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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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8 mai 2020

Aimé Honoré Devaux (1893-1914)

Aime Honore Devaux

 

Natif du département du Jura, Aimé Honoré Devaux naît le 20 juin 1893 dans la commune de Chaux-du-Dombief où ses parents se sont mariés en 1880.

 

Son père, Séraphin Honoré, gagne sa vie comme cultivateur et comme camionneur. Cet homme, âgé de 41 ans, passe beaucoup de temps sur la route, livrant probablement fruits et légumes à Paris, ville où il a un pied-à-terre. Sa mère, Luce Defert a 29 ans. Elle exerce la même profession que son époux. Luce a déjà donné naissance à 6 enfants. Aimé est le benjamin de la fratrie.

 

Séraphin Honoré n’est pas présent à la naissance de son fils. C’est le garde champêtre Vital Petetin qui est chargé de venir déclarer l’enfant à la maison commune du village. Il est accompagné de l’épicier Paul Devaux et de l’instituteur Eugène Peuget. Les trois hommes sont reçus par le maire Joseph Émile Epailly.

 

La Chaux-du-Dombief

 

Aimé Devaux quitte l’école communale en sachant lire écrire et compter. C’est avec ce degré d’instruction de niveau 3 qu’il rejoint définitivement le monde du travail en tant qu’agriculteur.

 

L’année de ses vingt ans, il quitte la campagne jurassienne et le domicile parental pour aller effectuer ses obligations militaires. Aimé était le dernier des enfants de la fratrie à vivre chez Séraphin Honoré et Luce.

 

Il doit rejoindre le 149e R.I. qui est en garnison à Épinal, à la fin du mois de novembre 1913. Le jeune homme franchit le portail de la caserne Courcy le 29 novembre.

 

Fin juillet 1914, le régiment spinalien est en manœuvre au camp du Valdahon. Les menaces de guerre contre l’Allemagne s’accentuent. Le 149e R.I., qui fait partie des troupes de couverture, doit retourner à la caserne Courcy au plus vite.

 

Il quitte Épinal pour se rendre à la frontière le 1er août 1914, Aimé Devaux fait partie des effectifs de la 11e compagnie du 149e R.I. sous l’autorité du capitaine Erhard.

 

Le baptême du feu du 149e R.I. a lieu le 9 août 1914. La compagnie du soldat Devaux n’est pas engagée au début du combat. Cette compagnie est positionnée au sud-est du col de Sainte-Marie, avec le reste du 3e bataillon sous les ordres du commandant Didierjean. Ce bataillon ayant reçu une mission de surveillance de la route qui mène à Sainte-Marie-aux-Mines.

 

Les 1er et 2e bataillons sont en grande difficulté. Dans l’après-midi, le lieutenant-colonel Escallon donne l’ordre au capitaine Erhard de conduire un renfort composé de sa compagnie et d’autres d’éléments du 3e bataillon, au colonel Menvielle.

 

La 11e compagnie est de nouveau impliquée dans les combats qui se déroulèrent au nord d’Abreschiller le 21 août 1914 et dans ceux qui eurent lieu les 25 et 26 août du côté de Ménil-sur-Belvitte.

 

En septembre 1914, c’est la bataille de la Marne, le 149e R.I. participe à de violents combats qui se déroulent dans et autour du village de Souain.

 

Le 20 septembre 1914, à 13 h 30, Aimé Devaux se présente à l'ambulance 9/21 qui est installée à Raon-l’Étape. Le médecin-chef examine sa blessure à la main gauche. Il observe un premier « orifice circulaire d'un diamètre inférieur à un centimètre au niveau du 3e espace interosseux, qui est entouré d'une zone criblée de grains de poudre et un second orifice d'un diamètre très légèrement supérieur au premier, sur la face dorsale de la main en un point correspondant au premier orifice. » 

 

Le soldat Devaux a déclaré qu'il avait été blessé accidentellement par le fusil qu'il portait. Le médecin-chef ajoute à son rapport la mention : « blessure suspecte ».

 

Ce rapport est communiqué à Aimé Devaux le lendemain, 21 septembre, par un sous-officier de police militaire. Cet homme est maréchal des logis à la prévôté du Quartier Général du 21e Corps d'Armée. Il lui notifie son inculpation pour blessures volontaires et procède à son interrogatoire.

 

Selon sa déposition, le 19 septembre 1914, vers 14 h 00, Aimé Devaux aurait quitté sans autorisation sa compagnie qui se dirigeait vers un village voisin de Souain pour aller satisfaire un besoin naturel en raison de coliques. Après un quart d'heure d'absence, il n'a pas retrouvé sa compagnie. N'ayant pu être renseigné utilement par les soldats présents à Souain, il est allé à la recherche de sa compagnie dans les bois environnants ou il a dormi toute la nuit.

