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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 août 2014

14 août 1914.

Carte_photo_groupe_248

Le 149e R.I. qui stationnait à Colroy-le-Grande, Lubine et Lusse est venu, la veille au soir, s’installer dans les communes de Provenchère-sur-Fave et de Frapelle. Une fois de plus, le repos va être de courte durée.

L’intégralité du régiment se tient prêt à quitter ses cantonnements à partir de 3 h 30. Le 3e bataillon du commandant Didierjean prend la tête de la colonne, il est aussitôt suivi par le 1er bataillon du capitaine Lescure. Le 2e bataillon du capitaine François ferme la marche. Le 149e R.I. prend la direction du  col de Saales.

Les premiers hommes du 3e bataillon passent devant la gare de Saales, donnée comme P.I., à 5 h 15.

Arrivé à Bourg-Bruche, le 3e bataillon se sépare du reste du régiment. Accompagné d’un peloton du 4e Chasseurs, il prend la direction d’Haut-de-Steige. Les hommes du commandant Didierjean ont pour mission de tenir et de barrer le couloir de la Villé aux Allemands, tout en cherchant la liaison avec le 14e C.A.

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Legende_carte_1_journee_du_14_aout_1914

Une fois sa mission remplie, il rallie Saint-Blaise-la-Roche en passant par Ranrupt et Colroy-la-Roche après l’écoulement de la colonne.

Les 1er et 2e bataillons du régiment poursuivent leur marche en direction de Saulxures. Ils s’arrêtent au niveau du coude de la route à 400 m au sud de la halte de Saulxures.

Les hauteurs environnantes de Saulxures sont prises sous le feu de l’artillerie allemande. Des éléments de la 13e division, venant du 21e et du 109e R.I., apparaissent sur les lisières du bois qui se trouve sur les hauteurs de la rive ouest de la Bruche.

Aux environs de 8 h 30, une compagnie du 21e R.I. se replie sur les pentes Est de ce mouvement de terrain à hauteur du 149e R.I.. La tête du gros de la colonne du régiment attire sur ce point quelques coups de canon.

À 12 h 15, le 1er bataillon du 149e R.I. reçoit l’ordre de se porter par les bois sur la croupe 553, qui est située à 1 km à l’est de Saint-Blaise-la-Roche. Les compagnies du capitaine Lescure doivent se tenir prêtes à soutenir le 1er B.C.P. qui vient de lancer une attaque en direction de Saint-Blaise-la-Roche. L’artillerie française est en position au Haut-Charas et à la cote 653 située à 800 m de Colroy-la-Roche.

Vers 13 h 15,  le colonel Menvielle reçoit un compte-rendu du capitaine Lescure ; celui-ci lui fait savoir que son bataillon se trouve maintenant en position sur la croupe 553, en présence d’une compagnie du 1er B.C.P..

Dix minutes plus tard le commandant du 149e R.I. reçoit un second compte rendu. Celui-ci provient du 3e bataillon du commandant Didierjean. Il indique les dispositions prises par ses compagnies dans le secteur du Haut-de-Steige.

 La 11e compagnie vient de prendre position au lacet situé au nord-est de Steige pour battre la vallée vers Meissengott. La 12e compagnie va s’installer à la cote 678, à 1200 m au sud de Haut-de-Steige. Elle doit surveiller les chemins de Lalaye et de Meissengott. La 9e compagnie est près de la cote 796, à 1200 m au nord de Steige. La 10e compagnie reste en réserve sur la route avec la section de mitrailleuses. Les mouvements des 9e et 12e compagnies du bataillon doivent s’exécuter entre 7 h 00 et 9 h 00.

Carte__2_journee_du_14_aout_1914

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La 11e compagnie, qui avait reçu l’ordre de ne pas se déplacer tant que les éclaireurs des 9e et 12e compagnies n’avaient pas poussé jusqu’à leurs nouvelles positions, commence à avancer à partir de 10 h 00. Elle parvient à refouler quelques patrouilles allemandes. Mais, très rapidement, elle se heurte à des tirs nourris et bien ajustés provenant d’éléments ennemis qui sont fortement retranchés sur la croupe nord-est de Steige.

Le chef de bataillon Didierjean est tué, une fracture du crâne à raison de sa vie, son agent de liaison de la 11e compagnie trouve également la mort ainsi qu’un autre soldat de cette compagnie.

Deux sections de la 9e compagnie sont aussitôt poussées vers la cote 796 pour permettre à la 11e compagnie de se dégager. Le corps du commandant Didierjean peut aussi être relevé. Le mouvement est exécuté aux alentours de 11 h 00.

Le 3e bataillon passe sous l’autorité du capitaine Laure. À 12 h 15, il reçoit l’ordre de se maintenir sur les emplacements occupés en raison du retard apporté par le 14e C.A. dans son mouvement défensif. Pour pallier à toute éventualité d’attaque, il doit se retrancher vers le défilé du Haut-de-Steige jusqu’au lendemain 15 août.

La 9e compagnie se porte à la cote 761 avec une avancée à 771. Un peloton de la 12e compagnie  tient la cote 678. Le second peloton de cette compagnie organise et occupe, face à l’est, le carrefour les Bas. La section de mitrailleuses s’établit sur une pente entre la cote 678 et le Haut-de-Steige. Elle flanque la 11e compagnie. Ces compagnies sont soutenues par un bataillon du 158e R.I.. Une batterie du 59e R.A.C, qui est en position vers la Salcée,assure la sécurité.

