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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 octobre 2021

François Auguste Adrien Jeudy (1883-1918)

François Auguste Adrien Jeudy

 

Enfant naturel, François Auguste Adrien Jeudy voit le jour le 2 juin 1883, dans la maison de son grand-père maternel, à Amage, dans le département de la Haute-Saône. Sa mère, Belzamine Jeudy, est âgée de 38 ans.

 

François est le dernier enfant d’une fratrie composée d’une fille et de trois garçons, tous nés de père inconnu sur l’état civil.

 

Belzamine se marie le 3 décembre 1884 à Raddon-et-Chapendu. Elle épouse François Alexandre Bernard, un maçon, veuf de Marie Josèphe Galmiche et père de 6 enfants. Ce couple donnera vie à deux garçons qui ne survivront pas à la petite enfance.

 

François Jeudy quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 2. Il sait lire et écrire, mais sa maîtrise de l’arithmétique et de la géométrie reste insuffisante.

 

Le livre d’or de la blanchisserie et de la teinturerie de Thaon-les-Vosges nous apprend qu’il a travaillé durant 7 ans dans cette entreprise.

 

Le 3 février 1904, François Jeudy se marie avec Marie Joséphine Honorine Offerlé à Fontaine-lès-Luxeuil. Deux filles et un garçon naîtront de cette union.

 

La photographie suivante, prise durant le conflit 1914-1918, le représente au côté de son épouse.

 

 

Comme pour la plupart des registres vosgiens, la fiche matricule de cet homme ne dévoile rien de sa vie de soldat. Seuls y figurent son état civil, son signalement et la décision prise par le conseil de révision lorsqu’il s’est présenté devant lui.

 

À partir de là, il nous est donc impossible de reconstituer son parcours militaire. Heureusement, son livret militaire et quelques photographies conservés par la famille permettent de remédier, en partie, à ce problème.

 

Sa fiche signalétique et des services indique un ajournement pour faiblesse en 1904. Son livret militaire mentionne un passage dans la réserve de l’armée active en 1907. Ces deux informations laissent supposer une arrivée au régiment en 1905.

 

Une photographie datant du début du 20e siècle confirme sa présence au sein du 149e R.I., une unité qui tient garnison à Épinal. Le cliché qui suit le montre en uniforme de sergent.

 

Portrait de François Jeudy au service militaire

 

De retour à la vie civile, François Jeudy retrouve un emploi en blanchisserie et teinturerie.

 

En 1911, il travaille comme chauffeur à Thaon-les-Vosges.

 

Été 1914 : une nouvelle guerre contre l’Allemagne est sur le point de commencer.

 

La logique voudrait que le réserviste Jeudy ait rejoint la caserne Courcy dès le début des hostilités, c’est à dire au moment du rappel de sa classe. Comme nous l’avons signalé plus haut, la partie « détail des services et mutations diverses » de sa fiche matricule est vide. Il est donc impossible de valider cette hypothèse à 100 %.

 

Quelques éléments retrouvés dans plusieurs documents permettent de reconstituer de façon fragmentaire son parcours de soldat.

 

Son nom figure à deux reprises dans les contrôles nominatifs trimestriels du 149e R.I. des malades et des blessés traités dans les formations militaires.

 

Le 23 août 1915, François Jeudy entre à l’ambulance n° 6/21 installée à Bruay-en-Artois. L’identité de ce sous-officier apparaît une 1ère  fois dans le registre du contrôle nominatif du 3e trimestriel de l’année 1915. La colonne correspondant à la compagnie indique une présence au sein de la 1ère compagnie du régiment.

 

Nous retrouvons son nom inscrit quelques pages plus loin, mais cette fois-ci, avec un enregistrement à la 34e compagnie du 149e R.I.. Comment interpréter ce changement de numérotation ?

 

Il quitte le jour même l’ambulance n° 6/21 pour une destination inconnue. Est-il retourné au dépôt ? A-t-il été envoyé vers l’arrière pour y être soigné ? A-t-il rejoint le régiment actif ? Il est impossible de répondre à ces questions en l’état actuel des informations trouvées dans les différentes sources.

 

Le 10 avril 1916, François Jeudy entre à l’hôpital militaire de la ville d’Épinal. Il en sort 13 jours plus tard.

 

Un document signé par le commandant du dépôt du 149e R.I. datant du 13 février 1917 fait savoir que le sergent Jeudy a été blessé durant le conflit, mais il n’est fait aucune mention de la date de cette blessure.

 

Livret militaire

 

Deux permissions sont enregistrées dans son livret militaire. La première a été obtenue du 10 au 16 octobre 1916, la seconde du 7 au 18 mars 1917.

 

À la fin de l’année 1917, le sergent Jeudy est responsable des 15e et 16e escouades de la 35e compagnie du 9e bataillon du 149e R.I..

 

 

La date de son retour au front n’a pas pu être retrouvée. Nous savons simplement qu’il a intégré les effectifs de la 7e compagnie le jour où il a rejoint le régiment actif dans la zone des armées en 1918.

 

Le sergent Jeudy est tué au cours d’une attaque qui a lieu dans le secteur de Sommepy-Tahure le 28 septembre 1918, à la tête de sa demi-section. Il était âgé de 35 ans.

 

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

28 septembre 1918

 

Même s’il reste encore de nombreuses zones d’ombre dans la reconstitution du parcours de combattant de ce sous-officier nous pouvons quasiment affirmer qu’il a toujours porté l’uniforme du 149e R.I..

 

La famille n’a pas réclamé le corps dans les années vingt. Le sergent Jeudy repose actuellement dans la nécropole nationale de Sommepy-Tahure. Sa sépulture porte le n° 796.

 

Sepulture de François Jeudy

 

François Jeudy a été décoré de la Médaille militaire à titre posthume.

 

« Chef de demi-section plein de courage et d’entrain, possédant un grand ascendant sur ses hommes. Tombé glorieusement pour la France, le 28 septembre 1918, près de Somme-Py en conduisant sa fraction à l’assaut. » 

 

Cette distinction lui donne également droit au port de la croix de guerre avec une étoile d’argent.