 

Le lendemain, 20 septembre, alors qu'il poursuit ses recherches, des tirs d'obus l’obligent à s'enfuir en courant. Il chute, la face en avant, en se prenant les pieds dans des branches de sapins éparses. C’est au cours de cette chute qu'il fut blessé à la main gauche par un tir provenant de son propre fusil qu'il porte, à la bretelle, à l'épaule droite. Il ne s'explique pas comment cette blessure est survenue. Il pense que la détente du fusil a été accrochée par des branches lors de sa chute.

 

À la suite de ses explications confuses et peu convaincantes, le soldat Devaux fut contraint, devant l'enquêteur, de mimer l’évènement en portant un fusil Lebel à l'épaule droite. La démonstration est peu vraisemblable. Le sous-officier de police constate qu'une blessure accidentelle pendant la chute n'était pas compatible avec la position de l'arme. L'extrémité du canon se trouve beaucoup trop loin de la main gauche alors même que l'intéressé a chuté naturellement au cours de cette reconstitution et non lors d'une course. Invité à s'expliquer à nouveau, Aimé Devaux déclare : « Je ne sais comment cela s'est fait, mais le canon est resté en arrière et c'est ainsi que je me suis blessé. »

 

Le 24 septembre, le général Lanquetot qui commande la 43e D.I. ordonne l'ouverture d'une information pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Aimé Devaux est entendu le 6 octobre par le rapporteur-commissaire du gouvernement. Il lui confirme sa déclaration précédente en précisant que, le 19 septembre, après avoir perdu le contact avec sa compagnie, il était retourné dans le bois de Souain où sa compagnie avait cantonné avant de se porter en avant de Souain.

 

Le lendemain, le 7 octobre 1914, le rapporteur-commissaire du gouvernement rédige un rapport requérant la traduction d'Aimé Devaux devant le conseil de guerre pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Le rapporteur juge invraisemblable que l'intéressé, portant son fusil à l'épaule droite, suspendu par la bretelle, ait pu être blessé par balle à la main gauche en tombant.

 

Il relève en outre que sa version des faits implique qu'il ait gardé son fusil chargé et armé, ce qui constitue une violation fautive des consignes. Le rapporteur juge retient également que, selon ses propres dires, au lieu de rejoindre sa compagnie qui se dirigeait en avant de Souain, il est, au contraire, retourné en arrière et qu'il a passé la nuit seul dans un bois au lieu de chercher à se rapprocher des autres corps de troupe qui se trouvaient en avant.

 

Au vu de ce rapport, le général commandant la 43e D.I. ordonne alors son renvoi devant le conseil de guerre siégeant le 24 octobre 1914, à 7 h 30.

 

Le conseil de guerre appelé à juger Aimé Devaux, est composé par :

 

- Le lieutenant-colonel Le Rond du 12e R.I., président

 

- Le chef de bataillon Hutteau d'Origny du 1er B.C.P.

 

- Le capitaine Dezautières du 4e Régiment de chasseurs à cheval

 

- Le lieutenant Van Crayelinghe du 3e B.C.P.

 

- Le sergent-major Martonosy du 3e B.C.P.

 

Le 24 octobre 1914, le conseil de guerre déclare Aimé Devaux coupable d'abandon de poste commis en présence de l'ennemi commis à Souain (Marne) le 19 septembre 1914. Si la déclaration de culpabilité fut acquise à l'unanimité, en revanche c'est par quatre voix contre une qu'il a été jugé que l'abandon de poste a été commis « en présence de l'ennemi ». La question se posait en effet de savoir si l'abandon de poste avait été commis « en présence de l'ennemi » ou « sur un territoire en état de guerre » auquel cas il encourrait une simple peine de 2 à 5 ans de travaux publics. Si la blessure a été faite en première ligne, lors d'opérations de combat, l'abandon de poste est, à l'évidence, commis en présence de l'ennemi. Mais il peut y avoir un sérieux doute lorsque, comme en l'occurrence, le soldat se mutile au cours d'un déplacement de son unité, en dehors d'une phase de combat et sans être sous la menace directe de l'ennemi.

 

Le recours en révision ayant été suspendu par les décrets des 10 et 17 août 1914, le jugement est dès lors immédiatement exécutable. Aussi, le lendemain de la condamnation, le général Lanquetot, commandant de la 43e D.I., ordonna l'exécution de la décision du conseil de guerre le 26 octobre à 8 heures.

