Témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (8e partie). Un repos bien mérité avant de remonter en 1ère ligne.
La compagnie du sous-lieutenant Douchez est à Billy-sur-Aisne depuis le 24 août 1917.
Elle vient de passer plusieurs jours dans un secteur particulièrement exposé, au nord-est de la ferme Hameret. La 9e compagnie du 149e R.I. est sur le point de partir. Les hommes s'apprêtent à monter dans les véhicules qui doivent les conduire à Troënes.
Une période de repos commence.
25 août 1917
De Billy-sur-Aisne nous allons à Berzy-le-Sec.
28 août 1917
Nous quittons Berzy-le-Sec pour Troësnes.
Itinéraire suivi : Chaudun, Beaurepaire, Longpont, Louâtre, la Loge, Villers-le-Petit, Ancienville, Noroy-sur-Ourq.
Je loge chez un vieux ménage de jardiniers.
Popote près de l’Ourcq et de la Savières, où, à titre de curiosité, je jette des grenades pour recueillir le poisson.
30 août 1917
Je prends la route de Troësnes à la Ferte-Milon pour aller en promenade. Visite des ruines féodales du XIIIe siècle.
1er septembre 1917
Avec la voiture de compagnie, nous allons à Villers-Cotteret pour le ravitaillement du bataillon. Nous passons par Faverolles, Vouty et Dampleux.
Le sous-lieutenant Bloch est parvenu à se faire envoyer au C.I.D.. Étant le plus récent des officiers du bataillon, j’ai dû prendre la direction de la popote.
J’ai, à titre d’innovation, supprimé tout achat d’alcool, liqueurs fines et autres, faisant une seule exception pour le prochain dîner de réception du 6 octobre.
La consommation mensuelle en était, pour le seul bataillon, de 100 à 150 francs, soit 7 à 8 francs par tête.
Cet emploi ne me dispense en rien de mes attributions actuelles qui s’accumulent :
Officier chef de section,
Officier F.M. du bataillon,
Officier de gaz du bataillon,
Chef de popote du bataillon.
2 septembre 1917
Promenade sur la route de Troësne à Chouy en passant par Noroy-sur-Ourq.
3 septembre 1917
Revue de la division (149e, 158e, 1er et 3e B.C.P.) au bois de Mauloy, par Blanzy et Rémy-Blanzy.
Au moment de passer devant le drapeau avec ma section, un faux pas fait pénétrer la pointe de mon épée sous ma paupière droite, me valant une piqûre vers la racine du nez. Mon pince-nez tombe. Le sang achève de m’aveugler et inonde ma vareuse et mon équipement. Je crois avoir l’œil crevé. Pourtant, le globe n’a pas la plus légère égratignure.
Je renvoie l’adjudant accouru pour me remplacer. Je fais aussi bonne contenance que possible. Croyant bien ma carrière de soldat terminée, je tiens à la clôturer en saluant une dernière fois le drapeau. Aussitôt après le défilé de ma section, je me fais conduire au major. J’en suis quitte pour avoir l’œil et les paupières de toutes les couleurs pendant quelques jours.
Je dîne sur le terrain avec mes camarades. Mon pansement m’empêchant de marcher convenablement, je rentre par la voiture médicale.
8 septembre 1917
J’ai une permission exceptionnelle de 48 heures. Je vais à Paris voir le commandant Pajot, qui a été fait prisonnier à Maubeuge le 8 septembre 1914. Interné un moment en Suisse, il a été récemment rapatrié. J’en profite pour pousser jusqu’à Calais pour passer quelques heures auprès de Jeanne.
11 septembre 1917
L’ordre arrive de remonter d’urgence en secteur. Des camions nous prennent. Je suis, avec mon collègue Bertheville, dans la limousine de l’officier qui conduit la formation d’autos.
Nous prenons l’Itinéraire suivant : Troësnes à Noroy-sur-Ourcq par la route. Nous embarquons dans les camions à Noroy-sur-Ourq jusqu’à Condé-sur-Aisne, passant par Chouy, Billy-sur-Ourq, Saint-Rémy-Blanzy, Hartennes-et-Taux, Soissons, Saint-Paul, Bucy-le-Long, Missy-sur-Aisne.
De Condé-sur-Aisne, nous prenons la direction de nord-est de Chantereine, près de Vastiboute. Nous sommes en 2e ligne.
Les sections occupent une vaste « creute » ou carrière souterraine. Les P.C. sont de véritables petits chalets, accrochés au flanc d’un ravin très encaissé. Ils ont été construits avec goût par les Allemands, lors de leur occupation de ce secteur.
