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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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31 juillet 2020

Carnet de guerre de Joseph Barth soldat au 149e R.I. (2e partie)

La bataille de Souain

 

Joseph Barth à quitté le dépôt du 349e R.I. le 5 septembre 1914 pour rejoindre le 149e R.I. du côté de Wassy. Il s’apprête à vivre sa 1ère grande bataille au sein de ce régiment.

 

 2e partie du témoignage

 

 Souain

 

 Ce nom résonne comme un tambour pour quiconque a vécu les heures dans ce village du 12 septembre au 4 octobre.

 

 L'entrée à Souain

 

Après la retraite de la Marne, où nous suivions les Allemands pas à pas, force fut à notre division d'arrêter dans Suippes en feu, nos éclaireurs et patrouilleurs ayant rencontré l'ennemi au-delà de Suippes. Nous sommes bien déçus, car notre colonel pensait, disait-on, faire cantonner le régiment à Sommepuis, village situé à six kilomètres de Souain.

 

Nous faisons une halte de plusieurs heures en attendant la brume de la nuit. À 6 h 00, nous nous mettons en marche lentement et péniblement, car nous tenons la gauche de la route. L'artillerie et la cavalerie tiennent la droite.

 

Après bien des arrêts et des à-coups, nous arrivons au dessus de la crête, mais rien ne signale jusqu'à présent la présence de l'ennemi en force importante.

 

Nos éclaireurs et notre avant-garde s'engagent dans Souain ; la 3e compagnie, à laquelle j'appartiens, marche en tête du gros de la colonne.

 

Jusque-là rien encore à signaler, mais aussitôt le gros du régiment engagé dans le village, la fusillade commence. Force nous est de nous abriter contre les maisons, car les Allemands se sont admirablement retranchés, et, dans la nuit, nous ne pouvons pas les apercevoir.

 

Il est environ 22 h 00. Les commandants de compagnie font placer des petits postes et des sentinelles aux extrémités des rues et nous passons la nuit au pied des maisons, tant bien que mal, mais en tout cas, nous sommes maîtres de Souain puisque nous l'occupons.

 

La sortie de Souain

 

Dès l'aube, les fourriers préparent les cantonnements des compagnies. La  3e se trouve occuper une ferme presque à l'extrémité du village. Ma section est très bien logée : vastes greniers, foin et paille en abondance.

 

Nous formons les faisceaux et sac à terre sous la grange et nous en profitons pour faire un petit sommeil réparateur pendant que les cuisiniers nous préparent une poule au riz digne des plus fins gourmets.

 

À 9 h 30 la soupe est prête. Nous mangeons, cela va sans dire, d'un bon appétit, mais on commence à entendre quelques coups de fusil et quelques obus arrivent sur le village.

 

C'est le signal de l'attaque des Allemands.

 

Souain vue générale

 

Cette attaque prend immédiatement des proportions telles que nous n'avons même pas le temps de nous former en ligne de bataille et que le chef de section nous crie : « sac au dos, sauf qui peut ! ».Tous les camarades s'empressent d'obéir au commandement, mais le flot de la retraite est si grand que nous courrons coude à coude dans les rues. Heureusement, notre capitaine se tient au coin d'une rue et rallie sa compagnie du mieux qu'il peut pour nous faire passer derrière le village afin de nous éviter le plus de pertes possible.

 

Là, nous nous portons tous dans une ancienne carrière, à l'abri des balles et assez bien garantis des obus.

 

À présent, il s'agit de gagner la crête qui se trouve à trois kilomètres pour être en sûreté et pouvoir se reformer. Le capitaine donne l'ordre de passer le terrain découvert de la carrière à la route par paquets de cinq hommes et au pas de course, avec arrêt tous les trente mètres. Ceci demande un temps assez long.

 

Arrivés sur la route, il ne faut pas penser emprunter cette voie, ce serait folie, car tout ce qui se trouve sur la route est balayé par les obus. Pour ma part je prends plus à droite et dans les champs. Arrivé là, je suis exténué de fatigue. Je me place contre une haie et me couche afin d'éviter les balles des mitrailleuses qui, à ce moment, font rage, de concert avec l'artillerie.

