Henri Félix Sauvage 1884-1915)
Henri Felix Sauvage est né le 8 février 1887 au domicile parental, dans le 4e arrondissement de la ville de Lyon. Son père, Charles Thomas Sauvage, est âgé de 31 ans ; sa mère, Adrienne Joséphine Bruyas, a 30 ans. Les parents vivent rue du Pavillon. Ils sont tous les deux tisseurs. Plus tard, la famille Sauvage réside au n° 9 de la rue Gigodot. Henri Félix est le second d’une fratrie composée de 4 enfants.
Henri suit une scolarité qui lui permet d'acquérir les connaissances de base dispensées par l'enseignement primaire.
Adolescent, il apprend le métier de cartonnier. Il exerce cette profession durant quelques années, mais elle finit par ne plus lui convenir. À peine ses 18 ans atteints, il décide de s'engager volontairement pour une durée de trois ans.
Le jeune homme signe son contrat avec l’armée le 20 février 1905. Il choisit le 133e régiment d'infanterie, une unité qui tient garnison à Belley.
Son père décède en octobre 1905. Le 20 février 1906, Henri bénéficie d’une disponibilité liée à l'article 21 de la loi du 15 juillet 1889 en qualité de "fils aîné de veuve ". Son séjour dans ce régiment n'ayant donné lieu à aucun problème particulier, Henri obtient son certificat de bonne conduite.
L’année suivante, la vie militaire finit par lui manquer. Le 19 août 1907, il renonce à son exemption. Dès le lendemain, il intègre le 149e régiment d'infanterie d’Épinal en qualité de soldat de 2e classe.
Au terme de ses trois années d'engagement, Henri passe dans la réserve active le 20 février 1908, avec un nouveau certificat de bonne conduite.
Revenu à la vie civile, il réside à Hersin-Coupigny, du 11 août au 6 novembre 1908, chez Camille Nicaisse, un houilleur belge. À partir de cette date, Henri retourne vivre à Lyon. Il habite au n° 24-26 de la rue du Mail dans le quartier de la Croix Rousse. Il exerce la profession de voiturier.
Le jeune homme est condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis pour abus de confiance, une sentence qui a été prononcée par le tribunal correctionnel de Lyon, le 15 juillet 1911.
Lorsque le 1er conflit mondial du XXe siècle éclate en août 1914, Henri Sauvage à obligation de rejoindre le dépôt du 149e R.I.. Le 4 août, il est à la caserne Courcy.
Affecté à la 9e compagnie, il participe à tous les combats du régiment dans les Vosges, dans la Marne, en Belgique et en Artois.
Le 29 avril 1915, Henri Félix Sauvage est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. à 30 jours d'emprisonnement pour ivresse publique et manifeste.
Le 10 juillet 1915, il comparaît de nouveau devant cette même juridiction. Cette fois-ci, le soldat Sauvage doit répondre d'infractions nettement plus graves. Il lui est reproché les faits suivants :
- le 14 juin 1915, entre Boyeffles et Aix-Noulette a abandonné son poste en présence de l'ennemi.
- le 15 juin 1915, à Aix-Noulette, a refusé d'obéir à l'ordre de son supérieur le médecin aide-major de rejoindre la compagnie pour marcher contre l'ennemi, et ce, en présence de l'ennemi.
- le même jour, au même lieu, a refusé d'obéir au même ordre qui lui était donné par son supérieur, le caporal Benoît, du même régiment, et ce, en présence de l'ennemi.
- le 16 juin 1915, au même lieu, a refusé d'obéir au même ordre que lui a donné à nouveau le médecin aide-major Cleu, et ce, en présence de l'ennemi.
Le conseil de guerre qui siège au Quartier Général est installé à Hersin-Coupigny. Il est présidé par le chef de bataillon Perrin du 31e B.C.P.. Les assesseurs sont le chef d'escadron Perrier qui commande les trains régimentaires de la 43e D.I., le capitaine Roudet du 4e régiment de Chasseurs à cheval, commandant le 3e demi-régiment, le lieutenant Nestre du 31e B.C.P. et l'adjudant Petit du 12e R.A.C..
À l'unanimité, les membres du conseil de guerre retiennent la culpabilité de ce soldat. Il est condamné à la peine de mort.
C'est en vertu de l'ordre d'exécution du 11 juillet qu’Henri Félix Sauvage est fusillé le lendemain à 5 h 00 à Hersin-Coupigny.
