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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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28 décembre 2011

Correspondance de Pierre Mathieu (1ère partie).

                   Pierre_Mathieu__2_

De nouveau un très grand merci  à toute l’équipe de l’association « collectif Artois 1914-1915 ».

Le 18 janvier 1915, 16 heures. 

Cher parents,

Je vous ai envoyé une carte hier vous annonçant que j’avais reçu votre colis avant de partir aux tranchées. Cette fois, nous occupions des tranchées de réserve et nous n’avons pas été bien malheureux. Ces tranchées étaient couvertes, il y avait de la paille et on y faisait du feu. Voilà comment il faudrait être dans les tranchées de la première ligne.

Vous n’avez plus besoin de m’envoyer du chocolat actuellement, car on peut en acheter. Nous couchons sur de la vieille paille qui servait probablement il y a trois mois. Je ne peux pas me débarrasser des blancs poux, on ne trouve personne pour faire laver son linge, ces jours derniers. J’ai ébouillanté mon linge dans la marmite de notre pauvre vieux et l’eau est très rare. Il n’y a que de rares puits. Il y a de mes camarades qui ont reçu quelque chose pour les faire partir. Demandez au pharmacien s’il ne trouverait pas un remède pour faire partir ces grenadiers, car la nuit ils empêchent de dormir. Je vous garantis que ce n’est pas bien agréable d’être pourvu de cette vermine. À notre brasserie nous avions de l’eau bouillante à discrétion, mais ici c’est différent, nous sommes dans un pays perdu à Béthonsart à 18 km de Saint-Pol. Vous me feriez plaisir de m’envoyer aussi une boite de pastilles pour le rhume, au goudron par exemple. Nous commençons tous par être un peu enrhumés. Le peloton d’instruction qui avait été commencé est reformé de nouveau. Je vais donc à l’exercice tous les jours, je ne sais pas combien de temps il durera. Il parait que si la compagnie va aux tranchées pendant la marche du peloton, nous serons exempts d’y aller. Je souhaite donc que ce peloton dure le plus longtemps possible.

Aujourd’hui, il a neigé toute la journée. C’est l’hiver qui s’annonce et la guerre n’a pas l’air de cesser. Quand donc aurons- nous le bonheur de rentrer dans nos foyers ? Nous commençons tous à trouver le temps long, et voici le mauvais temps, les opérations vont être arrêtées.

Hier j’ai vu Marchal Charles et Petitjean de Franould, nous ne sommes plus que trois au 149. Ils sont cantonnés à quelques kilomètres de notre pays, ils m’ont promis de venir me voir ce soir.

Envoyez-moi aussi une chemise, j’en ai une de la compagnie qui est très courte, elle n’est pas assez chaude.

Je ne vois rien d’autre chose d’intéressant à vous dire pour le moment, et en attendant le bonheur de vous revoir, je vous embrasse tous bien affectueusement.

Votre fils Pierre. 

Vous voulez bien conserver les lettres reçues que je vous envoie, ce sera un souvenir de la guerre.

Lundi 8 février 1915.

