’Alexandre ait pu retrouver son emploi de tisserand après son séjour de deux ans à la caserne Courcy. Par choix personnel ? Par décision de son employeur ? Impossible de le savoir. Sa fiche matricule indique simplement qu’il exerce la profession de cultivateur.

Été 1914, les moissons approchent. Alexandre ne s’imagine pas un seul instant que le monde va bientôt basculer dans une terrible guerre. Il s’attend plutôt à une forte sollicitation de la part de ses employeurs lorsqu’il sera l’heure de se mettre au travail pour les récoltes.

Alexandre Jeudy est rappelé par ordre de mobilisation générale le 4 août, en tant que réserviste, pour être affecté à la 11e compagnie du 149e R.I. sous les ordres du capitaine Erhard.

Le 1er échelon du régiment, qui fait partie des troupes de couverture, est déjà en route en direction de la frontière. Le 2e échelon, essentiellement composé de réservistes, rejoint le 1er échelon le 4 août 1914 à Vanémont. Il est impossible de savoir si notre soldat faisait partie des 983 hommes qui composaient ce groupe.

A-t-il rejoint le régiment avec les premiers renforts ? At-il participé aux combats du mois d’août 1914 ? Les éléments reconstitués de son histoire ne permettent pas de répondre à ces questions.

Septembre 1914, le 149e R.I. est engagé dans de violents combats près et dans le village de de Souain.

Pour en savoir plus sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte postale Souain (1)

Alexandre Jeudy est blessé, au cours de l’un de ces combats. Au poste de secours, il présente une plaie à la main droite.

Envoyé vers l'arrière, il est pris en charge à  l'hôpital d'évacuation n° 2 de Châlons-sur-Marne.

Le 3 octobre 1914, sa blessure est examinée par le médecin-chef de cet hôpital, le médecin principal de 2e classe Buy, qui la trouve suspecte. Au vu de la lésion constatée, il conclut à une "présomption de mutilation volontaire".

Rapport medical du medecin principal Buy

Cette forte suspicion médicale vaut à Alexandre Jeudy d'être traduit devant le conseil de guerre du Quartier Général de la IVe armée le 18 octobre 1914, en compagnie de six autres soldats venant des 7e, 17e et 21e R.I.. Ceux-ci sont soupçonnés également de mutilation volontaire.

À la suite de cette audience collective, six sont condamnés à la peine de mort, dont Alexandre Jeudy. Une peine de cinq ans d'emprisonnement est infligée au septième, dont l'infraction est requalifiée en simple abandon de poste "sur un territoire en état de guerre".

L’alinéa 1er de l'article 213 du code justice militaire impose en effet au conseil de guerre de prononcer la peine de mort lorsque le soldat abandonne son poste "en présence de l'ennemi. L'alinéa 2 lui laisse la faculté de choisir une peine de 2 à 5 ans d'emprisonnement lorsqu'il estime que cet abandon de poste a lieu "sur un territoire en état de guerre ou en état de siège".

Déterminer, de manière factuelle, si l'abandon de poste a été commis "en présence de l'ennemi" ou "sur un territoire en état de guerre" est laissé à l'appréciation discrétionnaire des juges ; ceux-ci ne sont pas tenus de motiver leur choix dont dépend pourtant l'exécution ou non du soldat concerné.

Pour juger ces sept soldats, le conseil de guerre dispose seulement des rapports médicaux du médecin-chef Buy et des dépositions écrites laissées par chacun des hommes sur les circonstances accidentelles de leur blessure.

Or, la lecture de ces rapports médicaux révèle que le médecin-chef, qui devait se borner à la constatation de l'existence de blessures causées par un tir à bout touchant, a dépassé sa mission en excluant le caractère accidentel des lésions constatées et en concluant à une présomption de mutilation volontaire.

Ses rapports sont d'autant plus critiquables que ce médecin utilise des documents sur lesquels la conclusion de présomption de mutilation volontaire fut imprimée à l'avance par polycopie et qu'il se bornait à y ajouter la mention manuscrite de l'identité du blessé et la description des blessures.

La présence sur ces certificats médicaux d’une conclusion préétablie en défaveur des blessés examinés suffit à faire douter de l'impartialité de ce médecin-chef. Les certificats concernant les sept soldats renvoyés devant le conseil de guerre présentent la même particularité.

Dans le cas d'Alexandre Jeudy, la mention manuscrite constatant la "perte récente de la troisième phalange du médius droit par coup de feu" est suivie de la mention ronéotypée suivante : "le tatouage très net des bords de la plaie prouve que le coup a été tiré à bout portant. La présomption de mutilation volontaire ressort de ce que l'orifice d'entrée du projectile et le tatouage siègent du côté de la paume de la main".

On peut légitimement se poser la question de la crédibilité médicale d'un tel rapport en raison de l'impossibilité évidente de déterminer les orifices d'entrée et de sortie d'une balle qui avait arraché la troisième phalange d'un doigt, quelques jours auparavant.

Comme les autres soldats poursuivis l'ont fait, Alexandre Jeudy a décrit, de manière sommaire, les circonstances accidentelles qui seraient, selon lui, à l'origine de sa blessure : "On était dans les tranchées, nos fusils étaient appuyés dans la tranchée. Les obus sont tombés au bord de la tranchée et ont été recouverts de terre. J'ai voulu prendre mon fusil qui était plein de terre, j'ai voulu le nettoyer, c'est à ce moment que le coup partit et que je fus blessé. J'ai fait constater à mes camarades que je fus blessé accidentellement ".

Ce récit, pour succinct qu'il soit, méritait au moins d'être vérifié, ce qui n'a pas été fait.

Aucune enquête n'a été diligentée au sein de la 11e compagnie pour rechercher si la blessure était accidentelle ou non.

À l'occasion de la révision de la condamnation d'un soldat du 247e  R.I., François Marie Laurent, qui a  été fusillé le même jour, le 19 octobre 1914, le médecin Buy a tenté de justifier ses pratiques ; il a expliqué que ces rapports médicaux évoquaient une simple "présomption de mutilation volontaire", sans être affirmatif et que c'est par manque de temps qu'ils étaient, en partie, polycopiés à l'avance.

L'expert désigné par la Cour spéciale de justice militaire, dans son rapport du 1er décembre 1933, a émis de sévères critiques sur ce point. Il a estimé que "la lecture d'une telle pièce ne constitue nullement la démonstration qu'on se trouvait en présence d'une mutilation volontaire que le médecin ne peut et ne doit pas dire qu'il s'agit d'une mutilation volontaire qui ne peut résulter que de l'ensemble des constatations médicales, mais aussi et surtout de l'enquête à laquelle il doit être procédé".

Dans une lettre de janvier 1920, le capitaine Bruant qui commande alors la 22e compagnie où évoluait François Laurent témoigne en sa faveur, en dénonçant, en ces termes, l'absence d'enquête: " Il fut blessé à la main au cours d'une vive fusillade la nuit du 1er (ou du 2) octobre 1914. On me rendit compte de sa blessure et il vint à mon poste et je lui fis dire d'aller au poste de secours… Quelques semaines plus tard, j'appris que Laurent avait été fusillé. Je m'y attendais si peu qu'à une demande de renseignements à son sujet, je répondis d'abord : "Ce n'est pas le Laurent de ma compagnie lequel a été blessé" … Aucune enquête n'a été faite à la compagnie. Je n'ai porté aucune plainte, aucune punition, je ne sais rien… Je n'ai pas eu le temps de bien le connaître, mais je sais qu'il était réputé dévoué et qu'avec son camarade Collet - un vrai brave - il s'était vaillamment battu."

