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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.

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6 novembre 2020

Période d’accalmie avant l’offensive de septembre 1918

Du 8 au 20 septembre 1918

 

Les Allemands font ravir leurs conquêtes du printemps à la mi-septembre 1918. Ils sont rejetés bien au-delà de leur base de départ et ramenés sur la ligne Hindenburg après avoir subi plusieurs attaques.

 

La croissance incessante des effectifs américains augmente de manière considérable le potentiel humain allié, ce qui créé un déséquilibre important entre les troupes belligérantes.

 

Plusieurs régiments ennemis ont montré des signes de faiblesse, épuisés par les combats successifs. Le commandement allemand, qui se trouve aux prises avec une double crise d’effectifs et de matériel d’artillerie, doit se résoudre à dissoudre un nombre conséquent de ses divisions pour combler les pertes.

 

Une offensive américano-franco-belge-britannique de très grande envergure est sur le point d’être lancée. Le haut commandement allié décide de mener conjointement deux puissantes attaques sur la ligne Hindenburg.

 

Les Américains et les Français combattront en Champagne, les Britanniques dans la région de Cambrai et une action franco-belge sera menée en prolongement dans les Flandres.

 

La 4e armée française partira à l’assaut depuis la ligne de front comprise entre Suippes et l’Argonne. Les Américains s’occuperont du secteur situé entre les lisières orientales de la forêt d’Argonne et la Meuse.

 

Les hommes du 149e R.I. qui doivent participer à cette attaque ignorent encore qu’ils vont bientôt remonter en 1ère ligne.

 

En attendant, le régiment vosgien qui est sous les ordres du lieutenant-colonel Vivier, est au repos et en séances d’instruction au sud-est de Châlons-sur-Marne depuis le 8 septembre 1918. Les compagnies sont réparties dans les villages de Pogny et de Vesigneul-sur-Marne.

 

Pogny et Vesigneul-sur-Marne

 

Dans l’après-midi du 19 et dans la nuit du 19 au 20 septembre, les 158e et 149e R.I. et les 1er et 31e  B.C.P. de la 43e D.I. font mouvement pour aller s’établir dans la région de Saint-Rémy-sur-Bussy.

 

Le 149e R.I. prend ses nouveaux quartiers à Tilloy et au camp du Trembley.

 

Tilloy et Trembley

 

Dans la nuit du 23 au 24 septembre, un bataillon du 158e R.I. et un bataillon du 149e R.I. se rendent au sud du trou Bricot pour y relever des éléments du 21e R.I. qui occupent une position dite position intermédiaire.

 

Pendant ce temps, un autre bataillon du 149e R.I. vient s’installer au camp de Cabane et Puits.

 

Durant la nuit du 24 au 25 septembre, le 1er B.C.P., un bataillon du 158e R.I. et un bataillon du 149e R.I. rejoignent la 1ère ligne. Ils remplacent les dernières compagnies du 21e R.I. qui étaient encore en position.

 

Les unités combattantes de la division occupent maintenant leurs postes d’attaque.

 

Le secteur a été divisé en trois sous-secteurs. Le 158e R.I. se place dans le sous-secteur de droite, les B.C.P. s’installent dans celui du centre et le 149e R.I. prend position dans le sous-secteur gauche.

 

Le dispositif d’attaque comporte un bataillon de 1ère ligne suivi d’un bataillon de soutien. Ces bataillons sont échelonnés sur leurs emplacements de départ dès le 25 septembre 1918. Un bataillon de 3e ligne occupe la position intermédiaire. 

 

Deux compagnies et une compagnie de mitrailleuses de chasseurs constituent la réserve de division.

 

Chacun se prépare à passer à l’offensive…

 

Sources :

 

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

 

J.M.O. de la 43e D.I. réf : 26 N 344/8.

 

« La 43e D.I. pendant la campagne de 1918 ». Éditions Mayence. Grande Imprimerie Moderne 1922.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

30 octobre 2020

Marius Bonaventure Ferruit (1883-1917)

Marius Bonaventure Ferruit

 

Marius Bonaventure Ferruit est né dans le 5e arrondissement lyonnais le 31 août 1883.