La base des fusillés de la Première Guerre mondiale consultable sur le site « mémoire des hommes » est peu prolixe pour nous aider à comprendre la singularité du parcours de cet homme. Elle ne comporte que deux documents :
- la fiche du décès survenu le 12 juillet 1915 qui comporte une date de naissance erronée. Elle indique le 8 février 1884 au lieu du 8 février 1887. Ce soldat était de la classe 1907 et non de celle de 1904 comme indiqué par la fiche de présentation de son dossier.
- le jugement du conseil de guerre de la 43e D.I. du 10 juillet 1915 et le procès-verbal de l'exécution du 12 juillet 1915.
Le dossier d'instruction est manquant.
Ces documents sont bien trop succincts pour déterminer les raisons pour lesquelles Henri Félix Sauvage est passé de l'engagement volontaire à la condamnation à mort.
Il est cependant possible de suppléer aux lacunes de son dossier en puisant dans le dossier de procédure d’un autre condamné à mort.
En effet, Henri Félix Sauvage a comparu le même jour qu'un autre soldat du 149e R.I., Eugène Favier, qui fut poursuivi pour des infractions similaires.
Ainsi, les notes d'audience rédigées lors de la comparution d'Eugène Favier devant le conseil de guerre, notamment celles qui relatent la déposition du médecin aide-major Cleu, révèlent ceci : le 14 juin 1915, au lieu de suivre leurs unités qui se rendaient dans le secteur d'Aix-Noulette pour combattre, ces deux soldats se sont arrêtés au poste de secours d'Aix-Noulette.
Ils se sont présentés en état d'ivresse devant ce médecin qui leur a alors intimé l'ordre de rejoindre sans délai leur compagnie respective (la 2e pour le soldat Favier, la 9e pour le soldat Sauvage).
Le caporal d'ordinaire du 149e R.I., entendu également comme témoin lors du procès de Eugène Favier, a déclaré que le lendemain, le 15 au matin, il avait lui-même constaté que les deux compères étaient en train de boire dans un débit de boissons à Aix-Noulette, et qu'ils avaient refusé, malgré une sévère mise en garde, de repartir au front.
L'interrogatoire d’Eugène Favier confirme que le 15 au matin, ils étaient bien allés boire à Aix Noulette après s'être esquivés du poste de police du 142e Régiment d'infanterie territoriale ; ils y avaient, tous deux, dormi la nuit du 14 au 15 juin 1915.
Il révèle également qu'après une nouvelle nuit passée à la Malterie, ils étaient partis ensemble, le 16 juin 1915, en direction du front. Le duo s'est séparé lorsqu’ Henri Félix Sauvage, réfugié dans abri, n'a plus voulu en sortir.
Eugène Favier dit avoir poursuivi son chemin, seul, avant de revenir sur ses pas pour aller se faire examiner au poste de secours d'Aix Noulette. Sa blessure fut jugée insignifiante par l'intransigeant médecin qui lui réitéra l'ordre de remonter en ligne.
Henri Félix Sauvage s'est vu reprocher lui aussi un refus d'obéissance commis le même jour. Le chef de poursuite mentionné dans le jugement et l’absence de déclaration de témoins ne permettent pas de savoir s'il a cherché à se faire exempter avant de faire mine de rejoindre la zone de combat ou si, comme Favier, c'est après s'être remis en route qu'il a fait demi-tour pour retourner au poste de secours.
Bien que lacunaires, ces renseignements sont cependant suffisants pour constater la chose suivante : c'est une consommation excessive d'alcool dans un débit de boissons à Aix-Noulette, juste avant le retour au front de sa compagnie, qui a donné le courage à Henri Félix Sauvage, non pas de retourner au combat, mais de passer à l'acte en refusant ostensiblement d'obéir aux injonctions de rejoindre ses camarades.
Dans un premier temps, l'alcool l'a sans doute aidé à supporter, comme tant d'autres, les conditions de vie désastreuses dans les tranchées et probablement à surmonter sa peur de mourir sur le champ de bataille ou d'y subir une blessure mutilante. Au fil du temps, son addiction aux boissons alcoolisées a petit à petit anéanti son sens du devoir et sa volonté de combattre.
