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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 mai 2020

Eugène Louis Joseph Favier (1889-1915).

Eugene Louis Joseph Favier

Eugène Louis Joseph Favier naît le 18 avril 1889 au Martinon, un hameau dépendant de la commune iséroise de Viriville.

Sa mère, Henriette Eugénie Merlin, travaille comme ménagère. Elle est âgée de 28 ans lorsqu’elle donne naissance à ce premier enfant.

Son père, Louis Philippe Favier, un ancien ouvrier boulanger devenu cultivateur, est âgé de 27 ans.

Des trois prénoms inscrits sur le registre d’état civil, Henriette Eugénie et Louis Philippe choisissent le second comme prénom d’usage pour leur fils.

Le couple Favier donne vie à deux autres garçons en 1890 et 1897.

Genealogie famille Favier

La fiche signalétique et des services de Louis mentionne un degré d’instruction de niveau 3. Il a donc acquis les bases du calcul, de l’écriture et de la lecture.

Une fois sa scolarité primaire terminée, il devient aide-boulanger, une profession autrefois pratiquée par le père. Alimenter en farine la machine à tamiser et pétrir le levain devient le lot quotidien de l’adolescent. Le métier est contraignant, il faut exercer la nuit.

Conscrit de la classe 1909, Louis Favier est classé dans la 5e partie de la liste lorsqu’il passe devant le conseil de révision qui s’est réuni à Roybon en 1910. Les raisons qui ont motivé cet ajournement ne sont pas connues.

L’année suivante, Louis ne se présente pas devant le conseil de révision. Il est automatiquement classé dans la 1ère partie de la liste, déclaré « bon absent ». 

Le jeune homme est incorporé au 99e R.I. à compter du 1er octobre 1911.

Il est contre indiqué de prendre des risques pour tenter d’en faire un « bon fantassin ». Louis est mis entre les mains des médecins militaires et va devoir passer devant la commission de réforme du Rhône.

Le 13 octobre 1911, celle-ci diagnostique un « développement musculaire insuffisant avec des varices dans la jambe gauche et une mauvaise denture ». Cinq jours plus tard, le général commandant le département du Rhône décide de le faire classer dans le service auxiliaire avec maintenance au corps. Louis échappe aux longues marches et aux durs entraînements de la vie de soldat.

De retour à la caserne, il apprend qu’il est affecté à la 14e section de commis pour y exercer l'activité de boulanger. Cela semble être dans ses cordes puisqu’il connaît bien la profession, mais c’est sans compter sur ses manquements disciplinaires qui vont le conduire tout droit aux sections spéciales.

Le 18 août 1912, il est envoyé dans l’île d’Oléron dans une des trois sections spéciales ordinaires, anciennement administrées par le 6e R.I. de Saintes, qui dépendent du 123e R.I. de La Rochelle depuis l’application du décret du 28 mars 1912 portant sur la réorganisation de ces sections.

Le 14 mai 1913, il est affecté à la section spéciale ordinaire du 112e R.I. de Toulon à Entrevaux, puis, pour finir, à la section spéciale de transition de Sisteron qui dépend du 3e R.I. à partir du 1er juillet 1913.

Louis finit par s’amender. Le 13 septembre 1913, il est réintégré au 30e R.I.. Il est censé passer dans la réserve de l'armée active le 1er octobre 1913, mais il est maintenu au corps jusqu'au 14 novembre1913.

Sans surprise, son certificat de bonne conduite lui est refusé lorsqu'il quitte la caserne. Il retourne vivre à Viriville.

Viriville

De retour à la vie civile, Louis Favier retrouve son fournil.

Il est rappelé le 1er août 1914, pour cause de guerre. Il n’est pas envoyé au front avec les premiers réservistes. Le 1er septembre 1914, Louis Favier est réformé n° 2 par la commission spéciale de Chambéry pour « bronchite du sommet droit », ce qui signifie qu’il est atteint par la tuberculose au poumon droit.

Cette maladie ayant été contractée avant son incorporation, Louis ne touchera pas de pension.

Louis Favier, qui n'avait pourtant pas montré beaucoup d'intérêt pour la vie militaire, décide de signer un engagement volontairement pour la durée de la guerre le 17 décembre 1914. On peut s'interroger sur sa motivation à le faire. Céda-t-il à la pression de son entourage qui l’incitait à aller accomplir, comme les autres, son devoir de soldat, malgré sa maladie ?

Il rejoint le dépôt du 75e R.I. deux jours plus tard. Le 4 février 1915, il est affecté au 158e R.I. puis au 149e R.I. le 13 mars 1915.

Dès son arrivée dans le régiment spinalien, il se montre particulièrement réfractaire à la discipline militaire. Son penchant pour la boisson est très prononcé. Louis Favier est sanctionné pour les infractions suivantes :

- le 1er avril 1915, il se présente à une revue avec des armes et des effets très mal entretenus.

- le 20 avril 1915, il quitte le cantonnement sans autorisation et manque à l'appel du soir ; il ne revient qu'à 22 h 30.

- le 17 mai 1915, il s'enivre à l'arrivée au cantonnement. Le lendemain, il est toujours incapable de se tenir debout. Louis Favier manque une revue effectuée par le capitaine. Pour cet acte, il est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. pour ivresse publique et manifeste à Sains-en-Gohelle le 4 juin 1915. Il écope de soixante jours de prison.

Cette condamnation par le conseil de guerre aurait dû l'inciter à modérer son penchant pour l'alcool afin de rentrer dans le rang. Son intempérance va au contraire l'entraîner à commettre une série d'actes de désobéissance dont la gravité finira par le rendre passible de la peine de mort.

Le rapport initial du commandant de la 2e compagnie du 21 juin 1915, les interrogatoires de Louis Favier, les auditions de trois témoins et le rapport final du rapporteur commissaire du gouvernement nous permettent de connaître avec précision les circonstances dans lesquelles les infractions militaires reprochées à ce soldat ont été commises.

Le 14 juin 1915, la 2e compagnie du 149e R.I. quitte le cantonnement de Bracquancourt dans la soirée pour se rendre aux tranchées en vue d'une attaque dans le secteur de Noulette. Louis Favier parvient à suivre ses camarades bien qu'étant en état d'ébriété au moment du départ.

À l'approche des tranchées, à un moment où le bombardement est particulièrement violent, il déclare ne plus pouvoir avancer en raison d'une indisposition.

Il s'arrête alors au poste de secours à Aix-Noulette. Le médecin aide-major Cleu le déclare « non malade » mais « en état d'ivresse ». Il le fait incarcérer au poste de police du 142e Régiment Territorial pour un dégrisement en lui donnant l'ordre de rejoindre sa compagnie dès le lendemain.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au 149e R.I. durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte du 16 juin 1915

Le 15 juin, au petit matin, au lieu d'exécuter cet ordre, il s'esquive du poste de police pour aller boire en compagnie d'un autre soldat.

Le sergent-major Grumbach, qui a été informé de sa présence dans un café à Aix-Noulette, se déplace pour lui intimer l'ordre de rejoindre sa compagnie.

Louis Favier demande alors une seconde visite. Cette visite se révélant de nouveau infructueuse, le même médecin lui renouvelle l'ordre de rejoindre immédiatement son poste. Au lieu d'obéir, le soldat Favier demeure à Aix et passe la nuit à la Malterie.

Dans l'après-midi, vers 16 h 00, le caporal d'ordinaire se rend à la Malterie pour le conduire lui-même aux tranchées. Il le trouve couché, vraisemblablement ivre, ne bougeant plus et ne répondant à ses appels que par des sons inarticulés.

Vers 8 h 30, Louis Flavier se soumet à l'ordre que lui réitère le sergent-major Grumbach. Il se met en route pour rallier sa compagnie. Mais dans la soirée, avant même d'avoir rejoint celle-ci, il revient à Aix-Noulette en prétendant avoir été blessé par des éclats d'obus à la cuisse et aux bras aux environs des abris du Métro.

Sa blessure est jugée insignifiante. Une nouvelle fois, le même médecin lui donne l’ordre de retourner immédiatement aux tranchées.

Il fait mine d'obéir en repartant en direction du front, mais, à 21 h 00, il s'arrête aux abris du Ravin où il va y passer deux nuits et une journée.

Le 18 juin, plutôt que de gagner le front, Louis Favier prend délibérément la direction de l'arrière. Il finit par se rendre à un gendarme rencontré sur la route Aix-Noulette vers 17 h 00.

Il est ramené à Sains-en-Gohelle, à la Fosse 10. Le sergent-major le dépose au poste du 142e R.I.T., à Aix-Noulette pour être sûr qu'il rejoint bien sa compagnie. Ce qu'il finit par faire. Il la retrouve le 19 au matin, vers 2 h 00 ou 3 h 00 au moment où celle-ci, qui n'était plus en première ligne, était en train de se ravitailler.