 

Son père, Joseph Jean, est âgé de 29 ans. Il travaille comme restaurateur au n° 8 de la rue de la Bombarde. Sa mère, Léopoldine Antoinette, a 27 ans. Elle n’exerce pas de profession lorsqu’elle met au monde Marius.

 

Joseph Jean et Léopoldine Antoinette ont donné vie à 4 garçons. En 1887, la famille vit à Villefranche-sur-Saône. Le père est devenu facteur. La mère a trouvé un travail de lingère après la naissance de son deuxième enfant. Les Ferruit s’installent ensuite à Arnas, une petite commune située à moins de cinq kilomètres de Villefranche-sur-Saône, au nord-ouest.

 

 

La fiche matricule de Marius Ferruit indique un degré d’instruction de niveau 3. Il sait donc lire, écrire et compter.

 

En bonne condition physique, ce futur soldat de la classe 1903 a été déclaré « bon pour le service armé » par le médecin militaire du conseil de révision.

 

Marius est dirigé sur le 149e R.I. qui tient garnison à Épinal. Le jeune homme se présente à la caserne Courcy le 15 novembre 1904.

 

Remarqué pour sa qualité d’écriture et sa maîtrise parfaite de l’orthographe, il occupe, à partir du 19 septembre 1906, le poste de secrétaire auprès du major.

 

Marius Ferruit est envoyé en disponibilité le 12 juillet 1907 avec l’obtention de son certificat de bonne conduite.

 

L’année suivante, il épouse Louise Crozier, une Caladoise, avec qui il aura une fille. Ce « chef de famille » travaille comme employé de commerce.

 

Des soucis de santé l’amènent devant la commission de réforme d’Épinal qui s’est réunie le 6 octobre 1910. Cette commission valide une atrophie de la jambe gauche. Les origines de cette pathologie ne sont pas connues. A-t-elle été constatée au cours d’une de ses périodes d’exercices obligatoires lorsqu’il est retourné au 149e R.I. ? Il est difficile de répondre à cette question.

 

Le 22 octobre 1910, le général commandant le département du Rhône prend la décision de le faire passer dans le service auxiliaire.

 

En septembre 1911, Marius, Louise et la petite Marie Josephe habitent un logement de la rue de Belleville à Villefranche-sur-Saône.

 

Août 1914, une nouvelle guerre contre l’Allemagne est sur le point de débuter. Marius n’est pas directement concerné par la mobilisation du fait de son statut de « service auxiliaire ». Le 5 novembre 1914, il est tout de même contraint de se présenter devant la commission spéciale de réforme du Rhône qui le reconnaît « apte au service armé ».

 

Marius Ferruit gagne le dépôt du 149e R.I. le 9 novembre 1914.

 

Il est pratiquement impossible de savoir ce qu’a vécu cet homme durant son parcours de guerre. Le contenu de sa fiche signalétique et des services n’est pas assez explicite pour tenter de faire une reconstitution fiable de son histoire de combattant. Nous savons simplement qu’il a été nommé caporal le 29 octobre 1915, puis sergent le 16 mars 1916.

 

A-t-il participé à l’ensemble des combats impliquant le 149e R.I. entre la date de son arrivée au régiment actif et la date fatidique de sa mort survenue en octobre 1917 ? A-t-il toujours été inscrit dans les effectifs de la 10e compagnie, l’unité dans laquelle il servait le jour où il fut tué ? A-t-il été blessé ? Combien de fois ? A-t-il eu la possibilité de poursuivre des formations ? Combien de fois a-t-il pu partir en permission ? Toutes ces questions restent sans réponse.

 

Le cliché suivant a été réalisé le 10 avril 1917. L’identification du sergent Ferruit a été rendue possible grâce à l’ouvrage réalisé par Francis Barbe « Et le temps, à nous, est compté ». La même photographie figure à la page 179 de ce livre. Tous les noms de ces sous-officiers qui appartiennent à la 10e compagnie du 149e R.I. sont inscrits à la droite du cliché.

