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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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12 avril 2024

Un sous-lieutenant du 149e R.I. rétrogradé au rang de sergent (1ère partie)

 

Suite à la blessure du lieutenant-colonel Gothié, son prédécesseur, le commandant Abbat, en tant que commandant intérimaire du 149e R.I., est chargé de clore  le « dossier Peyrus ».

 

Le 12 février 1916, il rassemble tous les rapports écrits des officiers et sous-officiers impliqués directement ou indirectement dans une affaire remettant en question le commandement d'un officier.

 

Le sous-lieutenant Peyrus, en tant que chef de section de la 4e compagnie du 149e R.I., a été suspecté de ne pas avoir su diriger ses hommes pendant les combats du 3 mars et des 9 et 10 mai 1915.

 

Dans son rapport du 17 mai 1915, le commandant Bichat insiste sur le fait que cet officier devrait être reclassé en tant que sergent.

 

« Le sous-lieutenant Peyrus, provenant des admissibles à Saint-Cyr de 1914, est arrivé au corps le 16 janvier.

 

Dans les circonstances ordinaires, il est mou, sans entrain, semblant se désintéresser de ce qu’il fait, mais au combat c’est bien autre chose.

 

Lors de l’attaque du 3 mars, le capitaine et l’autre officier de la compagnie ayant été blessés, le sous-lieutenant Peyrus est resté introuvable pendant de longues heures, de sorte que la compagnie resta sans commandement effectif. À la nuit, ayant reçu l’ordre de se porter en avant, il poussa une section en avant de lui puis fit replier toute la compagnie sans aucun motif et sans s’être rendu compte lui-même de la situation.

 

Le 9 mai, ce fut absolument identique. Les autres officiers ayant été blessés, le sous-lieutenant Peyrus n’exécutera pas ce qui avait été prévu pour sa compagnie. Au lieu de se porter en terrain découvert, ce qui était faisable, il reste dans un boyau (où il y avait des abris), laissant sa compagnie sans ordre, introuvable de sa personne. À la fin de la journée, on parvient enfin à le retrouver avec quelques éléments de sa compagnie. Il reçoit l’ordre de se porter en avant pour boucher un trou sur la ligne. Il y parvient tant bien que mal, mais à la fin de la nuit, les Allemands attaquant, Peyrus se terre.

 

Certains de ses camarades le bousculent pour le faire sortir de son abri. Résultat : les Allemands s’emparent d’un point important qu’il a fallu attaquer de nouveau le lendemain. Finalement, il a été légèrement blessé à la figure et évacué.

 

En résumé, le sous-lieutenant Peyrus n’a aucune des qualités du chef. Il manque d’entrain, de courage, de décision. Il songe à lui avant de songer aux hommes qu’il a l’honneur de commander et il leur donne le plus fâcheux exemple. Sa présence est nuisible et j’estime qu’il est incapable de faire même un sous-officier. »

 

Le 22 mai 1915, le lieutenant-colonel Gothié, à la tête du 149e R.I., reprend intégralement le rapport du commandant Bichat, sauf pour la dernière phrase.

 

Pour conclure, il écrit :

 

En conséquence, j’estime que cet officier à titre temporaire ne peut conserver ses galons et qu’il doit être remis sous-officier dans un autre corps. »

 

Ce rapport remonte à tous les échelons jusqu'au G.Q.G..

 

Le général Lombard commandant la 43e D.I., confirme en écrivant : « Avis que le sous-lieutenant à titre temporaire Peyrus doit être remis sous-officier ».

 

Le général Guillemot, en charge de la 85e brigade, apporte son soutien à ses subordonnés : « Je suis d’avis que le sous-lieutenant à titre temporaire Peyrus ne peut être maintenu dans son grade actuel et qu’il doit être remis sous-officier dans un autre corps. »

 

Le général Maistre,  commandant le 21e C.A.,  poursuit : «  J’appuie la demande du chef de corps ».

