Alphonse Marie Gabriel Petit est né le 30 septembre 1894, au 3 rue des Meules, à Chalon-sur-Saône, dans le département de Saône-et-Loire.
Son père, Alphonse Jules Raoul Fernand, 35 ans, est employé des chemins de fer. Sa mère, Gabrielle Félicie Prieu, 25 ans, n’exerce pas d’activité professionnelle. Elle gère la maison familiale et l’éducation des enfants.
Alphonse est le cinquième d’une fratrie de 7 enfants, très proches les uns des autres. Leur sœur aînée, Juliette, est décédée à l’âge de deux mois.
Alphonse Petit effectue sa scolarité à l’école primaire publique, au centre des garçons de sa commune natale. Il suit ensuite les cours dispensés par l’école professionnelle de Chalon-sur-Saône, mais les études sont loin d’être son fort. Sa fiche matricule indique un degré d’instruction de niveau 2.
Il se passionne pour le dessin dès son plus jeune âge (son frère Gaston deviendra plus tard un artiste reconnu). Alphonse Petit est également un sportif confirmé spécialisé en gymnastique et en saut à la perche. En 1913, il devient champion de Bourgogne dans cette seconde discipline.
Alphonse Petit, surnommé Polo par ses proches, n’a pas encore fêté ses vingt ans lorsque le conflit contre l’Allemagne éclate en août 1914.
Classé dans la 1ère partie de la liste de l’année 1914 du canton de Chalon-Nord, il est déclaré « bon pour le service armée » par le médecin du conseil de révision. Alphonse Petit va devoir quitter son travail d’employé de commerce un peu plus tôt que prévu. En effet, l’armée française a besoin d’hommes pour alimenter ses régiments, elle appelle la classe 14 par anticipation.
Le 4 septembre 1914, le conscrit Petit intègre le 149e R.I. à Jorquenay, au nord-ouest de Langres. Le dépôt de ce régiment, initialement installé à Épinal, a dû quitter cette ville au début de la guerre pour venir s’installer dans ce village.
Les cantonnements sont effectués chez l’habitant. Ils s’avèrent être insuffisants pour loger l’intégralité de la classe 14. Le 21 septembre, les jeunes recrues nées en 1894 et l’équipe d’encadrement quittent Jorquenay pour venir s’installer à Rolampont, une commune voisine située à six kilomètres au nord.
La formation est dure. Les apprentissages sont faits à la hâte pour envoyer les hommes sur la ligne de front le plus rapidement possible.
Repéré par ses supérieurs, Alphonse Petit suit la formation des élèves caporaux durant son instruction. Le jeune homme est nommé à ce grade le 11 novembre 1914.
Le 23 avril 1915, le caporal Petit n’a toujours pas rejoint la ligne de front. Il écrit la lettre suivante à ses parents :
(Pour plus de clarté, l’orthographe et la ponctuation de cette correspondance ont été corrigées, seul le style a été conservé)
« Mon cher papa, ma chère maman,
Bien des nouvelles à vous annoncer. Je suis nommé, ainsi que tous mes camarades de la classe 14 qui n’ont pas encore été au feu, pour faire partie d’une compagnie de marche. Les caporaux et les sergents qui n’ont pas été au feu en font partie.
Nous allons partir pour Épinal demain afin de former la compagnie. Une fois sur le pied de guerre, nous allons nous entraîner pendant un mois et ½ à faire des manœuvres, en parfaite perfection, et de connaître tous nos hommes pour les avoir sur la main constamment et qu’ils connaissent à qui ils ont affaire.
Nous irons dans un grand centre, car je crois que nous resterons à Épinal. Si jamais j’avais la chance, comme la 1ère compagnie qui est déjà partie, de pouvoir aller à Lyon, je pourrais obtenir, de mon capitaine, une permission de 48 heures, car nous ne serons plus dans la zone des armées.
Je suis content de partir avec lui, car c’est lui qui m’a fait mon instruction aux élèves caporaux et comme toutefois il est épatant, il s’appelle Mr de Chomereau de St André, ce n’est pas de la petite bière »
Alphonse Petit rejoint le 149e R.I. avec un groupe de renfort en mai 1915. Il est affecté à la 1ère compagnie du régiment. Cette unité combat en Artois, dans un secteur particulièrement exposé, près de Notre-Dame-de-Lorette.