Bien chers parents,

Je viens de recevoir à l’instant la lettre de maman datée du 30 janvier. Tous, sur le front, nous avons de la joie à recevoir des nouvelles de nos familles. Tous les matins, lorsque le vaguemestre arrive à la compagnie, on se précipite pour la distribution. Quelle joie lorsqu’on a une lettre et quelle déception lorsqu’il n’y a rien. On ne se lasserait pas de recevoir des nouvelles tous les jours. La lettre de maman m’a fait de la peine, car j’ai vu que la tristesse régnait à la maison. Prenez tous courage, le bon Dieu m’a toujours préservé jusqu’ici et pourtant j’ai déjà vécu de mauvais moments. Au contraire, vous pouvez être fiers, car vous êtes du nombre des familles qui ont un des leurs pour défendre notre pays. Prenez donc courage, la guerre ne peut plus durer longtemps et j’ai l’espoir d’aller bientôt vous embrasser. Et si je venais à mourir, car après tout, notre vie ne tient qu’à un fil, j’aurais toujours le bonheur de vous revoir tous dans notre patrie véritable, le ciel. Mais Dieu exaucera vos prières et ramènera votre fils sain et sauf. Hier, je suis allé à la messe avec Alphonse Viellemard, nous avons été aussi aux Vêpres, c’était le jour que le Saint-Père avait fixé pour faire dire des prières pour la paix. Vous voyez que nous avons assez bien rempli cette journée. Vous pouvez être sûr que je remplis quand je le peux mes devoirs de chrétien et que je me conduis toujours bien et pourtant, ici les occasions ne manquent pas de mal faire. Vous me dites qu’il fait froid dans les Vosges, ce matin j’ai reçu aussi une lettre de Romarie me disant qu’il y avait 10 cm de neige et qu’un train sanitaire passait tous les jours venant de Bussang. Les soldats d’Alsace doivent beaucoup souffrir dans les tranchées. Ici nous n’avons pas de neige, elle ne tient pas. Voici quelques jours qu’il fait un temps splendide et les nuits ne sont pas froides. En ce moment, la compagnie est encore dans les tranchées, je crois qu’elle reviendra ce soir. Tous les jours, il y a des blessés. Romarie m’a envoyé la photographie de l’intérieur de l’église de Dommartin. Je vais lui écrire qu’il vous prenne tous en groupe. Je serais heureux d’avoir votre photographie. Romarie m’a appris aussi que Georges Claudon devait être prisonnier et qu’il avait écrit à sa femme, est-ce vrai ? Il m’a dit aussi que le 2e fils Simon avait été tué. Notre commune est bien éprouvée. Vous savez maintenant mieux que moi tout ce qui se passe, puisque vous lisez le journal tous les jours. Vous pouvez voir où nous sommes actuellement (secteur Aix-Noulette à 2 km de Notre-Dame-de-Lorette), on en parle assez souvent dans les communiqués. Avez-vous reçu mon journal jusqu’au 4 décembre ? Je remercie aussi Jean pour son aimable carte du 28 janvier. J’ai reçu aussi ces jours derniers une carte de Houillon, il est toujours à Épinal ce veinard. Pendant que je vous écris, Alphonse est à côté de moi. Il me dit qu’il ferait meilleur tirer les grives. Lorsque nous allons nous voir dans nos cantonnements on se croirait à Pont, seulement ce qui manque, me dit-il, c’est le petit verre que l’on s’offrirait si on y était réellement. Qu’aurait-il dit si l’an dernier je lui avais annoncé que nous serions tous deux à cette époque dans le Pas-de-Calais ? Faites un saut voir Céleste, car il n’a pas encore reçu de nouvelles depuis qu’il est revenu de convalescence. Samedi dernier, je me suis fait photographier avec quelques camarades. Seulement celui qui nous a pris prend de bonnes cuites et il a du travail plus qu’il n’en peut faire. S’il réussit à faire notre binette, je vous l’enverrai. Romarie m’annonce aussi que Simon Louis, celui de ma classe avait été blessé à la hanche. Je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire, j’ai eu assez de chance dernièrement, car voilà douze jours de tranchées que je n’aurai pas vécus. C’est toujours autant de pris en passant. J’ai vu sur le journal que la Roumanie se mettrait de la partie au 1er mars. Excusez mon écriture, je n’ai pas de table à ma disposition.

Je vais toujours bien. Bon courage donc et dans l’espoir de vous revoir. Je vous embrasse tous bien fort.

Pierre 

Référence bibliographique :

Tome 2 du livre d’or des morts du front d’Artois. 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Chaupin, à T. Cornet, à F. Videlaine, à l’association « collectif Artois 1914-1918 », à l’association Notre-Dame-de-Lorette et à la garde d’honneur de l’ossuaire de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

22 décembre 2011

Premiers pas en Artois (3e partie).

                  Carte_journee_du_10_octobre_1914

                                       Legende_carte_du_bois_de_Bouvigny

10 octobre 1914

 Une  compagnie du 149e R.I. occupe la tranchée conquise aux Allemands et la partie sud de la haie à environ 200 m face à Notre-Dame-de-Lorette. À Notre-Dame-de-Lorette, et aux abords en face de cette compagnie, il reste encore quelques éléments ennemis devant lesquels elle s’est fortement retranchée dans la nuit. La chapelle et les meules avoisinantes brûlent… 

Extraits de l’ouvrage « les combats de Notre-Dame-de-Lorette » du capitaine J. Joubert aux éditions Payot.

