Originaire du département de l’Ain, Eugène Antoine Goudard voit le jour le 10 octobre 1891 à Arbère, un hameau rattaché à la commune de Divonne-les-Bains, aux portes de la frontière suisse.
Sa mère, Sylvie Eugénie Chevassu, est âgée de 31 ans. Elle a déjà donné la vie à un garçon prénommé Fernand, né en 1887. Son père, Jean Louis, a 38 ans.
Le lendemain, le tonnelier Marc François Dubout, ami et témoin de mariage du père, et le cordonnier Jean Trotta se rendent à la mairie de Divonne-les-Bains en compagnie de Jean Louis pour y signer le registre d’état civil. Les trois hommes officialisent ainsi la naissance du petit Eugène aux yeux de la République.
Les frères Goudard grandissent au cœur du pays de Gex, au pied du massif jurassien où leurs parents cultivent la terre. Ils ne quitteront leur région natale que pour aller effectuer leurs obligations militaires.
Eugène laisse les bancs de l’école communale après avoir appris à écrire, à lire et à compter comme il est précisé sur sa fiche matricule mentionnant un degré d’instruction de niveau 3.
Contrairement à Fernand qui a choisi de travailler à la ferme, il décide de s’éloigner un peu de la famille en se faisant employer aux bains de la ville thermale de Divonne-les-Bains.
On ne connaît pas la raison pour laquelle Eugène ne s’est pas présenté devant le conseil de révision. Il fut en tout cas déclaré « bon absent »
Incorporé au 149e R.I. à compter du 1er octobre 1912, le jeune homme doit rejoindre la ville d’Épinal par voie de chemin de fer.
Eugène Goudard arrive au corps le 2 octobre 1912. La vie de caserne semble convenir à ce soldat de la classe 1911. Il donne entière satisfaction à ses supérieurs. L’année qui suit son arrivée à la caserne Courcy, son capitaine le propose pour assister aux cours de l’école des caporaux du régiment. Eugène est nommé dans ce grade le 11 novembre 1913. Trois mois plus tard, jour pour jour, il est promu sergent.
Juillet 1914, les rapports avec l’Allemagne sont de plus en plus difficiles, à tel point que le travail des diplomates, très rapidement, devient caduc.
Début août 1914, la guerre est sur le point d’être déclarée. Eugène Goudard porte toujours l’uniforme. Il sert dans la 7e compagnie, sous les ordres du capitaine Coussaud-de-Massignac.
Son régiment est une unité de couverture. Le 149e R.I. doit envoyer son 1er échelon en direction de la frontière allemande, et ce, avant même que la déclaration de guerre ne soit officiellement annoncée.
Dans la matinée du 1er août 1914, la 7e compagnie prend la direction de la gare d’Épinal. Elle est une des dernières compagnies du régiment à quitter la caserne Courcy. Le train est chargé d’acheminer les trois compagnies du 2e bataillon qui sont encore présentes dans la cité spinalienne ; il part à 10 h 10. Les hommes descendent sur les quais de la station de Bruyère deux heures plus tard.
Le reste du chemin qui mène à proximité de la frontière se fait progressivement par marches successives, pour l’ensemble du régiment.
Le 9 août 1914, c’est le baptême du feu. L’engagement débute à 12 h 30. Celui-ci a lieu du côté du Renclos-des-vaches, près du village de Wisembach. La 7e compagnie a été désignée pour défendre le drapeau. Elle constitue la réserve du régiment. Cinq heures après les premiers échanges de tirs, la compagnie du capitaine Coussaud-de-Massignac est envoyée sur les lieux des combats. Le sergent Goudard est blessé à ce moment-là. Il a la chance de pouvoir être évacué vers l’arrière.
Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.
Le sergent Goudard rejoint le front le 20 novembre 1914. Il retrouve son ancien régiment qui combat en Belgique depuis plusieurs semaines. Eugène est réintégré dans les effectifs de la 7e compagnie.
Le 149e R.I. est envoyé sur le front d’Artois, dans le secteur de Noulette. Nous sommes en décembre 1914.