Carte_3_journee_du_14_aout_1914

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Le 1er B.C.P. vient de pénétrer dans le village de Saint-Blaise-la-Roche à 16 h 00. L’état-major et le 2e bataillon du 149e R.I. reçoivent l’ordre de se porter sur ce village. 

Deux heures plus tard, les hommes du capitaine François atteignent Saint-Blaise-la-Roche. Le 1er B.C.P. est déployé sur les pentes au nord-ouest de Poutay. Le 1er bataillon du 149e R.I. occupe les hauteurs au nord-est de Saint-Blaise-la-Roche.

Des signaux blancs sont agités depuis certaines tranchées ennemies. À 18 h 30, les Allemands qui s’y trouvent sortent sans armes pour venir au-devant de nos lignes.

En début de soirée, 4 convois de prisonniers allemands d’environ 500 hommes partent en direction de Saales. Presque tous sont Alsaciens, ils appartiennent au 99e et au 15e Bavarois. Outre le fait qu’ils aient été abandonnés par leurs chefs, ces hommes déclarent n’avoir rien mangé depuis la veille.

Vers 20 h 30, deux bataillons du 109e R.I., qui ont été fortement éprouvés durant la journée dans l’attaque de Saint-Blaise-la-Roche, viennent également cantonner dans cette commune.

                                      Tableau des tués pour la journée du 14 aout 1914

                                    Tableau des blessés pour la journée du 14 août 1914

 Sources bibliographiques :

J.M.O. du 149e R.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 696/8.

J.M.O. de la 85e brigade. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 520/9.

Historique du 149e  Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

La photographie de groupe a été réalisée avant le début du conflit.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à É. Mansuy, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

22 août 2014

13 août 1914.

Le_Climont

Le 1er bataillon du 149e R.I. est en mission de couverture dans le secteur de Lubine depuis la veille. Les 2e et 3e bataillons sont à Colroy-la-Grande.

Une action offensive doit être exécutée par les hommes du capitaine Lescure qui se trouvent toujours dans le secteur du col d’Urbeis. Le bataillon doit pousser deux de ses compagnies, une section d’artillerie et un peloton de cavalerie dans la direction des fermes du Climont. Ce groupe exécute un déplacement rapide pour pouvoir canonner le secteur à partir de 15 h 00. Il a reçu l’ordre de prendre sous son feu les fermes du Climont en poussant par le sud, que celles-ci soient occupées ou non par l’ennemi. Quelles que soient les circonstances, le groupement du capitaine Lescure doit impérativement faire taire le canon et le fusil avant 16 h 00. Des troupes françaises se trouvent dans le secteur.

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Un groupe composé de deux compagnies du 158e R.I. et d’un peloton de cavalerie, sous les ordres du commandant du Réau de la Gaignonnière, venu du Han, contourne le Climont par le sud. Ce détachement doit faire sa liaison avec celui du capitaine Lescure. Une fois cette mission achevée, les hommes du 1er bataillon du 149e R.I. qui ont été engagés dans cette action, et les éléments qui lui sont rattachés retournent à Lubine.

En début d’après-midi, Les 2e et 3e bataillons du 149e R.I.s’apprêtent à quitter Colroy-la-Grande. Le 3e bataillon se met en route à partir 14 h 30. À 15 h 45, c’est au tour du 2e bataillon de mettre le sac au dos. Ces deux bataillons ont reçu l’ordre de venir s’établir en cantonnement d’alerte dans les communes de Provenchères-sur-Fave et de Frapelle.

La 7e compagnie est partie de Lusse aux alentours de 14 h 15 pour rejoindre son bataillon d’origine.

carte_2_journee_du_13_aout_1914

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En début de soirée, le 1er bataillon du 149e R.I. rentre aux cantonnements. Les 3 bataillons du régiment sont maintenant réunis. La nuit sera très courte, le régiment va se remettre en route dès le lendemain à partir de 3 h 30.

Sources bibliographiques :

J.M.O. du 149e R.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 696/8.

J.M.O. de la 85e brigade. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 520/9.

Historique du 149e  Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à É. Mansuy, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

15 août 2014

12 août 1914.

Colroy_la_Grande_

La veille, les 1er et 2e bataillons du 149e R.I. ont quitté le village de Wisembach pour venir s’installer à Bertrimoutier. Le 3e bataillon, lui, est resté au col de Sainte-Marie en prévision d’une attaque allemande.

Le colonel Menvielle commande un détachement composé des 1er et 2e bataillons du 149e R.I., d’un peloton de cavalerie et d’une batterie de l’A.D. 43. Il reste à la disposition du général de division.

La 85e Brigade est maintenant engagée dans les combats qui ont lieu un peu plus au nord dans le secteur de Voyémont et de Saales. Le gros du 149e R.I. assure la couverture de la Brigade.

Les 1er et 2e bataillons du régiment quittent Bertrimoutier à 3 h 15. Ils traversent les villages de Combrimont et de Lesseux. Les deux bataillons prennent une formation de rassemblement, derrière la partie ouest du parc du château de Lesseux, située près de la commune d’Herbaupaire. Le 2e bataillon commandé par le capitaine François se positionne à droite, le 1er bataillon sous l’autorité du capitaine Lescure prend place à gauche. Les formations sont établies à 4 h 00. Le bruit du canon se fait entendre du côté de Beauchimont-Menabois, l’artillerie française vient d’ouvrir le feu sur les positions ennemies qui se trouvent aux alentours de Voyemont du côté de la cote 803.