 

La 10e compagnie du 149e R

 

La bataille de la Malmaison commence le 23 octobre 1917. Durant la 2e phase de l’opération, la 10e compagnie est engagée en tête d’attaque avec le reste du 3e bataillon après avoir été en soutien durant la 1ère phase.

 

Ce jour-là, le sergent Ferruit trouve la mort en même temps que l’aumônier Galloudec, les sous-lieutenants Dupuy-Gardel et Monnoury et le caporal-fourrier Roux ; ils décèdent lors de l’explosion d’un obus qui a éclaté à proximité du groupe.

 

Le sergent Alfred Marquand raconte :

 

« En détournant mon regard horrifié du funeste tableau, mes yeux heurtent une large éclaboussure à mi-hauteur d’un énorme tronc en retrait ; des débris blanchâtres sont plaqués dans des interstices et quelques entrailles, encore reliées à un morceau de cuisse, retombent en guirlande du sommet du fût cassé. La salive remonte dans ma gorge et je reprends mon chemin pour ne plus voir… J’ai su depuis que le sergent Ferruit avait été littéralement écartelé là. »

 

Pour en apprendre davantage sur cette journée, il suffit de cliquer une fois sur le dessin suivant.

 

Attaque du 149e R

 

Ce qui restait du sergent Ferruit, fut mis en terre par le groupe de brancardiers de la 43e D.I.. Un relevé effectué par l’abbé Henry permet de savoir qu’il a été enterré au cimetière de la route de Maubeuge, à Bascule, au nord de la ferme de la Malmaison.

 

Actuellement, il n’existe pas de sépulture militaire individuelle qui porte son nom. Est-ce que le corps disloqué de cet homme a été rendu à la famille dans les années 20 ? Est-ce qu’il repose dans un des ossuaires de Vauxbuin ? Là encore, il est difficile de savoir.

 

Le sergent Ferruit a été décoré de la croix de guerre avec une étoile d’argent. Le contenu de la citation qui accompagne cette médaille ne figure pas sur sa fiche matricule.

 

L’acte de décès de Marius a été transcrit à la mairie de Villefranche-sur-Saône le 22 février 1922.

 

Le nom de cet homme est gravé en dessous de celui de son frère Léopold (1887-1918), sur le monument aux morts de la ville de Villefranche-sur-Saône.

 

Sources :

 

La Fiche signalétique et des services du sergent Ferruit, les actes d’états civils concernant sa famille, les registres de recensements des années 1901, 1906 et 1911 de la commune d’Arnas et celui de l’année 1911 de la ville de Villefranche-sur-Saône ont été consultés sur le site des archives départementales du Rhône.

 

« Et le temps, à nous, est compté » Lettres de guerre 1914-1919. Albert Marquand, présentation de Francis Barbe, postface du général André Bach. C'est-à-dire Éditions mille mots chuchotés. 2011.

 

La photographie de groupe est extraite du fonds Gérard (collection personnelle).

 

Un grand merci à M. Bordes, à R. Mioque, à F. Barbe, à A. Carobbi, à J.L. Poisot, aux archives départementales du Rhône et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

23 octobre 2020

Paul Emmanuel Marcel Roux (1894-1917)

Paul Emmanuel Marcel Roux

 

Paul Emmanuel Marcel Roux naît le 14 juillet 1894 à Annonay, un village ardéchois où vivent ses grands-parents paternels.

 

Le père, Alexandre Pierre, est âgé de 36 ans. Il est employé supérieur au crédit lyonnais de Garenne-Colombes. La mère, Marie Mélanie Sorlin, qui a le même âge que son époux, éduque déjà deux garçons.

 

Après plusieurs changements de domicile liés à la carrière du père, les Roux finissent par s’installer définitivement à Lyon.

 

Marie Mélanie décède en 1896. Simon, Jean et Marcel sont alors respectivement âgés de 9, 5 et 2 ans.

 

Genealogie famille Roux

 

La fiche signalétique et des services de Marcel Roux indique un degré d’instruction de niveau 3. Il sait, lire écrire et compter lorsqu’il quitte l’école communale.