« Dans la nuit du 9 au 10 une attaque allemande devance celle des Français. Sur le plateau de Lorette, ce sont les Français qui prennent l'initiative de l'action. Le 2e bataillon du 149e R.I. du capitaine Pretet qui avait relevé dans la soirée du 9 le 3e bataillon, s'empare pendant la nuit d'une tranchée ennemie, au nord de la chapelle, face au 20e B.C.P.. Par cette avance, nous nous trouvons à peine à 500 m de l'oratoire. Il disparait en partie dans la grisaille du brouillard, mais les lueurs d'incendie de grandes meules de paille qui brûlent à ses côtés accusent parfois les lignes de son contour. Quand la flamme, qui couve, tout à coup est plus vive, on voit non loin de là une pièce de 77 probablement endommagée, seule, sans servants, toute noire et sinistre, qui se cabre. Les hommes retournent les parapets, approfondissent les tranchées et consolident la position. Le lieutenant-colonel Escallon demande que des batteries d’artillerie s’installent sur le plateau et dans le bois de Bouvigny pour battre Carency et Ablain-Saint-Nazaire.

À midi, il peut écrire au colonel Cheminon :

« Nous sommes les maîtres incontestés de la crête de Notre-Dame-de-Lorette. Nos tranchées font le tour du plateau. La plus à l'est est à 200 mà l'ouest de la chapelle. La tranchée ennemie est à 100 m au-delà de la chapelle. Nous organisons avec le capitaine Vautravers du 12e régiment d'artillerie, un système pour la battre, je la ferai attaquer cette nuit... »

Les troupes qui tiennent alors le plateau sont réparties comme suit : le 2e bataillon du 149e R.I. dans les tranchées devant la chapelle, dans l’ordre : 5e et 8e compagnies face à l’est, 6e compagnie face à Ablain-Saint-Nazaire. À gauche, tenant le rebord nord du plateau, en équerre par rapport au 149e R.I., face à la chapelle, quatre compagnies du 2e bataillon du 17e R.I. qui ont relevé celles du 20e B.C.P.

À la lisière est du bois de Bouvigny, de gauche à droite, la 3e compagnie du 20e B.C.P. et le 1er bataillon du 149e R.I. ; à l’intérieur du bois, le 5e bataillon du 269e R.I. et le 3e bataillon du 149e R.I.. Deux batteries du groupe Vautravers du 12e R.A.C ont pris position à la lisière est.

Un épais brouillard qui a traîné toute la matinée n’a pas permis au canon de tirer. Mais dès que le temps s’est éclairci, les tranchées allemandes du plateau ont été prises à partie, et, dans la nuit, la compagnie Pétin du 149e R.I. a « sauté d’un coup de main hardi sur la chapelle » qu’elle a occupé avec une section. » 

                  Chapelle_de_Notre_Dame_de_Lorette 

11 octobre 1914

Un bataillon du 149e R.I. occupe les tranchées sur le plateau de Lorette, un autre est sur la lisière est du bois de Bouvigny. Le 1er bataillon du régiment se trouve du coté de Marqueffles. 

Extraits du livre « Lorette une bataille de 12 mois » d'Henri René aux éditions Perrin et cie.

« Aujourd’hui, reconnaissance. Le 2e bataillon a fait ses deux jours de service, il a eu la peine de creuser les premières tranchées dans un terrain très dur. Il avait d’ailleurs hérité de notre situation de fin de combat, ce qui n’est jamais très drôle : c’est à nous de reprendre nos places.

Les camarades ont bien travaillé pendant ces deux jours : au nord, le 1er bataillon a relevé les chasseurs et a commencé à construire des «guitounes» pour ses compagnies de réserve sur les pentes du plateau, vers Marqueffles, car, si on reste sur ce terrain, on en sera réduit à vivre sous terre comme les taupes ! Quant au 2e bataillon, dès 22 h 00, il a sauté d’un coup de main hardi sur la chapelle qu’il occupe maintenant avec une section ; et, la nuit dernière, il a relié ce poste avancé au coin sud de la haie par de petites tranchées de demi-sections, échelonnées en arrière et à droite.