 

Ce rapport est ensuite transmis au général commandant la Xe Armée qui l’approuve par ces mots: « demande appuyée ». Le 29 mai 1915, le « rapport Peyrus » parvient tout en haut de la hiérarchie au G.Q.G..

 

Presque toutes les remarques sévères du lieutenant-colonel Gothié et du commandant Bichat sont reprises par l'aide-major général. « Le sous-lieutenant à titre temporaire Peyrus, du 149e R.I., n’a aucune des qualités du chef. Il manque d’entrain, de courage, de décision. Il songe à lui avant de songer aux hommes qu’il commande. Aux moments critiques, il est introuvable et donne à sa troupe le plus fâcheux exemple. Cet officier n’est pas digne de conserver ses galons. Il y a lieu de le remettre sous-officier dans le plus bref délai et de le changer de corps. »

 

Le sous-lieutenant Peyrus est déterminé à ne pas en rester là. Le 26 novembre 1915, il rédige un rapport extrêmement détaillé qu'il envoie au ministre de la guerre (ce rapport sera abordé ultérieurement dans une seconde partie).

 

Une nouvelle enquête est requise, ce qui entraîne une nouvelle série de rapports, toujours aussi peu flatteurs en ce qui concerne sa conduite lors des journées de 1915.

 

La hiérarchie demande à ce que les officiers et sous-officiers de la 4e compagnie et des compagnies voisines, qui ont pris part aux combats des 3 mars et du 10 mai 1915, fournissent des rapports détaillés sur le comportement du sous-lieutenant Peyrus durant ces journées.  

 

Le lieutenant Chauffenne, de la 12e compagnie, est le premier à remettre le sien.

 

« Dans la nuit du 2 au 3 mars, la 12e compagnie, alors commandée par le capitaine Grüneissen, était en réserve aux abris du bois 6. Le 3, à la pointe du jour, les Allemands prononcèrent une attaque sur les sapes t1, t2, t3 et réussirent à occuper les premières lignes françaises.

 

L’ordre fut donné à la 12e compagnie de prendre les armes et de se porter au bois 7 par le boyau principal. Je commandais alors la 1ère section qui reçut l’ordre du commandant Bichat de renforcer la 4e compagnie à la haie G.

 

À la lisière ouest du bois 7, le mouvement en avant de ma section fut arrêté momentanément par suite de l’encombrement du boyau par une section de la 4e compagnie. Cette section était massée sous le grand abri et empêchait tout mouvement. Je donnai l’ordre aux hommes d’avancer, étant convaincu que le chef se trouvait en tête, mais aucun homme n’exécutant le mouvement, je demandais quel était le gradé qui commandait. Un caporal me répondit : «  c’est le sous-lieutenant Peyrus. Il est ici, assis sous l’abri. »

 

Effectivement, m’avançant, je l’aperçus inerte, au milieu de ses hommes et lui dit «  mais avancez donc jusqu’à la haie G, vous n’avez donc pas reçu l’ordre de vous y porter ?

 

Me regardant avec des yeux égarés, il ne me fit aucune réponse et j’eus l’impression qu’il n’était plus maître de lui. Je pris alors le commandement des hommes de la 4e compagnie pour gagner la haie G, où se trouvait une cinquantaine d’hommes commandés par un sergent (deux sous-lieutenants blessés étaient dans le 1er abri caverne.

 

Le sous-lieutenant Peyrus vint me rejoindre à la tombée de la nuit. Il paraissait moins impressionné.