 

Tout comme son père et ses frères, il rejoint le monde du commerce des finances et des titres, en travaillant comme employé de banque.

 

En 1911, Marcel vit avec son frère Jean et son père, qui ne s’est pas remarié, dans un appartement de la rue du Bât-d’Argent. Cette année-là, la famille Roux perd un autre de ses membres. Simon, le frère aîné, décède le 23 janvier à l’âge de 23 ans.

 

Le 1er août 1914, la France mobilise ses réservistes. Un nouveau conflit contre l’Allemagne est sur le point de commencer. Les classes en âge de porter l’uniforme sont toutes rappelées à leurs dépôts d’affectation. Les classes 1912 et 1913 sont déjà dans les casernes en train d’effectuer leurs obligations militaires. C’est le cas de Jean qui est sergent au 133e R.I..

 

Marcel est un futur appelé de la classe 1914. Il vient tout juste d’être déclaré « bon pour le service armé » par le conseil de révision. Le jeune homme espère conserver son emploi à la banque au moins jusqu’en octobre, période qui correspond à l’incorporation de sa classe. Mais ce n’est pas comme cela que les évènements vont se dérouler.

 

Marcel Roux reçoit sa feuille de route dans les tout derniers jours du mois d’août. Celle-ci lui demande de rejoindre Montélimar pour y intégrer une compagnie du 52e R.I..

 

Marcel arrive à la caserne Saint-Martin le 6 septembre 1914. Sa formation accélérée de fantassin débute aussitôt. Si une partie de sa classe part dès novembre et décembre, lui reste. A-t-il rencontré des difficultés dans l’instruction ? A-t-il été malade ? A-t-il été affecté à l’instruction de la classe 1915 ? Aucun document ne nous le dit.

 

Le soldat Roux est envoyé au bataillon de marche du 17e R.I. le 3 février 1915 où il achève son instruction. Le 12 mars, il est muté à la 10e compagnie du 149e R.I.. Avec cette compagnie, il participe aux combats de Verdun. Marcel Roux est nommé caporal le 1er avril 1916.

 

Le 149e R.I. quitte la région de Verdun à la mi-avril 1916. Après une brève période de repos, le régiment prend la direction de la Champagne pour venir s’installer dans un secteur situé entre les buttes de Tahure et celles de Mesnil.

 

Marcel est doué pour manier les chiffres. Cette compétence, liée à son ancienne profession, entraîne sa nomination aux fonctions de caporal fourrier à partir du 19 mai 1916.

 

Devenu agent de liaison, il part combattre dans la Somme. Début septembre 1916, le 149e R.I. est engagé dans le secteur de Soyécourt. 

 

L’année suivante, le régiment spinalien occupe plusieurs secteurs proches du chemin des Dames. Les zones investies sont plutôt calmes. Cette unité ne participera pas à une grande offensive avant la 2e décade du mois d’octobre 1917.

 

La photographie suivante a été réalisée le 10 avril 1917. L’identification de Marcel a été rendue possible grâce au livre de Francis Barbe « Et le temps, à nous, est compté ». Le même cliché figure à la page 179 de l’ouvrage. Les noms de ces sous-officiers qui appartiennent tous à la 10e compagnie du 149e R.I. sont inscrits à la droite de la photographie.

 

Marcel Roux porte un brassard de deuil au bras gauche en mémoire de son père qui est décédé en septembre 1916.

 

Les sous-officiers de la 10e compagnie

 

La bataille de la Malmaison débute le 23 octobre 1917. La 10e compagnie, avec le reste du 3e bataillon, est engagée en tête d’attaque durant la 2e phase de l’opération après avoir été en soutien durant la 1ère phase.

 

Pour en apprendre davantage sur cette journée, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

Carte 1 journee du 23 octobre 1917 1er objectif

 

L’opération, qui fut minutieusement préparée durant plusieurs semaines, est un véritable succès malgré les pertes élevées en officiers et en hommes de troupe.

 

Le caporal-fourrier Roux fait partie des victimes. Il a été tué en même temps que l’aumônier Galloudec, les sous-lieutenants Monnoury et Dupuy-Gardel et le sergent Ferruit, suite à l’explosion d’un obus qui a éclaté à proximité du groupe.

