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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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10 avril 2020

Julien Brignon (1887-1915).

Julien Brignon

Julien Brignon voit le jour le 4 février 1887 à Wakenbach, une commune située dans le Bas-Rhin.

Cette région fut annexée à l’Allemagne à la fin de la guerre 1870-1871. Julien est le fils d’Albert et de Virginie Adrien. Il est le 6e enfant d’une fratrie composée de 9 frères et sœurs.

En 1892, la famille vit à Moussey, une petite commune vosgienne. Les Brignon ont fini par opter pour un retour en France. Le père travaille comme bûcheron. Jeanne Virginie, la sœur cadette de Julien, ne survit pas à sa 2e année. En 1906, le couple parental et leurs 8 enfants sont installés rue Neuve Grange.

Commune de Moussey

Ainsi qu’il est stipulé sur sa fiche signalétique et des services, Julien quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il travaille ensuite comme tisserand avant de pratiquer la profession paternelle. Une dépendance à l’alcool s’installe.

Ayant atteint l’âge d’effectuer ses obligations militaires, Julien Brignot doit se rendre à Épinal pour intégrer un peloton du 4e régiment de chasseurs à cheval, escadron divisionnaire de la 43e D.I..

Il arrive au corps le 1er octobre 1908.

Nommé trompette le 25 septembre 1909, il passe dans la réserve active le 1er octobre 1910, mais il est maintenu au régiment par mesure disciplinaire jusqu'au 23 octobre.

Son passage sous les drapeaux a été émaillé par de nombreux actes d'indiscipline (état d'ébriété à plusieurs reprises, absence ou retard lors de l'appel, inattention aux manœuvres, retour tardif de permission, escalade du mur d'enceinte pour sortir du quartier la nuit, fait d’avoir uriné dans les couloirs, tenue malpropre et paquetage sale, introduction de tabac dans les locaux disciplinaires, avoir gardé une cigarette sur l'oreille au commandement "Garde à vous", être allé à la cantine au lieu de panser les chevaux, etc…).

Selon son relevé de punitions, il fut sanctionné à 18 reprises. Au total, le soldat Brugnon a été détenu 49 jours en cellule de police et 35 jours en prison. Ces 35 jours de prison firent qu'il resta 35 jours de plus à la caserne après la libération de sa classe. Son certificat de bonne conduite lui fut aussi refusé.

Julien retourne vivre à Moussey. Retrouvant ses outils de bûcheron il repart travailler dans la forêt vosgienne. Son addiction à l’alcool est maintenant bien marquée.

Rappelé le 2 août 1914, Julien retrouve son régiment de cavalerie légère. Il devient cavalier de 2e classe le 1er janvier 1915. De graves ennuis avec la justice militaire commencent. Julien Brignot est dans un premier temps condamné à 6 semaines d'emprisonnement par le conseil de guerre de la 43e D.I..

Le 4 juin 1915, pour aller boire, il a quitté sans autorisation la colonne pendant la promenade des chevaux. Il est revenu en état d'ivresse. L'exécution de cette condamnation est suspendue le 5 juin.

Une décision du général Maistre, commandant le 21e C.A., le fait muter à la 3e compagnie du 149e R.I. le 9 juin 1915.

Cette nouvelle affectation ne l’incite pas pour autant à changer de comportement. L’alcool est devenu comme une drogue. Toutes les occasions sont bonnes pour aller s’enivrer. Julien est régulièrement en manque, il lui faut ingérer quotidiennement une dose importante de vin, peut-être d’alcool plus fort. L’impact de ces produits sur son état psychique va l’amener à commettre de nouveaux actes d’indiscipline lourds de conséquences en temps de guerre.

Dès le 14 juin suivant, il est à nouveau sanctionné de 15 jours de prison pour état d'ivresse. Le 24 juillet, Julien est détenu 8 jours en salle de police pour avoir manqué, sans motif, un rassemblement lors de l'exercice du matin.

L’homme est condamné à 2 ans de travaux publics par le même conseil de guerre le 24 août 1915. Cette fois-ci, c’est beaucoup plus grave. Il est condamné pour désertion à l'intérieur en temps de guerre. Pour raison de guerre, l'exécution de cette peine est suspendue par décision du 25 août 1915.

Le 2 septembre 1915, le lieutenant Canaux, qui commande la 3e compagnie, écrit à son sujet : « Brignon est un très mauvais soldat qui a une manière de servir déplorable. Il est sans énergie et d'un mauvais exemple pour ses camarades. Il serait à désirer que le soldat Brignon disparaisse du 149e R.I.".