Le même constat et les mêmes griefs s'appliquent au cas d'Alexandre Jeudy.

Une fois évacué sur l'hôpital n° 2, celui-ci s'est trouvé pris dans le piège de cette justice expéditive et sommaire alimentée par les rapports contestables du médecin-chef Buy.

Les jugements expéditifs et la multiplication des condamnations à la peine de mort visaient à dissuader les soldats de se mutiler volontairement. On peut douter qu'ils aient eu le caractère dissuasif escompté. Les exécutions eurent lieu à l'arrière, à l'insu des troupes combattantes dont ces soldats faisaient partie. En outre, à défaut d'enquête interne au sein de ces unités, le motif exact des condamnations est resté longtemps ignoré, comme le montre le témoignage du capitaine Bruant qui, six ans après l'exécution de François Laurent, ne savait rien de ce qui s'était passé.

Quatre des hommes qui furent condamnés à la peine de mort en même temps qu'Alexandre Jeudy purent bénéficier d'une commutation de leur sentence en une peine de vingt ans d'emprisonnement, par décision du Président de la République du 14 novembre 1914.

Il s'agit des quatre soldats dont la culpabilité n'a pas été déclarée à l'unanimité par les cinq juges du conseil de guerre.

Leurs dépositions écrites, trop brèves, ne permettent pas de savoir pourquoi leur condamnation a été acquise à la majorité des voix et non à l'unanimité, comme ce sera le cas d'Alexandre Jeudy et d'Émile Busquet. Ces deux soldats furent fusillés dès le lendemain, à six heures vingt-cinq, sur le champ de tir de la garnison de Châlons-sur-Marne.

Comme si les morts sur les champs de bataille ne suffisaient pas, ils ne seront pas les seuls à tomber sous les balles des pelotons d'exécution puisque, ce 19 octobre 1914, on fusillera 13 autres soldats, à la même heure, sur le même champ de tir.

Les exécutions multiples étant toujours simultanées, il y a tout lieu de penser que les condamnés ont été placés, comme l'exigeait le règlement militaire, sur une même ligne, séparés par un intervalle de dix mètres et que le feu a été commandé à l'ensemble des piquets par un seul adjudant.

En 1933, les familles de deux d'entre eux, François Laurent et Élie Lescop, obtiendront l'annulation de leur condamnation. Par contre, aucun recours ne fut exercé pour obtenir la réhabilitation d'Alexandre Jeudy.

Plaques commemoratives

Son lieu de naissance, Amage, faisant partie de la paroisse de Sainte-Marie-en-Chanois, son nom a été gravé sur une plaque commémorative apposée dans l'église de cette localité.

Il est important de préciser que le prénom mentionné "Émile" qui est inscrit sur cette plaque d’église correspond au prénom usuel de l'intéressé. Il faut donc comprendre que le nom d'Alexandre Jeudy inscrit sur le monument aux morts et celui d’Émile Jeudy qui se trouve sur la plaque de l'église correspondent en fait à une seule et même personne.

Le nom de ce soldat ne fut pas inscrit sur le monument aux morts d'Amage.

Le maire de cette commune, Monsieur Bruno Heymann, a œuvré pour réparer cette injustice. Une plaque commémorative, réalisée par le sculpteur Dedier, portant la mention « Jeudy Alexandre, né le 30 octobre 1890, fusillé pour l’exemple le 19 octobre 1914 », a été apposée sur le monument aux morts au cours d’une cérémonie organisée pour le centième anniversaire de la mort de ce soldat du 149e R.I..

Monument aux morts de la commune d'Amage

Alexandre Émile Jeudy ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance. À ce jour, le lieu de sa sépulture reste inconnu.

Le maire de la commune d’Amage a déposé un dossier pour une demande de réhabilitation.

Pour en savoir plus sur la généalogie du soldat Jeudy, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Sources :

Registre de recensement de l’année 1911 de la commune d’Amage consulté sur le site des archives départementales de la Haute-Saône.

Dossier individuel du soldat Jeudy figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté la partie concernant la jeunesse du soldat Jeudy et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis d’évoquer la courte vie de cet homme.

Un grand merci à Monsieur le maire d'Amage et à Madame le maire de Sainte-Marie en Chanois pour avoir apporté certaines précisions concernant la famille Jeudy.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de la Haute-Saône.

17 avril 2020

Baptême du feu du 149e R.I.. La prise en charge des blessés au poste de secours.

Auprès des blessés

Le service de santé de l’armée est encore en pleine mutation lorsque le conflit contre l’Allemagne débute en août 1914.

Un règlement promulgué dès le 26 avril 1910 imposait une restructuration complète de l’organisation administrative ; ce règlement comportait des changements majeurs dans les méthodes d’évacuation et dans le traitement des blessés pour l’ensemble du dispositif militaire français.

Mais l’application d’un tel règlement occasionnait d’énormes dépenses pour les finances d’état. Il fut accordé un crédit de plusieurs millions supporté par les budgets avec une répartition sur les années 1913, 1914, 1915 et 1916.

À partir de là, le matériel trop vétuste fut progressivement modifié pour que l’ensemble des unités médicales soit adapté au nouveau règlement.

Mais c’était sans compter sur les évènements internationaux qui allaient précipiter le monde dans une guerre mondiale. Seuls douze des corps d’armée français sur les 34 qui furent engagés étaient correctement dotés à la veille du conflit.

Au plus près du 149e R.I. régiment 

Equivalence de grades

En août 1914, le matériel médical du 149e R.I. et le personnel qui en a la charge sont sous l’autorité directe du médecin-chef de service, le médecin-major de 2e classe Delacroix.

Au début de la guerre, chacun des trois bataillons du régiment dispose d’une voiture médicale avec conducteur, de 15 brancardiers, d’un caporal brancardier, de quatre infirmiers et d’un médecin auxiliaire qui sont sous les ordres d’un médecin aide-major.

Le 149e R.I. prend la formation de combat pour la première fois le 9 août 1914. Son 1er bataillon et  son 2e bataillon sont engagés dans une attaque qui se déroule du côté de Wisembach. Quelques éléments du 3e bataillon iront les soutenir dans le courant de la journée.

Le médecin aide-major de 1ère classe Cleu et le médecin aide-major de 2e classe Mouton reçoivent les ordres du médecin-chef de service Delacroix leur demandant de rassembler leurs hommes dispersés au sein des compagnies.

Une fois les ordres reçus, les brancardiers régimentaires des 1er et 2e bataillons rallient au plus vite leur voiture médicale respective.

Lorsque le poste de secours est installé, ces hommes y laissent sacs et sabres Z avant de s’équiper de leur matériel médical (brancards, paniers, musettes, tonnelet, bidon).

En théorie, il y a cinq brancardiers et deux infirmiers de compagnie par bataillon qui assurent le relèvement des fantassins blessés sur le terrain des combats. Ces soldats sont sous l’autorité du médecin auxiliaire.

Leur rôle est d’acheminer les blessés jusqu'à des « relais pour blessés ».

C’est dans ces lieux que sont appliqués les premiers pansements, lorsque cela n’a pas été fait directement par le soldat ou par un de ses camarades.