 

Le sergent Alfred Marquand témoigne :

 

« Morand me conte l’odyssée de la compagnie depuis mon départ à la route de Maubeuge. Tout à bien marché jusqu’au bois, les vides étaient peu nombreux. La marche en avant dans les fourrés s’effectuait régulièrement lorsque nos 155 ont brusquement raccourci leur tir malgré les fusées à 6 feux. Et l’inévitable catastrophe est arrivée… Deux lieutenants, l’aumônier, Ferruit et le caporal-fourrier Roux y ont laissé la vie… »

 

Le caporal fourrier Roux est enterré dans le cimetière militaire de Condé-sur-Aisne par le groupe de brancardiers de la 43e D.I.. Sa tombe porte le n° 277.

 

Le corps de cet homme fut restitué à la famille dans les années vingt. Marcel Roux repose actuellement avec ses grands-parents paternels, ses parents, ses frères et quelques autres membres de la famille dans le cimetière communal d’Annonay.

 

Sepultures famille Roux

 

Décoration  obtenue :

 

Croix de guerre avec étoile de vermeil et étoile de bronze

 

Citation à l’ordre du régiment n°25 en date du 26/09/1916.

 

« D’une grande bravoure et d’un dévouement à toute épreuve lors des attaques du 4  septembre 1916, étant agent de liaison auprès du chef de bataillon, a rempli sa mission sous un violent bombardement et tirs de mitrailleuses permettant ainsi à son commandant  de compagnie de recevoir tous les ordres du bataillon. »

 

Citation à l’ordre du corps d’armée n° 175 du 8 novembre 1917.

 

« Chef de liaison de sa compagnie qu’il a entraîné à l’attaque dans les circonstances les plus périlleuses où il a trouvé la mort. Déjà cité pour sa belle conduite  au feu. Blessé une fois au cours de la campagne. »

 

Marcel Roux ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance.

 

Sources :

 

Les fiches signalétiques et des services du caporal-fourrier Marcel Roux et du sergent Jean Roux ont été visionnées sur le site des archives départementales du Rhône.

 

Les actes d’état civil de la famille Roux et les registres de recensement de la ville de Lyon ont été consultés sur le site des archives municipales de Lyon et sur celui des archives départementales du Rhône.

 

« Et le temps, à nous, est compté » Lettres de guerre 1914-1919. Albert Marquand, présentation de Francis Barbe, postface du général André Bach. C'est-à-dire Éditions mille mots chuchotés. 2011.

 

La photographie de groupe est extraite du fonds Gérard (collection personnelle).

 

La photographie de la sépulture de la famille Roux a été trouvée sur le site « Généanet ».

 

Un grand merci à M. Bordes, à R. Mioque, à F. Barbe, à A. Carrobi, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes, aux archives départementales du Rhône et aux archives municipales de Lyon.

16 octobre 2020

23 octobre 1917, mort de l’abbé Galloudec, aumônier du 149e R.I.

Stanislas François Marie Galloudec

 

L’abbé Stanislas Galloudec (ou Le Galloudec, comme l’orthographie l’abbé Henry)  est aumônier au 149e R.I. depuis 1915. Cet homme d’Église est tué le 23 octobre 1917 au cours de la bataille de La Malmaison, dans des circonstances qui n’ont pas été clairement établies. C'est désormais chose faite grâce aux trois extraits suivants qui proviennent des carnets de l’abbé Henry.

 

Cet aumônier qui prendra la place de l’abbé Galloudec au début de l’année 1918, rédige ceci dans ses écrits :

 

Carnet de guerre n° 19 (du 14 octobre 1917 au 20 février 1918)

 

Mardi 23 octobre 1917

 