 

Le nom de ce sous-officier a été gravé sur le monument aux morts de la commune de Thaon-les-Vosges.

 

Monument aux morts de Thaon-les-Vosges

 

Il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante pour prendre connaissance de la généalogie du sergent Jeudy.

 

Geneanet

 

Sources :

La fiche signalétique et des services de François Jeudy a été consultée sur le site des archives départementales des Vosges.

 

Contrôles nominatifs du 3e trimestre 1915 et du 2e trimestre 1916 du 149e R.I. des malades et des blessés traités dans les formations sanitaires détenus par les archives médicales hospitalières des armées de Limoges.

 

Livre d’or de la blanchisserie et de la teinturerie de Thaon-les-Vosges.

 

Les documents et les photographies présentées ici proviennent tous de la collection de la famille descendant de ce sous-officier. Je remercie tout particulièrement madame A. Ehlinger pour son aide et son autorisation de publication.

 

La photographie de la sépulture du sergent Jeudy a été réalisée par N. Galichet.

 

Un grand merci à M. Bordes, A. Ehlinger  à N. Galichet, à I. Mazingand, à A. Carobbi, au Service Historique de la Défense de Vincennes, aux archives médicales hospitalières des armées de Limoges et aux archives départementales des Vosges.

22 octobre 2021

5 octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

5 octobre 1918, l'abbé Henry temoigne

 

Les combats sont terminés pour la 43e D.I. depuis la veille au soir. Chaque élément de la division a rebroussé chemin après avoir cédé la place à la 124e D.I..

 

L’aumônier Henry est un des derniers à quitter le poste de secours du bois des Ronces. En solitaire, il rejoint la zone de rassemblement du 149e R.I. à la Forestière avant de gagner le camp Sapins.

 

Témoignage de l’abbé Henry :  P.S. du bois des Ronces - P.S. Bois Sapins

 

La relève s’est effectuée sans incident. Les blessés ont été rapportés. Il n’y a plus qu’à partir.

 

6 h 00. Tout le monde dort. Je m’en vais seul avec tous mes bagages sur le dos. Que de changements en 48 heures dans cette partie du champ de bataille. Batterie par batterie, les régiments d’artillerie ont peu à peu pris possession de ces croupes boisées. Les pistes ont été poussées vers l'avant. Piste n° 4, piste n° 3, il n'y a qu'à suivre. Route de Somme-Py à Aure. Vu là, le commandant Sancelme qui me demande des nouvelles du régiment qu'il sait avoir été fort éprouvé même par nos obus.

 

Bois de la Chèvre. On se croirait à l'arrière ; il y a du monde partout qui va, qui vient. Je quitte la piste 3 pour, de la Pince, gagner directement le P.S. voie ferrée. Bien m'en a pris. Les Boches ont tenu à montrer qu'ils étaient encore un peu là et qu'ils avaient des yeux pour voir. Pendant 10 minutes, ils marmitent entre la Pince et le chemin de fer. Je vois des types s'éloigner à toutes jambes de la zone marmitée.

 

P.S. voie ferrée. Nos amis de la 13e et du 21e sont toujours là. Grâce à eux, je peux dire la messe et prendre une tasse de café. Point de rassemblement du 149 : la Forestière et les environs. Il faut faire en sens inverse le chemin parcouru dans la première journée d'offensive.

 

Tout ce terrain si longtemps, si âprement disputé, commence à rentrer dans l'ordre, à devenir l'arrière. C’est maintenant que je puis le parcourir à pas tranquille que m'apparaît dans son magnifique ensemble le travail accompli dès le premier jour.

 

Du chemin de fer à la cote 193, trois km en ligne droite ; de la cote 193 à l'ouvrage 2, point de départ, trois km encore ; au total six km de réseaux de fils de fer, de tranchées, d'abris bétonnés pour mitrailleuses, d'abris aménagés pour les hommes. Il faut revoir tout cela posément par le menu et on reste effrayé de l'audace que nous avons eue, du peu de chances que nous avions de réussir.

 

Il y avait là de tels moyens de défense accumulés que c'est miracle que nous nous en soyons sortis à si peu de frais. Les pertes douloureuses de toute cette période, en particulier ces deux jours, nous les aurions eus le premier jour en enlevant ce gros morceau, que cela eut paru normal.

 

Vous n'avez pas voulu, mon Dieu, nous exposer à une tentation d'orgueil à laquelle nous aurions succombé sans doute et voilà pourquoi vous avez permis l'épreuve des derniers jours. L'attaque du premier jour a été une opération extrêmement brillante.

 

Si on prend les attaques des neuf jours dans leur ensemble, elles constituent encore, et malgré tout, un fait d'armes brillant et, somme toute, avantageux pour nous.

 

Qui pourrait reconnaître la route de Souain Tahure, Albertini, Soury Lavergne, dans ce décor nouveau ? C'est à n'y pas croire. Au fur et à mesure que j'avance, les détails de l'attaque me reviennent en mémoire.

 

La route de Souain-Tahure

 

Est-il possible qu'en dix jours, un tel changement ait pu s'accomplir ? De-ci, de-là dans la plaine tourmentée, ravagée, des explosions ! On me dit que ce sont les mines innombrables posées par les Boches pour arrêter les tanks qu'on fait sauter.

 

Je me suis arrêté au cimetière fait par le G.B.D. au P.C. ancien Albertini. Adieu, pauvres et chers amis ! Les artilleurs des tanks creusent des fosses pour ceux de leurs camarades qui y sont restés. Il m'a semblé qu'il y en avait bien une douzaine.

 

Elberfeld, P.C. Grenay, trou Bricot. Ce sont maintenant des échelons d'artillerie qui occupent les abris.

 

P.C. Hamon. Le 31e B.C.P. est déjà au repos. Forestière. Ici une compagnie de mitrailleuses du 149. Un train du Tacot vient de dérailler ; ça amuse les curieux.