Alphonse Petit frôle la mort dès le jour de son baptême du feu. Le 29 mai 1915, sa compagnie, sous la direction du lieutenant Pierron, a reçu l’ordre de franchir le parapet après une longue attente dans les tranchées. L’ennemi est prêt à recevoir cette compagnie…
Le fusil de notre soldat s’est brisé en deux au cours de l’attaque et une de ses cartouchières a été touchée par un éclat d’obus. Très chanceux, le jeune homme a probablement évité la blessure mortelle. Dès son retour vers l’arrière, il prend le temps de rédiger une lettre particulièrement émouvante.
« 1er juin 1915
« Chers Parents,
Je vais vous raconter en deux mots ma première rencontre avec les Boches.
Nous étions tout près des tranchées de premières lignes, prêts à relever les chasseurs à pied à 8 heures du soir. Nous voilà partis pour les relèves une fois après avoir pris position de la tranchée.
Nous attendons 24 heures et pendant cette nuit, nous guettions ces bandits à travers les créneaux. Le reste du temps, nous mangions et nous jouions aux cartes. Pendant ce temps, le lieutenant de la compagnie reçoit des ordres d’attaques.
Nous étions tous prêts à sauter la tranchée aux commandements du commandant qui était présent à nous voir partir à 2 heures du matin.
Trois fusées, lancées du poste de commandement, nous préviennent de partir. Nous posons tous nos sacs et le lieutenant commande en avant. À ces mots, tout le monde saute par dessus la tranchée. Nous n’avions pas fait 10 mètres que les mitrailleuses, les balles et les batteries d’artillerie allemandes commencent à nous canarder sans discontinuer.
Quel spectacle horrible ! Mes camarades commencent à tomber après avoir fait une 40ne de mètres. En avant, tout le monde est couché à terre, et surtout, dans les trous d’obus, nous laissons un instant l’élan prêt à repartir encore une fois.
C’est tout ! Le lieutenant tombe, le mollet enlevé par un éclat d’obus. Les 2 sous-lieutenants sons aussi tombés. Un mort et l’autre blessé au pied. Le lieutenant commande à maintes reprises pour que le suivant prenne le commandement, mais personne ne bouge.
Plus blottis dans nos trous d’obus, nous attendions que la fusillade finisse pour se rendre compte ou l’on se trouve. Impossible de bouger la tête, car à chaque instant, les balles boches sifflent à nos oreilles.
Nous attendions toute une journée, dans ces malheureux trous d’obus, que la nuit commence à venir, pour essayer de nous évader. Nous sommes dans une sale situation depuis les 2 h du matin que nous sommes à plat ventre dans la terre et rien à manger.
Petit à petit, avec nos outils portatifs nous creusons une tranchée entre chaque trou d’obus. Nous sommes 3-4 par trous et nous essayons de nous réunir tant bien que mal.
Après avoir attendu toute la journée nous entendons creuser vers 9 du soir.
Nous appelons, et à notre grande surprise, c’est le Génie français qui vient nous sortir de cette sale position. Nous n’attendions même pas qu’il soit vers nous.
Il leur restait une 60ne de mètres à creuser, mais tellement nous étions fatigués à être dans ce trou que d’un bond, nous sautions tous dans la tranchée qu’il creusait pour venir à nous. Quel soupir de soulagement que nous ne pouvions pas revenir, que nous étions sauvés, car nous étions prisonniers, et impossible de partir, car ces sales bêtes nous guettaient bien. Enfin, nous sommes sauvés.
Nous traversons toutes nos lignes. Nous allions en arrière, car sitôt que nous étions partis, nous étions remplacés par d’autres. Une fois arrivés, nous étions fourbus, vannés, car il y avait bientôt 3 jours et 3 nuits que nous ne dormions pas du tout et sur ces 3 jours, une journée sans manger. Enfin, nous voilà en repos en seconde ligne. Là, nous ne risquons pas d’attaquer, mais nous sommes assiégés par les obus.
Nous couchons sur la terre, dans ses anciennes tranchées prises aux Boches et nous sommes dévorés par les poux. Tout le monde en est garni.
Dans cette furieuse attaque, je suis passé à travers les balles, mais par contre, mon fusil a été coupé en deux et une de mes cartouchières aussi, par un éclat d’obus. J’ai perdu mes 2 musettes que j’avais sur moi ainsi que mon portefeuille et mon livret militaire. Je n’ai pas de chance, mais d’un côté, j’ai sauvé ma peau.
Nous avons perdu 80 hommes dans ma compagnie, dont les trois officiers. C’est par miracle que le reste en est sorti, car nous étions pris entre 3 feux.
Nous ne sommes toujours pas relevés des tranchées, mais je pense que nous allons aller au repos pendant quelques jours.