« 18 h 00. Visite de Moris qui s’installe à C 2 avec M. Briol. C’est le messager de mauvaises nouvelles. « L’abbé Le Galloudec est tué. Près d’une quinzaine d’officiers sont tués ou blessés gravement ». Nous sommes tous atterrés à cette parole. L’abbé Le Galloudec était parti avec les vagues d’assaut, avec la 1ère puis avec la seconde. Il était plus de midi. Le 149e R.I. avait atteint son dernier objectif et prenait position sur le terrain conquis. L’abbé causait avec le lieutenant Monnoury de la 6e, il se félicitait du succès de l’opération quand un obus tomba sur eux, les tuant tous deux ainsi qu’un autre officier, le lieutenant Dupuy-Gardel, un caporal et blessé plusieurs soldats. C’est le coup malheureux dans toute sa tristesse. D’où venait cet obus ? De chez nous ou des boches ? Un doute planait au début, mais non, c’est bien un obus allemand qui a frappé M. Le Galloudec au moment où le danger semblait passé. Mort héroïque, telle qu’un guerrier doit la rêver ; mais combien c’est regrettable pour le 149. Déjà l’an dernier dans la Somme, l’abbé Le Galloudec s’était affirmé comme un brave et par sa bravoure, il s’était acquis un ascendant incontesté sur tous ceux dont il avait partagé les dangers. Le Bon Dieu l’a pris en pleine gloire. Que son saint nom soit béni et que sa volonté soit faite. »

 

Pour en savoir plus sur le lieutenant Monnoury, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Alfred Monnoury

 

Jeudi 25 octobre 1917

 

« … Le 149 rapporte ses morts ; ils s'alignent en bordure de la route près du poste, attendant les fourgons qui les descendront à Condé. On vient me dire que l'on amène le corps de l'abbé Le Galloudec et des deux lieutenants tués à ses côtés. Oui le voilà ce pauvre ami, raidi dans sa dernière attitude où il y a de l'effroi, mais aussi le geste du prêtre qui tend le bras pour une dernière absolution. Il n'est point défiguré ; il faut regarder de très près pour découvrir au cou, une petite plaie qui fut mortelle. Un minime éclat d'obus lui a tranché l'artère carotide. Près de lui, le lieutenant Monnoury et le lieutenant Dupuis-Gardel reposent dans la paix de la mort ! Que Dieu les accueille avec bienveillance et leur donne place dans son saint paradis. »

 

Pour en savoir plus sur le sous-lieutenant Dupuy-Gardel, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Ferdinand Dupuy-Gardel

 

Mardi 30 octobre 1917

 

Après s'être recueilli à 11 h 30 sur la tombe de l'abbé Galloudec au cimetière de Condé, l'abbé Henry se rend à Soissons.

 

« …Soissons, j'ai rencontré l'abbé Ragut à la cathédrale. C'est lui qui a présidé les obsèques de M. Le Galloudec à Condé, obsèques qui ont eu lieu vendredi soir à 15 heures. »

 

Pour en savoir plus sur l’aumônier Galloudec, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Stanislas Galloudec

 

Une lettre adressée par l'abbé Brousse, aumônier à la 167e D.I. à Charles Alexandre Geoffroy de Grandmaison qui, après le décès d'Albert de Mun, en octobre 1914, a repris la direction de l'Œuvre des aumôniers volontaires, apporte quelques précisions sur les circonstances de la mort de l'abbé Galloudec.

 

« Parti avec la première vague d'assaut, le cher aumônier a été tué par un obus. Après deux jours de recherche, on a retrouvé son corps – C'est moi-même qui l'ai identifié puis enseveli et inhumé – nous avons pu, non sans peine, lui faire un cercueil. Il repose maintenant dans le cimetière militaire de Condé. J'ai constaté qu'il avait trois blessures graves : jambe gauche brisée, large plaie pénétrante à la poitrine et une autre au côté gauche du cou. L'enterrement a été simple comme ils le sont sur la ligne de bataille. M. l'aumônier du corps d'armée a dit quelques mots sur sa tombe.

 

Il laisse un universel regret, les officiers et les soldats du régiment auquel il était détaché sont unanimes dans les éloges qu'ils font ».

 

Sources :

 

Carnets inédits de l’abbé Henry.