Le transport de ces hommes est ensuite assuré par les 11 autres brancardiers et le caporal brancardier qui font la navette entre les « relais pour blessés » et le poste de secours où travaillent les médecins aides-majors et les quatre infirmiers de compagnie restant.

Les musiciens de la C.H.R. ont également été conviés à rejoindre le poste de secours pour aider les brancardiers régimentaires au portage des blessés.

En principe, le médecin-chef de service emploie tous les médecins et tous les infirmiers du régiment qui ne sont pas en première ligne pour assurer le service du poste de secours. Toutefois, il peut, dans certains cas, laisser des médecins et des infirmiers avec la réserve du régiment jusqu’à ce que cette réserve passe à son tour sur la ligne de feu. Ces médecins et ces infirmiers du bataillon non engagé rejoignent alors le poste de secours. Ce fut probablement le cas pour le 149e R.I. qui n’a envoyé que quelques éléments de son 3e bataillon dans la bataille.

Un témoignage très détaillé évoque cette prise en charge des blessés du 149e R.I. au cours de son baptême du feu.

Pierre Marie Etienne Henry

Tous mes remerciements à J.L. Poisot pour son autorisation de retranscrire ici l’écrit laissé par Pierre Henry, l’aumônier divisionnaire de la 43e D.I..

L’abbé Henry arrive à Fraize le dimanche 9 août 1914 vers 18 h 00. Une fois sur place, il apprend que le 149e R.I. a été engagé. Il se rend au plus vite à Wisembach.

Les trois aumôniers de la 43e D.I., l’abbé Henry, l’abbé Darbot et l’abbé Marchal sont sur place.

Personnel du G

Silhouettes des aumoniers G

Tableau des aumoniers du G

Le baptême du feu du régiment spinalien est un véritable désastre. Rien ne se déroule comme prévu, c’est le moins qu’on puisse dire !

« Mais quoi ! Qu’est-ce qui se mobilise là-haut ; on dirait quelqu’un de chez nous. Mais on n’a pas le temps de demander des explications : " Vite, vite, tout le monde à Wisembach ; le 149e R.I. est fortement touché et il y a de la casse ! ".

Je croyais en avoir fini pour aujourd’hui ; la journée ne fait que commencer et les émotions aussi ; les cordes du cœur sont tendues par l’annonce de ces mauvaises nouvelles, d’autant plus sensibles au coup d’archet qu’elles sont vierges d’émotions vraiment vives.

En attendant, les langues se délient : «  Il y a au moins 100 tués » déclare le conducteur à côté de moi. Le chiffre paraît énorme, fantastique, impossible, un désastre alors ! On discute, on met soi-disant au point, ce n’est plus 100 tués, mais quelques tués. Conclusion du débat. M. l’adjudant Rouquand, de la 2e ambulance, se fâche et déclare tout net au malheureux qui s’est fait l’écho des alarmistes que s’il ne tenait qu’à lui, il lui collerait 15 jours de prison pour colportage de fausses nouvelles. Il va bien, M. le commissaire de police de Gray !

Hélas ! Ce n’est pas quelques tués ou blessés, c’est, déclare-t-on à Wisembach, une grande partie du régiment qui est massacrée. L’heure n’est plus à la discussion. Des blessés, j’en vois partout, dans les maisons, sur des voitures, plusieurs centaines sûrement ; au milieu de la rue, je trouve M. Darbot. Là-haut est M. Marchal, sans hésitation, je monte.

Quel spectacle ! Quel tableau ! Ce va-et-vient d’autos qui ne suffisent pas à descendre les blessés !

C’est la nuit. À la lueur des torches, des lanternes, des phares, des ombres s’agitent ; des ordres se donnent à voix basse, des brancards s’alignent, des gémissements se font entendre. C’est au tournant de la route en plein air qu’est établi le poste de secours du 149e R.I.. J’essaie de mettre un peu d’ordre en moi. Ce n’est pas le moment de s’attarder à la beauté tragique du tableau, c’est le moment d’agir et de faire vite. Je vais de brancard en brancard avisant les plus gravement atteints, tâchant de gêner le moins possible les médecins, les brancardiers ; il y a urgence à soigner les corps, sans doute, mais les âmes sont-elles moins en péril ?

Nous sommes au point d’aboutissement de plusieurs chemins sous-bois. Dans les ténèbres, on perçoit la masse noire des cortèges, tous les mêmes, 4 brancardiers, marchant avec précaution pour ne pas secouer trop fortement le blessé qu’ils ont ramassé très loin, à 3 km dans la forêt, précieux fardeau, mais qui pèse lourdement sur leurs épaules. On se porte à leur rencontre et toujours ce sont les mêmes questions : « Où êtes-vous blessé ? ». Blessures aux bras, aux jambes, blessures habituellement légères, on passe rapidement, blessures au ventre, à la poitrine, à la tête, il faut s’arrêter.

Du côté de Wisembach

Au poste de secours, il y a une dizaine de blessés qui attendent leur tour pour monter dans l’une des autos qui les emmènent en bas et qui ne cessent d’aller et de venir ; j’en ai vite fait le tour. Et maintenant que faire ? Allons un peu plus loin. Voici le médecin aide-major Maillet il est près d’un blessé. On interroge, les questions se pressent : « Y-a-t-il encore d’autres blessés ? – Oh, mais oui – Où sont-ils ? – Tout à travers le bois – Loin ? – À deux ou trois kilomètres – Sont-ils nombreux ? – Oh, mais oui, presque tout le régiment… ». Et l’histoire se raconte : des retranchements en ciment armé, les Allemands invisibles dans leurs trous ; des mitrailleuses qui fauchent ; on est tué à bout portant avant d’avoir rien vu, etc…

Voici que venant du bois, un soldat s’avance, pressé de parler : « J’ai laissé mon capitaine dans le bois ; il est blessé ; je l’ai porté tant que j’ai pu, mais j’ai dû le laisser, étant à bout de force, moi-même ; si on veut me suivre, je conduirai jusqu’à lui ». Sa voix se fait suppliante, voici un soldat qui aimait son capitaine ; nous n’hésitons pas et nous voilà à sa suite dans le chemin qui suit la lisière du bois. « C’est par ici… Non attendez ! … je me trompe ! … Il y avait un gros arbre, je le retrouve plus ! ». Nous sommes sur le mauvais chemin ; le pauvre garçon en a les larmes aux yeux, mais que faire ? Nous essayons quelques pas dans le coteau boisé et qui grimpe à pic. On entend du bruit : halte-là ! Qui vive ! Personne ne répond. Inutile d’insister, nous ne sommes pas sur la piste.

Je reviens au poste de secours ; pourquoi ne pas suivre la route qui tourne à droite, les soldats sont alignés ; les feux sont allumés ; malgré tout, il faut manger et sur tout le flanc de la montagne ce sont des centaines de feux autour desquels on voit s’agiter des ombres. Quelle vision inoubliable et impressionnante ! Je tourne donc à droite et je grimpe la route qui mène au col ; à chaque pas je rencontre des hommes qui se traînent plus ou moins gravement blessés ; je leur indique le poste de secours au tournant de la route. « Courage vous êtes arrivés ; on va vous soigner ! ».