 

Le colonel s'installe au camp Sapins, c'est-à-dire à l'ouest de la route Marchand sur la cote 200. C'est un quartier près duquel je suis passé souvent sans le visiter ; et pourtant, il en valait la peine. Il y a une chapelle rustique construite jadis par des territoriaux et qui a quelque peu souffert le 15 juillet. À cette époque, il y avait ici des batteries d'artillerie et je ne m'étonne plus de toutes ces rafales d'obus que depuis le P.C. Hamon je voyais s'abattre sur ce point.

 

La route Marchand

 

Beaucoup de monde au P.C. Sapins, de la cavalerie qui attend toujours l'heure fatidique de son entrée en scène, une partie des services, sinon tous les services du corps d'armée. Il y a même un camp de prisonniers qui tout de suite attire l'attention. Il y a beaucoup de monde, tellement que ce n'est pas sans peine que nous arrivons à nous caser et plutôt mal que bien. J'ai un petit coin, un trou où il y a juste place pour s'étendre. Mais on est habitué à se contenter de peu. Et puis nous ne sommes ici qu'en passant.

 

Tout à l'heure, j'ai vu arriver un groupe de 13 prisonniers venant des lignes. En voici un autre groupe plus important. Ils sont près de 200 conduits par quatre cavaliers américains. Curieux détail ; ils sont du 149e R.I. boche. Amenés en toute hâte pour contre-attaquer, ils ont refusé de marcher. Et voilà comment on a pu entendre dire : « Le 149 est un mauvais régiment. Il a refusé d'attaquer ». Ah ! Ne confondons pas ! Il s'agit du 149 boche. Trois officiers se tiennent à l'écart et causent entre eux. Un petit groupe aussi a été séparé du reste. Ce sont, paraît-il, des Alsaciens Lorrains ; ils ont un traitement de faveur, rations doubles, etc.

 

Tuyau du docteur Rouquier toujours bien informé. Le Boche décolle devant le corps d'armée qui était à notre gauche, le contact est perdu ; le Boche se retire, on le poursuit ; la cavalerie elle-même entre en jeu.

 

Vu l'abbé**** attaché maintenant au corps d'armée. Le corps d'armée s'en va, paraît-il, demain matin ; il va s'installer au tunnel de Gratreuil !

 

Forte, très forte canonnade ce soir et qui se prolonge dans la nuit.

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

Le morceau de carte  est extrait du J.M.O. du 3e B.C.P. : Réf 26 N 816/5.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes. 

15 octobre 2021

Du 5 au 17 octobre 1918

5 octobre 1918 au P

 

Les unités de la 43e D.I. ont quitté la zone des combats dans la nuit du 4 au 5 octobre 1918.

 

Après s’être rassemblés à la Forestière, le lieutenant-colonel Vivier et les restes de son régiment s’établissent au P.C. Sapins, situé à l’ouest de la route Marchand, à proximité de la cote 200. Le P.C. Sapins grouille de monde. Les survivants du 149e R.I. ont beaucoup de mal à trouver une place.

 

Le P.C. Sapins est occupé par de la cavalerie et la presque totalité des services du 21e C.A.. Le général Naulin commandant le 21e C.A. y est installé avec tout son état-major. De nombreux Allemands sont également rassemblés dans un camp de prisonniers.

 

Le lieutenant-colonel Vivier reçoit l’ordre de quitter ce lieu dès le lendemain. Son régiment doit se rendre à Mourmelon-le-Grand.

 

Au début de l’après-midi du 6, les 3 bataillons du 149e R.I. se rassemblent sur la route Marchand pour leur embarquement dans des camions. Le départ est prévu pour 15 h 00. Les véhicules suivent la route de Suippes.

 

Carte journee du 6 octobre 1918

 

Le régiment arrive à destination vers 17 h 00. Il doit cantonner dans les anciennes casernes d’artillerie du camp de Châlons. L’état-major du régiment s’installe au quartier Fleurus. La troupe occupe le quartier Loano. Au regard de ce qu’elle a vécu au cours des jours précédents, c’est le grand confort ! Chacun espère en profiter le plus longtemps possible.

 

 

Hélas, il n’est pas question de prendre ses aises ! Le 8 octobre, le 149e R.I. doit se préparer pour un nouveau départ. Cette fois-ci, le déplacement se fera à pied. Une marche d’environ 20 km attend les hommes du lieutenant-colonel Vivier ; destination Condé-sur-Marne. Le régiment quitte Mourmelon-le-Grand à 11 h 30. La pluie est de la partie. Les trois bataillons arrivent à Condé-sur-Marne aux alentours de 17 h 00.

 

 

Le 149e R.I. stationne en ce lieu jusqu’au 17 octobre 1918.

 

Sources :

 

J.M.O. de la 43e D.I. réf : 26 N 344/8

 

 Carnets inédits de l’aumônier Henry.

 

Les photographies proviennent de l’historique du 149e R.I. édité par les imprimeries Klein à Épinal.

 

Le portrait du lieutenant-colonel Vivier est extrait de son dossier individuel qui se trouve au S.H.D. de Vincennes.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carrobi, à J.L. Poisot, à M. Porcher et au S.H.D. de Vincennes. 

8 octobre 2021

4 octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

4 octobre 1918 l'abbé Henry temoigne

 

Le 149e R.I., en 1ère ligne depuis la veille, se prépare à repartir à l’offensive. Cette fois-ci, c’est au tour du 3e bataillon de se lancer à l’attaque.

 

L’abbé Henry évoque à nouveau des problèmes avec l’artillerie française. Très critique avec l’état-major de l’Infanterie divisionnaire, il juge sévèrement son attitude concernant les attaques menées au cours de la matinée.  

 

Témoignage de l’abbé Henry :  P.S. du bois des Ronces - P.C. du commandant Fontaine - P.C. du colonel

 

P.S. bois des Ronces. Pas de messe.

 

Réveil matinal. Le froid descend jusqu’au fond des abris. Les blessés ont pu être rapportés pendant la nuit. J’appréhende pour aujourd’hui. Qu’est-ce qui nous attend encore ?

 

Le corps de Saintot est là. Les brancardiers ont pu le retrouver et le rapporter.