À 4 h 30, un ordre provenant de la 43e D.I. fait savoir au 2e bataillon du régiment qu’il doit se mettre en route. Le gros de sa 7e compagnie s’installe dans le petit village de la Pariée. Cette compagnie envoie également une de ses sections à la cote 608, une demi-section à Basse Merlusse, l’autre demi-section à Arpot. Un petit poste composé de 4 hommes est constitué dans le petit village des 3 Maisons. Les 5e, 6e et 8e compagnies du 2e bataillon se mettent en rassemblement articulé sur le versant sud de la croupe est de l’église de Lusse. Tous ces mouvements sont terminés à 5 h 30.

Le 1er bataillon, qui devait initialement s’installer sur les pentes nord de cette même croupe, est finalement maintenu à Lusse. Il reste à la disposition du colonel Menvielle.

Carte_1_journee_du_12_aout_1914

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Quelque temps plus tard, ce bataillon reçoit l’ordre de se rendre à la scierie de Lubine (il existe toujours une scierie à la sortie nord-est de Lubine, qui mène au hameau de la Bassotte). Au même moment, les 3 compagnies du 2e bataillon, modifient légèrement leurs positions, elles se portent sur le versant nord de la croupe est de l’église de Lusse.

Le colonel Menvielle est informé de l’arrivée imminente du 3e bataillon de son régiment. Le clocher de l’église de Lusse vient tout juste de marquer les 15 h 00. Le lieutenant-colonel Escallon, le commandant Didierjean et ses hommes sont arrivés à Bertrimoutier. Ce bataillon avait commencé à replier ses avant-postes dans la nuit du 11 au 12 août. Il a définitivement quitté le col de Sainte-Marie, après avoir été remplacé par un bataillon du 75e R.I. à 8 h 00.

Carte_2_journee_du_12_ao_t_1914

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L’état-major du régiment et le 2e bataillon quittent Lusse à 18 h 00 pour prendre la direction de Colroy-la-Grande. Une heure plus tard, ils arrivent dans cette commune. La 7e compagnie du bataillon quitte ses positions occupées depuis le matin pour aller s’installer à Lusse. Le lieutenant-colonel Escallon et le 3e bataillon du commandant Didierjean viennent de faire un long repos à Bertrimoutier. Ils prennent congé de cette localité à 19 h 30 pour prendre la direction de Colroy-la-Grande et rejoindre le gros du 2e bataillon à 21 h 30.

Carte 3 journee du 12 août 1914

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Les hommes du capitaine Lescure qui se trouvent toujours dans le secteur du col d’Urbeis prennent les dispositions suivantes :

Pour la couverture :

Celle-ci doit être assurée par un peloton d’infanterie qui prend position au sud du col, il est épaulé par un second peloton qui est installé au nord du col. Une section reste sur la route du col. Une autre section prend place plus au nord, face à la lisière ouest du village du Climont, à environ 300 m à l’ouest du village.    

Pour la réserve :

Une compagnie et demie ainsi qu’une section de mitrailleuses constituent une partie de la réserve. Celles-ci sont positionnées près de la scierie de Lubine. Des éléments du  bataillon sont également positionnés au col de Lubine (très vraisemblablement le col d’Urbeis).

Une autre compagnie encadre le T.C. et l’artillerie couvrant la direction de Fouillaupré et celle du col de la Hingrie.

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Le peloton de cavalerie se trouve au col, derrière la section d’infanterie avec vedettes fixées aux cols de la Hingrie et de Raleine.

Des cavaliers ennemis sont signalés à la Hingrie. Une compagnie allemande du 8e bataillon de chasseurs à pied se trouve à la lisière du col d’Urbeis. Le village de Climont est occupé par l’ennemi, mais il est impossible d’en apprécier le nombre.

Les fermes du Climont vont être la cible du groupement mixte du  capitaine Lescure. Une attaque est en préparation pour le lendemain. De nouveaux déplacements attendent les 2e et 3e bataillons du régiment. 

Sources bibliographiques :

J.M.O. du 149e R.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 696/8.

J.M.O. de la 85e brigade. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 520/9.

Historique du 149e  Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à É. Mansuy, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

9 août 2014

9 août 1914... Baptême du feu du côté du Renclos-des-Vaches.

Ecritures

Les évènements évoqués par le capitaine de Chomereau-de-Saint-André qui vont pouvoir se lire ici, se sont déroulés il y a tout juste 100 ans !

Une nouvelle fois, un très chaleureux merci à son petit-fils qui m’autorise à publier ce témoignage laissé par son grand-père. Un autre grand merci au dessinateur B. Bordes.

Le descriptif, la précision et l’intensité de cet écrit vont nous permettre de mieux comprendre l’évolution et le changement rapide du comportement des hommes en condition de combat.

En l’espace de quelques heures, tout change ! L’expression « comme aux manœuvres » peut, à elle seule, résumer la situation.

Les hommes du 149e R.I. partent avec les souvenirs laissés par les exercices faits avec les instructeurs. Personne n’a vraiment idée de ce qui l’attend…

Comment pourrait-il en être autrement ! Le choc du baptême du feu est particulièrement brutal. La violence de ce premier combat déroute beaucoup les hommes. Très vite, les soldats de la 8e compagnie du 149e R.I. prennent conscience de la réalité de la guerre.

« Il doit être minuit passé. Magagnosc m’avertit que cela va mal vers Sainte-Marie ! Le 31e B.C.P. a échoué au Renclos-des-Vaches, perdant un capitaine (Méry) dont la compagnie a été décimée. Réveil, en effet, en pleine nuit (toujours ce système absurde d’empêcher les hommes de dormir !), puis c’est l’attente sur place dans la rosée des prés.