J’avais un tas de choses boches comme souvenir, mais j’ai été obligé de les laisser, car s’y j’avais été prisonnier, les bandits m’auraient fusillé.
J’ai aussi un chandelier qui sort du château de Noulette. Il est parti de là, mais il sera trouvé dans une tranchée que les Boches avaient laissée, après avoir pillé le château.
Tu feras lire la lettre à Gaston, car j’ai sommeil et je vais me coucher.
Et comme je n’aime pas écrire, tu fais la même chose, tu lui feras parvenir. Sitôt que je serai en repos, je vous écrirai une pareille lettre.
Mille baisers à toute la famille. Ton fils qui t’embrasse bien fort. »
Dans ce courrier, Alphonse Petit n’a pas tout raconté concernant les conditions de sa vie de soldat. Quand il écrit à son frère, il est beaucoup plus clair. Il raconte certains repas pris à proximité de cadavres à moitié décomposés qui font parfois office de chaise ; une telle scène aurait probablement rempli d’effroi sa mère si elle avait été informée de cette situation peu ragoûtante !
« Copie d’une lettre de Polo datée du 7 juin 1915,
Mon cher Gaston,
Sans prendre le temps de recevoir ton colis, je réponds à ta lettre aussitôt. J’ai envoyé à maman une grande lettre ou je lui raconte ma première attaque contre les Boches. Je lui ai dit qu’elle te la communique et tu jugeras un peu quelle veine j’ai eue de m’en sortir. Je suis aussi proposé sous-off pour la première place qu’il y aura à la compagnie, pour mon courage et ma fermeté que j’ai eus envers les hommes à réoccuper une tranchée que les Boches avaient abandonnée.
Il est vrai que personne ne voulait s’aventurer à la réoccupation de cette tranchée. Je fis une patrouille, puis une fois sûr qu’il n’y aurait pas de danger, toute la section entre en sa possession.
Le commandant me fit des félicitations devant toute la compagnie en me disant que la prochaine fois, je serai cité à l’ordre du jour.
Pour le moment, nous sommes au repos à 8 km en arrière où nous faisons un petit exercice matin et soir.
Je me porte toujours très bien. J’oubliais de te dire que le soir, une fois la tranchée réoccupée, le x régiment devait attaquer.
Nous étions soutien à notre gauche. Une fois l’heure de l’attaque, nous formions une équipe de grenadiers, mais pas un n’a voulu marcher, car c’est la plus sale place. Ils sont placés à l’endroit où doit partir l’attaque, de manière à arroser les Boches de grenades dans leurs tranchées. Alors, je fais ni une ni deux, à l’heure juste de l’attaque, je me place derrière le pare-éclats qui nous sépare des Boches et je commence à les arroser de grenades en tout genre, cela m’a valu encore une bonne note.
Pour la 1ère fois que je montais aux tranchées, mes chefs me feront bien des félicitations. C’est tout ce que j’avais à te dire pour le moment et sitôt que j’aurai reçu ton paquet je t’écrirai à moins que je ne sois remonté aux tranchées.
C’est la plus sale vie qu’un homme peut mener. Nous sommes remplis de poux, nous restons pendant 8 jours sans nous laver même les mains. Nous mangeons autour des cadavres à moitié pourris, parfois même ils nous servent de chaise.
Toi qui es minutieux, je ne voudrais pas te voir avec nous. Ta lettre, que je viens de recevoir, a mis deux jours et celles de Chalon mettent vingt jours. Tu vois d’ici la correspondance que je peux avoir chez nous. À peine deux lettres par mois, alors tu me feras plaisir d’écrire un peu plus souvent. Ton frère qui t’embrasse bien fort. »
Le 25 juin, le général Guillemot le fait citer à l’ordre de la brigade pour son courage au cours d’un violent bombardement dans le secteur du fond de Buval. Le caporal Petit a le droit de porter la croix de guerre avec une étoile de bronze. Le jour même, il peut coudre ses galons de sergent sur sa Poiret.
Le 25 septembre 1915, le 149e R.I. participe à une attaque d’envergure impliquant l’ensemble de la 43e D.I.. Il faut absolument prendre le bois en Hache à l’ennemi.
Cette fois-ci, la chance n’est pas au rendez-vous. Le sergent Petit est tué le lendemain au cours d’une charge menée par sa compagnie. Ses hommes l’enterrent sur place.
Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur le dessin suivant.