Eugène Goudard est promu adjudant le 23 janvier 1915.
Début mars 1915, la 7e compagnie, sous les ordres du capitaine Guilleminot, est rappelée d’urgence de sa zone de repos. Elle doit rejoindre la 1ère ligne au plus vite pour soutenir les éléments du régiment qui sont en grand danger suite à une violente attaque allemande.
Eugène sort indemne de cette nouvelle expérience du feu. Plusieurs officiers ont été tués ou blessés au cours de l’offensive. Il faut les remplacer.
L’adjudant Goudard est nommé sous-lieutenant à titre temporaire pour la durée de la guerre, suite à une décision prise le 31 mars 1915 par le général commandant en chef.
Même si les dates ne sont pas connues, il a forcément suivi un stage et un examen pour devenir chef de section. Ce sésame est indispensable pour devenir adjudant et sous-lieutenant. Certains sergents devenaient adjudants le temps de faire leurs preuves avant de devenir sous-lieutenant. C’est probablement le cas d’Eugène.
La section du sous-lieutenant Goudard participe aux combats des mois de mai et de juin. Il s’illustre au cours d’une attaque de nuit qui lui vaut une citation à l’ordre du corps d’armée.
Eugène Goudard est mortellement blessé durant une attaque menée par sa section au cours de la prise du bois en Hache le 26 septembre 1915. Il allait fêter ses 24 ans.
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Les circonstances de sa mort et de ses dernières heures de vie sont connues. Elles sont évoquées dans une lettre rédigée par le sergent Monnet, conservée aux archives départementales du Pas-de-Calais.
« … Nous passâmes le restant de la nuit à la T.D.A. (tranchée de défense arrière), ligne de repli solide située à 200 mètres du chemin creux. Il n’y avait pas d’abri, et le lieutenant passa la nuit sur un banc de terre aux côtés du sous-lieutenant Nold et du sous-lieutenant Relu (le 1er est actuellement commandant de la 5e compagnie, le second fut tué dans les mêmes conditions et à la même heure que le lieutenant Goudard).
Je ne le revis que le 25 vers 7 h 00. Je suis resté près de lui jusqu’à 13 h 00, moment auquel nous allâmes renforcer les 1ère vagues. Le lieutenant Goudard était très fatigué, très pâle. Il ne prit dans la matinée qu’un peu de café chaud et d’alcool. Il m’en offrit même. Il ne cessa de plaisanter, avec son demi-sourire habituel, au sujet des mille embarras de notre situation.
Jamais il ne quitta sa douceur et sa gentillesse qui lui étaient coutumières. Mais il semblait, à ses yeux tristes, qu’il devinait que notre assaut lui serait fatal.
À 13 h 00 environ, une demi-heure après l’attaque des chasseurs, le fourrier de la compagnie vint nous appeler à la rescousse. Dans le même ordre que la veille, nous avançâmes par le boyau Defrasse sous un bombardement infernal. On n’entendait rien, on ne voyait rien. Nous étions comme ivres. Nous restâmes le restant de la journée et une partie de la nuit du 25 au 26 dans les abris du chemin creux où je ne vis pas le lieutenant.
Vers deux heures du matin, nous allâmes relever en première ligne, dans la parallèle de départ, entre les sapes 4 et 4 bis. Le lieutenant Goudard se tint presque constamment dans le P.C. du capitaine où il prit un peu de repos et quelques aliments. Chargé de plusieurs missions, je ne revis le lieutenant Goudard que quelques minutes avant l’attaque, de 13 h 00 à 13 h 10. Il chargeait son révolver, appuyé contre la tranchée. Il paraissait absolument sans aucune force, mais son visage avait toujours, dans son expression un peu féminine, le même éclat illuminé, comme irradié.
Il a fallu, au moment décisif, qu’il fasse un effort de volonté immense. Comme personne ne l’avait suivi, il revint en arrière, et se penchant au-dessus de la tranchée, il cria à ses hommes : « Oh les chameaux ! Allons, en avant ». Et tous les hommes qui restaient valides le suivirent.