Ce refus de rejoindre les tranchées au moment des combats s'inscrit dans la continuité d'un comportement rebelle à toute forme d'autorité. Cette attitude ne surprend pas ses supérieurs hiérarchiques qui le jugent de manière totalement négative.

Dans son rapport du 21 juin 1915, le sous-lieutenant Stehlin, qui dirige la compagnie, le dit sans nuance : « Le soldat Favier Louis est arrivé au corps le 13 mars 1915 avec le renfort du bataillon de marche du 158e R.I.. Dès son arrivée au corps, Favier s'est montré un soldat très médiocre, paresseux et animé d'un mauvais état d'esprit. Le 4 juin 1915, le soldat Favier était traduit devant le conseil de guerre et condamné à 2 mois de prison pour ivresse publique et manifeste et évasion du poste où il avait été conduit. Depuis cette date, il n'a pas cherché à racheter sa conduite antérieure… Favier Louis est un soldat très médiocre, paresseux, sale et animé d'un mauvais état d'esprit ».

Le lendemain, 22 juin 1915, le chef de bataillon réclame lui aussi sa traduction devant le conseil de guerre en portant sur la même appréciation négative : « Le soldat Favier est non seulement un ivrogne, mais un lâche qui a abandonné sa compagnie au moment où elle allait se battre. Il n'a jamais voulu la rejoindre, alors que par renseignement il aurait très bien pu le faire. Il mérite toutes les rigueurs du code de justice militaire ».

Le même jour, le lieutenant-colonel Gothié, commandant par intérim le 149e R.I., émet l'avis qu'il « ne mérite aucune indulgence » et que ce "mauvais soldat … doit être traduit devant le conseil de guerre pour ivresse (récidive) et pour abandon de poste en présence de l'ennemi ».

Le 23 juin, le général Lombard, commandant la 43e D.I., ouvre une information. Au cours de l'instruction, Louis Favier ne conteste pas les faits. Il explique qu'il avait bu avant de partir aux tranchées et qu'ensuite il ne savait plus ce qu'il faisait.

Le 8 juillet 1915, le général Lombard ordonne sa traduction devant le conseil de guerre qui siège le 10 juillet 1915, à 13 h 30. Le soldat Favier doit répondre des chefs de poursuite suivants :

- abandon de poste en présence de l'ennemi le 14 juin 1915.

- refus d'obéissance le 15 juin 1915 au sergent-major Grumbach, du 149e R.I. lui ordonnant de rejoindre sa compagnie.

- refus d'obéissance à l'ordre donné par le médecin aide-major Cleu, le même jour, de rejoindre sa compagnie.

- refus d'obéissance à l'ordre donné par le caporal Rencurel, le même jour, dans l'après-midi.

- refus d'obéissance à l'ordre donné le 16 juin par le médecin, aide-major Cleu.

- le 16 juin 1915, désertion en présence de l'ennemi.

Le conseil de guerre est composé comme suit :

- Président : Perrin, chef de bataillon du 31e B.C.P..

- Juges : Perrier, chef d'escadron, commandant les trains régimentaires de la 43e D.I. - Roudet, capitaine du 4e régiment de chasseurs à cheval, commandant le 3e demi-régiment - Nestre, lieutenant du 31e B.C.P. - Petit, adjudant du 12e  R.A.C..

- Défenseur : Schoumacker, officier interprète de la 43e D.I..

Louis Favier ne conteste rien de ce qui lui est reproché devant le rapporteur commissaire du gouvernement et ses juges. Il reconnaît sans difficulté qu'il avait bu avant de partir aux tranchées. Ce qui est nouveau pour sa défense, c'est qu'il explique qu'il n'a pu suivre sa compagnie jusqu'à la sortie de Boyeffles, ne pouvant marcher vite, en raison de la tuberculose qui avait entraîné sa réforme.

Trois témoins sont entendus au cours de l’audience, le médecin aide-major Cleu, le sergent-major Grumbach et le caporal d'ordinaire Rencurel. Nous retrouvons ici les trois hommes qui lui ont donné l'ordre de rejoindre les tranchées et qui ont essuyé un refus de sa part.

Le président demande au premier témoin si Louis Favier jouissait d'un état de santé normal. Le médecin répondit « 'il n'était pas à première vue dans un état de santé brillant, mais en ce moment il ne s'agit que de savoir si un homme peut marcher, or il le pouvait ».

Sur une question posée par le défenseur, il précise que du point de vue mental, un examen approfondi de l'intéressé ne lui était pas apparu nécessaire lors de sa visite.

Dès lors qu'une altération, même partielle, de ses capacités physiques ou mentales était écartée par le médecin, il ne pouvait plus bénéficier d'une atténuation ou d'une suppression de sa responsabilité pénale. En conséquence, il devait répondre pleinement de ses actes. L'audition du médecin signait en quelque sorte sa condamnation à mort.

On peut s'étonner de la rigueur de ce médecin à l'égard d'un soldat tuberculeux, mais elle s'inscrivait dans le droit fil de la nouvelle doctrine des commissions de réforme en matière d'incorporation.

Pour combler les vides creusés dans les effectifs par les hécatombes des premiers mois de guerre, celles-ci se montrent moins regardantes sur l'état de santé des nouveaux soldats et les services de santé valident, malgré les risques de contagion, l'incorporation ou l'engagement volontaire de la plupart des tuberculeux qui avaient été antérieurement réformés.

Ces soldats tuberculeux sont allés rejoindre la cohorte des "Récupérés", qu'ils soient diabétiques, cardiaques, cancéreux…ou atteints d'une autre pathologie grave, qui étaient dispersés dans les unités combattantes.

 Il est vrai que, pour prendre part à une guerre de tranchées et à des attaques de masse, il fallait des effectifs conséquents, peu important qu'ils soient renforcés, faute de mieux, par des soldats amoindris par la maladie, du moment qu'ils étaient, comme Louis Favier, déclarés apte à la marche. En outre, la mort sur les champs de bataille ne faisait pas de distinction entre les bien-portants et les malades.

Les deux autres témoins, le sergent-major Georges Grumbach et le caporal d'ordinaire Rencurel, exposent les faits sans être contestés par le prévenu. Le caporal d'ordinaire, à qui on demanda ce qu'il pensait de Louis Favier, répondit que c'était « un esprit faible, se laissant aller, sans initiative, peu causant. »

Un passé militaire peu glorieux et un refus ostensible et réitéré de rejoindre les tranchées ne pouvaient lui attirer aucune clémence. Son absence illégale qui a duré quatre jours et huit heures était, pour le conseil de guerre, injustifiable.

Dès lors qu'à Aix-Noulette, il y avait le sergent-major, le caporal d'ordinaire ainsi que les cuisiniers de la compagnie qui étaient allés plusieurs fois ravitailler la compagnie, il avait eu toute latitude pour rejoindre rapidement son unité.

Le 10 juillet 1915, le conseil de guerre, à l'unanimité, le déclare coupable d'abandon de poste en présence de l'ennemi et de quatre refus d'obéissance commis également en présence de l'ennemi. Louis Favier est condamné à la peine de mort avec dégradation militaire. En revanche, le conseil de guerre à voté à l'unanimité l'acquittement du chef de désertion. Il a sans doute considéré que l'intéressé n'était pas parvenu à quitter les zones occupées par l'armée en raison de la surveillance des routes par les gendarmes.

Le 11 juillet 1915, l'ordre est donné de procéder à l'exécution de Louis Favier.

Le 12 juillet, il est passé par les armes, conformément au règlement militaire, par un piquet du 149e R.I. à 5 h 00 à Coupigny.

Si les notes d'audience rendent amplement compte de l'interrogatoire de l'accusé, des déclarations des témoins, le procès-verbal d'exécution est, en revanche, succinct. Il ne précise pas les unités qui étaient présentes, ni à quel endroit le corps a été inhumé.

Le chef de bureau spécial de comptabilité du dépôt du 149e R.I. recommande au maire de Viriville d'informer, « avec tous les ménagements nécessaires », la famille de Louis Favier de son décès et de lui présenter "les condoléances de M. le ministre de la Guerre".

Cette lettre est le modèle type couramment utilisé pour annoncer une mort « au champ d'honneur ». Elle ne correspond absolument pas à la cause de la mort d'un soldat passé par les armes.

Après la guerre, les parents de Louis Favier tentent d'obtenir sa réhabilitation en s'adressant au député de l'Isère, Camille Rocher. Celui-ci interroge le ministre de la Guerre pour savoir si la famille pouvait obtenir sa réhabilitation en raison d'une citation qu'il a obtenue avant les faits ayant motivé sa condamnation.

Le 13 novembre 1923, le ministre lui répond qu'aucune trace de citation n'a été retrouvée et qu'en tout état de cause, selon les dispositions de la loi du 19 mars 1919, la réhabilitation n'était possible qu'à l'égard des condamnés cités à l'ordre du jour postérieurement à l'infraction et non antérieurement.

Cette réponse dissuade les parents de poursuivre leurs démarches.

