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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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1 décembre 2011

Dernières lettres écrites par le sergent Joseph Dechanet.

                   Joseph_Dechanet

Une dernière fois, un très grand merci à Y. Marain et à F. Petrazoller pour leurs autorisations de publier ici les dernières lettres du sergent Joseph Dechanet qu’il a écrit à son frère. 

19 mars 1915

La fin ? Je crois de plus en plus que les armes ne l’amèneront plus. Les Allemands en ont assez, mais je sûr que nos gouvernants doivent être eux aussi fort embarrassés. Les Allemands n’ont plus de munitions ? Eh bien, nous ne nous en apercevons guère ! Au contraire, même ! Ils n’ont plus de vivres ? Qu’en sait-on ! Plus de soldats ? Hélas ! Si ! Et des bons… et de nombreux. Tout le monde est pour nous ? On ne s’en aperçoit guère… La Grèce nous lâche, l’Espagne nous blâme, l’Italie à l’air de se désintéresser de l’affaire. Le grand effort, la « campagne du printemps » dont tu me parles, nous l’attendons. Sera-ce le succès définitif ? Je suis bien pessimiste.

Plus rien n’a prise sur moi. On grelotte des jours et des nuits entières, on passe des heures dans l’eau, jusqu’aux genoux, et l’on ne s’en porte pas plus mal. Tout de même, la fatigue se fait sentir parfois. Mais l’habitude vient à bout de tout. Il me semble à présent que je suis en guerre depuis des années et que le monde se divise en deux catégories : ceux qui font la guerre et ceux qui ne la font pas… Moi, je fais la guerre… Et je ne puis pas me figurer qu’il puisse arriver un jour où cela prendra fin. Depuis 5 mois et demi, nous n’avons pas avancé d’un kilomètre, et pourtant, les plaines où Français et Allemands sont face à face sont devenues des cimetières immenses d’où le bruit du « canon » n’arrive plus à éloigner les corbeaux… 

15 avril 1915

Tu me demandes si je crois à une paix prochaine. Non, elle n’est pas possible. Et l’on me dirait que la guerre doit durer jusqu’aux premières neiges de l’hiver que je ne serais pas surpris. J’espère toutefois que dans quatre mois ce sera décidé. Hélas ! Combien encore seront sacrifiés ! Tu te souviens, mon cher Henri, du jour où tu vins me dire « au revoir » à Jorquenay. Je prévoyais bien l’avenir. Ce jour-là, nous sommes partis 80, pour la 11e compagnie, et bien, nous restons 7 exactement, après huit mois. En restera-t-il un seul dans quelques mois ? C’est au moins douteux. Voici que le temps se met au beau. Déjà les essais d’attaques commencent. Si le beau temps continue, les grandes choses ne tarderont pas, et chaque mètre carré gagné coûtera un homme… car on nous vante nos succès, mais on tait le reste. Il faut être courageux, car nos ennemis le sont, eux aussi ! Et parfois, ils font preuve d’un véritable mépris de la mort. Vivement le grand coup, une attaque générale, terrible, à fond, qui décide au moins quelque chose ! La moitié d‘entre nous, une fois de plus, y restera, mais les autres auront au moins une espérance précise. Les blessés auront le repos, loin du bruit de la bataille, et les morts auront au moins la paix. Vois-tu, nous en sommes arrivés à la phase décisive. Que cela finisse, de quelque façon que ce soit. Mais la fin est bien loin, même si le succès nous sourit, ce que nous espérons d’ailleurs fermement. Qu’il sera heureux et fier, celui qui verra la victoire après avoir lutté sur tant de champs de bataille !

 4 juin 1915

Une marmite m’a enterré hier, mais j’ai été dégagé à temps. C’est à recommencer. Nous sommes toujours où tu sais. On vit parmi les cadavres qui pavent, littéralement, ce plateau que les Allemands appellent la montagne de la mort. Et dans quelques jours, nous retournons probablement à l’attaque. Cette fois !... Enfin, on finit par se moquer de tout, même de la mort, chose si familière. Chacun son tour.

 7 juin 1915

« Mon pauvre Henri, tu verras, j’espère que tu verras toi ». Tu verras que cet hiver, nous serons encore là !... Oui, je le sens. Tu penses si c’est gai, surtout pour nous qui sommes en campagne depuis 10 mois et devenus des espèces de sauvages, détestés des civils, ingrats, imbéciles qui ne comprennent pas, trouvent que nous n’en faisons pas assez et que le sang français, le nôtre, ne coule pas assez… Qu’est-ce qu’il leur faut !

 Sources :

« Les cahiers Haut-Marnais », cahiers édités par les archives départementales de la Haute-Marne. Cote 7 rev 168.

 Un grand merci à M. Alzingre, à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.N. Deprez, à Y. Marain, à F. Petrazoller et au conseil départemental de la Haute-Marne.

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