Un bon kilomètre et nous sommes aux trois auberges ; à la frontière sans doute. Une à gauche, deux à droite, c’est le col d’où le regard plonge sur l’autre versant. Des soldats se tiennent là, l’œil aux aguets derrière une barrière improvisée et, autant que je puisse en juger, qui me semble barrer la route. Des hommes sont là, une masse confuse, ce sont des blessés ; ils se sont traînés jusque-là, depuis deux ou trois kilomètres ; ils sont comme perdus, gisant à terre et dehors. J’essaie d’ouvrir la maison, mais tout est fermé. Avec l’aide d’un soldat, j’arrive à faire céder la fenêtre puis la porte ; dans la maison, il y a des chaises, des matelas ; en un instant, tous les blessés sont installés ; au moins, ils grelotteront moins ! Mais quel est ce grand soldat élancé, une couverture sur les épaules ? C’est un lieutenant ; « Mon lieutenant, vous êtes blessé ? – J’ai les deux bras cassés – Je vous en prie, entrez dans cette maison, en attendant les brancardiers qui ne tarderont pas – C’est bien, ne vous occupez pas de moi, je tâcherai de gagner le poste de secours s’il n’est pas trop loin ; je suis bien venu jusqu'ici, mais auparavant, j’ai une mission à remplir ; très grave ; où est le commandant du poste le plus proche ou un chef quelconque, il faut que je lui parle. » Un soldat se détache et bientôt, il revient avec un officier et le dialogue s’engage, émouvant : « Je suis un lieutenant du 149e blessé ; mais j’ai à vous rendre compte que j’ai amené avec moi un détachement d’hommes qui attendent là dans le bois ; à qui dois-je les remettre ? ». Je me suis éloigné par discrétion… son devoir accompli, il s’en va le lieutenant et seulement quand il a assuré le service, il peut songer à lui-même, à ses deux bras cassés, à ses souffrances et il s’en va seul… « Occupez-vous des autres, je tâcherai de m’en tirer… ! ». Et les larmes me viennent aux yeux ; c’est beau, c’est sublime dans sa simplicité. Lui, il ne compte pas, avant tout le service, avant tout ses hommes, avant tout son régiment, avant tout la France ! Je m’incline, ému devant tant d’abnégation et de fidélité au devoir. O. France, qu’ils sont beaux tes enfants, qu’ils sont forts jusque dans l’épreuve !

« Mes chers amis, restez là un instant, s’il vient d’autres blessés, faites-les entrer ; pour moi, je vais chercher des brancardiers ; patientez un instant, on ne veut pas vous abandonner ! ». Et je hâte de redescendre la route caillouteuse jusqu’au poste de secours. Où sont nos brancardiers ? Je n’en vois plus que quelques-uns, heureusement, il y a là des chasseurs et nous remontons là-haut… Enfin, tous les blessés sont descendus. Au passage un chef nous interpelle. Je distingue plusieurs galons. « Je suis le lieutenant-colonel du 149, prévenez le colonel… » Il parle à voix si basse que je saisis mal ce qu’il veut dire. Tout le long de la route sur laquelle je me reconnais mieux, des soldats sont postés, masqués par le talus, la main sur le fusil, prêts à soutenir une attaque de l’ennemi.

Le poste de secours est si vite rempli, encombré par nos blessés. Il est 23 h 00 ; il n’y a plus qu’une voiture automobile et les autres ne reviennent pas. On ne peut cependant laisser cespauvres malheureux se lamenter et se geler jusqu’au lendemain. Je me fais suppliant, pressant, et l’automobiliste, un jeune homme, me promet de revenir et de ramener d’autres voitures. On lui confie les officiers ; je retrouve étendu sans mouvement mon beau lieutenant aux bras cassés ; il est venu jusqu'ici, mais il est tombé, à bout de force, presque sans connaissance ; il avait tenu jusqu’au bout par un prodige, un miracle d’énergie. J’ignore son nom, mais je voudrais le connaître pour le jeter à tous les échos de la France, comme celui d’un héros.

Et je remonte à nouveau cette route, nouveau calvaire ! Là-haut, le silence s’est fait. Il ne reste plus que des hommes valides qui attendent, qui veillent. La Lune envoie quelques lueurs blafardes pour éclairer ce tableau tragique. Un homme là-haut se promène seul, pensif, le dos voûté, et près de moi l’on murmure « C’est le colonel du 149 ». Pauvre colonel, où est-il son beau régiment ? J’ose m’approcher de lui : « Mon colonel, quelle journée ! – Oui, ça a été terrible – Pensez-vous avoir beaucoup de monde hors de combat ? – Pas loin de la moitié du régiment ! » Moitié de 3000 hommes je suis tout étourdi d’un tel chiffre. « Cela  a donc été bien terrible ! – On ne peut pas s’imaginer ; ils sont dans des retranchements formidables ; c’était impossible de les déloger – Mon colonel, est-ce que vous restez ici longtemps encore ? – J’attends les débris de mon régiment, pour les reformer en arrière. Je suis inquiet, car une fraction importante qui venait avec nous a perdu la liaison ; ils ont dû s’égarer dans le bois ; je les attends, ils devraient être ici ; ils auront du mal à retrouver le chemin… ». Et son regard fouille en vain le bois obscur, dans cette nuit, comment essayer de les retrouver, s’engager dans ce fourré serait imprudent et inutile ; le mieux est d’attendre et nous attendons.

Minuit ! Personne ne vient plus ; tout à l’heure, auprès des blessés, j’ai pu causer avec un capitaine du 149e R.I.. Il me raconte ce qui s’est passé : « C’est épouvantable, tout crachait à la fois sur nous, mitrailleuses et fusils, c’était une pluie, un ouragan de balles. Mais le plus terrible, ce n’est pas cela ; le plus terrible c’est que nos hommes se sont tirés les uns sur les autres. À la première décharge, il y en a qui ont lâché et qui se sont sauvé dans toutes les directions ; d’autres n’ont pas voulu fuir, mais la peur leur a paralysé les jambes et ils sont restés sur place tandis que les plus braves avançaient. Si du moins, ils étaient restés tranquilles ! Mais hélas ! La main crispée sur le fusil, ils tirent, ils tirent, sur qui sur quoi, est-ce qu’ils savent ? Ils tirent, et devant eux, ce sont des camarades infortunés ; ils sont fusillés par-devant et par-derrière ! Il y a un Dieu, M. l’abbé, car c’est lui qui m’a sauvé ; j’avais beau donner des ordres, crier ; rien n’y faisait, ils ne m’entendaient plus ! La moitié de ma compagnie tirait sur l’autre. À un moment, désespérant de rien faire comprendre à ces affolés, je me suis jeté au-devant de leurs fusils, les bras étendus, j’ai fermé les yeux et j’ai attendu la mort ! J’ai échappé, je ne sais pas comment ! Il y a un Dieu, j’y crois, lui seul a pu me sauver ! »

Autre conversation : « Ils sont là, une petite troupe du 149e R.I. encore toute émue de l’épouvantable baptême de feu ! "Les balles sifflaient de tous côtés. À un moment, mon sergent est tombé blessé ; je me suis mis à genoux pour le soutenir - Pan ! Une balle me fait sauter mon képi ; je le remets sur ma tête - Pan ! Une balle frappe le sergent, une autre me fait sauter un nouveau mon képi. J’ai à peine eu le temps de le remettre qu’il s’en va, emporté une 3e fois pendant que mon pauvre sergent reçoit dans la tête une balle qui l’achève ; quand j’ai vu qu’il était mort, je me suis dit : il n’y a plus rien à faire ici ; j’ai ramassé mon képi une 3e fois et je me suis jeté de côté ». Et il me montre son képi troué de balles. « Vous avez de la chance, votre ange gardien a bien veillé sur vous – Et ma capote, tenez ! Comptez les trous des balles ! ». En effet, il y en a partout ! Un vrai miracle, lui, il n’a pas une égratignure ! »  « Mon ami, je ne sais pas quel saint vous avez invoqué, mais vous lui devez un beau cierge ! ».