 

Cela n’a pas été sans peine. Saintot était avec trois ou quatre autres dans un bout de tranchée hâtivement creusée. À côté de lui, dans un autre élément de tranchée qu'on n'avait pas encore eu le temps de faire communiquer se tenait le capitaine Robinet. Un obus malheureux tomba juste sur le groupe Saintot, les blessant ou tuant tous, et les enterrant en même temps.

 

Il fallut littéralement les déterrer pour les avoir. Saintot était sous les camarades, tellement recouvert de terre que son casque seul dépassait. Quant à Robinet, il ne dut la vie qu'au barrage de 50 cm qui le séparait de Saintot, barrage qu’heureusement, on n'avait pas eu le temps d'abattre.

 

Pendant qu'une dernière fois, je contemple le corps de ce jeune ami, qui depuis quelques mois m'était devenu très cher, mêlant mes larmes et mes prières, un blessé à côté m’appelle que je ne reconnais pas d'abord ; c'est Rémy de Chaumont – jambe cassée par une balle – « Carrière est tué ! me dit-il, il a reçu trois balles de mitrailleuses dans le ventre. Il a beaucoup souffert avant de mourir ».

 

Ainsi donc ! Ils étaient cinq Chaumontais ; sur les cinq : Lepaux, tué - Saintot, tué - Carrière, tué - Rémy blessé. Il ne reste plus que Lévyson dont je n'ai pas de nouvelles. « Vox in Rama audita est, Rachel plorans filios suos... noluit consolari, qui non sunt ! » (Une voix s’est faite entendre en Rama, c'est Rachel pleurant ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler pour ses fils car ils ne sont plus -Paroles du prophète Jérémie, 31-15, Évangile de Mathieu).

 

Comment oserais-je jamais réapparaître à Chaumont. Il me semble qu'à chaque détour de rues, des voix me poursuivront : « Nos enfants ! Où sont nos enfants ? ».

 

Qui donc essaiera de consoler les mères ? Qui donc oserait leur dire des paroles impuissantes, pénibles à dire, pénibles à entendre ! Ah que je comprends ce fils de Jacob qui ne voyait plus le moyen de reparaître devant son père, du moment que Joseph, le jeune frère n'était plus !

 

Ces réflexions s'emparent de mon esprit et l'obsèdent. J'essaie en vain de les chasser, car je sens qu’elles m’enlèvent le peu de forces qui me reste. Je les chasse, elles reviennent à l'assaut de ma pensée ; mon cœur est brisé ; ma tête ne marche plus, ne m'appartient plus. Et pourtant, ce n'est pas le moment de s'abandonner, l'action va reprendre, il faut être à la minute présente ; il faut réagir. Arrière le passé ! Demain, chers morts, je vous pleurerai ; aujourd'hui, laissez-moi ; il faut que je sois pour l'instant à vos camarades qui, comme vous, vont combattre et mourir !

 

À notre gauche, la 167e Division a été relevée cette nuit – on relève tout le monde, on ne nous relaie pas – ce n'est plus le 170e, c’est le 356e qui est à nos côtés.

 

Attaque ce matin par le 356… et par la 43e Division. L’heure H : 10 h 50. Préparation de 10 h 20 à 10 h 50.

 

10 h 00. Je me hâte de repartir au P.C. du commandant Fontaine. La préparation d'artillerie bat son plein. Fuchs Grund - Fuchs Busch - Fond d'Aure.

 

Bois des Ronces

 

Je retraverse tout cela aussi rapidement que possible, avec de l'angoisse plein le cœur. Jamais le devoir ne m’a paru si pénible.

 

Tranchée d'Aure. Le 356 est là, prêt à l'attaque. Mais, au fait, vont-ils attaquer ? Ils ne savent pas bien, il paraît, on le dit, mais les ordres partis de haut au dernier moment sont-ils bien arrivés aux derniers échelons ? Ces troupes ne semblent pas bien fixées sur ce qu'elles ont à faire.

 

Et d'abord, comment connaîtraient-elles le terrain ? Arrivées dans la nuit sur un terrain nouveau pour elles, comment ne seraient-elles pas désorientées ? Savent-elles bien où elles sont ? Savent-elles bien où est l’ennemi ?

 

Décidément, je suis dans le noir et je vois tout en noir. Mon jugement cesse d'être lucide et perd le peu de clarté qui lui restait. Abstenons-nous de juger !

 

Le large plateau traversé, j'arrive sur la pente du petit vallon qui me sépare du P.C. Fontaine. À ce moment, un sifflement brusque et court, comme un souffle de vent sur ma tête. Est-ce que je rêve ? D'où vient-il cet obus qui vient de me passer sur la tête ? Ce ne peut être qu'un Boche, puisque le voilà qui éclate en plein sur le P.C. Fontaine et sur ses soldats.

 

En voici d'autres ; ils se succèdent sans interruption… mais non ! Ce ne sont pas des obus boches ! Ce sont bel et bien des obus français et qui tombent sur des Français ! Tout, mon Dieu, mais pas ça ! Oh non, c'est trop terrible ! Je n'y puis croire, et pourtant il faut se rendre à l'évidence, nos artilleurs tirent sur nous !

 

Le lieutenant Gauthier accourt en levant les bras au ciel, en criant du plus loin qu'il me voit : « C'est malheureux ! Ils tirent sur nous ! Faudrait faire allonger le tir ». Oui ! Pas de paroles inutiles ! Vite des fusées pour faire rectifier le tir.

 

Au pas de gymnastique, je remonte le coteau aux 3/4 descendu et de loin je crie aux soldats du 356 : « De grâce, avez-vous des fusées pour faire allonger le tir ? Vite, vite, envoyez tout ce que vous avez ! Regardez ! Regardez ! ». Implacables, précis, nos obus continuent d'arriver, comme s'ils avaient peur de manquer une si belle occasion ! « Oh les cochons ! Oh les cochons ! ».

 

L'émotion excuse ces épithètes un peu vives. Après bien des paroles et des gestes, une fusée enfin s'élève. Enfin nous artilleurs corrigent leur tir. Il n'est pas trop tôt. Leur erreur est inexplicable vraiment. On peut se tromper un peu ; mais faire un écart de plus d'un kilomètre, c'est impardonnable.