Au petit jour, arrivée à Wisembach : le 3e Bataillon (Didierjean) va au col, le 1er (Sury), flanc-garde de gauche, au nord du col, en direction du Renclos-des-Vaches et de la Chaume de Lusse, flanqué lui-même à gauche par la compagnie François (6e) du 2e Bataillon (le mien). Les 5e, 7e et 8e sont d’abord en réserve dans un ravin au nord de Wisembach.

Ma compagnie va en avant-garde de ce dernier groupe et nous gagnons notre emplacement en formation de marche… comme aux manœuvres, c’est-à-dire sans qu’on laisse, dans ce terrain montagneux rendant impossible la marche ra­pide, le temps de prendre les distances voulues ! Bien entendu, partout sur le pas de leur porte, les habitants nous regardent ; comprenne qui voudra ! Les chiens hurlent, décelant notre approche. C’est tellement agaçant que je menace d’en faire tuer un que le propriétaire oblige à rentrer.

Carte_1

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À part une reconnaissance (Dargent) pour vérifier notre iti­néraire jusqu’à la crête frontière, personne n’a été détaché à grande distance pour repérer les posi­tions ennemies. Nous savons que le Renclos-des-Vaches est tenu. Un point, c’est tout. Et le lendemain — trop tard — nous avons compris le pourquoi de notre échec glorieux, puisque l’en­nemi abîmé malgré sa supériorité numérique écrasante, n’a pas même esquissé une poursuite et a été arrêté à chaque attaque, mais échec quand même puisque nous n’avons pas pris le Renclos.

Pour l’instant, nous n’y pensons pas et nous écoutons le canon qui tonne vers le col et la fu­sillade sur les crêtes. Le ciel est très pur, des avions passent, avions allemands. Stationnement prolongé où je note mes impres­sions, bavarde, déjeune, etc.

Enfin nous montons vers la crête, et je rencontre le premier blessé vu par moi : un petit chasseur du 31e, la main abîmée : ma foi, je fais mettre l’arme sur l’épaule et la section de tête défile devant lui. Longue et dure montée dans les sapins, puis ras­semblement à la crête : devant nous l’Alsace ! À ma droite, au sud, la route du col descend en lacets vers Sainte-Marie et une batterie tire sur les pièces allemandes (il y a du lourd, je crois) placées en face, un peu en contrebas.

À ma gauche, le terrain, couvert de hêtres et de sapins, se relève et détache une arête perpendiculaire à celle où je suis. Nous voyons les pentes méri­dionales de celui-ci, assez boisées. Rien n’y bouge, mais une fusillade intermittente, pas bien nourrie, claque derrière l’arête en question. Menvielle, qui est là, est satisfait. Sury doit être maître du Renclos.

Il n’y avait évidemment là qu’un faible détachement. Or cela se passe à mille cinq cents mètres et il n’a même pas l’idée d’aller y voir ! Au lieu de cela, il s’amuse à ré­diger l’emplacement des sections du rassemble­ment, ceci à plusieurs reprises ! Quant à nous, nous sommes ravis. Il fait chaud, il fait bon, nous allons ren­trer en Alsace sans difficulté. Déjeuner tran­quille.

Carte_2

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Un lieutenant (lequel ?) survient, en­voyé par Sury : « Pas grand-chose devant nous, une ligne de tirailleurs très peu dense (parbleu, le reste était terré !), mais assez étendue ; pour enlever cela facilement, il fau­drait une compa­gnie de renfort et une section de mitrailleuses qui les prendraient de flanc, par notre droite». La 5e (Micard) part. Ça ne va pas traîner là-bas !

Menvielle est toujours bien tran­quille… et moi aussi ! Tout de même, la pres­sion a augmenté. Ça a l’air de chauffer un peu… Encore une attente…

Un homme ar­rive, cou­rant : brève conversation avec Menvielle, ac­compagnant la remise d’un billet.

« Une Compagnie de suite. Qui va marcher, Massignac ? » — « 8e ! » — « Allez, Chomereau ! Cet homme vous conduira. Faites vite, vous serez renseigné sur place. » — « Bien mon colo­nel ! » — « 8e ! Debout ! ». Massignac s’est précipité, ému, c’est visible !

Il me serre chaleu­reusement la main : « Bonne chance, mon vieux. » — « Merci ».

Mes hommes sont déjà en mouvement : je les pré­cède et les conduis sous les arbres de la futaie. J’arrive à griffonner un mot sur la lettre, en mar­chant. Il n’y a pas à dire, j’ai le gosier sec et cette sensa­tion pas très agréable qui m’attendait aux portes des salles d’examen. Mais je me sens calme… C’est tou­jours ça ! Mes hommes sont silencieux et atten­tifs.

Je place ma compagnie en ligne de demi-section par deux, maniable et souple et en avant ! Au bout de quelques cen­taines de mètres, des claquements bruyants : ce sont des balles qui tapent sur les arbres, en avant des nôtres. Arrêtant la 8e, je me porte avec mon agent de liaison vers la lisière entrevue, cherchant un défi­lement vite trouvé et je fais suivre…

Au pied d’un arbre, deux ou trois soldats sont couchés. Que diable font- ils là ? Aucun mouve­ment, rien… Est-ce que… oui, ils sont morts ! En même temps, un autre passe, marchant comme un automate… Il n’a plus de mâchoire inférieure : à la place pend une masse informe, rouge, d’où le sang coule… Brrr ! Puis un deuxième, la main broyée qui pleure nerveuse­ment et me parle : « Mon pauvre Capitaine, mon pauvre Capitaine… Ah ! Voyez-vous… mon pauvre Capitaine… »

Mes hommes sont affreusement impressionnés : il y a de quoi ! Et pas moyen de leur éviter, étant donné la configu­ration du terrain, ce spectacle démoralisant.