Près de dix ans plus tard, la mère Henriette Marlin, qui est devenue veuve, n'a  toujours pas renoncé. Le 17 mai 1932,  elle dépose une requête tendant à la révision du jugement de condamnation de son fils.

Elle est représentée dans la procédure d'abord par André Rouast, professeur à la faculté de droit de Paris, puis par Louis Plateau, docteur en droit, directeur des services de l'Union fédérale des mutilés. Ce dernier est agréé par l'Union fédérale des associations françaises des anciens combattants.

Dans sa requête, Henriette Marlin rappelle que son fils avait été appelé à la mobilisation en 1914 et renvoyé dans ses foyers comme étant inapte, puis déclaré apte et qu'il était, sur sa demande, parti au front en 1915.

Elle produit, à l'appui de sa demande de révision du jugement de condamnation, une lettre, non datée, rédigée par quatre anciens mitrailleurs de la compagnie des mitrailleuses de brigade du 149e R.I..

Ces hommes rappellent que, lorsque l'abandon de poste a été relevé, Lucien Favier « s'était tout simplement enivré, ce qui lui arrivait fréquemment » et qu'il n'avait pu ainsi rejoindre sa compagnie.

Estimant que sa condamnation n'était pas justifiée, ils demandent la révision du jugement en faisant valoir qu'il avait été auxiliaire au début de la guerre et qu'il avait demandé à passer au service armé, ce qui lui avait été accordé. Ils font également valoir qu'il avait été proposé pour la croix de guerre et qu’il avait fait la campagne jusqu'en juillet.

Ils mentionnent en outre que son frère, de la classe 17, décédé des suites de la guerre, avait servi dans l'infanterie, et qu’il avait été cité et qu’il avait reçu la croix de guerre. Ils demandent que "la justice soit rendue à la mémoire du soldat Favier pour adoucir la peine de sa pauvre mère éplorée ".

Le 12 mai 1932, le maire de Viriville établit un certificat rappelant que Louis Favier avait été volontaire pour partir à la guerre, qu'il avait toujours été un bon citoyen et que s'il était « quelques fois pris par la boisson, il ne pouvait pas en être déduit qu'il était un ivrogne ».

Le conseiller général du canton, par ailleurs président d'une association d'anciens combattants, fait valoir que la famille Favier était digne d'intérêt. Les trois enfants du couple étaient morts, l'un avant la guerre, un autre, mobilisé pendant la guerre, était mort en janvier 1922. La mère, dont la détresse était immense, voulait réhabiliter la mémoire d'un fils qui lui avait écrit des lettres pleines d'amour filial et de patriotisme.

Il est vrai que dans une lettre du 13 mai 1915, versée à l'appui de la demande, Louis Favier écrit à ses parents qu'il était aux tranchées depuis 11 jours. Il fait savoir également qu’il a été cité à l'ordre du régiment le 12 mai à midi en ajoutant : « cela me laisse complètement indifférent pourvu que je puisse retourner vous embrasser et revoir mon cher pays, cela me suffit ! ».

La trace de cette citation n’a pas été retrouvée dans les archives du régiment. A-t-elle existé autrement que dans l’imagination de ce soldat ? Il est fort probable que Louis Favier, pour plaire à ses parents, se soit quelque peu vanté en s'attribuant une citation à l'ordre du régiment qu'il n'avait sans doute pas méritée. Cette façon de romancer la réalité peut se vérifier, dans une autre de ses lettres rédigée le 19 mai 1915.

Il a une façon toute particulière de leur écrire que, le lundi, il a « bu un verre » avec un compatriote rencontré fortuitement alors que, précisément ce jour-là, le lundi 17 mai, il s'est enivré à un point tel que le lendemain, il était encore « incapable de se tenir debout ».

De même, il leur décrit avantageusement sa participation aux combats : « J'ai repris du service et j'ai assisté à deux combats où nous avons fait du beau travail, ce qui m'honore, mon régiment aussi… » … « Nous avons attaqué les tranchées allemandes et réussi à les leur prendre et aussi nous avons fait 800 prisonniers et pris 26 mitrailleuses. Enfin, nous avons bien rempli notre journée, mais que voulez-vous, c'est la guerre. Espérons que la paix sera bientôt signée au profit de la France, bien entendu. ».

Cette description de sa vie de soldat courageux et patriote visait sans doute à susciter chez ses parents un sentiment de fierté, mais elle est peu crédible, étant aux antipodes de l'opinion peu flatteuse de ses chefs. Le rapporteur, commissaire du gouvernement, résumait ainsi : « Favier est un mauvais soldat » qui s'est signalé « immédiatement par sa paresse, son mauvais esprit et ses habitudes d'ivrognerie ».

Les interventions de notables et les lettres de Louis Favier transmises à la cour spéciale de justice militaire n'auront aucun impact. Cette juridiction n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de la requête pour la raison simple que celle-ci était irrecevable.

Dans un premier temps, le 1er juillet 1933, la cour spéciale va renvoyer l'examen de la requête en révision présentée par Madame Favier à l'audience du 22 juillet 1933. Le but est de lui permettre de produire les pièces établissant qu'entre le 11 novembre 1918 et le 11 novembre 1928, elle avait manifesté auprès d'une autorité judiciaire ou administrative sa volonté d'obtenir la révision du jugement de condamnation de son fils.

En effet, selon l'article 3, paragraphe 3, de la loi du 9 mars 1932, ne sont recevables que les demandes formées par les ayants droit dont la volonté d'obtenir la révision se sera manifestée par une requête adressée à une autorité judiciaire ou administrative, ceci  dans un délai de 10 ans à compter du 11 novembre 1918 et si le jugement est antérieur à cette date.

Au terme de l'audience de renvoi du 22 juillet 1933, la Cour, composée de trois conseillers à la cour d'appel de Paris, d'un lieutenant de réserve, d'un sergent, réformé de guerre et d'un soldat réserviste, relève l'irrecevabilité de la requête. Celle-ci n'a pas été précédée par une manifestation de volonté d'obtenir la révision dans le délai de dix ans, ouvert à compter du 11 novembre 1918.

La Cour constate en effet qu'une telle manifestation de volonté ne résulte pas seulement des pièces produites et des démarches faites en 1923 par le député Rocher. L’intervention de ce député consistait à se renseigner auprès du ministère de la guerre sur la possibilité d'obtenir la réhabilitation du soldat Favier, en raison d'une citation obtenue par ce militaire ; il ne s’agissait pas d'obtenir la révision en application de la loi du 29 avril 1921.

Les archives relatives à la demande du député n'ayant pas été conservées par le ministère de la guerre, il ne subsistait donc que la réponse ministérielle à cette demande de renseignements. Ce fut insuffisant pour fonder la recevabilité de la requête de la veuve Favier. Son fils ne sera donc pas réhabilité.

C'est en définitive un curieux destin que celui de Louis Favier. Il aurait pu échapper au service actif en raison de sa tuberculose mais il s'engage volontairement pour combattre sur le front. Ensuite, son comportement d'ivrogne indiscipliné fera passer au second plan la maladie qui rongeait ses poumons ce qui l’a privé du traitement humain que justifiait sa situation de soldat tuberculeux dans l'enfer des tranchées. Au lieu d'être écarté de l'armée par un renvoi dans ses foyers il en sera éliminé par les balles d'un peloton d'exécution.

Le corps du Louis Favier repose actuellement dans le carré militaire du cimetière communal d'Hersin-Coupigny. Sa tombe porte le n° 111.

Sepulture Louis Favier

Le nom de cet homme est gravé sur le monument aux morts de la commune de Viriville.

Monument aux morts de la commune de Viriville

Louis Favier est resté célibataire et n’a pas eu de descendance.

Sources :

Dossier individuel d’Eugène Louis Joseph Favier figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Le registre de recensement réalisé en 1906 de la commune de Viriville et les fiches signalétiques et des services des trois frères Favier ont été consultés sur le site des archives départementales de l’Isère.

Le texte qui suit a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté les informations sur la jeunesse du soldat Favier et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son étude qui a permis de remettre en lumière le parcours de ce soldat.

Pour en savoir plus sur les soldats tuberculeux, voir l'article de Pierre Darmon intitulé "La grande guerre des soldats tuberculeux. Hôpitaux et stations sanitaires", publié dans les Annales de démographie historique 2002, n° 1, page 35 à 50.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à G. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de l’Isère.

22 mai 2020

Edmond Édouard Gerbex (1889-1916).

Edmond Edouard Gerbex

Le 30 septembre 1889, Edmond Édouard Gerbex voit le jour en Suisse, à Chêne-Bourg. Ce petit village jouxte la frontière française et dépend du canton de Genève. La famille Gerbex est venue s’y installer après avoir vécu un moment chez les beaux-parents maternels au Grillon, un hameau rattaché à la commune de Choisy. Elle s’installe ensuite quelque temps au hameau de Vallard, près du village de Gaillard.