 

Cette erreur est jugée sévèrement : « Il y a sûrement un traître chez des artilleurs ; on devrait le fusiller ! » Cette erreur est d'autant plus regrettable qu'elle se produit juste à l'heure de l'attaque et sur les troupes qui doivent attaquer. Comme s'il ne suffisait pas que l'attaque soit compromise déjà par le manque de préparation et d’études nécessaires, par le retard des ordres arrivés à la dernière minute, il faut encore que nos obus jettent le désordre et la pagaille dans les rangs de nos soldats, et cela, juste au moment de faire le bon en avant !

 

En arrivant au P.C. Fontaine, je constate avec joie que ce contretemps fâcheux n'a pas produit d'affolement. Nos obus nous ont tué un soldat de la 2e et en ont blessé plusieurs du 356.

 

Le capitaine Prenez s'est employé de sa personne à rétablir l'ordre dans le 356 et d'une voix qui n'admet pas la réplique, il les lance en avant. Il leur montre la crête d’Orfeuil, le 149 qui fait son mouvement, qui avance, toujours héroïque et sans souci des balles de mitrailleuses.

 

Bois R42 et R43

 

On le voit en effet s'approcher du Pylône, du petit bois voisin marqué R 42, R 43. On suit les différentes fluctuations de leur avance. Ils sont obligés d'appuyer à gauche, les mitrailleuses d'Orfeuil les prenant de flanc. De leur côté, les Boches réagissent… bientôt, il n'y a plus d'illusions à se faire, le coup est encore manqué.

 

Il est manqué pour les mêmes raisons qu'hier. À droite et à gauche, ça n'a pas bougé ! Le 356 est mal parti, il est resté en route. Quant aux chasseurs, on nous soutient qu’ils sont à Orfeuil. L'I.D. l’affirme. Quand Foch lui-même l’affirmerait, nous serions bien forcés de ne pas le croire. Toujours des données fausses, inexactes ! Les chasseurs sont à Orfeuil. Le 149 doit aller au Pylône. On ne comprend vraiment pas qu'il n'y soit pas encore.

 

Le 149 obéissant va au Pylône, il sait bien que les chasseurs ne sont pas à Orfeuil ! Mais quoi, l'I.D. affirme le contraire ; l'I.D., ou quelqu'un d'autre commande d'aller au Pylône ! On va au Pylône. On sait qu'on va se faire écharper par les mitrailleuses boches qui, plus que jamais, sont à Orfeuil ; on va au Pylône, on se fera tuer.

 

On a rendu compte : « Nous voyons de nos yeux les Boches dans Orfeuil – taisez-vous ! C'est faux, vous parlez comme des froussards qui cherchent de mauvais prétextes, de pitoyables excuses ! ».

 

Soit ! Pour la troisième fois, en avant ! Après le 1er bataillon, après le 2e bataillon, le 3e n'a plus qu'à se faire démolir ! Sans un murmure, sans un mot, ils sont partis !

 

La lande est vaste, les bois sont nombreux, il y a de la place pour aligner les capotes bleues allongées sur le sol, figées dans la même immobilité de la mort !

 

Ils sont partis, la 9e en avant, puis la 10e, la 2e. Ils sont partis comme leurs camarades hier et comme leurs camarades hier, ils ont dû revenir au point de départ ! Ils sont revenus ! Pas tous, cependant.

 

Le lieutenant de la 9e, Ferry, n’est pas revenu du Pylône, il est resté avec sa section. Prisonnier, tué, vivant, on ne sait pas et on ne peut pas y aller voir ; les communications sont rendues impossibles par le feu des mitrailleuses.

 

12 h 00. Le capitaine Prenez a voulu se rendre compte. Il a vu Bessac. Sa première parole est un glas de mort : « Charnotet, tué ! – Adam, tué ! ». Stupeur générale !

 

Le sergent Charnotet ! L’as du régiment ! Celui qui n’avait peur de rien, celui qui entraînait sa section partout, celui que la légende disait invulnérable, tué. Il a reçu en plein un obus !

 

Adam tué ; le courageux Adam, celui qui en trois mois avait conquis les galons de caporal, de sergent ; celui qui était déjà noté par tous comme un futur officier à son tour disparaît. Il épaulait son fusil pour tirer sur un mitrailleur boche et venait de dire : « Je vais descendre celui-là ! », quand il fut touché d’une balle en pleine tête. Plus rapide, le boche l’avait devancé. Adam était un esprit cultivé, artiste, une belle âme qui gagnait du coup toutes les sympathies. C’était un bon chrétien, plein de foi et pratiquant sa foi. Il ne se faisait guère d’illusions sur le sort qui l’attendait et dernièrement, il me disait encore : « Nous y passerons probablement ; nous n’avons pas beaucoup de chance d’en revenir. Alors puisqu’il faut y passer, pour mieux mourir chiquement. J’aimerais à devenir officier. J’essaierai du moins. ». Et il aurait fait un bel officier, un superbe entraîneur d’hommes. C’est une perte, une grosse perte pour le régiment, qui, hélas, n’en est plus à les compter !

 

Un blessé appelle au secours non loin d’ici ; le capitaine Prenez qui l’a vu le signale. C’est une occasion pour Bonnefous et l’équipe qui l’accompagne de se faire sonner de belle façon par les mitrailleuses ennemies.

 

 

12 h 45. Pour la deuxième fois aujourd'hui, ordre d'attaquer. Les chasseurs vont essayer de tourner Orfeuil qu'ils reconnaissent enfin n'avoir pu enlever de front. Ils vont se glisser dans le bois La Croix et le 149 les appuiera.

 

14 h 00. Un pli du lieutenant Ferry. Un homme de liaison a pu passer. Le lieutenant Ferry fait savoir qu'il est au Pylône, à 50 m en avant avec sa section.

 

Il faut se hâter de communiquer le renseignement, car on parle de faire une préparation d'artillerie sur le Pylône. Pourvu que le renseignement arrive à temps !