Le nôtre a pour enseigne « Schwalbennest » (chalet des hirondelles). Celui du bataillon, à mi-côte du bois est, par ses proportions, une villa avec salon, fumoir, salle de bains, douches, loggia suspendue, etc…
Dans ces constructions règnent la propreté et l’hygiène. Le confort a été créé ingénieusement avec des moyens de fortune. Les revêtements au ripolin, le plaisir des yeux, les décorations rustiques en font un séjour de paix que j’envierais pour y finir ma vie.
Tout cela change vite, hélas, dès notre prise de possession.
12 septembre 1917
Avec la voiture de la compagnie, je quitte le nord-ouest de Vastiboute pour aller à Soissons. Il faut faire le ravitaillement de la popote des officiers du bataillon. Je couche à Billy-sur-Aisne.
21 septembre 1917
Je vais du nord-est de Vastiboute à Billy-sur-Aisne. Cette fois-ci, tous les services, hommes et officiers, logent dans des baraques Adrian. Le village a été réquisitionné par les E.M. et les « services » administratifs, qui en interdisent formellement l’accès à tout combattant.
23 septembre 1917
Billy-sur-Aisne à Chaudun (route) par Septmonts, Noyant-et-Aconin, Ploisy.
24 septembre 1917
Chaudun à Ancienville (route) par Longpont, Corcy, Château-de-Maucreux.
Ancienville : popote contre l’église. Je loge chez une femme dont le mari est soldat. La vieille demoiselle de Maucroix a mis à notre disposition son château, avec le grand salon où nous nous réunissons.
Le capitaine Houel et le capitaine Prenez y logent. Déjà s’y trouve l’officier commandant la compagnie des Annamites. Il vole au capitaine Prenez ses jumelles et y substitue dans l’étui, pour compenser le poids, un masque contre les gaz. Grâce à cette précaution, le capitaine Prenez ne constate le vol que plusieurs jours plus tard, en secteur, lorsque nous avons quitté ce cantonnement.
Chaque matin, sur un terrain dont la configuration se rapproche de celle de notre futur champ de bataille, nous faisons des « répétitions » de la prochaine grande attaque.
27 septembre 1917
D’Ancienville nous allons en voiture de compagnie à Villers-Cotterêts pour le ravitaillement de notre popote.
30 septembre 1917
Nous quittons Ancienville en camions-autos pour aller à Champlieu effectuer des manœuvres avec des tanks types Schneider et Saint-Chamond.
2 octobre 1917
D’Ancienville, nous nous rendons à Longpont, où nous avons un peloton détaché aux travaux forestiers. La principale occupation des hommes est de tendre des collets et de massacrer les cerfs à coups de fusil Lebel. En promenade, je vais dire bonjour à Bertheville qui commande ce peloton.
Nous déjeunons chez le concierge du château dans lequel il y a sa chambre. Nous le parcourons, ainsi que le beau musée particulier qu’il renferme, ainsi que les belles ruines de l’Abbaye.
6 octobre 1917
Nous venons d’avoir un nouveau chef de bataillon, le commandant Putz. À sa réception par les officiers du bataillon sont invités le commandant Desanti et le lieutenant Anceau. Étant chef de popote, je mets tous mes soins à composer un dîner. D’une nuit à l’autre, nous pouvons partir pour l’attaque en préparation, attaque à laquelle je fais une seule allusion en baptisant le dessert : « rocher de la Malmaison ». Cette petite fête sera la dernière pour beaucoup d’entre nous. Je veux qu’elle apporte à chacun quelques heures de délassement et de joie.
En les voyant manger et boire, insouciants et gais, je songe au « repas des Girondins » et je me demande quels sont ceux parmi nous que le destin a marqué.
Au dessert, je dis peut-être pour la dernière fois, quelques pièces de vers : « pour le drapeau » et « l’Épave » de François Coppée et « la soumission de Béhanzin » de l’humoriste Jean Goudezki.
La liste de ceux qui prirent part aux combats du 23 octobre et qui tombèrent prouve que mes pressentiments ne devaient que trop se réaliser.
Avant de quitter Ancienville, le photographe de la division, vient, par ordre du colonel, photographier les officiers du bataillon.
Ce cliché a été pris dans le parc de la demoiselle de Maucroix.
Comme il l'a pressenti à la fin de son écrit du 6 octobre, un nouveau chapitre s'ouvre pour le lieutenant Douchez et sa 9e compagnie : le 149e R.I. doit participer à l'attaque de la Malmaison. Cette bataille est restée comme une belle victoire. Mais chaque victoire a un prix et la suite de son récit va bientôt nous confronter à la réalité de ces jours de combats.
Sources
Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.