Le père, Charles, est un Savoyard né à Viviers en 1839. Cet homme, qui ne sait pas écrire, travaille comme agriculteur. Toute sa vie, il a poussé la charrue et participé aux récoltes pour de nombreux propriétaires terriens français et suisses. Il n’a probablement jamais eu l’occasion de faire l’acquisition du moindre lopin de terre pour assurer ses vieux jours. La mère, Jeannette Dumas, est née en 1842 à Choisy, une commune de Haute-Savoie. Elle œuvre chez son père les premières années de son mariage. À Gaillard, elle exerce le métier de ménagère. Après la naissance d’Édouard, les Gerbex s’établissent à Rolle, dans le canton suisse de Vaux.

Genealogie famille Gerbex

La fiche matricule d’Édouard mentionne un degré d'instruction de niveau 3. Il a acquis les rudiments de savoir prodigués par l'école suisse de langue française.

Sa fiche signalétique et des services nous apprend également qu’il a été recensé dans la commune française de Reignier et qu’il a pratiqué le métier de boucher. Pour quelle raison a-t-il été enregistré dans cette commune de Haute-Savoie ? Il est impossible de le savoir. Son nom n’a pas été retrouvé dans les registres de recensement des années 1901 et 1906.

Edmond Édouard Gerbex est classé dans la 1ère partie de la liste de l’année 1910 par le conseil de révision. Le 4 octobre 1910, il est à Chambéry, pour être affecté à la 6e compagnie du 13e B.C.P. qui est installé à la caserne Joppet.

Ses premiers mois au bataillon montrent qu'il n'est pas un sujet facile, n'hésitant pas à répéter "Je m'en fous" quand un sous-officier lui annonce une punition. Il s'enferme alors dans une attitude qui va régulièrement le conduire en prison.

En février 1911, Édouard est informé par dépêche que sa mère est gravement malade. Il obtient de ses chefs une permission de 24 heures pour se rendre à son chevet, mais il ne rentre pas dans les délais. Inscrit « manquant à l’appel » le 24 février 1911, il est enregistré comme déserteur à partir du  3 mars. Le 6, il revient de lui-même à la caserne. Aussitôt arrêté, il apprend qu’il va être traduit devant le conseil de guerre du 14e C.A..

Le 18 avril 1911, celui-ci le condamne à une peine de 1 an et deux mois de prison avec sursis pour désertion à l’étranger et vol militaire.

Cette sanction le fait muter au 22e B.C.P.. Le 6 mai 1911, le chasseur Gerbex se rend à Albertville, à la caserne Songeon, où il est aussitôt envoyé à la 3e compagnie. Le 1er juillet 1912, il passe à la 2e compagnie du bataillon.

Édouard Gerbex a régulièrement pris des libertés avec la discipline militaire durant ses passages au sein des deux B.C.P.. Il fut sanctionné pour de nombreux manquements : refus de refaire son paquetage, de faire son lit, de prendre son service de manutentionnaire, vol au préjudice d'un camarade, perte d'un bourgeron, mauvaise volonté dans l'exécution de tout travail, retour tardif de permission et enfin désertion en pays étranger. Ces infractions lui vaudront d'être détenu 54 jours en salle de police, 73 jours en prison et 8 jours en cellule d'isolement. Sans surprise, Édouard est maintenu au corps lorsque ses camarades de la classe 1910 quittent le bataillon à la fin de leurs obligations militaires. Le 15 décembre 1912, il laisse ses effets militaires derrière lui ; bien évidemment, son certificat de bonne conduite ne lui a pas été accordé.

Le lendemain, il passe dans la réserve de l'armée active. Il se retire alors en Suisse, pour s'installer rue de la Cité à Genève.

On ne connaît presque rien du parcours de cet homme durant les deux années qui suivirent son retour à la vie civile, si ce n’est qu’a la fin du mois février 1913, il est de nouveau installé à Chêne-Bourg. Y a-t-il exercé une activité professionnelle stable ? Celle de boucher ou de manœuvre qu'il a pratiquée successivement ou une autre ? Que s’est-il passé dans la vie d’Édouard pour que nous le retrouvions à vagabonder sur les routes de Haute-Savoie durant les mois qui précédèrent la guerre ? Nous n’avons pas de réponses satisfaisantes à donner à toutes ces questions.

Son parcours erratique fut jalonné par quatre condamnations pour infractions de droit commun. Le jeune homme est plusieurs fois jugé, sous le nom de "Gerbaix". Le 26 décembre 1913, Édouard est condamné une première fois à Saint-Julien-en-Genevois. Il est puni de 6 jours de prison avec sursis pour filouterie d'aliments. La seconde fois, il se fait prendre à Nantua le 14 janvier 1914. Sursis oblige, il doit effectuer, en plus de sa nouvelle condamnation, 10 jours de prison pour filouterie d'aliments et vagabondage. Le 29 janvier 1914, il est encore arrêté à Saint-Julien-en-Genevois. Son errance de « trimardeur » lui vaut une troisième sanction. Cette fois-ci, la peine est plus sévère, il doit passer un mois derrière les barreaux.

Le 26 mai 1914, il est arrêté à Grenoble pour le même délit. Il retourne en prison pour un mois.

De nouveau libre, il ne sait pas encore qu’il va bientôt être dans l’obligation de revêtir l’uniforme. Des signes de guerre contre l’Allemagne sont de plus en plus perceptibles, mais personne n’y croit vraiment.

Les quelques mois de vie errante, les multiples petits séjours en prison et son aversion de la discipline militaire ne prédisposent pas Édouard Gerbex à rentrer dans le rang lors de son retour sous les drapeaux.

Il est envoyé au service auxiliaire puis classé "service armé" par la commission de réforme de Grenoble du 23 décembre 1914. Il est d'abord affecté à la 28e compagnie du 30e R.I. qui est stationné à Grenoble, dans les bâtiments de la caserne Decoux.

Le 3 février 1915, Édouard est affecté dans une compagnie de mitrailleuses au 158e R.I. avant d'intégrer la 3e compagnie du 149e R.I. à partir du 23 mars 1915.

Le 9 mai 1915, cette dernière se distingue, au prix de lourdes pertes, sur le champ de bataille d'Aix-Noulette, en prenant trois tranchées successives, malgré une canonnade intense et les feux convergents de l'artillerie et des mitrailleuses ennemies.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant la journée du 9 mai 1915, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

journee du 9 mai 1915

Édouard Gerbex est blessé par un éclat d'obus au cours de ce combat. Il est transféré dans un hôpital auxiliaire à Caen le 11 mai 1915 pour y être soigné durant 3 mois et demi.

Une fois guéri, il retrouve son ancienne unité le 28 septembre 1915. Le 149e R.I. est toujours sur le front d’Artois. Le régiment vient de subir d’énormes pertes au cours des journées précédentes, pertes provoquées par de violents combats qui eurent lieu dans le secteur du bois en Hache. 

La 3e compagnie du 149e R.I., sous les ordres du capitaine Cochain, a été citée à l'ordre de l'armée le 23 juin 1915 pendant que celui-ci était à l’hôpital. Pour attester de sa participation à l’attaque du 9 mai, il lui sera remis une copie de cet ordre portant mention de son nom.

Cette copie est signée le 17 janvier 1916 par le lieutenant-colonel Gothié, l’officier qui commande le 149e R.I..

Le passage d'Édouard Gerbex à la 3e compagnie est marqué par une alternance du meilleur et du pire.

Moins d'un mois après son retour, alors que sa compagnie est en 2e ligne aux environs d'Aix-Noulette, au chemin creux, l'intéressé quitte son travail de nuit le 10 octobre 1915 vers 22 h 00, en abandonnant tout son équipement. Il regagne alors l'arrière et ne réapparaît que le 17 octobre 1915, à 19 h 45, en se rendant à la gendarmerie de Barlin, localité située à quelques kilomètres d'Aix-Noulette.

Pour ces faits, le 18 novembre 1915, il est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. à une peine de 5 ans de détention et de 5 ans d'interdiction de séjour ; la justification de cette peine est « abandon de poste sur un territoire en état de guerre et désertion en présence de l'ennemi ».

Comme il est souvent d'usage, le général, commandant la 43e D.I., prononce la suspension de sa peine pendant la durée du conflit. Édouard Gerbex est muté à la 10e compagnie du même régiment le 26 novembre 1915. Cette mesure de  « clémence » ne change rien à son comportement.

Le 8 mars 1916, il commet l'irréparable en quittant une nouvelle fois sa formation dans des conditions qui lui vaudront, cette fois-ci, une condamnation à la peine de mort par le même conseil de guerre.

Ce jour-là, sa compagnie a dû s'abriter contre un bombardement intense dans une tranchée creusée dans un bois, au nord de Verdun. Elle reprend vers 20 h 00  sa marche en direction des lignes ennemies, à proximité de Fleury. À l'arrivée, à 23 h 00, l'absence du soldat Gerbex est constatée. Une enquête rapide et immédiate révèle qu'il a bien quitté le bois avec son escouade, mais qu'on a perdu sa trace au cours de la marche. Comme aucun élément ne laisse supposer qu'il a abandonné volontairement la colonne, il est porté disparu.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur la carte postale suivante.