Minuit ! Plus de blessés par ici ; il n’y a plus qu’à redescendre, d’autant que l’endroit n’est pas sûr.

Au poste de secours, je retrouve les dernières autos prêtes à partir ; une place est libre, je m’installe et en peu de temps, nous sommes à Wisembach. »

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés le 9 août 1914, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

9 août 1914

Sources :

Témoignage inédit réalisé par l’aumônier Pierre Henry.

Histoire anecdotique de la guerre de 1914-1915 par Franc-Nohain et Paul Delay. Tome 5 « Les blessés, les morts ». Paris P. Lethielleux libraire-éditeur.

Article publié dans la revue G.B.M. n° 105 « le bataillon d’infanterie, mille hommes et un chef » de Jean Claude Latour avec la participation de François Vauvillier. Juillet, août, septembre 2013.

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry qui accompagne le montage provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à I. Holgado et à J.L. Poisot.

10 avril 2020

Julien Brignon (1887-1915).

Julien Brignon

Julien Brignon voit le jour le 4 février 1887 à Wakenbach, une commune située dans le Bas-Rhin.

Cette région fut annexée à l’Allemagne à la fin de la guerre 1870-1871. Julien est le fils d’Albert et de Virginie Adrien. Il est le 6e enfant d’une fratrie composée de 9 frères et sœurs.

En 1892, la famille vit à Moussey, une petite commune vosgienne. Les Brignon ont fini par opter pour un retour en France. Le père travaille comme bûcheron. Jeanne Virginie, la sœur cadette de Julien, ne survit pas à sa 2e année. En 1906, le couple parental et leurs 8 enfants sont installés rue Neuve Grange.

Commune de Moussey

Ainsi qu’il est stipulé sur sa fiche signalétique et des services, Julien quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il travaille ensuite comme tisserand avant de pratiquer la profession paternelle. Une dépendance à l’alcool s’installe.

Ayant atteint l’âge d’effectuer ses obligations militaires, Julien Brignot doit se rendre à Épinal pour intégrer un peloton du 4e régiment de chasseurs à cheval, escadron divisionnaire de la 43e D.I..

Il arrive au corps le 1er octobre 1908.

Nommé trompette le 25 septembre 1909, il passe dans la réserve active le 1er octobre 1910, mais il est maintenu au régiment par mesure disciplinaire jusqu'au 23 octobre.

Son passage sous les drapeaux a été émaillé par de nombreux actes d'indiscipline (état d'ébriété à plusieurs reprises, absence ou retard lors de l'appel, inattention aux manœuvres, retour tardif de permission, escalade du mur d'enceinte pour sortir du quartier la nuit, fait d’avoir uriné dans les couloirs, tenue malpropre et paquetage sale, introduction de tabac dans les locaux disciplinaires, avoir gardé une cigarette sur l'oreille au commandement "Garde à vous", être allé à la cantine au lieu de panser les chevaux, etc…).

Selon son relevé de punitions, il fut sanctionné à 18 reprises. Au total, le soldat Brugnon a été détenu 49 jours en cellule de police et 35 jours en prison. Ces 35 jours de prison firent qu'il resta 35 jours de plus à la caserne après la libération de sa classe. Son certificat de bonne conduite lui fut aussi refusé.

Julien retourne vivre à Moussey. Retrouvant ses outils de bûcheron il repart travailler dans la forêt vosgienne. Son addiction à l’alcool est maintenant bien marquée.

Rappelé le 2 août 1914, Julien retrouve son régiment de cavalerie légère. Il devient cavalier de 2e classe le 1er janvier 1915. De graves ennuis avec la justice militaire commencent. Julien Brignot est dans un premier temps condamné à 6 semaines d'emprisonnement par le conseil de guerre de la 43e D.I..

Le 4 juin 1915, pour aller boire, il a quitté sans autorisation la colonne pendant la promenade des chevaux. Il est revenu en état d'ivresse. L'exécution de cette condamnation est suspendue le 5 juin.

Une décision du général Maistre, commandant le 21e C.A., le fait muter à la 3e compagnie du 149e R.I. le 9 juin 1915.

Cette nouvelle affectation ne l’incite pas pour autant à changer de comportement. L’alcool est devenu comme une drogue. Toutes les occasions sont bonnes pour aller s’enivrer. Julien est régulièrement en manque, il lui faut ingérer quotidiennement une dose importante de vin, peut-être d’alcool plus fort. L’impact de ces produits sur son état psychique va l’amener à commettre de nouveaux actes d’indiscipline lourds de conséquences en temps de guerre.

Dès le 14 juin suivant, il est à nouveau sanctionné de 15 jours de prison pour état d'ivresse. Le 24 juillet, Julien est détenu 8 jours en salle de police pour avoir manqué, sans motif, un rassemblement lors de l'exercice du matin.

L’homme est condamné à 2 ans de travaux publics par le même conseil de guerre le 24 août 1915. Cette fois-ci, c’est beaucoup plus grave. Il est condamné pour désertion à l'intérieur en temps de guerre. Pour raison de guerre, l'exécution de cette peine est suspendue par décision du 25 août 1915.

Le 2 septembre 1915, le lieutenant Canaux, qui commande la 3e compagnie, écrit à son sujet : « Brignon est un très mauvais soldat qui a une manière de servir déplorable. Il est sans énergie et d'un mauvais exemple pour ses camarades. Il serait à désirer que le soldat Brignon disparaisse du 149e R.I.".

Traduisant l'état d'esprit de la hiérarchie militaire à son égard, le capitaine Cochain, commandant le 1er bataillon, confirme cet avis : "Le soldat Brignon est un incorrigible dont il a lieu de sanctionner la dernière faute. Ce soldat a déjà été condamné deux fois par le conseil de guerre ; il ne s'est pas amélioré ; il ne mérite aucune indulgence".

Il est vrai que ce soldat n'a pas du tout tiré profit de la mansuétude dont il avait bénéficié avec la suspension de l'exécution de ses deux condamnations prononcées par le conseil de guerre.

Au lieu de changer de conduite, il va, au contraire, commettre, en très de peu de temps, plusieurs infractions passibles de la peine de mort, qui vont finalement le conduire à cette issue fatale.

Avec 21 punitions ayant entraîné une détention de 57 jours au poste de police et de 62 jours en prison, ce passif ne pouvait, en aucun cas, lui valoir une nouvelle « bienveillance » de la part du conseil de guerre.

La dérive de ce soldat du 149e R.I. nous est rapportée par les différents rapports de la procédure devant le conseil de guerre.

Après avoir été placé en liberté provisoire à la suite de la suspension de l'exécution de sa condamnation à 2 ans de travaux publics pour désertion, Lucien Brignon rejoint son bataillon cantonné à Eps dans le Pas-de-Calais le 27 août.