Tout cela ne constitue pas une position très solide, mais il n’entre encore dans l’esprit de personne que nous soyons condamnés à « prendre position» : c’est un temps d’arrêt, nous semble-t-il, nécessité par les circonstances et pour permettre à la 1ère division d’exécuter sa manœuvre, dans la plaine usinière où nous la voyons évoluer à nos pieds, où ses canons tonnent sans arrêt, où ses bataillons doivent être en train de mordre violemment l’ennemi et de le rejeter au-delà des villes de Lens et de Liévin.

Bien des choses nous confirment dans cet espoir, et en particulier l’action de notre artillerie. Les deux batteries se sont en effet, le 10 au matin portées aussi en avant que possible. Celle du grand lieutenant a pris position, dans la pointe nord, sous le couvert des bois. De là, elle s’est mise à tirer très violemment tant sur l’est de la Chapelle, où l’ennemi travaille la terre, que sur les environs d’Ablain, où, à notre avis, les Allemands seraient fous de chercher à se maintenir, puisque nous les dominons complètement !

L’autre, celle du bois de la Haie, est arrivée ce matin et s’est installée à découvert, imparfaitement abritée des vues par la petite crête d’où avait débouché notre attaque. Il est vrai de dire qu’il lui en a coûté cher ! À peine eut-elle tiré quelques salves, que les « grosses marmites » vinrent au-devant d’elle, avec une rapidité, une précision, une sûreté qui resteront longtemps présentes à notre  mémoire : quatre coups courts, quatre coups longs, quatre coups au but …

 Nos pièces disparaissent dans un tourbillon de bruit assourdissant et de lourde fumée noire. Des terres, des débris de matériel et de membres humains sont projetés en l’air à une très grande hauteur… Lorsque ce chaos s’aplanit, on aperçoit, parmi les officiers ou servants qui se retirent étourdis, deux canons désemparés, faussés, gauchis, dont l’un est lamentablement couché sur le flanc, par suite de la pulvérisation d’une des roues, un caisson bouleversé et boiteux, un autre caisson qui « saute » par explosions saccadées et brutales.

Les corps d’une demi-douzaine de servants tués ou grièvement atteints gisent parmi les décombres, et quelques blessés s’éloignent horrifiés vers le poste de secours le plus proche…» 

Sources :

« Journal des marches et des opérations de la 85e brigade ». S.H.D de Vincennes. Réf : 26 N 20/10.

Les archives du S.H.D. de Vincennes ont été consultées.

« Les combats de Notre-Dame-de-Lorette ». Capitaine J. Joubert, aux éditions Payot – 1939.

« Lorette, une bataille de douze mois ». Henri René, aux éditions Paris, Perrin et Cie – 1929. 

Pour en savoir plus :

« Journal des marches et des opérations du 20e B.C.P. ». S.H.D. Réf : 26 N 823/1.

« Journal des marches et des opérations du 17e R.I. ». S.H.D. Réf : 26 N 588/1.

« Journal des marches et des opérations du 269e R.I. ». S.H.D. Réf : 26 N 733/7.

« Journal des marches et des opérations du 12e R.A.C. ». S.H.D. Réf : 26 N 925/1. 

Un grand merci à M. Yassai, à A. Carobbi, à M. Porcher, à l’association « collectif Artois 1914-1915 » et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

7 décembre 2011

Pierre Mathieu (1891-1915).

Pierre Mathieu

Les différents documents offerts par la famille du caporal Pierre Mathieu en 1952 se trouvent actuellement dans le 2e tome du livre d’or des morts du front d’Artois. La plupart des informations suivantes proviennent des renseignements qui ont été donnés par Paule, la sœur de Pierre domiciliée sur la commune de Dommartin-lès-Remiremont. 

Pierre Mathieu est né le 3 février 1891 dans le petit village vosgien de Dommartin-lès-Remiremont. Il est le fils de Joseph et de Marie Ragué. Ces parents, agriculteurs, étaient domiciliés à Pont de Dommartin, petit lieu-dit proche de Dommartin-lès-Remiremont. Pierre avait deux frères, Paul et Jean et une sœur, Paule. 