Batterie de l'Hôpital 1

L'affaire prend une autre tournure lorsque, le 17 mars, à 13 h 30, le soldat Gerbex est arrêté par la gendarmerie à Dieue-sur-Meuse, au sud de Verdun.

Interrogé, il explique que le 8 mars, il s'était abrité derrière le talus de la route du fort de Souville pour laisser passer quelques rafales d'obus, qu'il avait pris peur et qu’il n'avait pas osé sortir de son abri lorsque la troupe avait repris la marche.

Selon ses déclarations, il n’a pas pu retrouver la direction suivie par sa compagnie. Il est alors retourné dans le bois où celle-ci avait bivouaqué. Après une première nuit passée dans ce bois, il abandonne son équipement, ses armes et ses effets pour prendre la direction de Verdun en s'arrêtant dans un village dont il a oublié le nom.

Quelques jours après, il gagne Dieue-sur-Meuse, où il a séjourné jusqu'à son arrestation. Edmond Gerbex achète sur place de la nourriture ou il se la procure auprès des cuisines roulantes stationnées dans ce village.

Le 11 mars, il rencontre un caporal de sa compagnie à qui il déclare, pour dissiper son attention, qu'il était malade et qu'il se rendait dans une infirmerie.

Le capitaine Bonnaud, commandant de la 10e compagnie, porte un jugement négatif, sans nuance, sur le comportement de ce soldat à la fin du rapport qu'il rédige sur les faits le 19 mars 1916.  

"Gerbex est le type du mauvais soldat, indiscipliné, fainéant, constamment malade, il cherche par tous les moyens à se soustraire à ses obligations militaires. Sa conduite dans l'armée active a été mauvaise et depuis le début de la campagne, il ne s'est pas amendé." Rappelant ses deux précédentes condamnations par un conseil de guerre, il estime qu'en raison "de sa mauvaise conduite habituelle et de sa récidive, Gerbex ne mérite aucune indulgence" et que sa traduction devant le conseil de guerre s'impose pour "abandon de poste en présence de l'ennemi, désertion en présence de l'ennemi avec dissipation d'armes, d'effets et de vivres.".

Cette proposition de renvoi devant le conseil de guerre est approuvée par tous les niveaux de la hiérarchie militaire. Partagé par le lieutenant-colonel Abbat, qui commande par intérim le 149e R.I., l'avis du chef de bataillon de Witkowski, commandant le 3e bataillon du 149 R.I., est catégorique.

"Soldat indigne, condamné plusieurs fois, il n'y a plus lieu d'espérer aucun relèvement – mérite toute la rigueur du code de justice militaire".

Se conformant à l'avis du général Guillemot, commandant la 85e brigade, qui demande un renvoi devant le conseil de guerre, le général de Boissoudy, commandant la 43e D.I., donne l'ordre d'informer contre ce soldat le 23 mars 1916.

Au cours de l'information, l'audition des témoins et l'interrogatoire du prévenu par le sous-lieutenant Le Féron, rapporteur commissaire du gouvernement, n'apportent aucun élément nouveau sur les faits reprochés à Édouard Gerbex.

Le 31 mai 1916, le général de Boissoudy ordonne son renvoi devant le conseil de guerre de la 43e D.I. à une audience fixée au 2 juin 1916.

Il désigne comme président de cette juridiction le chef de bataillon Tixier, chef du 3e B.C.P. et, comme juges, le chef d'escadron Deboscq du 158e R.I., le capitaine Daniel du 31e B.C.P., le sous-lieutenant Mengel du 3e B.C.P. et l'adjudant Malerne du 12e régiment d'artillerie de campagne.

Le maréchal des logis Zittel du 12e régiment d'artillerie de campagne fut désigné pour défendre le soldat Gerbex.

Au cours des débats, Édouard Gerbex reconnaît les faits sans chercher à les minimiser. Il déclare regretter sincèrement sa faute et demande à pouvoir la racheter.

Le greffier note qu'à l'audience, "il n'a fait aucune déclaration nouvelle susceptible d'atténuer la gravité de sa faute ou pouvant plaider en sa faveur. Il a donné l'impression d'un caractère sans énergie, d'une intelligence au-dessous de la moyenne".

Pour résumer la teneur des pièces du dossier, Édouard Gerbex appartient à la catégorie des "mauvais" soldats. Il fait partie de ceux qui restent réfractaires à toute forme de discipline militaire et qui, de manière coutumière, font preuve d'inertie, de paresse, de mauvaise volonté ou encore de négligence dans l'accomplissement de leur devoir de soldat.

En quittant sa compagnie le 8 mars 1916, l'intéressé n'a pas eu conscience de la gravité de son acte qui se situait dans le droit fil de son comportement habituel. Il décide de ne pas remonter au front avec sa compagnie. Il rejoint l'arrière sans mesurer les conséquences de son acte, comme s'il s'était agi pour lui d'échapper à une simple corvée ou à une manœuvre quelconque.

À l'unanimité, le soldat Gerbex est condamné à la peine de mort, le chef d’accusation étant l'abandon de poste en présence de l'ennemi commis le 8 mars 1916 sur la route du fort de Souville. Sa culpabilité est également retenue pour avoir "dissipé les armes et effets remis à lui pour le service". En revanche, le conseil de guerre, toujours à l'unanimité, écarte, sans logique ni raison apparentes, la désertion en présence de l'ennemi.

Il est vrai que, dans la mesure où l'abandon de poste en présence de l'ennemi était pleinement caractérisé, la peine de mort qui s'applique à cette infraction suffit pour éliminer ce soldat. Le jour même de la condamnation, le général de Boissoudy ordonne l'exécution de la peine de mort qui eut lieu le lendemain, 3 juin 1916, à 4 h 00, à Saint-Jean-sur-Tourbe dans la Marne.

Saint-Jean-sur-Tourbe

Même s'il comporte toutes les mentions exigées par les textes militaires sur le déroulement du cérémonial, le procès-verbal d'exécution est succinct. Il ne donne aucun renseignement sur le lieu exact de l'exécution ni sur celui de l'inhumation.

Pour en savoir plus sur la fin d'Édouard Gerbex, il faut se reporter aux notes rédigées par l'aumônier qui l'a assisté. L'abbé Henry, aumônier divisionnaire, en fait le récit dans son journal de guerre du 3 janvier 2016 en ces termes : "…Il faut être à 3 heures et demie à Saint-Jean pour l'exécution d'un pauvre type du 149e R.I.. Son crime : "abandon de poste devant l'ennemi". C'est encore Verdun qui nous vaut cela. Réveil à 2 heures du matin. Départ avec Bonnefous à 2 heures 3/4. Il a plu toute la nuit ; il fait froid, froid de toutes façons.

La triste corvée s'est accomplie avec le rite habituel. Le commandant de gendarmerie, le rapporteur sont là à l'heure dite pour le réveil du condamné. C'est un pauvre malheureux, encore un sans famille, classe 1909. Je me suis entretenu avec lui dans le box étroit transformé en prison. Il fut courageux, très courageux. Je lui demande s'il veut voir son avocat : "A quoi bon, il est trop tard !". " Au revoir les amis !" crie-t-il d'une voix ferme à ses compagnons de captivité. "Il faut monter là-dedans", dit-il, en apercevant la voiture, "j'aurais bien été à pied".

L'exécution s'est faite à 100 mètres du village. Le malheureux s'est affaissé comme une masse ; le sergent lui a donné le coup de grâce d'une façon assez maladroite d'ailleurs. Est-il mort sur le coup ? Ce n'est pas sûr ; le médecin affirme qu'il a eu un dernier râle pendant le défilé des troupes.

Enterrement au cimetière voisin. Le procureur, un nouveau qui succède à Toussaint évacué, l'avocat, un maréchal des logis du 12e d'Artillerie sont fort émus. Le premier vient du 9e corps où la discipline est beaucoup plus paternelle, dit-il. L'avocat a peine à prendre son parti de n'avoir pu faire échapper son client à la mort ; pour obtenir sa grâce, il a multiplié, mais en vain, toutes les démarches possibles.

À noter une attente très désagréable de quelque temps, attente imposée par le capitaine de gendarmerie ; il n'est pas tout à fait l'heure ! La forme, même en cet instant tragique, ne perd jamais ses droits !".

Après la guerre, la dépouille du condamné fut exhumée du cimetière communal de Saint-Jean-sur-Tourbe. Elle fut transférée au cimetière militaire de la nécropole nationale, édifiée en 1922 à la sortie du village qui regroupe les corps des militaires inhumés dans les différents cimetières du secteur.

Sepulture Edouard Gerbex

La tombe de cet homme porte le n° 397. La plaque indique son nom suivi de son premier prénom d'état civil, "Edmond", son régiment, le 149e R.I., ainsi qu'une date erronée. Édouard Gerbex a été fusillé le 3 juin 1916 et non le 3 juin 1915.

