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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 décembre 2023

Février 1915 – un épisode tragique parmi tant d’autres sur le front d’Artois

Sur le front de Lorette - janvier et fevrier 1915

 

La zone occupée par le 149e R.I. dans la région de Noulette, en janvier et février 1915, reste particulièrement dangereuse. Les bombardements réguliers et les fusillades quotidiennes tuent presque chaque jour.

 

Pour preuve, le commandant Laure, sous le pseudonyme de Henri René, évoque, dans son livre « Jours de Gloire, jours de Misère… », les évènements tragiques entourant la mort de deux de ses officiers subordonnés, les sous-lieutenants Colnenne et Baranger qui ont été enterrés dans le petit cimetière de Sains-en-Gohelle.

 

« À Noulette, où nous entrons en secteur à la fin de janvier, ce n’est guère plus brillant. Sur la plus grande partie de notre front, nos tranchées sont à contre-pente, sur les flancs de Lorette ou de la petite crête de Buval, et le fleuve de boue y descend comme en un déversoir.

 

Devant nos fils de fer gisent encore des cadavres de la malheureuse attaque du 17 décembre, au milieu d’un cloaque où les plus héroïques ne peuvent s’avancer. Dès que nous cherchons à faire sortir des hommes pour tenter d’accomplir un pieux devoir d’ensevelissement, ils sont fusillés à bout portant.

 

Quelle cruelle vision ! Plus bas, le « bois des Boches » est un marécage sur toute son étendue. On y patauge dans l’eau, c’est glacial et pénétrant. Il faut la santé de fer que nous avons acquise dans nos épreuves pour n’y risquer que la fatale gelure et n’y contracter aucune de ces maladies dont les courants d’air ou l’humidité nous faisaient redouter l’emprise… avant la guerre.

 

Lutte incessante contre l’envahissement des eaux. Les gabions, les claies, les fascines, les sacs-à-terre sont impuissants à dresser contre elles des remparts, et les travaux d’aménagement les plus soigneusement conduits n’aboutissent qu’à de nouvelles cataractes.

 

Je me souviens d’un triste réveil. On nous avait fait exécuter, au cours de la nuit, plusieurs démonstrations par le feu, sans doute pour donner le change sur des mouvements de relève s’effectuant en d’autres points du front.

 

Au jour, l’ennemi se venge et nous écrase sous une trombe de minen. C’est le moment où nous circulons pour assurer « la toilette de la tranchée ».

 

Presque tout le monde est dehors. Les pertes sont en quelques instants très élevées. Le sous-lieutenant C… de la 10e, a été projeté à 10 mètres au loin et gît, informe, dans un bourbier infect d’où nous ne pourrons le retirer qu’à la nuit.

 

Le sous-lieutenant B…, celui que nous aimions à appeler « l’Invulnérable », a reçu une bombe dans les jambes. Il est déchiqueté et ce sont des lambeaux, plutôt qu’un corps humain, que nous voyons emporter sur un brancard sanglant. Il a conservé toute sa connaissance.

 

Le lendemain matin, en descendant du secteur, nous nous rendons directement à la petite chapelle de l’ambulance à la «Fosse 10 » qui est notre cantonnement de repos.

 

Les deux cercueils de nos camarades, dans leur modeste encadrement de cierges, attendent les derniers honneurs. Sur chacun, le drap aux trois couleurs et la banale couronne commémorative que l’on trouve – hélas ! – si facilement à se procurer dans toutes les localités du front.

 

Les vareuses maculées de boue et de sang laissent tomber leurs manches à jamais vides.

 

Celle du sous-lieutenant B…, porte, au côté gauche ; le rouge éclatant de la croix de la Légion d’honneur qui vient de lui être décerné sur son lit d’agonie.

 

Figées dans un « garde-à-vous » le plus respectueux, huit statues d’argile veillent les corps. Des deux sections en deuil, ce sont les huit meilleurs braves, et les plus fidèles.

 

De leurs postes d’écoute avancés, ils sont venus directement à ce poste d’honneur, où l’émotion leur fait oublier les fatigues de plusieurs nuits d’insomnie.

 

À l’autel, un prêtre-soldat a revêtu l’aube blanche par-dessus ses effets sordides. Un brancardier l’assiste. Et ce sont des soldats aussi qui, le missel en main, psalmodient tristement le « Dies iræ » disant le bouleversement des cieux et de la terre. : Quanto cœli movendi sunt, et terra…

 

Et ce sont des guerriers, farouches dans leur haine, qui appellent sur nos défunts le repos bienfaisant de la paix : Requiescant in pace…

 

Au cimetière, les trous béants attendent leurs victimes, et deux croix vont s’ajouter encore au long alignement où les chefs, où les troupiers, où les riches, où les pauvres, où les pères, où les époux, où les fils confondent leur destinée suprême.

Le commandant dit nos adieux. La voix tremble dans ses larmes et se raffermit tout à coup lorsqu’il évoque la nécessaire, l’inévitable vengeance : « Adieu, chers amis, nous ne vous oublierons pas ! »

 

Le cortège se disperse lentement.

 

Maintenant, c’est la joie qu’on ne peut réfréner, de trois jours de repos en perspective.

 

Et dans la grande allée des corons populeux, la musique du régiment répète un air de valse… »

 

Pour en savoir plus sur la vie du sous-lieutenant Colnenne, cliquez sur l'image ci-dessous.

 

Edmond Joseph Colnenne

 

Pour en savoir plus sur la vie du sous-lieutenant Baranger, cliquez sur l'image ci-dessous.

 

Paul Marie Auguste Baranger

 

Sources :

 

« Jours de gloire, jours de misère… », livre d’Henri René. Éditions Perrin. 1917.

 

Le portrait du commandant Laure est extrait de l’encyclopédie libre  « Wikipédéa ».

 

Un grand merci à M. Bordes,  à F. Amélineau, à A. Carobbi et à la famille descendant du commandant Laure. 

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