Jeune caporal de la classe 1911 servant dans la 1ère compagnie, il reçoit une première blessure le 9août 1914, durant le combat du Signal de Sainte-Marie-aux-Mines. Légèrement blessé à la tête, il est évacué et soigné dans un hôpital nîmois. Après sa convalescence, il rejoint sa compagnie au 149e R.I.. 

Porté disparu au cours de l’attaque du 9 mai 1915 dans le secteur d’Aix-Noulette, son acte de décès ne sera retranscrit à la mairie de Dommartin-lès-Remiremont que le 7 février 1921, suite à un jugement rendu par le tribunal de Remiremont à la date du 27 janvier 1921. 

Pierre Mathieu a obtenu la croix de guerre avec étoile d’argent et la Médaille militaire. 

La Médaille militaire a été attribuée au caporal Mathieu Pierre Marie Louis, matricule 7021, mort pour la France.

« Caporal très consciencieux et courageux, a été frappé mortellement le mai 1915 à Noulette. Une blessure antérieure. Croix de guerre avec étoile d’argent. 

Après avoir reçu le questionnaire envoyé par le secrétaire de l’association « Notre-Dame-de-Lorette » pour le livre d’or, la famille du caporal Mathieu rédige la lettre suivante : 

Dommartin-lès-Remiremont (Vosges), ce 9 mars 1952 

Madame Eusèbe Mathieu à Dommartin lès Remiremont

à Monsieur le Secrétaire, 

Pour ma maman très âgée, j’écris et je signe. Mon frère et moi, nous avons essayé de remplir de notre mieux le questionnaire que maman a demandé par lettre du 10 février concernant notre cher héros.

Nous y joignons, une photo, quatre lettres de notre bien-aimé frère, un petit carnet de notes, une lettre de son meilleur ami frère Auguste (Zundel) décédé maintenant, une lettre de notre chère maman adressée à son cher fils, son cher drapeau ayant appartenu à notre bien-aimé, une carte de la croix rouge attestant  sa blessure, un imprimé de journal de la région déclarant sa mort et sa citation antérieure et enfin, deux feuillets de notes du collège de Remiremont. Ici je m’excuse de présenter cette feuille déchirée, n’ayant pu faire autrement. Les feuillets de son carnet de notes étant collés ensemble. Nous nous désunissons de toutes ces reliques très chères pour la gloire de notre cher héros ; ne voulant pas laisser la lumière sous le boisseau, pour l’exemple des générations futures de notre chère France. Voulant montrer combien le chrétien et le Français sont forgés d’honneur, de droiture, dans les Vosges, pays de Jeanne d’Arc notre chère modèle, souche aussi de terriens forts et vaillants. Nous adressons nos remerciements émus et profonds à tous, grands et petits , à tous ceux qui d’une façon ou d’une autre exaltent à Lorette le souvenir de tous nos frères et nous vous prions de croire, Monsieur, à l’hommage de nos plus sincères sentiments. 

Lettre écrite par la mère de Pierre Mathieu quelques jours après sa mort… 

Fête de Jeanne d’Arc 16 mai 1915

Mon cher Pierre,

 Nous avons reçu tes lettres du 5 et 6 mai, nous savons que vous avez remporté de grandes victoires près d’Arras, nous voyons que tu es souvent en première ligne. J’ai grande confiance que Jeanne d’Arc te protège. Nous avons assisté à sa neuvaine tous les jours. Jai été communier pour toi 3 jours et Paule 2 fois et nous prions tous les jours avec ferveur. Depuis cette neuvaine à Jeanne, la France va bien, tout le monde a confiance en une prochaine victoire. La « Croix » dit que vous avez fait beaucoup de prisonniers, nous avons hâte d’avoir de tes nouvelles. Le 14 je t’ai envoyé un colis, il y a un chapelet indulgencié de toutes les indulgences que l’on peut avoir, je serai heureuse quand tu l’auras reçu. Cher enfant, combien tu auras souffert. Nous te plaignons de tout notre cœur, nous parlons journellement de toi. Je suis toujours avec toi, dans les tranchées et sous la mitraille. Il me semble te voir, toi, si doux, si tranquille, être obligé de te battre, tuer des hommes inconnus. Quelle vie, bon courage mon cher enfant.