 

Le téléphone l'a transmis. Conclusion : la 10e  et la 2e  doivent se porter à la hauteur du lieutenant Ferry ! Je laisse le commandant Fontaine expliquer la situation qu'on n'arrive pas à comprendre en haut lieu. Bonnefous m'invite à partager son déjeuner. Sans fausse honte, j'accepte.

 

Au cours de nos pérégrinations au travers des baraquements, j'ai remarqué un Boche qui semble dormir dans son lit. La mort l'a surpris en plein sommeil ; l'obus qui l'a tué est tombé dans le baraquement. Il est probable qu'il n'a pas été le seul à être touché.

 

Il y avait ici un petit camp qui a dû être abandonné assez vite ; les occupants n'ont pas eu le temps d'incendier, ni de tout déménager.

 

15 h 00. Nous nous installons pour déjeuner, Bonnefous, Robinet et moi dans un abri où se trouvent entassées une centaine de boîtes de mitrailleuses vides. Robinet, Lesserteur sont ici en effet avec les débris de leurs troupes, en réserve.

 

Robinet a la mine d'un homme qui revient de loin. Il a failli être pris avec Cazain le 27, et hier, il a failli être tué avec Saintot. On a beau être énergique, vient un moment où le ressort semble cassé ! Il me dit la misère de ces terribles journées. Son âme comme la mienne plie sous le poids des deuils accumulés. Ces trois sous-lieutenants tués, disparus ! Quel coup !

 

Les Boches n’envoient pas d’obus sur la partie du bois où nous sommes. Leurs obus ne tombent pas très loin, sans doute, mais ils se tiennent dans la zone qui est à notre droite. Et pourtant, ils connaissent bien le camp où nous sommes. J’en conclurais volontiers que les mitrailleuses boches qui nous empoisonnent à gauche ne doivent pas être très éloignées et que les Boches ne veulent pas s’exposer à les atteindre en tirant sur nous. En sorte que tout en nous empoisonnant, ces mitrailleuses seraient, notre palladium contre les obus.

 

Mais, par exemple, elles nous empoisonnent bien. Elles se taisent un moment, attendant que la confiance renaisse et fasse sortir les hommes de leurs cachettes. Puis, dès que le groupe en vaut la peine, allez-y. Brusquement, tel un essaim de guêpes, les balles se mettent à siffler ! Et tout le monde, d'un seul geste, de s'aplatir sans fausse honte. Rappel à la prudence un peu brutal, mais qui finit par porter ses fruits. Que puis-je faire de mieux en ce moment ? Prier le Bon Dieu. Je dis mon bréviaire.

 

17 h 00. Nous sommes relevés par la 124e Division. Cette nuit,  le 130e  R.I. relève le 149. Trop tard ! Hélas, cette relève vient trop tard !

 

Ces deux derniers jours auront été des jours de mort ! Et pour quel profit a-t-on cassé ce beau et malheureux régiment ? Mais à quoi bon écrire des paroles amères ? Ce qui est fait est fait. Le plus pénible pour nous, c'est de partir en laissant tant d'amis sans sépulture, abandonnés sur le terrain. Hélas ! La nuit suffira à peine à rapporter les blessés.

 

17 h 00. Je ne veux pas attendre à la nuit pour revenir au P.C. du colonel. Là-bas, j'attendrai les blessés.

 

Je suivais la tranchée d'Aure sur la partie dénudée du plateau, où je sais qu'est installé le P.S. de M. Ruffin, quand j'entends qu'on m'appelle ; c'est un blessé qu'accompagne un brancardier, c'est l'adjudant **** de la 5e compagnie ; il a les deux bras traversés par des balles. Il me raconte son aventure. Il a été blessé hier matin près de la garde Orfeuil en même temps que le lieutenant Vincent.

 

Une première balle lui fracasse l'épaule gauche ; il veut s'en aller. Une autre balle lui casse le bras droit ; le voilà à terre avec ses deux bras qui refusent tout usage : « J'étais malheureusement tombé sur le ventre ; avec mes deux bras cassés, impossible de me remettre debout. Si seulement j'étais tombé sur le dos, j'aurais pu me relever ! Je suis resté là toute la journée d'hier et toute la nuit et toute la journée d'aujourd'hui. Les Boches sont venus, je leur ai demandé à boire ; ils n'ont jamais voulu rien me donner ; je les ai suppliés, je les ai ensuite insultés, rien n'y a fait. Ah j'ai souffert ! J'ai bien cru que je mourrais là ! – Les Boches avaient-ils beaucoup de blessés ? – Oui !  M. l'aumônier, j'ai beaucoup réfléchi hier, en attendant la mort… j'ai pris une résolution… Il faut que je vous parle – Et bien oui, tout de suite ». Je l'ai quitté les larmes aux yeux. J'aurais voulu l'interroger sur ce qu'il avait vu et entendu ; ce n'est pas le moment.

 

P.C. du colonel. L'état-major du 130e est déjà là ; on passe les consignes. Le 130e se déclare régiment de secteur ; il est tout surpris de l'honneur qu'on lui fait de devenir régiment d'attaque. Il avoue n'être point du tout préparé à ce rôle.

 

Le lieutenant Ferry est rentré avec cinq hommes ; sa situation au Pylône a été tragique. Il a bien cru qu'ils n'en reviendraient jamais. Le moment le plus pénible a été ce soir à 16 h 00. La division voisine a dû attaquer ; l'attaque d'infanterie a été précédée d'une préparation intense d'artillerie par 155 avec comme objectif : le Pylône ! Je ne puis en croire mes yeux, ni mes oreilles ! Et quoi ! À midi le lieutenant Ferry prévient qu'il est au Pylône ; quatre heures après, la division voisine ne sait pas que le Pylône est tenu par des Français ! Ceci me paraît formidable, inouï ! J'aime mieux ne rien dire, parce que je ne trouverais pas d'expression assez forte pour exprimer ce que j'en pense. Résultat : la section Ferry a été broyée par notre artillerie. Le lieutenant Ferry et cinq hommes rescapés par miracle sont seuls rentrés dans nos lignes !

 

P.S. Je suis resté debout pour voir les blessés. Un ou deux graves ; les autres s'en tireront. Tous, ils ont l'impression de sortir de l'enfer.