 

Le lendemain 4 mars, vers 17 h 00, le capitaine Grüneissen, avec les trois autres sections de la compagnie, nous renforça. Il appela le sous-lieutenant Peyrus et lui dit : «  Nous allons attaquer, la 12e à droite, la 4e à gauche, vous en prendrez le commandement et suivrez parallèlement la haie G

 

J’exécutai le mouvement avec la 12e compagnie et, blessé à 18 h 00, j’ignore ce qui s’est passé ensuite. »

 

Le sous-lieutenant Antonelli ajoute dans son rapport du 4 janvier 1916 :

 

«  Le 14 février 1915, lors du bombardement du château de Noulette, je n’ai point vu le sous-lieutenant Peyrus qui n’appartenait pas à ma compagnie. Il m’est, par la suite, impossible de porter une appréciation personnelle sur la conduite de cet officier en cette circonstance.

 

Pendant la journée du 3 mars, le commandant Bichat manifesta à plusieurs reprises, devant moi, une opinion défavorable sur le sous-lieutenant Peyrus qui, malgré les ordres reçus, ne parvenait pas à progresser dans le boyau, pris d’enfilade, il est vrai, par une mitrailleuse ennemie, reliant le bois 7 à la haie G.

 

Le soir du 4 mars, le commandant Bichat donna en ma présence,  l’ordre au capitaine Grüneissen de contre-attaquer les positions qui nous avaient été enlevées la veille, avec sa compagnie, la 12e, et les éléments de la 4e compagnie sous les ordres du sous-lieutenant Peyrus.

 

L’ordre verbal, donné d’après un croquis, portait la 12e compagnie, précédée des éléments de la 4e, se porterait d’abord à la haie G.

 

En ce point, la 4e compagnie devait prendre à droite un boyau conduisant à nos anciennes tranchées du secteur d’extrême droite et la 12e compagnie devait s’efforcer de progresser à sa gauche vers le secteur central de nos anciennes positions.

 

Une heure environ après celle fixée pour le début de l’opération, le capitaine Grüneissen se présenta au commandant Bichat et lui rendit compte qu’après avoir tenté de se mettre en liaison à la droite de la haie G avec les chasseurs à pied qui avaient contre-attaqué sur le plateau de Lorette, il avait dû s’établir à la haie G où il tenait solidement la position.

 

Quelques instants plus tard survint le sous-lieutenant Peyrus qui rendit compte qu’après avoir progressé dans le boyau reliant la haie G à nos anciennes tranchées, jusqu’à la hauteur de notre ancien poste téléphonique, il avait commencé à organiser ce boyau en tranchée, mais ne voyant pas se développer à sa gauche le mouvement de la 12e compagnie annoncé et craignant d’être tourné, il avait ramené ses éléments à la haie G.

 

Comme le commandant Bichat reprochait violemment au sous-lieutenant Peyrus d’avoir abandonné sans ordre et sans avoir été attaqué, le boyau occupé, celui-ci répondit qu’il avait adressé au commandant un homme de liaison qui avait été arrêté par le capitaine Grüneissen à la haie G.

 

Au cours de ces explications, le sous-lieutenant Peyrus avait l’attitude et le ton embarrassés d’un homme en proie à une forte dépression morale.

 

Je ne vis plus, au cours de cette affaire, le sous-lieutenant Peyrus avant notre retour au cantonnement à Baraffles.

 

Le 9 mai 1915, je vis le sous-lieutenant Peyrus dans les circonstances suivantes :

 

Vers midi, je reçus l’ordre du capitaine Crépet, commandant la 2e compagnie, avec laquelle j’étais en liaison à ma gauche, d’organiser défensivement un boyau en avant de sa compagnie et à ma gauche.

 

En explorant ce boyau, avec le soldat Pierrée de la 3e compagnie, je pus, après y avoir fait six prisonniers qui y étaient restés, retrouver la liaison avec le commandant Bichat, à ma droite.

 

Je reçus alors de ce dernier l’ordre de me porter plus en avant,  à la gauche de la 3e compagnie, en même temps que la 2e compagnie. C’est alors, en rassemblant les éléments de la 3e compagnie qui s’étaient joint à la 2e, que je trouvai, entre midi et deux heures (mes souvenirs ne me permettent pas une précision plus grande) le sous-lieutenant Peyrus, dans un boyau, à gauche de celui de la haie G.