 

 Sources :

Fiches signalétiques et des services de la fratrie Gerbex lues sur le site des archives départementales de la Haute-Savoie. Les registres de recensement des années 1901 et 1906 de la commune de Reigner ont également été consultés.

Dossier individuel du soldat Gerbex figurant dans la base de données des militaires et civils qui furent fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

La citation à l’ordre de l’armée de la 3e compagnie du 149e R.I. est extraite du dossier du soldat Gerbeix consultable sur le site « mémoire des hommes ».

La cellule familiale a été recomposée à partir du site « Généanet ». Plusieurs arbres généalogiques ont dû être visualisés.

La photographie de la sépulture du soldat Gerbex a été réalisée par J.M.Laurent.

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté des éléments concernant la jeunesse du soldat Gerbex et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.M. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de la Haute-Savoie.

15 mai 2020

Ouest du bois en Hache, 28 septembre 1915.

Journee du 28 septembre 1915

Les attaques menées la veille par le 149e R.I. ont toutes échoué. Elles se sont brisées devant les réseaux de fil de fer allemand restés intacts malgré les bombardements ; elles ont été cassées net dans leur élan, par les tirs de barrage et par les rafales de mitrailleuses ennemies. La progression est quasiment nulle pour toute cette journée.

En fait, le terrain conquis par les différentes unités de la 43e D.I. depuis le 25 septembre est bien inférieur à ce qu’avaient prévu les officiers supérieurs qui ont planché sur les plans d’attaques dans ce secteur.

La première étape était de progresser à l'intérieur du bois en Hache, elle n'est toujours pas atteinte. Les moulins Buquet et de l'Hirondelle sont encore loin.

Les moulins Buquet et de l'Hirondelle

La situation du 149e R.I. est la même que celle de la division.

Dans la nuit du 27 au 28, des hommes du régiment ont été envoyés pour effectuer plusieurs reconnaissances afin d’évaluer la situation.

Carte 1 journee du 28 septembre 1915

Legende carte 1 journee du 28 septembre 1915

Le lieutenant-colonel Gothié rédige ensuite un compte-rendu complet à partir des informations qui lui ont été transmises.

« Après les reconnaissances qui ont été effectuées sur le terrain par le commandant Schalck et par le capitaine du génie Fournier, il a été reconnu que la sape 4 prolongée atteignait en fait le point G11 et non, comme on le croyait, le point g10. 

Le capitaine Guilleminot croyait être en g10. Il était en réalité en g11. Le point g10 reste fortement occupé par des mitrailleuses allemandes.

Sur tout le front e22, e30, e18, g10, g7, g2, g1 et le point g10, les patrouilles ont été accueillies à coups de fusils et de grenades.

Des mitrailleuses se sont révélées en e14, e31, entre d25 et d22 vers d10, g10, g2 et e13.

Les défenses accessoires ennemies sont à peu près intactes partout ou à peine entamées sur le bord ouest. »

Quelque temps plus tard, le responsable du régiment reprend sa plume pour faire un nouvel écrit. Cette fois-ci, il rédige un compte-rendu sur les travaux qui ont été réalisés au cours de la nuit.

« Pour le 10e B.C.P. : continuation de l’organisation du quadrilatère conquis e24, e26, e12 et e17. Amélioration des tranchées de départ et des boyaux complètement bouleversés par les tirs d’hier.

Pour le 2e bataillon du 149e R.I. : amélioration de l’ancienne tranchée allemande partant de g11 vers le nord. Organisation d’un poste d’écoute au point extrême. Amélioration de la tranchée g11, g12 et des sapes entre e7 et f11.

Pour le 1er bataillon du 149e R.I. : amélioration de la tranchée conquise en g12. Reconstitution des tranchées et parallèles de départ aux environs de la sape 5.

Pour le 3e bataillon du 149e R.I. : amélioration de la tranchée conquise vers g16. Installation d’une mitrailleuse en ce point pour enfiler la lisière nord du bois en Hache.

Amélioration des tranchées g15, g19 et g12, g13.

Le génie, sous les ordres du capitaine Fourrier, doit élargir la liaison entre la sape 4 et g11. Prolongement de la sape 5 vers g12. Amorce d’une nouvelle liaison entre la sape 6 et g13. Réparations des communications de l’arrière. Élargissement du carrefour. »

L’attaque du 3e B.C.P. menée sur m7, m19 et sur k8, k22, m4 au cours de la journée n’a pas eu de succès. La droite de cette attaque a dû revenir dans ses tranchées de départ après avoir subi de grosses pertes. Sa gauche dépasse légèrement k18. Mais elle est vite prise à partie par les tirs de mitrailleuses ennemies qui l’obligent à se jeter dans les premiers trous d’obus venus.

L’état des pertes subies par le 149e R.I. durant la journée du 28 septembre 1915, additionné à ceux des jours précédents, est transmis au lieutenant-colonel Gothié.

Etat des pertes du 149e R

Tableau des tués pour la journée du 28 septembre 1915

Tableau des décédés des suites de leurs blessures pour la journée du 28 septembre 1915

À la tombée de la nuit, les positions restent identiques à celles du début de la journée. Les hommes continuent de les consolider. L’offensive s’enlise.

Carte 2 journee du 28 septembre 1915

Legende carte 2 journee du 28 septembre 1915

Sources :

Les archives du S.H.D. de Vincennes ont été consultées.

La photographie du bois en Hache qui se trouve sur le montage a été réalisée par T. Cornet, le dessin par I. Holgado.

Concernant les deux cartes, une nouvelle fois, il n’a pas été possible de faire un travail de grande précision. De plus, les comptes rendus rédigés par le lieutenant-colonel Gothié ne correspondent pas tout à fait aux tracés des cartes consultées au S.H.D. de Vincennes. Les cartes réalisées n’ont donc qu’une valeur indicative.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à A. Chaupin, à T. Cornet, à I. Holgado, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et à l’association « Collectif Artois 1914-1915 »

8 mai 2020

Aimé Honoré Devaux (1893-1914).

Aime Honore Devaux

Natif du département du Jura, Aimé Honoré Devaux naît le 20 juin 1893 dans la commune de Chaux-du-Dombief où ses parents se sont mariés en 1880.

Son père, Séraphin Honoré, gagne sa vie comme cultivateur et comme camionneur. Cet homme, âgé de 41 ans, passe beaucoup de temps sur la route, livrant probablement fruits et légumes à Paris, ville où il a un pied-à-terre. Sa mère, Luce Defert a 29 ans. Elle exerce la même profession que son époux. Luce a déjà donné naissance à 6 enfants. Aimé est le benjamin de la fratrie.

Séraphin Honoré n’est pas présent à la naissance de son fils. C’est le garde champêtre Vital Petetin qui est chargé de venir déclarer l’enfant à la maison commune du village. Il est accompagné de l’épicier Paul Devaux et de l’instituteur Eugène Peuget. Les trois hommes sont reçus par le maire Joseph Émile Epailly.

La Chaux-du-Dombief

Aimé Devaux quitte l’école communale en sachant lire écrire et compter. C’est avec ce degré d’instruction de niveau 3 qu’il rejoint définitivement le monde du travail en tant qu’agriculteur.

L’année de ses vingt ans, il quitte la campagne jurassienne et le domicile parental pour aller effectuer ses obligations militaires. Aimé était le dernier des enfants de la fratrie à vivre chez Séraphin Honoré et Luce.

Il doit rejoindre le 149e R.I. qui est en garnison à Épinal, à la fin du mois de novembre 1913. Le jeune homme franchit le portail de la caserne Courcy le 29 novembre.

Fin juillet 1914, le régiment spinalien est en manœuvre au camp du Valdahon. Les menaces de guerre contre l’Allemagne s’accentuent. Le 149e R.I., qui fait partie des troupes de couverture, doit retourner à la caserne Courcy au plus vite.

Il quitte Épinal pour se rendre à la frontière le 1er août 1914, Aimé Devaux fait partie des effectifs de la 11e compagnie du 149e R.I. sous l’autorité du capitaine Erhard.

Le baptême du feu du 149e R.I. a lieu le 9 août 1914. La compagnie du soldat Devaux n’est pas engagée au début du combat. Cette compagnie est positionnée au sud-est du col de Sainte-Marie, avec le reste du 3e bataillon sous les ordres du commandant Didierjean. Ce bataillon ayant reçu une mission de surveillance de la route qui mène à Sainte-Marie-aux-Mines.

Les 1er et 2e bataillons sont en grande difficulté. Dans l’après-midi, le lieutenant-colonel Escallon donne l’ordre au capitaine Erhard de conduire un renfort composé de sa compagnie et d’autres d’éléments du 3e bataillon, au colonel Menvielle.

La 11e compagnie est de nouveau impliquée dans les combats qui se déroulèrent au nord d’Abreschiller le 21 août 1914 et dans ceux qui eurent lieu les 25 et 26 août du côté de Ménil-sur-Belvitte.