 

À chaque pas, on voit les camarades qui tombent pour ne plus se relever. Je ne peux cependant pas demeurer éternellement là. Je me lève et monte la crête, qui forme en ce moment un vaste champ de bataille, l'arme à la bretelle. Un de mes amis, couché dans un trou d'obus m'appelle, mais je continue mon chemin jusqu'au versant de la colline. C'est un miracle que je sois arrivé indemne.

 

Là, les gradés de la première compagnie rallient tous les hommes égarés et reforment une ligne de tirailleurs. Nous allons nous placer tant bien que mal dans le bois qui se trouve à gauche de la route et à droite du 10e bataillon de chasseurs.

 

Il est environ 13 h 00 et nous restons là à recevoir les obus, tout en maintenant la retraite, jusqu'à la nuit.

 

Pendant ce temps, le régiment était descendu vers Suippes ; les cuisiniers avaient fait la soupe, des corvées étaient allées chercher du vin, les hommes étaient couchés dans la paille et quand nous sommes arrivés, quelques camarades et moi, pour rejoindre notre compagnie, ce fut une exclamation, car on nous croyait perdus et de ce fait nous n'avions rien à « nous mettre sous la dent » ; mais comme là nous sommes tous frères, nos camarades nous trouvèrent de quoi satisfaire nos appétits.

 

Cette retraite nous a coûté huit cents hommes hors de combat, mais ce n'est pas une défaite quand je dirai que nous luttions un régiment contre une division allemande.

 

Le village de Souain

 

Notre attaque

 

Après notre retraite forcée, dirais-je, il fallait penser à réoccuper le village perdu. Toute la journée le régiment est au repos sur son emplacement de la veille en avant de Suippes.

 

À 17 h 00 on commande « sac au dos » et immédiatement le régiment prend la formation de combat en ligne de section par quatre à cinquante mètres d'intervalle ; mais cette fois nous obliquons à droite.

 

Il est presque nuit quand nous arrêtons à la crête où se trouve le bois dans lequel nous nous arrêtons un bon moment. Jusqu'ici, l'ennemi ne s'est aperçu de rien. Nous arrivons sans encombre aux premières maisons du village.

 

Les Allemands, à ce moment s'aperçoivent de notre mouvement et nous croyant sûrement plus nombreux évacuent les maisons et reprennent leurs positions de l'avant-veille.

 

Aussitôt arrivés près des premières maisons, les officiers font fouiller les habitations pendant que notre compagnie se forme en ligne de bataille en avant du village. Nous essuyons quelques coups de feu, mais nous n'avons pas à tirer.

 

Pendant ce temps, les camarades occupés à fouiller les maisons découvrent dans une grange un grand nombre de nos blessés que les Allemands avaient réunis là, sans d'ailleurs leur faire aucun mal, d'après leurs dires.

 

Inutile de vous exprimer leur satisfaction quand ils ont aperçu leurs frères d'armes.

 

De ce fait, nous avons donc repris Souain, abandonné avec tant de pertes, sans même tirer un coup de fusil.

 

L'attaque allemande

 

Il va sans dire que depuis notre nouvelle entrée dans le village de Souain toutes les précautions étaient prises.

 

C'est ainsi que notre compagnie, placée environ au centre de la rue principale, prenait la garde jour et nuit à l'issue d'une rue située à droite du village.

 

Dans la nuit du 18 au 19 septembre nous prenions deux par deux la garde dans une cuisine encore debout d'une maison située à l'extrémité de ladite rue. J'avais pris de 3 h 00 à 5 h 00 et il y avait environ un quart d'heure que j'étais rentré dans notre grange quand retentit le cri : « aux armes ! »

 

Nous sautons sur nos sacs et nos fusils et en avant dans la rue. Mais il était déjà trop tard, les Allemands étaient dans la place. Ceci est la faute au brouillard qui a empêché les sentinelles de voir venir l'ennemi.

Quand nous arrivons au croisement de deux rues nous nous trouvons nez à nez avec les Allemands, si bien que l'on se battait à bras le corps dans la rue. Plusieurs camarades même, dans leur élan, ont franchi les rangs ennemis.