 

Il était accroupi contre le parapet et paraissait physiquement déprimé.

 

Je revis encore le sous-lieutenant Peyrus dans la nuit du 9 au 10 mai.

 

J’occupais mon poste de combat à la gauche de la 3e compagnie, lorsque, entre une heure et deux heures du matin, je vis venir vers moi, tout bouleversé, le sous-lieutenant Peyrus qui se jeta à terre, déclarant malgré mes exhortations puis mes menaces pour lui faire rejoindre son poste de combat, qu’il n’en pouvait plus… qu’il était brisé… que ces attaques à la grenade étaient effroyables… La voix était tremblante et mouillée de larmes.

 

Le sous-lieutenant Peyrus m’apparut à ce moment comme un homme moralement et physiquement désemparé.

 

Je fus blessé d’un éclat de grenade et évacué quelques instants plus tard sans savoir vu le sous-lieutenant Peyrus rejoindre son poste.

 

Dans les trois circonstances où j’ai pu voir le sous-lieutenant Peyrus au feu, il m’a donné l’impression d’un homme trop jeune, insuffisamment formé physiquement et moralement pour assumer les responsabilités d’un chef de section au combat, sans qu’il m’apparaisse, en mon âme et conscience, qu’on doit lui reprocher, dans les circonstances où je l’ai vu, un acte de lâcheté consciente et réfléchie, au sens déshonorant de ces mots. »

 

Les critiques du sous-lieutenant Antonelli envers le sous-lieutenant Peyrus ne sont pas du tout favorables à son égard. Elles mettent en évidence un homme fragile et vulnérable en raison de son extrême jeunesse. D'après le sous-lieutenant Antonnelli, le fait de se retrouver à plusieurs reprises en première ligne lors d'événements particulièrement violents a eu un impact nerveux négatif sur le sous-lieutenant Peyrus. 

Les écrits des officiers et sous-officiers, chefs de section de la 4e compagnie confirment que cet officier est vulnérable émotionnellement.

 

 

Le 2 janvier 1916, le capitaine Altairac rédige le rapport suivant :

 

«  Monsieur Peyrus est arrivé à la 4e compagnie du 149e R.I. dans le courant du mois de janvier 1915 à Bethonsart (Pas-de-Calais). Candidat à Saint-Cyr, il avait suivi un cours d’instruction à Bourges et, à l’issue de ce cours, avait été promu sous-lieutenant à titre temporaire.

 

Il a pris, à son arrivée, le commandement de la 3e section.

 

Le 14 février, les 3e et 4e compagnies étant cantonnées dans les caves du château de Noulette, l’explosion d’un obus fit effondrer une partie des caves et ensevelit une section et demie de la compagnie. La conduite de M. Peyrus, en ces circonstances, n’a rien eu de répréhensible et a été des plus correctes. Aussitôt que le reste de la compagnie a pu sortir des caves non atteintes, il a aidé à former et diriger des équipes de travailleurs pour dégager les hommes ensevelis et a donné l’exemple personnellement en contribuant à dégager M. le lieutenant Damideau, blessé.

 

Le 3 mars 1915, au moment de l’explosion de la mine allemande et de l’attaque, la 4e compagnie était disposée de la manière suivante :

 

La 3e section (M. Peyrus), dans la tranchée de 2e ligne, à une centaine de mètres en arrière de la compagnie du centre du bataillon (3e compagnie) au nord de la haie G.

 

Une section aux abris de la haie G (M. Charlois) et deux sections au bois 6 avec le capitaine.

 

Ayant été blessé dès le début de l’action en me portant en avant avec ces deux dernières sections, je ne puis donner aucun renseignement sur la conduite tenue ce jour-là par M. Peyrus dont la section était immédiatement derrière la première ligne.