Dès le lendemain, il s'absente irrégulièrement entre 7 h 00 et 17 h 00, pour se soustraire à des exercices de lancers de grenades. Incarcéré au poste de police vers 18 h 00, il s'en échappe une demi-heure plus tard par une porte dérobée. Il se rend dans un estaminet d’Eps pour y manger et boire. Il en ressort sans payer son repas. À 20 h 30, il est repris et reconduit au poste de police. Julien Brignon fournit des explications aussi confuses qu'erronées pour tenter de justifier l'abandon de poste et le délit de grivèlerie qui lui sont reprochés.

Toujours en prévention pour abandon de poste et de grivèlerie, il est remis en liberté provisoire le 22 septembre.

Son régiment se prépare à retourner en 1ère ligne pour effectuer une attaque de grande envergure avec l’intégralité de la 43e D.I.. Il lui est en quelque sorte offert la possibilité de se racheter. Julien Brignon ne se saisit pas l’occasion.

Bully-Grenay fosse n°10

Le 23 septembre, il quitte la prison de la division. Il retourne à son cantonnement à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle, mais deux heures plus tard, il en repart, sans autorisation, afin d'aller percevoir le montant d'un mandat à Hersin. 

La 3e compagnie monte aux tranchées le 24 septembre à 22 h 45. Il n’a pas rejoint son unité durant toute la période d'attaque de son unité.

Après une errance de quelques jours passés le plus souvent à dormir et à fréquenter les estaminets de Sains, de Coupigny et d’Hersin, il est arrêté le 30 septembre à 20 h 30, par la gendarmerie, dans une taverne d'Hersin.

Le soldat Brignon est ramené le 1er octobre au train de combat de son régiment, à la Fosse 10.

Dès le lendemain, il s'esquive une nouvelle fois à l'occasion d'une corvée. Selon ses dires il se décidait, le 5 octobre, à rejoindre sa compagnie cantonnée à Bracquencourt après s'être rendu à Barlin, à Haillicourt et à Coupigny.

Cette accumulation d'agissements contraires à la discipline militaire sur une période aussi courte lui vaut de comparaître pour la troisième fois devant le conseil de guerre de la 43e D.I. qui siège au Quartier Général à Hersin-Coupigny, le 25 octobre 1915.

Il doit répondre cette fois-ci des infractions suivantes :

1°) le 28 août 1915, abandon de poste sur un territoire en état de guerre à Eps (Pas-de-Calais)

2°) le 28 août 1915, grivèlerie à Eps (Pas-de-Calais)

3°) le 23 septembre 1915, abandon de poste en présence de l'ennemi à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle (Pas-de-Calais)

4°) entre le 23 septembre et le 1er octobre 1915 et le 2 octobre 1915, désertion en présence de l'ennemi.

Le conseil de guerre est composé de la façon suivante :

Président : chef de bataillon Collet du 158e R.I.

Juges :

- chef d'escadron Perrier commandant les trains régimentaires de la 43e D.I.

- capitaine Rondet du 4e Régiment de chasseurs à cheval (commandant le 3e demi-régiment)

- sous-lieutenant Foucher du 158e R.I.

- adjudant Petit, du 12e Régiment d'artillerie de campagne        

Commissaire du gouvernement : lieutenant Toussaint Maurice

Greffier : officier Viriot Henri.

Par jugement du 25 octobre 1915, Julien Brignon est condamné à la peine de mort à l'unanimité sauf en ce qui concerne la question de savoir, 1°) s'il était coupable d'abandon de poste le 23 septembre au lieu-dit la Fosse 10 - 2°) si cet abandon avait eu lieu sur un territoire en état de guerre - 3°) s'il avait eu lieu en présence de l'ennemi. Ainsi aux questions 4, 5 et 6 portant sur ces trois points, il a manqué une voix pour atteindre l'unanimité.

Au cours de l'instruction et devant le conseil de guerre, Julien Brignon tente vainement de s'expliquer : "Je ne savais plus ce que je faisais. Si j'ai le malheur de boire un verre, je ne sais plus ce que je fais … Je ne me rappelle plus exactement ce que je fais. J'étais perdu." Il dira encore : "Depuis le 14 juillet, à la suite d'un bombardement, je n'ai plus toute ma lucidité d'esprit. Je ne comprends pas comment j'ai pu quitter ainsi mon régiment".

Les explications de Julien Brignon, considéré comme un récidiviste incorrigible, ne convainquent pas les membres du conseil de guerre. L'intervention d'un notable en sa faveur n'a pas eu plus d'influence. À l'annonce de son passage devant le Conseil de guerre, Julien Brignon avait écrit le 7 octobre à René Laederich, propriétaire d'usines de tissage et filature à Moussey, administrateur de la Banque de France d'Épinal de 1899 à 1913, puis Régent de la Banque de France ; cette lettre lui demandait une intervention en sa faveur.

La réponse transmise à Julien Brignon le 19 octobre semblait, par sa sécheresse, constituer une fin de non-recevoir : "(M. Laederich) a été très mécontent et vous fait dire qu'il n'aurait jamais cru ça de la part d'un Brignon, car votre famille est estimée à Moussey. Et c'est justement au moment où l'on se bataille beaucoup que vous avez commis votre faute, risquant d'être en prison le jour où vos camarades avanceront. Vous n'avez pas fait honneur à vos frères et sœurs…".

Pourtant, dans le même temps, le 18 octobre, cet industriel adresse au commissaire rapporteur du gouvernement une lettre qui expliquait, mieux que ne saura le faire l'intéressé, les raisons de son effondrement moral :  "Me permettez-vous…. d'apporter à ce pauvre Brignon le seul témoignage de moralité sur lequel il puisse compter aujourd'hui, puisqu'il appartient à une région des Vosges envahie depuis 14 mois et que par conséquent nulle autre voix que la mienne ne peut s'élever en sa faveur.

Je connais depuis de longues années la famille Brignon qui travaille dans mes établissements de Moussey. Elle est tout à fait honorable. Six fils et trois gendres sont au front. Les parents, évacués de Moussey vers la fin d'avril dernier, sont actuellement réfugiés dans les Basses-Pyrénées et vivent difficilement. Jules Brignon est en tout cas demeuré plus de 9 mois sans avoir eu la moindre nouvelle de sa famille. Il faut avoir été, comme je le suis, journellement en correspondance avec les soldats du front qui sont de nos villages encore aux mains de l'ennemi, pour se rendre compte de la dépression morale dans laquelle les a jetés la situation particulière dans laquelle ils se trouvent.

Si Brignon que j'ai toujours connu comme un bon et brave ouvrier a commis une faute assurément regrettable, peut-être est-il permis d'invoquer à sa décharge qu'il n'était plus tout à fait lui-même et que les épreuves qu'il a subies et l'ébranlement nerveux qui en est résulté le rendent moins responsable que ne le serait tout autre.".

Le lendemain, le défenseur du soldat Brignon, l'officier d'administration Membré, qui était officier d'approvisionnement à l'Ambulance 8/21, adresse pour avis au général, commandant la 43e D.I., un recours en grâce présidentielle, en faisant valoir en faveur du condamné :

- qu'il était le fils d'un Alsacien, ancien combattant de 1870,

- que ses cinq frères, nés comme lui en Alsace, combattaient dans les rangs français

- que sa volonté était affaiblie

- qu'il s'était lui-même rendu aux autorités militaires.