Le sergent de section commande demi-tour. Nous exécutons cet ordre à notre désavantage, car nous perdons beaucoup de camarades et c'est un sauve-qui-peut général. Les uns passent par les fenêtres, les autres s'enfilent dans les caves ; moi, je réussis à entrer dans la grange que nous venons de quitter.

 

Nous sommes là une poignée avec des blessés que nous pansons aussitôt.

 

Un officier se trouve parmi nous. Il juge la situation perdue pour nous et nous prie de ne pas laisser nos blessés. Il est tellement affecté de cette situation qu'il veut se faire sauter la cervelle ; nous l'en empêchons.

 

Au même moment il s'élance et demande qu'on le suive : un, deux, trois, quatre camarades passent avec lui, mais à l'instant même, le toit en feu s'effondre et nous sommes obligés de rester là : les Allemands devant nous et l'incendie derrière.

 

Les Allemands nous aperçoivent, tirent sur nous, sans heureusement toucher nos blessés. Nous leur faisons remarquer cette faute ; ils nous répondent qu'ils n'avaient rien vu, quoique nous le leur ayons crié. C'est fini pour nous, nous sommes pris. On nous désarme et on nous rassemble dans la cour d'une ferme. Nous sommes là dix-huit prisonniers. Les Allemands ne nous font aucun mal et ne nous brutalisent pas.

 

L'officier qui commande la section nous demande même si nous n'avons rien à réclamer, et cela, dans un bon français. Nous lui répondons naturellement que « non ».

 

Au même instant, cet officier reçoit une balle au menton qui lui coupe sa jugulaire et lui fait une plaie. Nous nous offrons pour le panser, il accepte et c'est un caporal prisonnier comme nous qui panse l'officier allemand. Celui-ci, d'ailleurs, remercie infiniment.

 

Mais voici que les Français tournent le village. Les Allemands sont obligés de battre en retraite. Ici s'est passé un fait inoubliable pour moi. Étant obligés de traverser la rue, pour gagner les terrains vagues, ils nous placent en travers de la rue, coude à coude, et passent derrière nous.

 

Ce trait de bravoure ne leur a d'ailleurs pas porté chance. Une fois passés nous avons été obligés de les suivre. Arrivés dans le terrain tout le monde se couche. Nous, les prisonniers, sommes placés dans un petit creux ; les Allemands nous encadrent.

 

La bataille bat son plein ; l'artillerie ennemie donne. Le premier obus qui arrive sur nous est un 77. L'officier et deux hommes qui se tenaient debout à ce moment tombent, mortellement frappés par leur propre artillerie.

 

Les lignes de tirailleurs français avancent jusqu'à soixante mètres de nous et ouvrent un feu nourri. Les Allemands qui nous entourent tombent l'un après l'autre. Ils demandent du renfort, mais en vain.

 

À 17 h 00, les Français poussent la charge dans un élan admirable. Nous sommes obligés de lever nos jambes afin de montrer nos pantalons rouges pour que nos camarades ne nous fassent pas subir le même sort qu'à nos voisins. Nous nous relevons et passons avec nos camarades et là nous constatons que sur quarante Allemands qui composaient la section, il en restait trois qui ont été faits prisonniers à leur tour. Leur joie était si grande qu'ils nous distribuèrent leurs jumelles.

 

De là nous nous rendons au poste de secours pour nous faire rééquiper.

 

La bataille continue jusqu'à 20 h 00 et l'issue de la bataille tourne à notre avantage.

 

Nous restons donc maîtres de Souain, malgré une vive attaque menée par des forces bien supérieures aux nôtres. Évidemment, nous avons perdu beaucoup de camarades, mais je crois, personnellement que les pertes allemandes ont été bien supérieures aux nôtres.

 

C'est cette journée du 19 septembre qui m'a valu d'être prisonnier et d'échanger, pendant quelques instants, du tabac avec les soldats du Kaiser.