Paul_Monne

    Pour en savoir plus sur les évènements concernant la 4e compagnie il suffit de cliquer une fois sur cette image

Je vais, seul, un peu plus loin. Là, c’est en plein feu ! Les balles sifflent, ricochent, des bran­chettes s’éparpillent. Derrière des tas d’arbres, des isolés sont tapis, ras par terre. Beaucoup ont perdu insensiblement le contact de leur section faute de serre-files vigoureux et assez brutaux pour les maintenir de force.

Je m’informe auprès d’un groupe de quatre ou cinq d’entre eux. Un ca­poral surexcité, avec de grands gestes, me ré­pond : « C’est tout ce qui reste de la 4e com­pa­gnie ! » (Que de fois j’ai entendu des réponses analogues et presque toujours faites par des… timides !).

De fait, la 4e, la plus éprouvée du 149e, a perdu ce jour-là plus de quatre-vingts hommes sur deux cent cinquante. Un autre sur­vivant que j’interroge (il est aplati dans un re­coin du terrain) me dit : « La 4e peut se repo­ser, elle en a assez fait ».

Par contre, un autre en­core, accroupi au pied d’un tronc de sapin, im­mobile et que j’apostrophe, me regarde et d’une voix sourde : « Je n’ai plus de main », et il me montre un moignon déchiqueté. Des troupiers courent à moi, affolés : « Mon Capitaine, ils nous tournent par la droite. Il y a un mouve­ment ennemi dans les pentes, en dessous, sous les arbres». Et d’autres se replient. Ah ! mais, ah ! mais, quel désordre !

Et où est Sury ? Je trouve un lieutenant de réserve et me renseigne : « Heu, pas merveilleuse, la situation, pas du tout merveilleuse : nos attaques ont échoué et l’ennemi semble maintenant mordre à son tour». Sa section est déployée juste à la lisière dans de petites tranchées. Devant elle, pas très loin, les tranchées allemandes (elles étaient faites de­puis quinze jours, profondes, flanquées par des mitrailleuses)… et nous attaquions sans rien sa­voir, sans artillerie !

L’offensive à ou­trance, aveugle, prêchée par les théoriciens ignares de l’état-major ! S’il y a beaucoup trop d’embus­qués un peu en arrière de la ligne de feu, ceux des hommes en ligne sont crânes et leur chaîne dense paraît solide. Elle se prolonge plus loin, épousant la lisière, puis la domine per­pendicu­lairement.

Ah ! Voici Micard et Altairac qui me confirment les dire du lieutenant. Il fau­drait agir, mais comment ? Ils ont (et je vais l’avoir aussi !) l’impression d’être peu commandés. Je découvre enfin Sury, couché derrière un rocher, je m’étends auprès de lui, car il fait chaud dans ce bois et on ne peut circuler que par bonds rapides d’abri en abri. « Que faut-il faire ? »

J’ai dé­ployé ma section du côté où l’on signale « un mouvement tournant » (qui est pour le soldat français, nerveux à l’excès, la grande menace) : ceci pour tranquilliser les fusiliers de la ligne princi­pale. « Bien… Et bien vous pourriez, mon Dieu… oui… vous pourriez… tâchez donc de gagner du terrain par ma droite en prolongeant Micard… oui… vous pour­riez… enfin… avan­cez… essayez ».

Les pa­roles ne sont pas sans doute textuelles, mais c’est le sens, c’est-à-dire rien de précis, rien de net. Dans ces minutes-là, la perception de la si­tuation se fait terriblement limpide, et j’ai la certitude, lumineuse, que ma pauvre 8e dont je suis si fier va être sacrifiée.

Marius_Dubiez_1912

Micard est tout près de là et je l’avertis : « Aidez-moi, je vais avan­cer » — « Bien en­tendu, je vais coordonner mon mouvement avec le vôtre. Allons-y ! » Je retourne chercher mes hommes et les amène dé­filer sur les pentes, face à l’objectif. Mais aupa­ravant,  j’ai dit à mon caporal fourrier : « Allez trouver le colonel de ma part, dites-lui qu’il faut qu’il vienne, vite, et qu’il faut qu’il amène la compagnie Massignac, elle sera bientôt très utile ! » (Pendant ce temps, Menvielle est à mille cinq mètres de là, ignorant la situation !).

J’ai reconnu au préa­lable d’un coup d’œil le ter­rain. La 5e est couchée en tirailleurs au bord d’un ravinement planté de hêtres, de-ci de-là des rochers près des sapins. Par terre une herbe assez haute, de petits buissons : bref, forêt peu dense. La droite de la 5e est formée par une section dont les hommes sont largement espacés.

Il faut donc les pousser en avant, car ils sont cloués au sol. Mes trois sections (la 4e est plus bas couvrant ma droite) sont déployées dans un ordre parfait. Nous sommes à cent mètres en arrière de la droite de la 5e, encore abritée derrière un dernier pli de ter­rain.

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Un regard autour de moi : tout est prêt. « Hardi les gars ! En avant ! » Et nous fon­çons droit devant nous. Personne ne reste en ar­rière. En quelques secondes nous atteignons la section de la 5e qui, entraînée comme je le vou­lais, part aussi. Je hurle : « En avant ! » Le ravin est franchi et nous nous jetons par terre sur les pentes opposées, ouvrant de suite un feu violent. Devant moi, à moins de cent mètres, les Allemands sont terrés.