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

La photographie a été réalisée par J.L. Arnould.

 

Le morceau de carte  est extrait du J.M.O. du 3e B.C.P. : Réf 26 N 816/5.

 

Un grand merci à M. Bordes, à J.L. Arnould,  à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes. 

1 octobre 2021

Jules Auguste Charnotet (1889-1918)

Jules Auguste Charnotet

 

Jules Auguste Charnotet naît le 19 octobre 1889 au domicile de ses parents, à Bussières-lès-Belmont, dans le département de la Haute-Marne.

 

Son père, Victor Henry, a 38 ans lorsque son fils voit le jour. Sa mère, Rosalie Amélie Charnotet, prénommée Marie sur la plupart des actes de naissance de ses enfants, a 34 ans lorsqu’elle lui donne vie. Jules est le dernier enfant du couple.

 

Les témoins, Alexandre Debellemanière et Louis Charnotet accompagnent Victor Charnotet à la mairie pour signer le registre d’état civil. Les trois hommes, qui exercent la profession de vannier, sont reçus par le maire Jean-Baptiste Robinet.

 

Les parents de Jules, mariés depuis 1872, ont eu 8 enfants. Deux de leurs filles n’ont pas survécu.

 

Pour nourrir les siens, Victor Charnotet doit effectuer plusieurs déplacements dans des fermes situées en Haute-Marne et en Haute-Saône ; il fait ces déplacements entre 1872 et le début des années 1880. Victor Charnotet, dans ces fermes, vend ses services comme manouvrier. Sa famille le suit. Celle-ci s’agrandit au fur et à mesure des changements de lieu de travail. Devenu vannier, il finit par se fixer à Bussières-lès-Belmont avec son épouse et sa descendance.

 

Genealogie famille Charnotet

 

La fiche signalétique et des services de Jules indique un degré d’instruction de niveau 3. Jules sait lire, écrire et compter correctement lorsqu’il quitte son instituteur. L’adolescent devient vannier, probablement après avoir été formé par son père.

 

Conscrit de la classe 1909, Jules Charnotet est classé dans la 1ère partie de la liste du canton de Longeau. Le conseil de révision vient de le déclarer « bon pour le service armé ».

 

À compter du 5 octobre 1910, le jeune homme se retrouve incorporé au 149e R.I. un régiment qui tient garnison à Épinal. Il passe deux années à se former au métier de soldat. Il quitte la caserne Courcy le 25 septembre 1912. Jules Charnotet est versé dans la disponibilité de l’armée active après avoir obtenu son certificat de bonne conduite.

 

De retour à la vie civile, il reprend son emploi de vannier.

 

Le 25 juillet 1912, Jules épouse Clémentine Joséphine Charnotet, une femme originaire de Bussières-lès-Belmont.

 

Le 16 mars 1914, le couple s’installe à Saint-Broingt-le-Bois. C’est dans cette commune qu’il lit l’affiche annonçant l’ordre de mobilisation générale. La France s’apprête à rappeler ses réservistes. Une nouvelle guerre contre l’Allemagne est sur le point de commencer. Jules est rappelé à l’activité militaire dès le 1er août 1914. Le jour même, il doit être à la caserne Courcy.

 

Une fois équipé, il s’attend à partir avec le 2e échelon du régiment qui se prépare à rejoindre le 1er échelon déjà en route pour la frontière. Ces supérieurs en décident autrement. Le 4 août, le dépôt du 149e R.I. est déplacé à Jorquenay.

 

Jules Charnotet suit la troupe transférée dans ce nouveau lieu. Les réservistes qui ne sont pas partis avec le 2e échelon et les nouveaux arrivants des classes plus anciennes s’installent dans ce petit village haut-marnais, situé au nord-ouest de Langres. Ils sont logés, pour beaucoup d’entre eux, chez l’habitant.

 

Le 14 août, le soldat Charnotet quitte le dépôt du 149e R.I. avec un renfort de 531 hommes pour rejoindre le régiment actif. Le régiment vient de subir ses premières pertes. Elles sont sévères. Le 16 août 1914, le renfort, séparé en deux groupes, arrive dans la région de Saint-Blaise-la-Roche. L’ancien réserviste est affecté à la 11e compagnie.

 

Jules Charnotet participe aux attaques d’Abreschviller, de Ménil, Thiaville et Saint-Benoît, de Souain, du bois de Bouvigny, de Wyschaete, en Belgique, de Notre-Dame-de-Lorette et du Fond de Buval.

 

Il est nommé caporal le 25 juin 1915.

 

Le 25 septembre, le 149e R.I. participe à une attaque de grande ampleur visant la prise du bois en H en Artois. L’ensemble des unités de la 43e D.I. est engagé dans cette opération. Jules Charnotet est blessé le 26 septembre. Transporté par les brancardiers, depuis le bois en H, à travers un dédale de boyaux très encombrés, il est soigné à l’ambulance 4/13 avant d’être évacué vers l’arrière par voie de chemin de fer. 

 

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette journée, il suffit de cliquer une fois sur dessin suivant.

 

En memoire de Merieux, impressions septembre 1915

 

Si la nature de sa blessure n’est pas connue, celle-ci fut certainement grave. Sa fiche matricule mentionne un retour dans la zone des armées à la date du  26 septembre 1916, c’est à dire un an après avoir bénéficié des premiers soins à l’ambulance 4/13 !

 

Sa deuxième citation, à l’ordre de la division, obtenue le 27 juillet 1917,  pourrait contredire cette information. Le texte qui accompagne son étoile d’argent nous dit que celle-ci a été gagnée suite à sa participation à une attaque qui a eu lieu un 4 septembre. Cette date pourrait correspondre à la prise du village de Soyécourt.

 

Le numéro de la compagnie dans laquelle le caporal Charnotet a été versé à son retour au régiment n’a pas été retrouvé.

 

Le 23 octobre 1917, Jules Charnotet prend part à la bataille de la Malmaison. Au cours de cette offensive, il est de nouveau blessé après avoir tué plusieurs Allemands en contact rapproché.