 

Ruines de Souain

 

Une bonne capture

 

Le 22 septembre au soir, les petits postes et sentinelles sont placés comme tous les jours, car à chaque instant, soit de jour, soit de nuit, nous redoutons des attaques et comme on ne prend jamais assez de précautions…

 

J'oubliais de dire qu'après l'attaque allemande, toutes ou presque toutes les maisons étaient démolies par le bombardement, soit par les obus, soit par le feu. C'est pourquoi notre compagnie est obligée de quitter encore une fois son emplacement et se porter plus en avant dans les maisons à peu près habitables. Nous occupons à nouveau la première maison du village, grande ferme spacieuse.

 

Il y a place dans les dépendances pour toute la compagnie. Nous sommes à environ deux cents mètres des tranchées allemandes.

 

En avant de notre cantonnement se trouve une grande croix ; là se place une sentinelle double. Le petit poste est placé plus à droite dans une petite tranchée invisible.

 

Tout le monde est à son poste. Tout le monde veille, soucieux de la sécurité des camarades.

 

Vers 23 h 00, alerte causée par le petit poste. Les sentinelles ont entendu le bruit d'un cavalier qui s'avance au loin. Le chef de poste fait dissimuler ses hommes le plus possible en attendant les événements.

 

Le bruit se rapproche de plus en plus et on perçoit en même temps le roulement d'une voiture.

 

Nouvelle attente. Les hommes sont couchés, attendant le fusil en joue. À un moment donné, le chef de poste commande « feu ! ». La voiture s'arrête, le cheval étant touché, mais le cavalier qui accompagnait le convoi tourne bride et s'enfuit au grand galop.

 

Immédiatement le petit poste fait prévenir le capitaine qui arrive aussitôt. Il va reconnaître. Les hommes prennent le cheval par la bride et en avant pour la cour du cantonnement.

 

Là, on fouille la voiture et on s'aperçoit que la prise est bonne. La voiture contient 32000 marks, soit 38400 francs, plus toute la comptabilité et les archives du163e régiment d'infanterie.

 

Mais la voiture n'a pu être abandonnée seule. La nuit étant très noire on est obligé d'attendre jusqu'au petit jour pour faire des recherches.

 

Le petit jour vient, deux hommes se détachent et vont fouiller une haie qui borde le chemin à l'endroit où la voiture s'est arrêtée la veille. Là, ils aperçoivent un homme couché, face à terre.

 

Ils s'avancent et reconnaissent immédiatement un officier allemand. Ils le remuent, mais rien, il ne bouge pas ; il fait le mort, alors ils emploient les grands moyens. Le canon du fusil tourné vers la tête de l'Allemand et le commandement « debout » et l'homme se lève, comme mû par un ressort, implorant pitié et faisant signe qu'il a des enfants.

 

Les hommes l'emmènent pour le conduire au capitaine. Il passe dans notre cantonnement, très correct et très poli, car nous avons bien reçu une douzaine de saluts.

 

Devant le capitaine, il raconte que le cavalier s'est trompé de route, qu'il n'a été arrêté par aucune sentinelle allemande à l'issue du village occupé par eux, ce qui n'est pas sans l'étonner énormément.

 

La cantine personnelle qui se trouvait également dans la voiture était on ne peut mieux garnie.

 

Notre capitaine, bon enfant, invite à déjeuner son confrère ennemi. Celui-ci dévore d'une belle façon une tasse de café et plusieurs tartines de beurre. Il demande à plusieurs reprises s'il ne lui sera fait aucun mal. Mais devant l'affirmative il reprend peu à peu son assurance.

 

Quelques heures après, le butin et le prisonnier sont conduits aux bureaux de la brigade, pour de là, être dirigés sur la division.

 

Inutile de dire que la compagnie a reçu les félicitations du général et comme gratification un tonneau de vin. Mais comme le vin est rare en cet endroit, ce sera pour plus tard.

 

La prise était belle et bonne, mais comme on est toujours obligé de payer ses dettes, je vous assure que les Allemands nous ont envoyé le lendemain tout ce que leurs caissons pouvaient contenir d'obus.

 

C'était là leur revanche …

 

Carnet de François Joseph Barth

 

La vie

 

Il ne se passe pas de jour sans petits événements.

 

Cela nous distrait un peu, car nous n'entendons que le canon et les balles et cela devient monotone depuis bientôt quinze jours que nous sommes là.