Notre mouvement a été si prompt qu’il y a eu juste quelques hommes abattus, mais aussitôt un déluge de projectiles nous inonde. Les balles passent tout près, faisant sauter des éclats de bois. Je suis casé derrière une souche et je regarde le mouve­ment de la 5e qui doit suivre le mien, car me voici à droite, en avant. Qu’attend-elle, mon Dieu ?

Les Allemands tirent par chargeur de cinq cartouches, puis font comme des rafales. Je ne vois aucun casque, mais je dis­tingue nettement la fumée bleuâtre, tranchant à peine sur les fonds environnants, que produit la poudre sans fumée par les temps secs et chauds. Certainement non, nous ne sommes pas à cent mètres.

Les Allemands sont à coup sûr enfoncés dans des tranchées très profondes avec masque de tir dissimulé avec soin, notre feu ne parait pas agir sur eux. Par contre, le leur devient terrible­ment efficace ! Des hommes roulent sur eux-mêmes. L’un d’eux à quelques pas de moi, tra­versé sans doute, lâche son fusil, se tient le ventre et hurle, hurle d’une voix épouvantable ! Un mouvement paraît s’effectuer vers la 5e à ma gauche. Ce n’est pas malheureux !

Le feu de l’ennemi ralentit. C’est le moment. Je me lève et entraîne la fraction placée devant moi. Nous faisons une quarantaine de mètres. Les fractions voisines nous rejoignent. Feu à répétition suivi. Le magasin vidé d’un feu à volonté des plus in­tenses. Celui de l’ennemi en devient effrayant, et nous arrive aussi d’écharpe. Laval est un peu au-dessus de moi, à ma gauche, très calme, très chic. Je lui demande par gestes, car il serait im­possible de s’entendre, s’il voit la compagnie Micard (de ma place je ne vois que ce qui est à une cinquantaine de mètres sur mes flancs). Il fait un mouvement d’ignorance. Voyons, c’est impossible ! C’est fou !

Au même moment quelqu’un me touche le bras et me dit dans l’oreille : « Mon Capitaine, le commandant Sury vous fait dire que la 5e ne peut pas vous aider, il y a du danger ailleurs » — « Alors ? » — « Alors, voilà… » Tout cela a été court, mais mes pertes sont considé­rables, et rien à faire. J’ai une malheureuse com­pagnie criblée par un adversaire supérieur en nombre qui, maintenant, me voyant isolé, fait un feu d’enfer. Un homme rampe jusqu’à moi : « À la droite, les hommes reculent ». Il faut les arrêter ! Par bonds rapides, de rocher en rocher, je vais de ce côté, aidé par la pente descendante, mais le mouvement se généralise et je n’y puis rien, rien ! Ah ! l’épouvantable minute.

Une minute auparavant, l’entrée en ligne de la 5e permettait l’assaut, mais arriverait-elle maintenant, il serait trop tard, la tension a été trop forte, les nerfs sont à bout. Sur les trois sections engagées (cent soixante-dix hommes) plus de quarante sont par terre en vingt minutes, le quart de l’ef­fectif !

L’attaque a si bien com­mencé. Genevoix, lieutenant, tué depuis, m’a ra­conté, par la suite : « En voyant la 8e atta­quer, j’ai pensé et dit à un camarade : “La 8e est joli­ment bien engagée” ». Si bien commencer, dis-je et échouer. Par paquets, les hommes se re­plient vers les crêtes d’où nous étions partis.

Je pleure de rage, ne pouvant, ne voulant pas croire à ce recul. Gaillot, mon brave sergent-ma­jor, les mâchoires contractées, est blessé et, lui aussi, ne peut admettre la réalité. Il m’aide à ral­lier mon monde, à reformer une chaîne de tirail­leurs, be­sogne peu commode, car l’ennemi tire violem­ment et doit certainement repérer les offi­ciers et gradés.

Les balles accompagnent nette­ment ceux-ci. Laval a disparu, tué, paraît-il, raide d’une balle au front. Dargent est indemne et commande avec énergie un groupe mêlé d’hommes des 8e, 4e, 5e compagnies (les sec­tions constituent un amalgame de toutes les compagnies engagées sur ce point). Mes hommes tiennent bon. Pauvres gens, ils ont fait bravement leur devoir, car c’est en allant de l’avant que tant sont tombés : Laval, le sergent Anxionnat, le petit Ligier, un caporal de Bourges, et tous les autres. Et le seul fait d’avoir attaqué si franchement, puis surtout de s’être cramponné un long moment, à découvert, à courte distance d’un ennemi fortement installé et enfin de s’être rallié ensuite est le meilleur témoignage de leur valeur.

J’ai pu, plus tard, en comparant avec d’autres troupes, m’en rendre compte. Seulement d’abord, il me semblait impossible que ma compagnie vide le terrain. Voir ce spectacle a été pour moi et d’autres un déchirement intérieur. Il est deux ou trois heures (je ne puis rien affirmer). Je vais toujours par bonds trouver Sury : « Ah ! mon commandant, pourquoi, pourquoi m’avoir laissé partir seul, seul ! ».

Sury a l’air préoccupé. Par sa faute (il faut le dire tout bas, car il est tombé en héros), une compagnie est abîmée et les Allemands prennent l’offensive partout, renforcés par des bataillons débarqués à Sainte-Marie et aussitôt dirigés vers le lieu du combat. J’ai rejoint la 8e. Tout près de moi, un homme agonise, la poitrine trouée, sa chemise blanche (il a arraché la capote) complè­tement rougie. Il a les traits tirés et râle faible­ment.