Le 4 octobre 1915, les deux témoins oculaires, les sergents-fourriers André Devineau et André Gérardin, confirment la mort du sergent Petit auprès de l’officier d’état civil du 149e R.I.. L’acte de décès est transcrit à la mairie de Chalon-sur-Saône le 20 mars 1916.
Le 16 octobre 1915, le sous-lieutenant Guyon rédige une lettre adressée au frère du sergent Petit.
« J’ai bien reçu votre lettre du 8 octobre. J’étais en effet en bonne amitié avec votre frère, le sergent Petit.
Malheureusement depuis quelque temps nous étions séparés, lui étant au 1er bataillon et moi au 3e.
Je n’ai su ainsi sa mort qu’accidentellement ; elle m’a fort peiné, car je considérais Petit comme un brave garçon et un ami sincère.
Je ne sais pas grand-chose sur les circonstances de cet accident ; mais je suis bien certain qu’il est tombé en brave, et bien face à l’ennemi, en accomplissant tout son devoir.
Il a toujours été un exemple d’énergie et de bravoure à ses camarades et il a été toujours très estimé de ses chefs.
Son avancement avait été rapide et il pouvait espérer monter encore.
Le 149e R.I. perd beaucoup en lui ; ses camarades et ses chefs le regretteront toujours.
Monsieur Baverey qui est au 1er bataillon va s’enquérir des circonstances qui entourèrent sa mort. Dès qu’il saura quelque chose, il vous en fera part.
Recevez, Monsieur, avec mes plus sincères condoléances, mes salutations très distinguées
R. Guyon »
La réponse du sous-lieutenant Baverey ne se fait pas attendre. Le 21 octobre 1915, il écrit ceci à Gaston Petit.
« Cher ami,
Après renseignement pris auprès des camarades qui ont assisté aux derniers instants de votre malheureux frère, je puis vous dire qu’au moment de l’attaque, il n’a pas été possible de ramener le corps à l’arrière.
Ses camarades ont creusé au-devant du parapet de la tranchée une fosse qui conservera les restes de celui que le devoir a perdu. Il sera extrêmement douloureux pour vous de ne pas avoir d’autres détails, mais il m’est absolument interdit de vous décrire d’une façon précise cet endroit ; que le hasard me permette de revenir et de pouvoir vous donner tous les renseignements désirables.
De tout cœur avec vous, je vous envoie mes affectueuses salutations.
Henri Baverey. 4e compagnie du 149e R.I.. »
Les restes mortuaires du sergent Petit, s’ils ont été retrouvés, n’ont pas été identifiés. Il y a de fortes probabilités pour qu’ils reposent dans un des ossuaires de la Nécropole de Notre-Dame-de-Lorette.
Alphonse Petit a été décoré de la Croix de guerre avec une étoile de bronze et une étoile d’argent
Citation à l’ordre de la brigade n° 11 en date du 25 juin 1915
« Le 16 juin 1915 a montré sous le bombardement d’une extrême violence du fond de Buval, un sang froid et un mépris du danger qui en ont imposé à ceux qui l’entouraient et les a maintenu sur place. »
Le sergent Petit a obtenu la Médaille militaire à titre posthume.
« Sous-officier d’une bravoure réputée. Toujours au premier rang dans les moments difficiles. Tombé glorieusement le 26 septembre 1915, devant Angres. Croix de guerre avec étoile d’argent. »
Le nom de ce sous-officier a été gravé sur le monument aux morts de la ville de Chalon-sur-Saône. Il a également été inscrit sur la tombe familiale au cimetière communal de Mellecey.
Alphonse Petit ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance.
Pour consulter la généalogie de la famille Petit, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.
Quelques années plus tard, Gaston Petit se rend en Artois avec des indications très précises fournies par des vétérans du 149e R.I. sur l’endroit où son frère est tombé. Malheureusement pour sa famille, il n’a trouvé aucune trace de sépulture.
Sources :
La fiche matricule du sergent Petit et les registres d’état civil de sa fratrie ont été consultés sur le site des archives départementales de la Saône-et-Loire.
La correspondance du sergent Petit avec sa famille, les lettres des sous-lieutenants Baverey et Guyon, le cadre avec son portrait et les photographies présentées ici sont la propriété de K. Isker, petit neveu du sergent Alphonse Petit.
La photographie du bois en Hache a été réalisée par T. Cornet.
Le cliché de la sépulture familiale a été réalisé par K. Isker.
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à T. Cornet, à K. Isker, à M. Porcher, aux archives départementales de la Saône-et-Loire et au Service Historique de la Défense de Vincennes.