 

Pendant le peu de temps où M. Peyrus a été sous mes ordres, il m’a donné l’impression d’un jeune homme encore inexpérimenté et de constitution physique un peu faible, mais ayant bon esprit et faisant preuve de bonne volonté. »

 

Le 2 janvier 1915, le capitaine Langlois, qui travaille au Q.G. du 3e C.A. depuis les événements, rédige ce texte :

 

« En réponse à votre note de service du 25 décembre 1915, j’ai l’honneur de vous rendre compte que, lors de l’attaque du 9 mai, je n’ai rien à reprocher au sous-lieutenant Peyrus.

 

Avant l’attaque, le sous-lieutenant Peyrus s’est occupé activement de sa section, veillant à ce que chacun emporte le matériel indiqué. Par de bonnes paroles, il encourageait ses hommes.

 

Lors de l’attaque, au moment où je suis sorti de la tranchée, il y avait un bombardement très violent qui a arrêté la section qui était à ma droite (sous-lieutenant Peyrus). Ayant été blessé dès le départ, je n’ai pu savoir quelle avait été la conduite sous-lieutenant Peyrus dans la suite.

 

Pendant le temps où le sous-lieutenant Peyrus a été sous mes ordres, je n’ai eu aucune critique à lui faire, sauf un peu de mollesse dans son commandement.

 

Son attitude aux tranchées a toujours été très bonne. Il était plein de sollicitude pour ses hommes dont il était très aimé. »

 

L'aspirant Crébely fait part de ses observations le 4 février 1916 :

 

« Dans la nuit du 2 au 3 mars 1915, le 1er bataillon occupe la tranchée de première ligne de Noulette.

 

L’emplacement de la 4e compagnie (capitaine Altairac) est le suivant :

 

1ère section (aspirant Crébely) : aux abris du métro

 

2e section (aspirant Gomot) : aux abris du bois 6

 

3e section (sous-lieutenant Peyrus) et 4e section (sous-lieutenant Charlois) : en soutien de 1ère ligne de la compagnie du centre.

 

Le 3, vers 5 h 00, les Allemands font exploser, à proximité des tranchées de première ligne des fourneaux de mine qui les bouleversent et obligent les occupants à les abandonner. Au signal de l’attaque, je me poste avec ma section au bois 7, où se trouve le P.C. du commandant. J’y suis rejoint par le capitaine Altairac qui me donne l’ordre de me porter en première ligne

 

J’avance ainsi jusqu’à la haie G et je rencontre quelques hommes du 2e peloton. Ce qui m’indique que celui-ci n’a pas résisté.

 

Le capitaine marche devant moi, mais l’avance si brusque des Allemands sur le plateau de Lorette et sur les pentes nord, nous empêche d’avancer. Nous reculons jusqu’au P.C. du commandant.

 

Quelques hommes seulement, avec le sous-lieutenant Husson, résistent à la haie G et le boyau qui y conduit devient intenable par suite de l’installation par l’ennemi d’une mitrailleuse le prenant d’enfilade.

 

Vers 8 h 00, le capitaine est blessé. Le sous-lieutenant Charlois prend le commandement de la compagnie. Le commandant donne des ordres pour envoyer du renfort au sous-lieutenant Husson à la haie G, ce qui est impossible, le boyau étant enfilé par une mitrailleuse.

 

Vers 10 h 00 (peut-être plus tard), le sous-lieutenant Charlois est blessé et passe le commandement au sous-lieutenant Peyrus. À ce moment, le sous-lieutenant Peyrus se trouve sous un pont établi sur le boyau conduisant à la haie G. Le boyau forme un coude à cet endroit et il n’est pas enfilé par la mitrailleuse. Il se trouve donc là avec des hommes de la 2e section.

 

Je suis en arrière avec ma section à la lisière sud du bois 7. Les 3e et 4e sections se trouvent presque en totalité vers le P.C. du commandant derrière moi.