Depuis le 1er septembre 1914, les recours en grâce étaient suspendus sauf lorsque l'officier qui avait ordonné l'engagement des poursuites proposait une commutation de peine. En d'autres circonstances, il y aurait eu matière à trouver dans sa situation de détresse morale, telle qu'évoquée par René Laederich, des circonstances atténuantes justifiant la commutation sollicitée par son défenseur.

Mais le général Lombard, commandant la 43e D.I. s'y oppose. Il ordonne l'exécution de la peine.

Le 27 octobre 1915 à 7 h 00 à Hersin-Coupigny, Julien Brignon est fusillé par un piquet du 149e R.I., en présence des troupes du cantonnement en armes. Le procès-verbal d'exécution ne mentionne ni le nom du médecin-major qui a constaté le décès, ni celui de l'aumônier qui l'a assisté.

Tout le temps où il a été sous les drapeaux, en temps de paix comme en temps de guerre, Julien Brignon s'est toujours montré mauvais soldat, incapable de se soumettre à la discipline militaire, démontrant ainsi progressivement une totale et irréversible inadaptation aux contraintes de la vie militaire, notamment après son affectation au 149e R.I..

Il est vrai que la dispense d'exécution des deux premières sentences posées par le conseil de guerre de la 43e D.I. a pu le convaincre qu'il pouvait transgresser la discipline militaire en toute impunité.

Sa condamnation à mort avait-elle pour objectif d'éliminer de l'armée un soldat indiscipliné, ingérable et donc irrécupérable ; ou bien l’objectif était-il  d'escompter de son élimination un effet d'exemplarité à l'égard des troupes du 149e R.I. qui gardaient un bon état d'esprit et ne souffraient alors d'aucune propension à l'indiscipline ? Était-ce juste l'application des règlements ?

L’alcool l’a probablement conduit à sa perte. Le soldat Brignon s'est engagé dans une spirale de comportements répréhensibles dont l'issue ne pouvait être que le peloton d'exécution, comme le montrent les pièces de la procédure judiciaire conservées dans la base nominative des "fusillés de la Première Guerre mondiale" sur le site "mémoire des hommes".

En contradiction avec sa condamnation à la peine de mort, Julien Brignon figure sur le monument aux morts de la commune de Moussey sous le nom de "Jules Brignon", "Jules" étant son prénom d'usage ainsi que l'attestent les lettres des membres de sa famille et de René Laederich saisies dans le cadre de la procédure pénale militaire.

Il est assez fréquent que la participation financière des familles à la construction des monuments aux morts puisse conduire à faire quelques petits arrangements avec les textes : souscription en échange de l’inscription d’un soldat mort chez lui ou décédé après avoir été gazé bien après la signature de l’armistice ou encore fusillé. Ce fut probablement le cas de Jules Brignon.

Cette inscription sur le monument aux morts de Moussey est en quelque sorte une manière de montrer a posteriori que ce soldat perdu était malgré tout digne de compassion. Julien Brignon fut l'un de ces "pauvres diables" dont l'aumônier Pierre Henry disait, à chaque exécution : "Il me semble en voyant tous ces malheureux que c'est surtout de la pitié que j'éprouve pour eux, une immense pitié".

Son décès a été transcrit à l'état civil de Moussey avec la mention "décédé accidentellement".

Aucun recours en révision de sa condamnation ne sera exercé dans les années d'après-guerre.

Le soldat Brignon repose actuellement dans une sépulture individuelle dans le carré militaire du cimetière communal d’Hersin-Coupigny.

Sepulture Julien Brignon

C’est le seul de la fratrie à ne pas s’être marié. Julien Brignon n’a pas eu de descendance.

Il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante pour faire connaissance avec sa généalogie.

Geneanet

Sources :

Les registres de recensement de la commune de Moussey ont été consultés sur le site des archives départementales des Vosges.

Dossier individuel de Julien Brignon figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes.

 Le portrait est extrait de la revue « L’Essor » n° spécial 141 publiée en 1988.

La photographie de la sépulture du soldat Brignon a été réalisée par J.M.Laurent.

Ce texte  a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté les informations concernant la jeunesse du soldat Brignon et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour sa recherche qui a permis de remettre en lumière le parcours singulier de cet homme.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à T. Cornet, à J.M. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales des Vosges.

3 avril 2020

Félix Chazal (1895-1929).

Felix chazal

Années de jeunesse

Félix Chazal voit le jour le 26 novembre 1895 au domicile de ses parents, au numéro 132 de la route de Vienne, dans le 3e arrondissement de la ville de Lyon.

Le père, Antoine, est alors âgé de 39 ans. Il a travaillé comme veloutier, puis comme cultivateur, avant d’être embauché par la compagnie de chemin de fer de la ligne Paris-Lyon à Marseille-Saint-Charles.

La mère, Jeanne Marie Bodoy, est originaire de Saint-Laurent-d’Agny. Elle a également 39 ans. Cette femme travaille comme ménagère. En plus de sa charge professionnelle, elle élève aussi deux garçons, Philippe et Jean Pierre, respectivement âgés de 16 et 14 ans.

Genealogie famille Chazal

Félix quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il fait ensuite un apprentissage chez un bijoutier avant de devenir ouvrier dans cette profession. En 1914, son salaire journalier est de 4 francs. Son frère Philippe travaille comme comptable. Jean Pierre a suivi les traces paternelles.

Le 1er août 1914, le gouvernement Viviani ordonne la mobilisation générale. La guerre contre l’Allemagne est sur le point d’être déclenchée. Il est demandé aux réservistes de rejoindre au plus vite leurs dépôts d’affectation. Les territoriaux sont également sollicités. Les classes 1912 et 1913 sont déjà dans les casernes.

Félix Chazal est passé devant le conseil de révision qui l’a classé, avant la déclaration du conflit, dans la 1ère partie de la liste du 7e arrondissement de Lyon.

Conscrit de la classe 1915, il doit encore attendre quelques mois avant être incorporé. Ses frères, plus âgés, sont de suite mobilisables.

Formation au métier de soldat

Le 15 décembre 1914, Félix se rend à la caserne de Chabran, boulevard Limbert, à Avignon. Il est affecté à la 27e compagnie du 58e R.I..

Sa formation militaire dans ce régiment se termine le 1er avril 1915. Elle est plutôt expéditive comparée à celles qui ont été suivies par les classes d’avant-guerre, mais elle se poursuit après son incorporation dans un nouveau régiment.

Après avoir intégré les premiers rudiments de la vie de soldat, Félix est affecté au  415e R.I, une unité nouvellement créée au camp de Carpiagne, au sud de la ville de Marseille. Ce régiment est en majorité composé d’éléments qui appartiennent à la classe 1915. Tous proviennent des différents dépôts du 15e C.A..

Le 415e R.I. quitte le camp de Carpiagne le 31 mars pour prendre place au camp de la Valbonne, près de Meximieux, dans le département de l’Ain. Le 1er février, Félix intègre la 7e compagnie du régiment qui cantonne à Pérouge pour une quinzaine de jours.

L’ancien bijoutier  a tout juste le temps de donner quelques nouvelles à sa famille avant de partir pour le front dans la Somme.