Traduisant l'état d'esprit de la hiérarchie militaire à son égard, le capitaine Cochain, commandant le 1er bataillon, confirme cet avis : "Le soldat Brignon est un incorrigible dont il a lieu de sanctionner la dernière faute. Ce soldat a déjà été condamné deux fois par le conseil de guerre ; il ne s'est pas amélioré ; il ne mérite aucune indulgence".

Il est vrai que ce soldat n'a pas du tout tiré profit de la mansuétude dont il avait bénéficié avec la suspension de l'exécution de ses deux condamnations prononcées par le conseil de guerre.

Au lieu de changer de conduite, il va, au contraire, commettre, en très de peu de temps, plusieurs infractions passibles de la peine de mort, qui vont finalement le conduire à cette issue fatale.

Avec 21 punitions ayant entraîné une détention de 57 jours au poste de police et de 62 jours en prison, ce passif ne pouvait, en aucun cas, lui valoir une nouvelle « bienveillance » de la part du conseil de guerre.

La dérive de ce soldat du 149e R.I. nous est rapportée par les différents rapports de la procédure devant le conseil de guerre.

Après avoir été placé en liberté provisoire à la suite de la suspension de l'exécution de sa condamnation à 2 ans de travaux publics pour désertion, Lucien Brignon rejoint son bataillon cantonné à Eps dans le Pas-de-Calais le 27 août.

Dès le lendemain, il s'absente irrégulièrement entre 7 h 00 et 17 h 00, pour se soustraire à des exercices de lancers de grenades. Incarcéré au poste de police vers 18 h 00, il s'en échappe une demi-heure plus tard par une porte dérobée. Il se rend dans un estaminet d’Eps pour y manger et boire. Il en ressort sans payer son repas. À 20 h 30, il est repris et reconduit au poste de police. Julien Brignon fournit des explications aussi confuses qu'erronées pour tenter de justifier l'abandon de poste et le délit de grivèlerie qui lui sont reprochés.

Toujours en prévention pour abandon de poste et de grivèlerie, il est remis en liberté provisoire le 22 septembre.

Son régiment se prépare à retourner en 1ère ligne pour effectuer une attaque de grande envergure avec l’intégralité de la 43e D.I.. Il lui est en quelque sorte offert la possibilité de se racheter. Julien Brignon ne se saisit pas l’occasion.

Bully-Grenay fosse n°10

Le 23 septembre, il quitte la prison de la division. Il retourne à son cantonnement à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle, mais deux heures plus tard, il en repart, sans autorisation, afin d'aller percevoir le montant d'un mandat à Hersin. 

La 3e compagnie monte aux tranchées le 24 septembre à 22 h 45. Il n’a pas rejoint son unité durant toute la période d'attaque de son unité.

Après une errance de quelques jours passés le plus souvent à dormir et à fréquenter les estaminets de Sains, de Coupigny et d’Hersin, il est arrêté le 30 septembre à 20 h 30, par la gendarmerie, dans une taverne d'Hersin.

Le soldat Brignon est ramené le 1er octobre au train de combat de son régiment, à la Fosse 10.

Dès le lendemain, il s'esquive une nouvelle fois à l'occasion d'une corvée. Selon ses dires il se décidait, le 5 octobre, à rejoindre sa compagnie cantonnée à Bracquencourt après s'être rendu à Barlin, à Haillicourt et à Coupigny.

Cette accumulation d'agissements contraires à la discipline militaire sur une période aussi courte lui vaut de comparaître pour la troisième fois devant le conseil de guerre de la 43e D.I. qui siège au Quartier Général à Hersin-Coupigny, le 25 octobre 1915.

Il doit répondre cette fois-ci des infractions suivantes :

1°) le 28 août 1915, abandon de poste sur un territoire en état de guerre à Eps (Pas-de-Calais)

2°) le 28 août 1915, grivèlerie à Eps (Pas-de-Calais)

3°) le 23 septembre 1915, abandon de poste en présence de l'ennemi à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle (Pas-de-Calais)

4°) entre le 23 septembre et le 1er octobre 1915 et le 2 octobre 1915, désertion en présence de l'ennemi.

Le conseil de guerre est composé de la façon suivante :

Président : chef de bataillon Collet du 158e R.I.