En septembre 1914, c’est la bataille de la Marne, le 149e R.I. participe à de violents combats qui se déroulent dans et autour du village de Souain.

Le 20 septembre 1914, à 13 h 30, Aimé Devaux se présente à l'ambulance 9/21 qui est installée à Raon-l’Étape. Le médecin-chef examine sa blessure à la main gauche. Il observe un premier "orifice circulaire d'un diamètre inférieur à un centimètre au niveau du 3e espace interosseux, qui est entouré d'une zone criblée de grains de poudre et un second orifice d'un diamètre très légèrement supérieur au premier, sur la face dorsale de la main en un point correspondant au premier orifice".

Le soldat Devaux a déclaré qu'il avait été blessé accidentellement par le fusil qu'il portait. Le médecin-chef ajoute à son rapport la mention : "blessure suspecte".

Ce rapport est communiqué à Aimé Devaux le lendemain, 21 septembre, par un sous-officier de police militaire. Cet homme est maréchal des logis à la prévôté du Quartier Général du 21e Corps d'Armée. Il lui notifie son inculpation pour blessures volontaires et procède à son interrogatoire.

Selon sa déposition, le 19 septembre 1914, vers 14 h 00, Aimé Devaux aurait quitté sans autorisation sa compagnie qui se dirigeait vers un village voisin de Souain pour aller satisfaire un besoin naturel en raison de coliques. Après un quart d'heure d'absence, il n'a pas retrouvé sa compagnie. N'ayant pu être renseigné utilement par les soldats présents à Souain, il est allé à la recherche de sa compagnie dans les bois environnants ou il a dormi toute la nuit.

Le lendemain, 20 septembre, alors qu'il poursuit ses recherches, des tirs d'obus l’obligent à s'enfuir en courant. Il chute, la face en avant, en se prenant les pieds dans des branches de sapins éparses. C’est au cours de cette chute qu'il fut blessé à la main gauche par un tir provenant de son propre fusil qu'il porte, à la bretelle, à l'épaule droite. Il ne s'explique pas comment cette blessure est survenue. Il pense que la détente du fusil a été accrochée par des branches lors de sa chute.

À la suite de ses explications confuses et peu convaincantes, le soldat Devaux fut contraint, devant l'enquêteur, de mimer l’évènement en portant un fusil Lebel à l'épaule droite. La démonstration est peu vraisemblable. Le sous-officier de police constate qu'une blessure accidentelle pendant la chute n'était pas compatible avec la position de l'arme. L'extrémité du canon se trouve beaucoup trop loin de la main gauche alors même que l'intéressé a chuté naturellement au cours de cette reconstitution et non lors d'une course. Invité à s'expliquer à nouveau, Aimé Devaux déclare : "Je ne sais comment cela s'est fait, mais le canon est resté en arrière et c'est ainsi que je me suis blessé".

Le 24 septembre, le général Lanquetot qui commande la 43e D.I. ordonne l'ouverture d'une information pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Aimé Devaux est entendu le 6 octobre par le rapporteur-commissaire du gouvernement. Il lui confirme sa déclaration précédente en précisant que, le 19 septembre, après avoir perdu le contact avec sa compagnie, il était retourné dans le bois de Souain où sa compagnie avait cantonné avant de se porter en avant de Souain.

Le lendemain, le 7 octobre 1914, le rapporteur-commissaire du gouvernement rédige un rapport requérant la traduction d'Aimé Devaux devant le conseil de guerre pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Le rapporteur juge invraisemblable que l'intéressé, portant son fusil à l'épaule droite, suspendu par la bretelle, ait pu être blessé par balle à la main gauche en tombant.

Il relève en outre que sa version des faits implique qu'il ait gardé son fusil chargé et armé, ce qui constitue une violation fautive des consignes. Le rapporteur juge retient également que, selon ses propres dires, au lieu de rejoindre sa compagnie qui se dirigeait en avant de Souain, il est, au contraire, retourné en arrière et qu'il a passé la nuit seul dans un bois au lieu de chercher à se rapprocher des autres corps de troupe qui se trouvaient en avant.

Au vu de ce rapport, le général commandant la 43e D.I. ordonne alors son renvoi devant le conseil de guerre siégeant le 24 octobre 1914, à 7 h 30.

Le conseil de guerre appelé à juger Aimé Devaux, est composé par :

- Le lieutenant-colonel Le Rond du 12e R.I., président

- Le chef de bataillon Hutteau d'Origny du 1er B.C.P.

- Le capitaine Dezautières du 4e Régiment de chasseurs à cheval

- Le lieutenant Van Crayelinghe du 3e B.C.P.

- Le sergent-major Martonosy du 3e B.C.P.

Le 24 octobre 1914, le conseil de guerre déclare Aimé Devaux coupable d'abandon de poste commis en présence de l'ennemi commis à Souain (Marne) le 19 septembre 1914. Si la déclaration de culpabilité fut acquise à l'unanimité, en revanche c'est par quatre voix contre une qu'il a été jugé que l'abandon de poste a été commis "en présence de l'ennemi". La question se posait en effet de savoir si l'abandon de poste avait été commis "en présence de l'ennemi" ou "sur un territoire en état de guerre" auquel cas il encourrait une simple peine de 2 à 5 ans de travaux publics. Si la blessure a été faite en première ligne, lors d'opérations de combat, l'abandon de poste est, à l'évidence, commis en présence de l'ennemi. Mais il peut y avoir un sérieux doute lorsque, comme en l'occurrence, le soldat se mutile au cours d'un déplacement de son unité, en dehors d'une phase de combat et sans être sous la menace directe de l'ennemi.

Le recours en révision ayant été suspendu par les décrets des 10 et 17 août 1914, le jugement est dès lors immédiatement exécutable. Aussi, le lendemain de la condamnation, le général Lanquetot, commandant de la 43e D.I., ordonna l'exécution de la décision du conseil de guerre le 26 octobre à 8 heures.

Une note de service du 25 octobre apporte des précisions sur le déroulement de l'exécution fixée au lendemain et précise notamment :

- qu'un détachement du 149e R.I. fournira le personnel, gradés et troupes, nécessaires à l'exécution,

- que le général commandant la 85e brigade présidera la cérémonie.

- que les troupes présentes sous le commandement du lieutenant-colonel, commandant le 143e Régiment Territorial, comprendront le bataillon du 143e Territorial stationné à Estrée, sauf la compagnie de service, quatre sections de chasseurs à pied, un peloton de l'escadron divisionnaire, une section du Génie, qui seront rassemblées à 7 h 45 en tenue de campagne.

- que le commissaire du gouvernement s'entendra avec le capitaine de gendarmerie et un aumônier du groupe de brancardiers pour que le condamné soit amené à 8 heures précises sur le terrain et pour les détails de l'enlèvement du corps et de son inhumation.

- que les troupes rejoindront directement leur cantonnement après avoir défilé devant le corps.

C'est ainsi qu'Aimé Devaux, âgé de 21 ans, a été passé par les armes le 26 octobre 1914 à l'heure prévue et selon le cérémonial convenu et que son corps a été inhumé au cimetière d'Estrée-Cauchy.

Estree-Cauchy

Ancien militaire du 149e R.I., l'aumônier du Groupe de Brancardiers de la 43e D.I., l'abbé André Marchal, qui a accompagné ce soldat jusqu'au peloton d'exécution, note simplement dans son carnet de guerre : "À Estrée-Cauchy -  le condamné Devaux du 149e, 11e compagnie (Jura) fusillé à 8 h 00 – "Mes pauvres parents !".Les dernières pensées d'Aimé Devaux pour ses parents illustrent bien la détresse morale de ce malheureux soldat devant la mort.

L'abbé Henry, aumônier divisionnaire, plus loquace dans ses souvenirs  écrit, à la date du 12 octobre : "Aujourd’hui, peu de blessés et encore trois nous arrivent encadrés par les gendarmes ; ce sont trois malheureux inculpés de blessures volontaires ; ils viennent se faire panser. Les malheureux ! je les ai déjà vus à Souain. Quel calvaire pour eux, s’ils sont innocents !".

Le jour de l'exécution, il mentionne : "Il paraît que M. l’abbé Marchal a dû encore assister un soldat condamné à mort. Motifs : désertion en face l’ennemi et mutilation volontaire (149e d’Infanterie). C’est déjà une vieille histoire, car le fait a dû se passer lors de l’attaque de Souain. Ne serait-ce pas l’un de ceux que j’ai vu venir ces jours derniers se faire panser à la guerre de Camblain, conduits par deux gendarmes ? - Il faut sans doute des exemples ; je ne connais pas les détails de l’affaire, mais il me semble en voyant ces malheureux que c’est surtout de la pitié que j’éprouve pour eux, une immense pitié !".

La justice militaire s'est montrée rigoureuse avec Aimé Devaux. On ne peut pas lui reprocher d'avoir agi dans la précipitation, sans avoir entendu au préalable ses explications ni vérifié si elles étaient ou non plausibles. Dès lors que l'enquête a établi qu'il avait pris le chemin inverse de celui emprunté par sa compagnie et que le caractère accidentel de sa blessure était exclu, il devenait évident que le sort d'Aimé Devaux était scellé.