Le bon Dieu ne sera pas toujours sourd à tant de souffrance, j’espère qu’il exaucera toutes nos prières.

Je suis contente pour toi, tu auras un ami de plus quand tu auras revu Houillon. Vous pourrez parler du pays, il a de la veine lui.

Nous n’entendons plus le canon, je crois que les Allemands ne sont plus si près de nous. Le neveu de Jeanne est mort, Paule t’avait annoncé qu’il était bien malade. Ce matin j’ai été communier, je suis revenue déjeuner, puis je suis retournée à la messe, et je vais aux Vêpres. Jeanne d’Arc me donne du courage, nous sommes tous en bonne santé. Nous t’embrassons tous bien tendrement, au revoir et a bientôt j’espère.

Ta maman 

Il y a beaucoup de malades à la caserne Marion. Je te mets 3 francs dans ma lettre. 

Un petit mot est ajouté par Eusèbe Mathieu, le père de Pierre… 

Mon cher Pierre,

Je ne sais pas grandes nouvelles à t’annoncer. Nous avons encore pour deux jours à bêcher des pommes de terre, quand ce sera fini, nous irons chercher quatre hêtres que nous avons coupé au pré Hache.

Bon courage, mon cher Pierre, nous continuons à prier pour toi.

Je t’embrasse de tout mon cœur,

Ton papa E. Mathieu

 Voici une lettre envoyée à la famille Mathieu écrite par son meilleur ami qui vient d’apprendre la mort de Pierre. 

Lettre écrite le 9 juillet 1915.

Cher parents chrétiens,

J’ai été profondément ému en lisant votre lettre. Vous savez combien j’aimais votre cher Pierre. Comme vous, je ne peux me faire à l’idée que le cher enfant ne soit plus parmi les vivants. C’est certes bien dur, pour vous, de vous séparer de celui dont le bonheur était si intimement lié au vôtre. La foi chrétienne seule est capable de vous inspirer courage et résignation. Je bénis le bon Dieu de ce qu’il vous laisse une fille et un fils aussi sages que sont Paule et Jean-Marie qui vous aideront à porter votre croix. De mon côté, je vous prie de me permettre de m’associer à ce deuil de famille et d’unir mes prières et sacrifices aux vôtres. Comme je le disais dans la carte adressée à Pierre à l’occasion de sa fête, je trouvais étrange de ne plus rien recevoir de lui depuis si longtemps (fin avril). Selon votre désir, je m’informerai auprès de la Croix rouge. Quel bonheur s’il nous était possible de vous le retrouver ! Dans cette terrible passe d’incertitude et d’angoisse, réfugions-nous dans le cœur agonisant de Jésus et dans le cœur compatissant de Marie. Dans ces deux cœurs sont les vraies sources d’où coule la force pour accepter la croix et le courage pour la perte qu’elle qu’en soit le poids.

Encore une fois courage et confiance. Bien à vous au N.P..

Votre tout dévoué, Frère Auguste.

N.B. J’ai eu une occasion de vous faire parvenir la lettre depuis la France.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Chaupin, à T. Cornet, à F. Videlaine, à l’association « collectif Artois 1914-1918 », à l’association Notre-Dame-de-Lorette et à la garde d’honneur de l’ossuaire de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

1 décembre 2011

Dernières lettres écrites par le sergent Joseph Dechanet.

                   Joseph_Dechanet

Une dernière fois, un très grand merci à Y. Marain et à F. Petrazoller pour leurs autorisations de publier ici les dernières lettres du sergent Joseph Dechanet qu’il a écrit à son frère. 