Juges :

- chef d'escadron Perrier commandant les trains régimentaires de la 43e D.I.

- capitaine Rondet du 4e Régiment de chasseurs à cheval (commandant le 3e demi-régiment)

- sous-lieutenant Foucher du 158e R.I.

- adjudant Petit, du 12e Régiment d'artillerie de campagne        

Commissaire du gouvernement : lieutenant Toussaint Maurice

Greffier : officier Viriot Henri.

Par jugement du 25 octobre 1915, Julien Brignon est condamné à la peine de mort à l'unanimité sauf en ce qui concerne la question de savoir, 1°) s'il était coupable d'abandon de poste le 23 septembre au lieu-dit la Fosse 10 - 2°) si cet abandon avait eu lieu sur un territoire en état de guerre - 3°) s'il avait eu lieu en présence de l'ennemi. Ainsi aux questions 4, 5 et 6 portant sur ces trois points, il a manqué une voix pour atteindre l'unanimité.

Au cours de l'instruction et devant le conseil de guerre, Julien Brignon tente vainement de s'expliquer : "Je ne savais plus ce que je faisais. Si j'ai le malheur de boire un verre, je ne sais plus ce que je fais … Je ne me rappelle plus exactement ce que je fais. J'étais perdu." Il dira encore : "Depuis le 14 juillet, à la suite d'un bombardement, je n'ai plus toute ma lucidité d'esprit. Je ne comprends pas comment j'ai pu quitter ainsi mon régiment".

Les explications de Julien Brignon, considéré comme un récidiviste incorrigible, ne convainquent pas les membres du conseil de guerre. L'intervention d'un notable en sa faveur n'a pas eu plus d'influence. À l'annonce de son passage devant le Conseil de guerre, Julien Brignon avait écrit le 7 octobre à René Laederich, propriétaire d'usines de tissage et filature à Moussey, administrateur de la Banque de France d'Épinal de 1899 à 1913, puis Régent de la Banque de France ; cette lettre lui demandait une intervention en sa faveur.

La réponse transmise à Julien Brignon le 19 octobre semblait, par sa sécheresse, constituer une fin de non-recevoir : "(M. Laederich) a été très mécontent et vous fait dire qu'il n'aurait jamais cru ça de la part d'un Brignon, car votre famille est estimée à Moussey. Et c'est justement au moment où l'on se bataille beaucoup que vous avez commis votre faute, risquant d'être en prison le jour où vos camarades avanceront. Vous n'avez pas fait honneur à vos frères et sœurs…".

Pourtant, dans le même temps, le 18 octobre, cet industriel adresse au commissaire rapporteur du gouvernement une lettre qui expliquait, mieux que ne saura le faire l'intéressé, les raisons de son effondrement moral :  "Me permettez-vous…. d'apporter à ce pauvre Brignon le seul témoignage de moralité sur lequel il puisse compter aujourd'hui, puisqu'il appartient à une région des Vosges envahie depuis 14 mois et que par conséquent nulle autre voix que la mienne ne peut s'élever en sa faveur.

Je connais depuis de longues années la famille Brignon qui travaille dans mes établissements de Moussey. Elle est tout à fait honorable. Six fils et trois gendres sont au front. Les parents, évacués de Moussey vers la fin d'avril dernier, sont actuellement réfugiés dans les Basses-Pyrénées et vivent difficilement. Jules Brignon est en tout cas demeuré plus de 9 mois sans avoir eu la moindre nouvelle de sa famille. Il faut avoir été, comme je le suis, journellement en correspondance avec les soldats du front qui sont de nos villages encore aux mains de l'ennemi, pour se rendre compte de la dépression morale dans laquelle les a jetés la situation particulière dans laquelle ils se trouvent.

Si Brignon que j'ai toujours connu comme un bon et brave ouvrier a commis une faute assurément regrettable, peut-être est-il permis d'invoquer à sa décharge qu'il n'était plus tout à fait lui-même et que les épreuves qu'il a subies et l'ébranlement nerveux qui en est résulté le rendent moins responsable que ne le serait tout autre.".

Le lendemain, le défenseur du soldat Brignon, l'officier d'administration Membré, qui était officier d'approvisionnement à l'Ambulance 8/21, adresse pour avis au général, commandant la 43e D.I., un recours en grâce présidentielle, en faisant valoir en faveur du condamné :

- qu'il était le fils d'un Alsacien, ancien combattant de 1870,

- que ses cinq frères, nés comme lui en Alsace, combattaient dans les rangs français

- que sa volonté était affaiblie

- qu'il s'était lui-même rendu aux autorités militaires.