Progressivement, elles ont pu lui donner la hardiesse de passer à l'acte sans prendre véritablement conscience des conséquences d'un refus d'obéissance ; il n’a probablement pas réalisé que ce « défi » à l'égard d'une institution fondée sur la discipline et l'obéissance lui vaudrait une condamnation à la peine de mort.
On peut également concevoir que leur situation personnelle respective, celle d’Henri Sauvage, engagé volontaire à deux reprises et celle d’Eugène Favier, mobilisé malgré la tuberculose, méritait, à leurs yeux, quelques égards. L’indifférence de l’armée à leur sort, a pu faire naître en eux un sentiment de rancœur et d’aigreur qui a pu être ressassé à loisir dans l’ivresse. Ce sentiment a pu les aider à franchir le pas de la désobéissance coupable.
Les poursuites ont été étendues à trois refus d'obéissance aux ordres donnés par le médecin aide-major Cleu et par le caporal Benoît de la 9e compagnie.
Ces refus réitérés de "monter aux tranchées" caractérisent de manière rigoureuse l'abandon de poste en présence de l'ennemi et rendent ainsi incontestable, sur un plan juridique, l'application de plein droit de la peine de mort à un tel crime.
Le conseil de guerre de la 43e D.I. a pris soin d'entendre les témoins, dont les dépositions avaient été recueillies au cours de l'instruction. Même si on ne dispose pas du dossier d'instruction concernant Henri Félix Sauvage, il est certain que le médecin aide-major Cleu, qui a déposé devant le conseil de guerre sur les circonstances des deux refus d'obéissance d’Eugène Favier, a également été entendu sur le cas analogue de désobéissance de son acolyte, jugé le même jour, lors de la même session.
Il est tout aussi vraisemblable que le caporal Benoît, qui n'était pas parvenu à le convaincre de rejoindre ses camarades de combat, a été appelé à témoigner lui aussi, comme l'ont été ceux qui avaient essuyé un semblable refus de la part de Eugène Favier.
Pour en savoir plus sur le soldat Favier, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.
Nous sommes loin des pratiques de certains conseils de guerre qui consacraient peu de temps à l'examen d'un dossier et expédiaient rapidement les affaires, à l'instar de ce qu'expliquait un commissaire du gouvernement à un nouveau défenseur : " Vous comprenez c'est simple comme bonjour. Par exemple, ce soir, je vous envoie une convocation ; demain, vous voyez le dossier – dix minutes – l'après-midi, vous voyez votre client – dix minutes – et le lendemain, vous plaidez votre affaire – dix minutes. Ce n’est pas plus malin que ça. …des témoins ? Vous n'en avez pas souvent. Il y a une circulaire du grand quartier pour dire qu'on ne doit pas déranger, sauf en cas de nécessité absolue, un témoin du front… Oui, vous voyez que votre rôle est fort peu de chose. On peut même dire presque rien"- (Raymond Lefèvre et Paul Vaillant Couturier – La guerre des soldats – Ernest Flammarion Éditeur – 1919).
Un autre défenseur, plaidant devant un conseil de guerre différent, confirme ce fonctionnement expéditif en ces termes : "Pas très intéressants les clients. Des déserteurs en masse, des ivrognes, je vais expédier leur cause le plus vite possible"(le 15 février 1917) " Nous avons établi un record : douze affaires en une heure et demie" (le 2 mars 1917)- (André Kahn, Journal de guerre d'un juif patriote -1914/1918, Éditions Jean Claude Simoën – 1978).
Nous ne disposons pas de renseignements précis sur l'exécution d’Henri Félix Sauvage, le procès-verbal ne contenant que les strictes mentions prévues par la loi. Nous savons seulement que l'ordre d'exécution a été donné le 11 juillet 1915 et que le condamné a été passé par les armes à 5 h 00 par un piquet du 149e R.I. en présence des troupes du cantonnement en armes.
Le corps de ce soldat repose, comme celui d’Eugène Favier, dans le carré militaire du cimetière d’Hersin-Coupigny. Sa sépulture porte le n° 153bis.
Sources :
Dossiers individuels des soldats Henri Félix Sauvage et d’Eugène Louis Joseph Favier qui se trouvent dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».
Le registre de recensement réalisé en 1901 de la ville de Lyon et les actes d’état civil de la famille Sauvage ont été consultés sur le site des archives départementales du Rhône.
Le texte qui suit a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté des informations complémentaires sur la jeunesse du soldat Sauvage et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis de reconstruire le parcours militaire de cet homme.
Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Rhône.