Les exécutions pour mutilation volontaire étaient destinées à dissuader les autres soldats de suivre l'exemple d'Aimé Devaux. On constate que la 43e D.I. a tout mis en œuvre pour parvenir à ce résultat en s'assurant de la présence à cette cérémonie d'exécution de plusieurs corps de troupe qui ont été contraints de défiler devant le cadavre, comme l'exige le cérémonial militaire.

Le nom d'Aimé Devaux et la date de sa mort sont inscrits sur le monument aux morts de la commune de La Chaux-du-Dombief.

Monument aux morts la Chaux-du-Dombief

Pour consulter la généalogie d’Aimé Honoré Devaux, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Sources :

Registres de recensement des années 1896, 1901, 1906 et 1911 de la commune de La Chaux-du-Dombief et fiche signalétique et des services consultés sur le site des archives départementales du Jura.

Dossier individuel du soldat Devaux figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté la partie concernant l’enfance et la jeunesse du soldat Devaux et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis de rappeler l’existence de cet homme.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Jura.

1 mai 2020

François Joseph Barth (1881-1947)

François Joseph Barth

 

Descendant d’une famille alsacienne, François Joseph Barth voit le jour à Épinal le 1er juin 1881, au domicile de ses parents situé au n° 33 du faubourg de Nancy.

 

La mère, Catherine Reiminger, est âgée de 28 ans. Elle a déjà donné vie à deux enfants, une fille, prénommée Marie Constance et un garçon qui n’a pas survécu à sa 1ère année.

 

Le père, François Joseph, a 31 ans lorsque son fils vient au monde. Cet homme travaille comme ouvrier de fabrique dans une des nombreuses usines locales.

 

Le couple Barth aura encore deux enfants après la naissance de Joseph.

 

Genealogie famille Barth

 

Joseph Barth quitte l’école communale en sachant lire, écrire et compter. Devenu typographe au journal « l’Éclair de l’Est », son niveau d’orthographe finit par friser l’excellence à force de travailler à l’imprimerie de ce quotidien.

 

Comme pour la plupart des fiches matricules du département des Vosges, la fiche signalétique et des services de ce soldat de la classe 1901 ne nous donne pas de renseignement sur son parcours militaire.

 

Le régiment dans lequel Joseph a réalisé son temps de conscrit reste donc inconnu.

 

S'il est impossible de savoir où il fit son service actif, ni pendant combien de temps, il est presque certain qu'il fut affecté, une fois réserviste, au 149e R.I., d'autant qu'il y fit sa seconde période d'exercices.

 

Une convocation d’ordre d’appel sous les drapeaux lui ordonne de se rendre à la caserne Courcy pour y entreprendre une période d’exercice de 17 jours ; cette période est comprise entre le 9 et le 26 mai 1911.

 

Ordre d'appel sous les drapeaux

 

En 1905, Joseph vit à Épinal, au champ du pin. Le 22 novembre, il épouse Joséphine Schwab, une Spinalienne âgée de 25 ans avec qui il aura trois enfants.

 

En 1909, la famille Barth est installée à Nancy au numéro 12 de la rue Molitor, à proximité de l’épicerie mercerie Gobillot où Joséphine s’approvisionne régulièrement.

 

Été 1914, l’Europe s’apprête à entrer en guerre. Au fil des semaines, les articles rédigés par les journalistes qui passent entre les mains de Joseph rassurent de moins en moins les lecteurs de « l’Éclair de l’Est ». Ils finissent même par laisser envisager le pire.

 

Le 31 juillet 1914, la poste distribue, par l’intermédiaire de ses facteurs, les ordres d’appel des hommes rattachés aux XXe et  au XXIe corps qui sont mobilisables dès la nuit du 31 juillet au 1er août.

 

C’est en tant que réserviste du 349e R.I. que Joseph apprend qu’il doit se rendre immédiatement à la caserne Courcy.

 

Joseph Barth est affecté à la 29e compagnie du 349e R.I.. Il reste rattaché au dépôt du régiment jusqu’au 5 septembre 1914. Ce jour-là, il apprend qu’il vient d’être désigné pour faire partie d’un renfort composé de 310 hommes, renfort placé sous l’autorité du sous-lieutenant Charlois. Ce groupe doit rejoindre le 149e R.I..

 

Le régiment spinalien vient d’être envoyé en Champagne. Il s’apprête à attaquer dans le secteur de Souain.

 

Une fois sur place, Joseph intègre les effectifs de la 3e compagnie. Pas le temps de faire véritablement connaissance avec les camarades d’escouade. Il faut vite gagner la ligne de front.

 

Les combats sont virulents, mais Joseph sort indemne de cette première expérience du feu.

 

Octobre 1914, Le 149e R.I. est envoyé en Artois dans le secteur du bois de Bouvigny, au nord-ouest d’Ablain-Saint-Nazaire. Il gagne ensuite la Belgique avant de retrouver l’Artois en décembre 1914 ; là, il occupe une zone à proximité de la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette.

 

Le 3 mars 1915, le 149e R.I. subit une violente offensive allemande. Les hommes du lieutenant-colonel Gothié sont débordés, mais « Ils résistent et mordent ».  Le soldat Barth est grièvement blessé au visage par éclat d’obus au cours de cet engagement.

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante. 

 

La route sera longue avant que Joseph puisse bénéficier d’un lit confortable et d’une prise en charge adaptée à sa blessure.

 

Il est d’abord évacué du front sur Aix-Noulette, puis sur Sains-en-Goyelle, où, faute de place, il ne peut pas être soigné.

 

Le soldat Barth est ensuite envoyé à l’Hôpital d’Hersin. C’est ici que le premier diagnostic est posé par un médecin-major : plaie par éclat d’obus, langue coupée, mâchoire inférieure fracassée. Les souffrances sont terribles.

 

Une ambulance le conduit à la gare de Noeux-les-Mines. Joseph est installé dans un train sanitaire qui doit le conduire à Paris.

 

Le 5 mars 1915, le soldat Barth entre à l’hôpital auxiliaire n° 252 situé au 56 boulevard des Invalides, dans le 7e arrondissement. Les médecins affinent le premier diagnostic.

 

Joseph à une double fracture du maxillaire supérieur avec un segment médian très mobile. Le rebord antérieur de son maxillaire est détruit. Sa lèvre supérieure et les parties molles correspondantes sont déchirées. Il a également une section partielle de la langue accompagnée d’une plaie profonde du plancher de la bouche.

 

Le soldat Barth est pris en charge par l’équipe du docteur Courtiller. Son maxillaire supérieur est suturé avec du fil d’argent. Sa lèvre supérieure subit une double suture.

 

Le blessé reste dans l’incapacité de parler malgré plusieurs tentatives de rééducation.

 

Un appareil de prothèse dentaire est posé par la suite.

 

A l'hopital auxiliaire n° 252 de Paris

 

Joseph quitte l’hôpital parisien le 30 juin 1917. Il est envoyé au centre de réforme installé à la caserne des Tourelles.

 

La gravité de sa blessure l’empêche de retourner sur le front. Il est réformé.

 

L’absence d’information sur sa fiche matricule ne permet pas de savoir s’il est passé plusieurs fois devant des commissions de réformes ou non et encore moins de connaître le taux d’invalidité auquel il aurait pu prétendre.

 

De retour à la vie civile, il retrouve son emploi de typographe au journal « l’Éclair de l’Est ».

 

Imprimerie centrale de l'Est

 

Joseph ne retrouva jamais l'usage de la parole. Il communiquait à l'aide de blocs-notes dont il a noirci des milliers de pages.

 

François Joseph était un homme d'une grande droiture et d'une honnêteté sans faille. Il est décédé le 1er octobre 1947. Le retour des Allemands qui l'avait beaucoup affecté a probablement accéléré sa fin.

 

François Joseph Barth a été décoré de la Médaille militaire par l’ordre n° 2687 D du G.Q.G. le 4 avril 1916 (Publication dans le J.O. du 14 mai 1916).

 

« Soldat très brave, le 3 mars 1915, bien que malade, a tenu à se rendre aux tranchées où il a été grièvement blessé. Mutilation de la face. »

 

Cette citation lui donne également droit au port de la croix de guerre avec palme.

 

Autres décorations :

 

Croix du combattant

 

Médaille commémorative de la Grande Guerre

 

Médaille commémorative interalliée dite médaille de la victoire

 

Médaille de l'U.N.C. (Union nationale des combattants)

 

Les decorations de Joseph Barth

 

Sources :

 

La fiche signalétique et des services de François Joseph Barth a été consultée sur le site des archives départementales des Vosges.

 

Les photographies et les documents qui concernent Joseph Barth  proviennent tous des collections appartenant à la famille descendante. 

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.P. Juliac et à sa famille ainsi qu’aux archives départementales des Vosges.

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