Depuis le 1er septembre 1914, les recours en grâce étaient suspendus sauf lorsque l'officier qui avait ordonné l'engagement des poursuites proposait une commutation de peine. En d'autres circonstances, il y aurait eu matière à trouver dans sa situation de détresse morale, telle qu'évoquée par René Laederich, des circonstances atténuantes justifiant la commutation sollicitée par son défenseur.

Mais le général Lombard, commandant la 43e D.I. s'y oppose. Il ordonne l'exécution de la peine.

Le 27 octobre 1915 à 7 h 00 à Hersin-Coupigny, Julien Brignon est fusillé par un piquet du 149e R.I., en présence des troupes du cantonnement en armes. Le procès-verbal d'exécution ne mentionne ni le nom du médecin-major qui a constaté le décès, ni celui de l'aumônier qui l'a assisté.

Tout le temps où il a été sous les drapeaux, en temps de paix comme en temps de guerre, Julien Brignon s'est toujours montré mauvais soldat, incapable de se soumettre à la discipline militaire, démontrant ainsi progressivement une totale et irréversible inadaptation aux contraintes de la vie militaire, notamment après son affectation au 149e R.I..

Il est vrai que la dispense d'exécution des deux premières sentences posées par le conseil de guerre de la 43e D.I. a pu le convaincre qu'il pouvait transgresser la discipline militaire en toute impunité.

Sa condamnation à mort avait-elle pour objectif d'éliminer de l'armée un soldat indiscipliné, ingérable et donc irrécupérable ; ou bien l’objectif était-il  d'escompter de son élimination un effet d'exemplarité à l'égard des troupes du 149e R.I. qui gardaient un bon état d'esprit et ne souffraient alors d'aucune propension à l'indiscipline ? Était-ce juste l'application des règlements ?

L’alcool l’a probablement conduit à sa perte. Le soldat Brignon s'est engagé dans une spirale de comportements répréhensibles dont l'issue ne pouvait être que le peloton d'exécution, comme le montrent les pièces de la procédure judiciaire conservées dans la base nominative des "fusillés de la Première Guerre mondiale" sur le site "mémoire des hommes".

En contradiction avec sa condamnation à la peine de mort, Julien Brignon figure sur le monument aux morts de la commune de Moussey sous le nom de "Jules Brignon", "Jules" étant son prénom d'usage ainsi que l'attestent les lettres des membres de sa famille et de René Laederich saisies dans le cadre de la procédure pénale militaire.

Il est assez fréquent que la participation financière des familles à la construction des monuments aux morts puisse conduire à faire quelques petits arrangements avec les textes : souscription en échange de l’inscription d’un soldat mort chez lui ou décédé après avoir été gazé bien après la signature de l’armistice ou encore fusillé. Ce fut probablement le cas de Jules Brignon.

Cette inscription sur le monument aux morts de Moussey est en quelque sorte une manière de montrer a posteriori que ce soldat perdu était malgré tout digne de compassion. Julien Brignon fut l'un de ces "pauvres diables" dont l'aumônier Pierre Henry disait, à chaque exécution : "Il me semble en voyant tous ces malheureux que c'est surtout de la pitié que j'éprouve pour eux, une immense pitié".

Son décès a été transcrit à l'état civil de Moussey avec la mention "décédé accidentellement".

Aucun recours en révision de sa condamnation ne sera exercé dans les années d'après-guerre.

Le soldat Brignon repose actuellement dans une sépulture individuelle dans le carré militaire du cimetière communal d’Hersin-Coupigny.

Sepulture Julien Brignon

C’est le seul de la fratrie à ne pas s’être marié. Julien Brignon n’a pas eu de descendance.

Il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante pour faire connaissance avec sa généalogie.

Geneanet

Sources :

Les registres de recensement de la commune de Moussey ont été consultés sur le site des archives départementales des Vosges.

Dossier individuel de Julien Brignon figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes.

 Le portrait est extrait de la revue « L’Essor » n° spécial 141 publiée en 1988.

La photographie de la sépulture du soldat Brignon a été réalisée par J.M.Laurent.

Ce texte  a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté les informations concernant la jeunesse du soldat Brignon et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour sa recherche qui a permis de remettre en lumière le parcours singulier de cet homme.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à T. Cornet, à J.M. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales des Vosges.

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