 

Une note de service du 25 octobre apporte des précisions sur le déroulement de l'exécution fixée au lendemain et précise notamment :

 

- qu'un détachement du 149e R.I. fournira le personnel, gradés et troupes, nécessaires à l'exécution,

 

- que le général commandant la 85e brigade présidera la cérémonie.

 

- que les troupes présentes sous le commandement du lieutenant-colonel, commandant le 143e Régiment Territorial, comprendront le bataillon du 143e Territorial stationné à Estrée, sauf la compagnie de service, quatre sections de chasseurs à pied, un peloton de l'escadron divisionnaire, une section du Génie, qui seront rassemblées à 7 h 45 en tenue de campagne.

 

- que le commissaire du gouvernement s'entendra avec le capitaine de gendarmerie et un aumônier du groupe de brancardiers pour que le condamné soit amené à 8 heures précises sur le terrain et pour les détails de l'enlèvement du corps et de son inhumation.

 

- que les troupes rejoindront directement leur cantonnement après avoir défilé devant le corps.

 

C'est ainsi qu'Aimé Devaux, âgé de 21 ans, a été passé par les armes le 26 octobre 1914 à l'heure prévue et selon le cérémonial convenu et que son corps a été inhumé au cimetière d'Estrée-Cauchy.

 

Estree-Cauchy

 

Ancien militaire du 149e R.I., l'aumônier du Groupe de Brancardiers de la 43e D.I., l'abbé André Marchal, qui a accompagné ce soldat jusqu'au peloton d'exécution, note simplement dans son carnet de guerre : « À Estrée-Cauchy -  le condamné Devaux du 149e, 11e compagnie (Jura) fusillé à 8 h 00 – Mes pauvres parents ! » .Les dernières pensées d'Aimé Devaux pour ses parents illustrent bien la détresse morale de ce malheureux soldat devant la mort.

 

L'abbé Henry, aumônier divisionnaire, plus loquace dans ses souvenirs  écrit, à la date du 12 octobre : « Aujourd’hui, peu de blessés et encore trois nous arrivent encadrés par les gendarmes ; ce sont trois malheureux inculpés de blessures volontaires ; ils viennent se faire panser. Les malheureux ! je les ai déjà vus à Souain. Quel calvaire pour eux, s’ils sont innocents ! »

 

Le jour de l'exécution, il mentionne : « Il paraît que M. l’abbé Marchal a dû encore assister un soldat condamné à mort. Motifs : désertion en face l’ennemi et mutilation volontaire (149e d’Infanterie). C’est déjà une vieille histoire, car le fait a dû se passer lors de l’attaque de Souain. Ne serait-ce pas l’un de ceux que j’ai vu venir ces jours derniers se faire panser à la guerre de Camblain, conduits par deux gendarmes ? - Il faut sans doute des exemples ; je ne connais pas les détails de l’affaire, mais il me semble en voyant ces malheureux que c’est surtout de la pitié que j’éprouve pour eux, une immense pitié ! » 

 

La justice militaire s'est montrée rigoureuse avec Aimé Devaux. On ne peut pas lui reprocher d'avoir agi dans la précipitation, sans avoir entendu au préalable ses explications ni vérifié si elles étaient ou non plausibles. Dès lors que l'enquête a établi qu'il avait pris le chemin inverse de celui emprunté par sa compagnie et que le caractère accidentel de sa blessure était exclu, il devenait évident que le sort d'Aimé Devaux était scellé.

 

Les exécutions pour mutilation volontaire étaient destinées à dissuader les autres soldats de suivre l'exemple d'Aimé Devaux. On constate que la 43e D.I. a tout mis en œuvre pour parvenir à ce résultat en s'assurant de la présence à cette cérémonie d'exécution de plusieurs corps de troupe qui ont été contraints de défiler devant le cadavre, comme l'exige le cérémonial militaire.

 

Le nom d'Aimé Devaux et la date de sa mort sont inscrits sur le monument aux morts de la commune de La Chaux-du-Dombief.

 

Monument aux morts la Chaux-du-Dombief

 

Pour consulter la généalogie d’Aimé Honoré Devaux, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

 

Sources :

 

Registres de recensement des années 1896, 1901, 1906 et 1911 de la commune de La Chaux-du-Dombief et fiche signalétique et des services consultés sur le site des archives départementales du Jura.

 

Dossier individuel du soldat Devaux figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

 

Ce texte, initialement rédigé par J.P. Poisot, a été complété par mes soins avec des détails sur l'enfance et la jeunesse du soldat Devaux. Je tiens à le remercier pour son travail qui a permis de rappeler l’existence de cet homme.

 

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Jura.

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