 

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La Malmaison

 

Guéri, Jules réintègre la zone des armées le 29 janvier 1918. La date de son retour au régiment actif n’est pas connue.

 

Il participe à la bataille d’Arcy-Sainte-Restitue à la fin du mois de mai 1918 avec la 9e compagnie.

 

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant ces journées, il suffit de cliquer une fois sur le cliché suivant.

 

Arcy-Sainte-Restitue 1

 

Le caporal Charnotet est nommé sergent quelques jours avant l’offensive allemande de juillet 1918.

 

Fin septembre 1918, le 149e R.I. est engagé dans la bataille de Champagne et d’Argonne. Le 4 octobre 1918, le sergent Charnotet est tué par un obus à proximité du village d’Orfeuil.

 

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4 octobre 1918

 

L’aumônier Henry évoque la mort de ce sous-officier dans un de ses carnets. Voici ce qu’il a écrit :

 

« Le capitaine Prenez a voulu se rendre compte. Il a vu Bessac. Sa première parole est un glas de mort : « Charnotet, tué ! – Adam, tué ! ». Stupeur générale !

 

Le sergent Charnotet ! L’as du régiment ! Celui qui n’avait peur de rien, celui qui entraînait sa section partout, celui que la légende disait invulnérable, tué. Il a reçu en plein un obus ! »

 

La famille n’a pas réclamé le corps après la guerre. Le sergent Charnotet repose actuellement dans la nécropole nationale d’Orfeuil. Sa tombe porte le n° 494.

 

 

Jules Charnotet n’a pas eu de descendance. Son épouse, qui ne s’est pas remariée, est retournée vivre chez ses parents.

 

Décorations obtenues :

 

Croix de guerre avec 1 étoile de bronze, 3 étoiles d’argent et deux palmes

 

Citation à l’ordre du régiment n° 200 en date du 17 octobre 1915 :

 

« Brillante conduite au cours de l’attaque des 25 et 26 septembre 1915, devant Angres. Blessé grièvement à l’assaut du 26 septembre. »

 

Citation à l’ordre de la 43e D.I. en date du 27 juillet 1917 :

 

« Caporal très brave et très courageux. Le 4 septembre s’est porté brillamment à l’assaut d’un village fortement organisé par l’ennemi. Arrêté par de violentes rafales de mitrailleuses, a rallié ses hommes et les a reporté à l’attaque de la 2e ligne allemande. A repoussé de fortes contre-attaques ennemies dans lesquelles il s’est particulièrement distingué en tuant de sa main des ennemis et en ramenant des prisonniers. »

 

Citation à l’ordre de l’armée n° 527 en date du 30 novembre 1917 :

 

Caporal d’une bravoure frisant la témérité. Au cours du combat du 23 octobre 1917 a tué plusieurs Allemands qui opposaient une résistance acharnée. Blessé au cours de l’action, s’est laissé évacuer que sur ordre formel de ses chefs. »

Médaille militaire et croix de guerre avec palme en date du 11 octobre 1918 pour prendre rang le 11 juin 1918 :

 

« Gradé d’une bravoure à toute épreuve et un allant incomparable, a pris part à toutes les actions du régiment depuis 1914. Deux blessures, titulaire de trois citations très élogieuses. S’est fait au bataillon une réputation de vaillance qui grandit avec chaque engagement. Pendant les opérations du 28 mai et du 4 juin, s’est conduit très brillamment dans toutes les circonstances, se défendant sans compter aux points particulièrement dangereux, donnant à ses hommes, l’exemple du plus beau courage et une confiance illimitée. »

 

Cité à l’ordre de la 43e D.I. n° 344 en date du 19 juillet 1918 :

 

« Sous-officier d’un courage et d’un dévouement remarquable. S’est particulièrement distingué pendant les journées des 15 et 16 juillet 1918, a mené brillamment une contre-attaque permettant de reprendre un emplacement perdu. »

 

Cité à l’ordre de la 43e D.I. n° 377 en date du 7 septembre 1918 :

 

« Excellent sous-officier, chargé de conduire un détachement d’attaque au cours d’un coup de main le 28 août 1918. S’est acquitté de sa mission en faisant preuve d’un esprit méthodique et clairvoyant, d’une maîtrise de lui-même au dessus de tout éloge. Au cours de l’opération a repoussé une forte contre-attaque ennemie. »

 

Chevalier de la Légion d’honneur pour prendre rang du 23 juillet 1918 (J.O. du 21 novembre 1918) :

 

« Sous-officier d’un dévouement et d’un courage à toute épreuve. Le 15 juillet 1918, tenant un poste avancé, a maintenu courageusement la position malgré des conditions difficiles. Le 16 juillet, à la tête de son détachement, s’est porté à l’assaut d’un emplacement de groupe de combat dont l’ennemi venait de s’emparer et a reconquis la position de haute lutte. »

 

Le nom de ce sous-officier est inscrit sur les monuments aux morts des communes de Bussières-lès-Belmont et de Saint-Broingt-le-Bois, sur le calvaire du cimetière de Bussières-lès-Belmont et sur le monument commémoratif placé dans l’église de Saint-Broingt-le-Bois.

 

Monument aux morts de Bussières-les-Belmont

 

Sources :

 

La fiche signalétique et des services du sergent Charnotet, les registres d’état civil et de recensement des communes de Saint-Brouing-le-Bois, de Bussières-lès-Belmont, de Pierrecourt et de Fouvent-le-Haut ont été consultés sur les sites des archives départementales de la Haute-Marne et de la Haute-Saône.

 

La photographie de la sépulture de Jules Charnotet a été réalisée par J.F. Pierron.

 

Son portrait a été trouvé sur le site « Généanet ».

 

La composition de la famille Charnotet a pu être reconstituée grâce au registre de recensement de la commune de Saint-Broingt-le-Bois de l’année 1896. Plusieurs arbres généalogiques incomplets ont été vus sur le site « Généanet ». 

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à G. Chaillaud, à M. Lozano, à J.F. Pierron, aux archives départementales de la Haute-Marne et au Service Historique de la Défense de Vincennes. 

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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