De-ci,de-là, des cadavres raidis des chas­seurs du 31e de la veille (leur capitaine, Méry, un peu plus loin, sa main crispée sur une touffe d’herbe, me disent les troupiers). Et la fusillade crépite toujours, sans qu’on distingue devant nous l’ennemi. Pourtant, à un moment donné, une ligne épaisse paraît brusquement,débouchant des tranchées. Sans ordre, sans attendre le signal, mes hommes foncent dessus !

La ligne regagne de suite son point de départ et nous tire dessus. Même jeu un instant après. Il me semble en­tendre également des clameurs à ma gauche. Pour la deuxième fois, nous avons repris posi­tion sur notre crête, poursuivis par des décharges violentes, mais sans trop de pertes. Accalmie. J’ai la sensation vague qu’il se prépare quelque chose encore.

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Je  remets un peu d’ordre, utilisant l’abri des arbres et des rochers, regroupant vaille que vaille les sections. Je vais à quelque distance en arrière et trouve Menvielle, le revolver à la main, très chic, debout. « Votre Compagnie est-elle un peu groupée ? » — « Relativement » — « Allez de suite for­mer repli en arrière, surveillez mon flanc droit, gardez le drapeau… Ah ! et il arrive une batterie alpine, servez-lui de soutien ».

J’ai environ cent hommes sous la main et évacue, en rampant, la crête où des unités fraîches arrivent : la 7e, puis la 11e avec Erhard et D… et un autre, je crois, de la 3e.

Je rallie quelques isolés de la 4e qui a perdu plus du tiers de son effectif et dont le chef Altairac a été magnifique. Mes hommes sont exténués et hors d’état de fournir un nouvel ef­fort après une première attaque sanglante et contre-attaque. Je me hâte vers l’endroit indiqué, c’est-à-dire là où étaient les 5e, 7e, 8e avant midi, tandis que derrière moi une nouvelle at­taque précédée de sonneries lugubres s’exécute.

À ce moment, s’est produit l’épisode de l’enlève­ment d’une pique de drapeau et d’un baudrier, je ne le sais pas, la nature du terrain rendant l’ob­serva­tion du terrain difficile autrement que de près. La batterie alpine est arrivée et je retrouve avec émotion ces hommes superbes plus grands que les cuirassiers. Impossible de mettre en bat­terie faute de vues. Pourtant, un 65 prendra posi­tion là où j’étais le matin et envoie des obus sur la crête que j’ai vainement attaquée. Utilisant le couvert des futaies, les Allemands progressent pourtant par là, sans guère les distinguer.

Quelques éclaireurs courent à la lisière. De ma place, je me rends compte, mieux que sur la ligne même, de l’acharnement déployé. La fusillade est terrible et l’on tire aussi, copieusement, sur nous. Des fractions se repliant passent près de nous et les balles arrivent de partout, tirées de l’éperon et de la crête que j’avais tenté d’enlever.

On me signale des éléments ennemis juste de­vant moi, dans le vallon à pentes raides qui aboutit à l’emplacement des pièces. Une attaque insoupçonnée peut sortir de partout. Tout autour il y a un vrai fourré, sombre, dense, praticable partout pour l’infanterie. Le capitaine d’artillerie me déclare : « Moi, je pars. Je risque d’être enlevé, et puis voyez : on nous tire dessus ». Comment n’y a-t-il pas de mulets tués, je me le demande. Heureusement, il fait déjà moins clair : il doit être sept heures passé.

Partout des élé­ments continuent à défiler derrière nous. L’ennemi épuisé, lui aussi, malgré son écrasante supériorité numérique (il y avait, paraît-il, ce sera à vérifier, le bataillon de Chasseurs à pied de Schlestadt et une brigade d’infanterie). Grâce à nos contre-attaques, il reste maître de ses tran­chées, sans plus, et nous allons de l’avant. Ceci, on devait le constater le lendemain.

Pour le moment, la nuit vient, tout est possible. Magagnosc passe, sanglant, soutenu par un ca­po­ral de ma compagnie, Descourvières, blessé lui-même. Il est à bout de force et pleure ner­veuse­ment. Je commande le « Présentez armes ». Lui, remercie d’un air faible et conti­nue, lente­ment, son chemin, appuyé sur un homme valide que j’ai de suite désigné. Un ins­tant auparavant Camus, le crâne percé d’une balle, était lui aussi passé. Tandis que la batte­rie, en une longue co­lonne, s’écoule, j’ai réparti du mieux que j’ai pu les hommes dont je dis­pose.

La section de flanc-garde du début m’a rejoint. Le drapeau est aux mains du lieutenant Gérard, entouré de sa garde que commande C…, vigoureux et brave ser­gent de ma com­pagnie, médaillé du Maroc. Autour d’eux les sa­peurs sont massés et j’encadre le tout d’une sec­tion baïonnette au canon. La nuit vient. Silencieusement nous partons. J’ai le revolver à la main et marche auprès du drapeau. Les hommes ont l’œil et l’oreille au guet. À courte distance, de petites patrouilles se faufilent, sans bruit, gardant mes flancs.

Groupe_de_sapeurs_149e_R

J’ai pris, derrière la batterie alpine, comme direc­tion le col même. Certainement nous avons en­core du monde par là, mais arriverons-nous in­demnes ? Quelques fausses alertes : on me si­gnale des mouvements suspects. Ce sont seule­ment des égarés, des blessés, qui se joignent à ceux que j’emmène déjà.

Il fait presque nuit maintenant et c’est le grand silence des nuits de montagne. Tout à coup, des patrouilleurs arrivent en courant, joyeux : « Mon capitaine, des alpins ! » C’est vrai : des bérets, des vareuses sombres se dessinent tout près. C’est un des bataillons qui devaient arriver à la rescousse à huit heures du matin (j’avais oublié de dire précédemment ce détail) et qui viennent de déboucher après une marche for­cée. Ah ! Si l’état-major avait été bien renseigné sur leur emplacement la veille ! Le drapeau est sauvé ! mais quelles angoisses nous avons eues pour lui !