19 mars 1915

La fin ? Je crois de plus en plus que les armes ne l’amèneront plus. Les Allemands en ont assez, mais je sûr que nos gouvernants doivent être eux aussi fort embarrassés. Les Allemands n’ont plus de munitions ? Eh bien, nous ne nous en apercevons guère ! Au contraire, même ! Ils n’ont plus de vivres ? Qu’en sait-on ! Plus de soldats ? Hélas ! Si ! Et des bons… et de nombreux. Tout le monde est pour nous ? On ne s’en aperçoit guère… La Grèce nous lâche, l’Espagne nous blâme, l’Italie à l’air de se désintéresser de l’affaire. Le grand effort, la « campagne du printemps » dont tu me parles, nous l’attendons. Sera-ce le succès définitif ? Je suis bien pessimiste.

Plus rien n’a prise sur moi. On grelotte des jours et des nuits entières, on passe des heures dans l’eau, jusqu’aux genoux, et l’on ne s’en porte pas plus mal. Tout de même, la fatigue se fait sentir parfois. Mais l’habitude vient à bout de tout. Il me semble à présent que je suis en guerre depuis des années et que le monde se divise en deux catégories : ceux qui font la guerre et ceux qui ne la font pas… Moi, je fais la guerre… Et je ne puis pas me figurer qu’il puisse arriver un jour où cela prendra fin. Depuis 5 mois et demi, nous n’avons pas avancé d’un kilomètre, et pourtant, les plaines où Français et Allemands sont face à face sont devenues des cimetières immenses d’où le bruit du « canon » n’arrive plus à éloigner les corbeaux… 

15 avril 1915

Tu me demandes si je crois à une paix prochaine. Non, elle n’est pas possible. Et l’on me dirait que la guerre doit durer jusqu’aux premières neiges de l’hiver que je ne serais pas surpris. J’espère toutefois que dans quatre mois ce sera décidé. Hélas ! Combien encore seront sacrifiés ! Tu te souviens, mon cher Henri, du jour où tu vins me dire « au revoir » à Jorquenay. Je prévoyais bien l’avenir. Ce jour-là, nous sommes partis 80, pour la 11e compagnie, et bien, nous restons 7 exactement, après huit mois. En restera-t-il un seul dans quelques mois ? C’est au moins douteux. Voici que le temps se met au beau. Déjà les essais d’attaques commencent. Si le beau temps continue, les grandes choses ne tarderont pas, et chaque mètre carré gagné coûtera un homme… car on nous vante nos succès, mais on tait le reste. Il faut être courageux, car nos ennemis le sont, eux aussi ! Et parfois, ils font preuve d’un véritable mépris de la mort. Vivement le grand coup, une attaque générale, terrible, à fond, qui décide au moins quelque chose ! La moitié d‘entre nous, une fois de plus, y restera, mais les autres auront au moins une espérance précise. Les blessés auront le repos, loin du bruit de la bataille, et les morts auront au moins la paix. Vois-tu, nous en sommes arrivés à la phase décisive. Que cela finisse, de quelque façon que ce soit. Mais la fin est bien loin, même si le succès nous sourit, ce que nous espérons d’ailleurs fermement. Qu’il sera heureux et fier, celui qui verra la victoire après avoir lutté sur tant de champs de bataille !

 4 juin 1915

Une marmite m’a enterré hier, mais j’ai été dégagé à temps. C’est à recommencer. Nous sommes toujours où tu sais. On vit parmi les cadavres qui pavent, littéralement, ce plateau que les Allemands appellent la montagne de la mort. Et dans quelques jours, nous retournons probablement à l’attaque. Cette fois !... Enfin, on finit par se moquer de tout, même de la mort, chose si familière. Chacun son tour.

 7 juin 1915

« Mon pauvre Henri, tu verras, j’espère que tu verras toi ». Tu verras que cet hiver, nous serons encore là !... Oui, je le sens. Tu penses si c’est gai, surtout pour nous qui sommes en campagne depuis 10 mois et devenus des espèces de sauvages, détestés des civils, ingrats, imbéciles qui ne comprennent pas, trouvent que nous n’en faisons pas assez et que le sang français, le nôtre, ne coule pas assez… Qu’est-ce qu’il leur faut !

 Sources :

« Les cahiers Haut-Marnais », cahiers édités par les archives départementales de la Haute-Marne. Cote 7 rev 168.

 Un grand merci à M. Alzingre, à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.N. Deprez, à Y. Marain, à F. Petrazoller et au conseil départemental de la Haute-Marne.

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