« Chers parents,

Je vous envoie deux mots pour vous dire qu’au lieu de partir lundi comme je vous l’avais écrit, nous partons mercredi à 5 h du matin pour le front. On ne va pas aux Dardanelles. Nous allons dans l’est. Si tu ne te rappelles pas où je serai, je te le mettrai dans ma prochaine lettre. Je pars avec l’espoir de revenir tout au plus blessé, mais avec rien si je peux. Probablement qu’à la fin de la semaine, j’aurai déjà vu les Allemands. Tâchez de ne pas vous en faire, car, d’un côté, si je suis blessé, je pourrai être évacué dans un hôpital et après, j’aurai 8 à 15 jours à passer à la maison.

Enfin, tout va pour le mieux. Espérons que ça n’ira pas plus mal que maintenant.

Votre fils affectueux qui vous aime et vous embrasse. Félix »

Première blessure

Son régiment vient s’installer en Champagne à partir du mois d’août 1915. Il occupe une zone comprise entre Souain et Perthes.

Le 25 septembre 1915, le 415e R.I. lance une attaque dans ce secteur. Félix est blessé au talon gauche.

Le soldat Chazal rejoint le dépôt du 141e R.I. après avoir été soigné. Il est inscrit dans les effectifs de la 9e escouade de la 26e compagnie.

Le 14 février 1916, le jeune homme envoie une carte postale aux siens.

« Chers parents,

J’ai reçu votre lettre, mais il ne faut pas compter sur une permission de 15 jours. C’est impossible.

Je vous demande de m’envoyer 3 gros paquets de tabac. Nous faisons que fumer et l’on n’en a pas assez. Je compte sur vous pour me les envoyer, car, si je partais, ils me couvriraient après. Je vais toujours très bien. Je ne pense pas remonter à mon ancien régiment, car aujourd’hui, il y a eu un départ. Je ne vois rien d’autre à vous dire, si ce n’est que j’attends le tabac. Votre fils Félix. »

Il bénéficie encore d’un mois de relative tranquillité au dépôt.

Une note de service rédigée par le général commandant la 15e région, datée du 15 mars 1916,  lui apprend qu’il est versé au 149e R.I..

Au 149e R.I.

Félix arrive dans cette unité le 18 mars 1916. Son nouveau régiment est  engagé dans le secteur de Verdun depuis une quinzaine de jours. Le soldat Chazal est affecté à la 8e compagnie qui est installée à la caserne Bevaux. Elle vient de passer une sale période dans le secteur du fort de Souville et du bois Fumin.

Le 26 mars, les 3 bataillons du régiment s’établissent à Dugny. Les 1er et 3e bataillons remontent en 1ère ligne le 30 mars.  Le 2e bataillon rejoint Verdun pour aller cantonner à la caserne d’Anthouard. Félix a tout le temps de sympathiser avec les hommes de sa nouvelle escouade.

Le 1er avril, sa compagnie reçoit l’ordre de se rendre au fort de Tavannes. Le 2e bataillon est réserve de division. Le 3 avril, la 8e s’installe aux abris du ravin. Elle ne sera pas engagée.

Pour en savoir plus sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Verdun 5 avril 1916

L’ensemble du régiment quitte la zone de Verdun le 11 avril 1916. Après une courte période de repos passée à Landrecourt, il se rend dans un secteur plus calme, en Champagne, entre les buttes de Tahure et de Mesnil où il reste plusieurs mois.

Septembre 1916, le 149e R.I. doit prendre le village de Soyécourt dans la Somme. Le 2e bataillon ne participe pas à l’attaque, il est en réserve, comme à Verdun.

Deuxième blessure 

Ablaincourt

 Le 23 octobre 1916, Félix Chazal est grièvement blessé dans le secteur d’Ablaincourt par des éclats d’obus. Sa jambe gauche et son pied gauche sont fracturés et très abîmés. Il est impossible de les sauver, c’est l’amputation au tiers supérieur. Son pied droit est également touché.

Ce n’est que le 8 novembre 1916 qu’il est évacué vers l’arrière. Il est pris en charge par les médecins de l’hôpital mixte de Limoges.

Felix Chazal photographie 1

Les soignants ne parviennent pas à sauver la partie inférieure de sa jambe droite. Deuxième traumatisme, il faut de nouveau amputer.

Les soins sont longs et douloureux, mais la guerre est terminée pour Félix. Lui qui rêvait tant d’une blessure ! À l’époque, il était loin de s’imaginer que celle-ci allait tant lui coûter.

Un taux d’invalidité à définir 

Felix Chazal photographie 2

 La commission de vérification de Lyon, qui s’est réunie le 12 décembre 1918, fait une proposition qui lui permettrait de toucher une pension de retraite de 2e classe suite à l’amputation de ses deux membres inférieurs.

Le 1er février 1919, Félix Chazal épouse Victoire Faillant, une femme originaire de la Saône-et-Loire.

Les suggestions de pensions s’enchaînent. Le 16 avril 1921, le centre spécial de réforme de Lyon propose une pension d’invalidité temporaire de 100 % avec un surcroît de 20 % pour amputation des deux jambes au 1/3. Félix est également atteint de bacillose pulmonaire.

L’ancien soldat du 149e R.I. est réformé définitivement par la commission de réforme du Rhône-sud réunie le 11 octobre 1921.

Le 8 février 1922, Félix Chazal est proposé pour une pension temporaire de 100 % avec un surcroît de 20 % au bénéfice de l’article 10 par la commission de réforme de la Seine. Cette proposition se base sur l’amputation des deux jambes et sur l’induration discrète du sommet droit.

Le 22 octobre 1922, Félix est admis à recevoir une pension de 3000 francs avec jouissance à partir du 12 décembre 1918. Il obtient une invalidité permanente de 100 %. Le 25 septembre 1923, il bénéficie également de l’article 10 à la suite d’une décision qui fut prise par la 2e commission de réforme de la Seine, pour l’amputation de ses deux jambes.

En 1923, victoire donne naissance à une fille qui fut prénommée Jeannette.

Félix cesse toutes activités professionnelles à partir du 1er avril 1924.

La commission de réforme de Mâcon du 27 février 1925 augmente de manière conséquente son supplément de pension. Elle le fait passer directement du 2e au 10e degré pour amputation des deux jambes et ramollissement du poumon droit et du 1/3 supérieur du poumon gauche.

De plus en plus diminué par ses problèmes de santé et par son lourd handicap, Félix décède dans la petite commune de Chânes à l’âge de 33 ans le 13 janvier 1929.

Decorations Felix Chazal

Décorations obtenues :

Citation à l’ordre n° 39 850 du G.Q.G. en date du 2 novembre 1916.

« Soldat brave et dévoué, déjà blessé le 25 septembre 1915. A été atteint d’une nouvelle blessure très grave le 23 octobre 1916, amputé de la jambe gauche. »

Décoré de la Médaille militaire avec attribution de la croix de guerre avec palme en date du 24 octobre 1916. Q n° 3985 D du Grand Quartier Général en date du 2 novembre 1916.

Chevalier de la Légion d’honneur (décret du 21 février 1925 rendu sur la proposition du ministre de la guerre).

Sources :

La fiche signalétique et des services de Félix Chazal a été consultée sur le site des archives départementales du Rhône.

Les photographies et les documents présentés ici proviennent tous de la collection de la famille descendante de Félix Chazal. Je remercie tout particulièrement Y. Fanise pour son aide et son autorisation de publication.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à Y. Fanise, aux archives départementales du Rhône et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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