J’apprends que des fractions assez im­portantes du 149e sont passées aux environs par d’autres itinéraires, allant sans doute directement sur Wisembach. Une fois derrière le rideau d’alpins, je n’ai plus d’inquiétude et aussitôt au col, quittant la batterie, je mets mon monde en ordre.

Escallon (lieutenant-colonel) est ici renseigné par moi sur la situation, c’est bien cela (le reste du 149e, n’ayant pas de batterie à suivre en descendant, au plus court, sur Wisembach) m’ordonne d’aller prendre position au fond du vallon sur l’autre versant du ruisseau de Wisembach, au nord du bois de Beulay, pour faire face à toute attaque ve­nant du nord.

Il y a sur la route du col un en­tassement de troupes : 31e B.C.P. (dont je salue le commandant Hennequin, vu au 13e, à Chambéry), un bataillon aussi (le 7e) qui fait la soupe, de l’artillerie.

Si les Allemands avaient attaqué là-dedans, quel désastre ! Mais, je l’ai dit, ils étaient épuisés et se contentaient de gar­der le terrain occupé d’avance. Au premier tour­nant, je trouve une ambulance (car le 9 août, il n’y a eu au combat ni médecins, ni brancardiers). Ceux-ci étaient à Wisembach avec l’inénarrable Porte, leur chef (chef de musique) dont le rôle se réduisit à demander de leurs nouvelles aux offi­ciers survivants, en ajoutant « Ah ! pôvre ». J’y laisse mes blessés les plus atteints. Et nous rencontrons une fontaine !

Depuis plusieurs heures, brûlés par la chaleur, enfiévrés, n’ayant pas eu d’eau fraîche depuis le matin, nous mour­rons de soif et l’eau glacée nous redonne des forces. Moi je n’en ai pas besoin, mais mes troupiers ! Pourtant, ils sont passés la tête haute devant les éléments qui les saluaient en les ad­mirant. Je les conduis à l’endroit indiqué dans une obscurité complète. Ils s’arrêtent, fourbus, et dorment, tandis que, laissant le commandement à Gérard, je pars à la découverte. Il faut les ali­menter et je me dirige sur Wisembach où j’arrive.

On se précipite sur moi. Il y a là des doc­teurs, quelques camarades qui m’ont précédé. M…, le lieutenant d’approvisionnement, fait des distributions. Je prends ce qu’il faut pour la 8e, aidé d’isolés. Il paraît que le régiment doit se re­former ici. Par la route débouchent des frac­tions qui sont utilisées. Ma compagnie sera bientôt là. Je l’ai envoyée chercher et quand elle sur­vient, je la conduis aux cantonnements qui lui sont affectés.

Après un repas sommaire avec des camarades dans une auberge, je retourne en­core sur la route, tâchant de « taper » les hommes qui arrivent toujours et dont certains re­joindront, égarés, perdus, le lendemain tard. Il y a en eux un mélange complet d’unités. Ainsi, mon ordonnance a rigoureusement disparu, je ne sais où, à la fin de la journée, et je le crois tué. Je le reverrai le 21 août seulement. Enfin, à minuit, fourbu moi aussi, je m’étends sur le sol battu d’une grange.

Le lendemain, je saurai les pertes subies au to­tal, la mort de Sury, un peu après que je l’ai quitté et qu’on l’ait transporté à Saint-Dié. Voilà ce qu’a été l’affaire du 9 août, ou de Sainte-Marie qui sera, je l’espère, inscrite sur le drapeau gardé par moi ce jour-là. Si le 149, mal employé, y a subi une saignée dont l’influence devait se faire sentir longtemps, il a montré quelle était sa valeur. Par la suite, combien de fois j’ai entendu, au moins jusqu’après Sarrebourg, des soldats d’autres régiments, dire en nous regardant avec un certain respect : « Ah oui ! ce sont ceux qui étaient à Sainte-Marie »

Sources :

Témoignage inédit du capitaine Gaston de Chomereau de Saint-André.

Le plan donnant les positions successives de la 8e compagnie du 149e R.I. a été dessiné par le capitaine Gaston de Chomereau de Saint-André.

Pour en savoir plus sur la capitaine Gaston de Chomereau de Saint-André, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Gaston_de_Chomereau_de_Saint_Andr__1

La photographie représentant le groupe de soldats a été réalisée en 1912. Elle provient de la collection personnelle de P. Blateyron. Marius Dubiez se trouve au 1er rang  (2e à partir de la gauche)

Pour en savoir plus sur Marius Dubiez, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Marius_Dubiez

La carte postale représentant le groupe de sapeurs du 149e R.I. est antérieure à 1914.

Les cartes détaillées des combats qui se sont déroulés dans le secteur du Renclos-des-Vaches, qui peuvent se voir ici, ont été réalisées simplement à partir des indications données par le J.M.O. du 149e  R.I.. La marge d’erreur indiquant les mouvements des bataillons et des compagnies risque d’être assez élevée. Ces cartes ne sont donc là que pour se faire une idée approximative des différents parcours qui ont pu être suivis par les éléments du 149e R.I. au cours de cette journée.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de la journée du 9 août 1914, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Renclos_des_Vaches_2

Un grand merci à M. Bordes, à P. Blateyron, à B. Bordes, à A. Carobbi, à T. de Chomereau de Saint-André, à É. Mansuy.

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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