 

Dans l’après-midi, profitant d’un fort bombardement de notre part, le sous-lieutenant Peyrus envoie à la haie G une douzaine d’hommes avec un sergent, ce qui améliore beaucoup la situation du sous-lieutenant Husson

 

Le soir, à la faveur de la nuit, le sous-lieutenant Peyrus va à la haie G avec la 2e section. J’y vais à mon tour avec ma section vers 22 h 00 ou 23 h 00.

 

Donc, le premier peloton de la compagnie avec quelques hommes du 2e peloton se trouve à la haie G. L’autre peloton est resté au P.C. au bois 7.

 

Pendant toute la nuit et la journée du lendemain (le 4), le premier peloton aménage le barrage de la haie G et le boyau de la haie G. Il établit un poste d’écoute pour surveiller les pentes du plateau et il construit une tranchée à l’extrémité est de la haie G et perpendiculairement à celle-ci.

 

Pendant toute la nuit du 3 au 4 et la journée du 4, il n’y a rien d’anormal.

 

Le soir, vers 16 ou 17 h 00, le capitaine Gruneissen nous apporte l’ordre d’attaquer. La 4e compagnie doit l’appuyer sur la droite.

 

Je sors le premier de la tranchée suivi des hommes des deux sections, puis, ne voyant pas mes sergents, je m’arrête pour voir s’ils me suivent. J’en vois un qui prend immédiatement la tête et qui emmène les hommes jusqu’au poste téléphonique établi à proximité de la tranchée perdue.

 

Dans cette action, je n’ai eu qu’un blessé.

 

Pendant la marche en avant, je n’ai pas vu le sous-lieutenant Peyrus et ce n’est que quand tous mes hommes furent dans le boyau conduisant de la haie G à la tranchée perdue que je le vis.

 

Le sous-lieutenant Peyrus se trouve alors à la gauche du peloton. Il fait organiser un barrage de sape, ce qui semble indiquer qu’il a l’intention de se maintenir à la position réoccupée, puis tout à coup, il change d’idée. Il est pris d’un très curieux excès d’indécision et me demande plusieurs fois ce qu’il faut faire. Je lui réponds invariablement que nous n’avons pas d’ordre pour abandonner la position. Il faut donc rester.

 

Notre position, sans être critique, n’est pas des meilleures. Il n’y a pas de liaison à gauche. Devant nous, à droite et derrière (au dessus de la haie G), il y a les Allemands. Pour que notre position soit plus sûre, il faudrait connaître exactement la position de l’ennemi. Dans tous les cas, le boyau de la haie G nous est une ligne de retraite assurée.

 

Donc, sans ordre, le sous-lieutenant Peyrus abandonne ce qui vient d’être réoccupé et où nous venons de passer au moins deux heures.

 

Le commandant Bichat parle longtemps et vivement avec le sous-lieutenant Peyrus, puis nous allons au Métro et ensuite à Noulette. Mais avant de partir à Aix à 23 h 00, je vais, de la part du sous-lieutenant Peyrus, trouver le commandant pour lui expliquer la situation.

 

Le 5, à 6 h 00, la compagnie va au bois 6 et dans la journée, le sous-lieutenant de Parseval en prend le commandement.

 

Dans tout ceci, le sous-lieutenant Peyrus n’a pas manqué d’énergie et d’esprit de décision. Il manquait de ce que j’appellerai la maîtrise de soi-même et je crois qu’il ne se rendait pas très bien compte de la responsabilité qui lui incombait.

 

Du reste, je l’ai toujours considéré comme très jeune et sans expérience suffisante. Je crois qu’il fut très impressionné par le spectacle auquel il assistait.

 

Cependant, il n’en avait pas été de même le 14 février, lors de l’éboulement d’une cave du château de Noulette où, je l’ai vu un des premiers, sinon le premier, se mettre en devoir de dégager les hommes qui étaient ensevelis.