 

Tout va assez bien. Le ravitaillement se fait tant bien que mal. On est obligé de changer les heures de distributions tous les jours, car les Allemands ont reconnu l'heure d'arrivée des voitures et c'est naturellement,  à chaque fois, le bombardement. Ils connaissent si bien nos heures que pendant quatre jours il nous est impossible de nous ravitailler.

 

Nous ne souffrons que d'une chose de cet empêchement, c'est le manque de pain. Quatre jours sans pain, c'est long.

 

Nous n'avons pas eu faim pour cela. Les champs étaient remplis de troupeaux de moutons qui erraient à l'aventure. Dès l'aube le boucher et quelques hommes vont saisir deux ou trois moutons et voilà pour la journée.

 

Je vous dirai que d'un jour la compagnie a dévoré, car ce n'est pas manger, une vache et deux moutons, sans compter les poules et les lapins dénichés un peu partout ; et tout cela, sans pain. Vous avouerez, comme moi, que c'était vraiment dommage de manger des gigots de mouton, réussis on ne peut mieux sans le moindre biscuit.

 

Il y a bien eu quelques débrouillards qui ont trouvé, dans un grenier, un peu de farine dans le fond d'un sac. Ils se sont amusés à faire des beignets tant que le stock de farine n'a pas été épuisé.

 

Nous avons beaucoup souffert aussi du manque de tabac. Pendant plus de dix jours, nous sommes restés sans scaferlati. Pas la moindre miette de tabac. Les uns fument des feuilles sèches, d'autres du foin ; il y en a même qui fumaient des marcs de café séchés au feu.

 

Le 5e jour, nous apprenons que nous avons enfin pu être ravitaillés. Nous touchons chacun notre demi-boule de pain ; ration normale de chaque jour. La demi-boule se trouve engloutie pour le déjeuner, accompagnée de chocolat que nous avons touché ainsi qu'une ration d'eau-de-vie.

 

De vin toujours point ; on en parle comme mémoire. Nous avons aussi touché des haricots ; quelle aubaine, ça nous changera un peu l'ordinaire. On les conservent pour le repas du soir, ils seront mieux trempés, plus tendres, par le fait succulents. Mais nous avons compté sans les événements.

 

Les cuisiniers sont installés derrière un grand mur pour cacher autant que possible la fumée à la vue de l'ennemi. Il arrive bien de temps en temps quelques obus, mais c'est insignifiant.

 

Les cuisiniers nous avertissent que nous allons bientôt manger, que les haricots sont « épatants », car on a aussi touché du lard et « ça sent bon ». On va retirer les plats ; au même instant arrive un obus sur le mur et en démolit la moitié.

 

Quel malheur, les plats sont arrosés de poussière et nous sommes obligés de savourer nos haricots à la sauce cailloux. Dire que nous aurions laissé les plats, ce n'est pas vrai. Chacun a pris sa part et s'est débrouillé comme il a pu. Ils étaient bons tout de même.

 

Quelques jours après on nous annonce qu'enfin que nous allons toucher du tabac. Quelle joie ! On fait la distribution. Un paquet de cinquante centimes de quarante grammes pour dix. Cela fait à chacun quatre grammes ou quatre petites cigarettes. Vous avouerez que réellement c'est peu pour des hommes qui n'ont pas fumé depuis dix jours.

 

Quatre jours plus tard, nouvelle distribution de tabac. Cette fois, un paquet de soldats, comme on dit, pour quatre. Cela représentait à chacun vingt-cinq grammes. Il y en a pour la journée.

 

Deux jours après, il en arrive un stock considérable. Chaque homme touche quatre paquets. C'est la fête ! On ne se soucie plus du bombardement, notre principal travail est de faire de la fumée.

 

À côté de toutes ces petites anicroches, il y a toujours la guerre. Nous avons fait des tranchées tout autour de notre maison ; les murs sont percés de trous pour pouvoir employer le plus de fusils possible en ligne.

 

Il ne se passe pas de jour et de nuit sans que nous ayons plusieurs alertes. À chaque fois, chacun prend sa place au poste de combat, car les places sont toutes désignées.