Je ne pris pas part personnellement à l’attaque, ayant été blessé légèrement à la tête. Ce n’est que le lendemain que j’appris par des cuisiniers qu’il avait été touché. Personne ne savait exactement s’il avait été blessé ou tué. Enfin, le surlendemain, on apporta son corps dans la chapelle de l’ambulance à Sains-en-Gohelle. Lorsque je me rendis près de lui, il était déjà en bière.
C’est moi-même qui ai commandé le peloton d’honneur funèbre. Avec quelle émotion je criais à mes hommes, pour mon chef de section de plusieurs mois de souffrances et d’héroïsme, que j’aimais et vénérais infiniment : « présenter armes ».
Son ami, l’abbé Chapeau, réussit à obtenir un laissez-passer pour aller annoncer la terrible nouvelle à la famille. Les parents d’Eugène étaient déjà dans l’inquiétude de ne plus recevoir de nouvelles de leur fils aîné, Fernand.
Le 6 octobre 1915, le sergent-major François Louis Pierre Cliquet et le clairon Claude Amour, signent en tant que témoins l’acte de décès du sous-lieutenant Goudard rédigé par le sous-lieutenant Alexandre Mortemard de Boisse, qui assure les fonctions d’officier de l’état civil au 149e R.I..
Le 27 octobre 1915, le chef du 149e R.I., le lieutenant-colonel Gothié, rédige ceci dans le feuillet individuel de campagne : « Jeune officier plein d’allant et d’entrain, énergique, courageux, prêchant d’exemple en toute circonstance. Excellent chef de section, cité à l’ordre du C.A. pour sa belle conduite à l’attaque du 29 mai. Blessé mortellement le 26 septembre devant Angres en entraînant sa section à l’assaut »
L’acte de décès du sous-lieutenant Goudard est transcrit à la mairie de Divonne-les-Bains le 8 décembre 1915.
Fernand, qui a été considéré comme disparu jusqu’en 1921, est en fait « mort pour la France » le 11 mai 1915 à Sedd-Ul-Bahr, dans la péninsule de Gallipoli.
Une petite plaque en marbre, pourtant les noms des deux frères tués à la guerre, a été déposée sur une tombe qui se trouve dans le cimetière de Divonne-les-Bains.
Eugène et Fernand ne se sont pas mariés et n’ont pas eu de descendance.
Le sous-lieutenant Eugène Goudard a obtenu les citations suivantes :
Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 49 du 18 juin 1915 :
« Officier d’une très grande valeur ayant toujours fait preuve de bravoure et de qualités militaires remarquables. À l’attaque de nuit du 39 mai 1915, a entraîné sa section sous une grêle de balles jusque dans la tranchée allemande, l’a fait organiser et s’y est maintenu sous les bombes. »
Citation à l’ordre de la 10e armée n°121 en date du 21 octobre 1915 :
« Le 26 septembre 1915, devant Angres, a été tué en entraînant brillamment sa section à l’attaque des tranchées allemandes, sous une fusillade et un bombardement des plus violents. Officier brave et plein d’entrain, déjà blessé et cité à l’ordre du corps d’armée. »
Le nom du sous-lieutenant Goudard est gravé sur le monument aux morts de la commune de Divonne-les-Bains.
Sources :
Dossier individuel provenant du Service Historique de la Défense de Vincennes.
Les sites des archives départementales de l’Ain et du Pas-de-Calais ont été consultés.
La photographie représentant la sépulture provient du site Généanet.
Le portrait qui se trouve sur le 1er montage est un envoi d’A. Décotte.
Le cliché représentant la plaque en marbre est un envoi de T. Cornet.
La photographie du bois en Hache qui se trouve sur le dernier montage a été réalisée par T. Cornet.
Pour connaître la généalogie de cet oficier, il suffit de cliquer une fois sur le lien suivant :
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à T. Cornet, à A. Décotte, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Pas-de-Calais.