 

Dans la journée du 3 mars, je l’ai trouvé toujours assez calme, mais on sentait chez lui une certaine inquiétude.  Le soir du 4 mars, il était au contraire très agité.

 

Je crois que si on avait commandé au sous-lieutenant Peyrus d’accomplir une mission périlleuse, il l’aurait fait, même s’il avait su que tout serait fini pour lui. »

 

Le capitaine Trezenem, commandant la 1ère compagnie du 149e R.I. note dans un rapport non daté :

 

« J’ai l’honneur, en réponse à une note du colonel Gothié datée du 25 décembre et arrivée ce matin seulement, de vous rendre compte.

 

- Que je n’ai aucun renseignement sur la conduite de l’ex sous-lieutenant Peyrus au cours des affaires du 14 février et du 3 mars.

 

- Que le 9 mai au soir, au moment où je fus détaché de la 3e compagnie pour prendre le commandement de la 4e, et le 10 mai, quand les évènements m’eurent amené à prendre le commandement de ce qui restait des 1ère, 3e et 4e compagnies, je n’ai pas été secondé comme j’aurais pu m’y attendre par le sous-lieutenant Peyrus qui n’a été blessé que le 10 vers 17 h 00. Son rôle fut passif. Son âge et la situation effrayante à certains moments peuvent expliquer cette attitude. »

 

Conformément aux instructions de sa hiérarchie, et suite à une décision ministérielle du 4 juillet 1915, Pierre Peyrus est officiellement rétrogradé au rang de sergent.

 

Le 1er décembre 1915, il est affecté au 17e R.I. puis transféré au 217e R.I..

 

Pierre Peyrus se distingue en tant que sous-officier à Maison-en-Champagne entre le 12 et le 20 mars 1917. Sa bravoure au combat ne correspond plus à ce qui lui avait été reproché au 149e R.I.. Elle lui permet de retrouver ses galons de sous-lieutenant à partir du 15 avril 1917.

 

Sources :

 

Dossier individuel du sous-lieutenant Peyrus consulté au S.H.D. de Vincennes.

 

Le portrait de l’aspirant Crebely est extrait du livre d’or « l’école libre de Notre-Dame de Mont-Roland et la guerre 1914-1918 » Besançon, imprimerie Jacques et Demontrond. 1922.

 

Le portrait du lieutenant-colonel Gothié provient de la collection personnelle de son petit-fils, D. Gothié.

 

Les portraits du commandant Bichat, des capitaines Altairac et Charlois et du sous-lieutenant Peyrus sont extraits de leur dossier individuel du S.H.D. de Vincennes.  

 

Le portrait du commandant Abbat vient du tableau d’honneur de la guerre 14-18 publié par la revue « l’Illustration ».

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au S.H.D. de Vincennes.

Commentaires
P
Voilà un récit intéressant sur ce que pouvait ressentir un homme confronté à la guerre, qu'il soit simple soldat ou officier. Ces hommes, jamais mis en présence des horreurs d'une guerre, vivant tranquillement leur vie, doivent faire preuve d'un exceptionnel courage pour affronter balles, obus, mort et vie d'animal terré dans des tranchées et abris soumis à la pluie, au froid et à la promiscuité. D'une vie de tranquillité où chacun décide de son sort au quotidien, ils sont plongés dans un monde où les ordres les obligent à sortir d'une tranchée présentant une certaine sécurité pour courir à découvert face aux mitrailleuses sans possibilité de refus sauf à se retrouver devant un tribunal militaire et fusillé sans possibilité d'appel dès le lendemain. Comment ne pas comprendre que certains aient subi les difficultés liées à la dépression ? Aujourd'hui, pour bien moins que ça on déclenche les médecins psychologues, eux devaient subir et résister chaque jour, chaque attaque, chaque fois que la compagnie est réduite à peau de chagrin. Honneur à ces braves.
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