 

Il serait superflu de dire que pendant tout le temps que nous avons occupé le village de Souain, avec des attaques et des alertes à chaque instant, nous avons perdu beaucoup de camarades.

 

Nous sommes restés là dix-neuf jours deux bataillons, tenant tête à une division allemande.

 

La position était importante, il fallait, coûte que coûte, la maintenir.

 

Et c'est commandé par un capitaine plein de bravoure, de courage et de sang-froid, que tous les hommes ont rempli consciencieusement leur devoir.

 

La dernière nuit

 

Le matin du 2 octobre, un homme de la section est désigné pour aller communiquer et faire des courses à Suippes.

 

Il part avant le jour pour plus de sécurité. Dans l'après-midi, on annonce son retour, porteur d'un formidable tuyau. Il nous apprend que le bataillon va être relevé et que nous irons jouir d'un repos bien mérité de quatre jours à Suippes. C'est une joie générale. Pensez donc, quatre jours de tranquillité.

 

La journée s'est assez bien passée. La canonnade est toujours aussi vive, mais nous croyons notre maison bénie, car elle est encore épargnée.

 

Le soir arrive, les mêmes dispositions que tous les jours sont prises.

 

À 20 h 00, alerte sans importance ; bombardement assez vif. À nos postes de combat arrive un obus juste contre la tranchée que nous occupons à onze hommes ; neuf camarades sont mis hors de combat par ce même obus.

 

Le capitaine fait prévenir qu'en cas de bombardement prolongé les hommes devront se rendre dans une cave voûtée, très vaste, qui se trouve sous la maison d'habitation, où sont déjà et se tiennent en permanence les deux équipes de mitrailleurs.

 

L'alerte prend fin, il n'en est rien, les Allemands ont simplement voulu faire sortir les hommes de leurs repaires pour pouvoir mieux les toucher, et ma foi, à mon avis, ils y ont réussi.

 

À 23 h 00, nouveau bombardement, mais cette fois plus intense que jamais. À ce moment, je suis couché sous une machine à battre dans la grange. Une rafale d'obus arrive et éclate juste sur notre grange. Aussitôt on entend des cris et des lamentations ; il y a des camarades touchés. Cette fois, notre maison n'est plus bénie.

 

Impossible dans la fumée, la poussière, de se reconnaître. On est obligé de marcher à tâtons pour trouver une sortie qui nous conduise dans la cour.

 

En traversant la cour pour nous rendre à la cave les obus nous sifflent aux oreilles et passent à quelques mètres de nous. Enfin nous voilà à la cave, bien en sécurité là, car elle est bien voûtée et solidement construite. Nous restons là jusqu'à trois heures du matin. A cette heure on nous annonce que nous allons être relevés et que les sections quitteront le village à quinze minutes d'intervalle.

 

Notre section part la première. Nous prenons le même chemin que nous avons pris le jour de la terrible retraite. Tout ne va pas seul, car il y a des fils de fer à franchir, des trous à sauter, des sentinelles à reconnaître.

 

Nous arrivons quand même sans encombre de l'autre côté de la crête où nous avons ordre d'attendre les autres fractions.

 

À 5 H 00, le bataillon est rassemblé en avant de Suippes où nous faisons le café. Là, nous attendent des détachements de territoriaux et de réserves qui viennent renforcer le régiment, car nous étions entrés à Souain à effectif complet et nous le quittons à effectif restreint. Nous avons donc tenu là dix-neuf grands jours.

 

Jusqu'ici nous avions bien la conviction que nous allions prendre un peu de repos, mais trois heures après le régiment se met en marche, laissant Suippes à notre gauche.

 

Ce jour-là, nous faisons encore une marche forcée. Nous allons cantonner à La Veuve, pour de là, nous rendre au plus vite à Châlons afin de nous embarquer, car on a besoin de nous dans le Nord.

 

Fin de la 2e partie

 

Sources :

 

Carnet inédit rédigé par François Joseph Barth.

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

La photographie représentant le village de Souain R.I. provient du site « Gallica ».

 

Pour la consulter dans son format original, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante. 

 

B

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carrobi, à I. Holgado,  à J.P. Juliac et à sa famille. 

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