 

La lettre de l’abbé Brosse est issue du fonds d'archives privées Veuillot – SHAT  1 K, carton 284 - qui est composé, ainsi que le carton 285, de lettres ou d'extraits de lettres d'aumôniers volontaires, de revues diocésaines, de coupures de presses et divers autres documents non inventoriés qui ont servi à la rédaction de l'ouvrage de G. de Grandmaison et F. Veuillot, « l’Aumônerie militaire pendant la guerre, 1914 – 1918 », Éditions Bloud et Gay, Paris, 1923.

 

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot. Qu’il soit remercié pour les extraits des carnets de l’abbé Henri et pour son écrit.

 

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes.

9 octobre 2020

Témoignage de Joseph Barth, soldat au 149e R.I.

Temoignage de François Joseph Barth

 

Pour une meilleure commodité  de lecture, je me propose de rassembler ici les trois parties du témoignage rédigé par Joseph Bath .

 

Ce témoignage retrace le parcours de cet homme au sein du 149e R.I. depuis le début de son arrivée au dépôt en août 1914 jusqu’à la date de sa blessure en mars 1915.

 

Pour avoir accès aux différents textes de ce témoignage, il suffit de cliquer une fois sur chacun des dessins suivants.

 

                                                            1) Les débuts au régiment

 

Dans la foret de Montmorency

                                               

                                                             2) Les combats de Souain

 

La bataille de Souain

                                                         

                                                          3) En Belgique et en Artois

 

A Calonne-Ricoire

 

Sources :

 

Carnet inédit rédigé par François Joseph Barth.

 

Les dessins ont été réalisés par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carrobi, à I. Holgado,  à J.P. Juliac et à sa famille.

2 octobre 2020

Ismaël Marie Augustin Sourdon (1884-1915)

Ismael Marie Augustin Sourdon

 

Originaire du Vaucluse, Ismaël Marie Augustin Sourdon voit le jour le 15 novembre 1884 à Loriol.

 

Son père, Augustin Henri, a 32 ans. Ancien cultivateur, il travaille comme jardinier au château du village. Sa mère, Marie Louise Bourgeaud, est âgée de 24 ans. Ex-modiste, elle n’exerce plus de profession depuis que le couple est venu s’installer dans la propriété de madame de Lantiany.

 

La famille s’agrandit avec l’arrivée de la petite Fernande en 1887.

 

En 1891, les Sourdon vivent à Saint-Didier. Le père est devenu cocher. 

 

En 1901, Augustin Henri renoue avec son premier métier. Il est employé comme journalier par Étienne François Blauvac, un cultivateur local propriétaire de ses terres.

 

Ismaël termine sa scolarité avec un degré d’instruction de niveau 3. Il sait lire, écrire et compter lorsqu’il intègre le monde du travail.

 

Avec le temps, son père a fini par créer sa propre société de voiturier. Ismaël est salarié de la petite entreprise en 1906. Cette année-là, Marie Louise, qui a repris un emploi de repasseuse à son compte, donne vie à une seconde fille prénommée Julie.

 

Genealogie famille Sourdon

 

La santé d’Ismaël Sourdon est assez fragile. Il est ajourné pour faiblesse lorsqu’il se présente devant le conseil de révision pour la première fois en 1905. L’année suivante, il bénéficie d’un diagnostic identique.

 

En 1907, il est classé dans les services auxiliaires, toujours pour les mêmes raisons. Sa fiche matricule ne donne aucune indication sur une éventuelle formation militaire à cette époque. Elle nous dit simplement qu’Ismaël est passé dans la réserve de l’armée active le 1er octobre 1908.

 

Ismaël n’est pas concerné par les évènements de la mobilisation générale lorsque le 1er conflit mondial du XXe siècle débute en août 1914. Cependant, il a obligation de se présenter devant la commission de réforme d’Avignon le 30 octobre. Cette fois-ci, la médecine militaire est bien moins regardante concernant ses problèmes de santé. L’hécatombe des premières semaines du conflit oblige l’armée à faire un « recrutement large ». Il faut alimenter les dépôts régimentaires avec tout ce qui est disponible. Dans ce contexte, Ismaël Sourdon est classé dans le service armé.

 

Sa connaissance des chevaux entraîne son affectation au 2e régiment de dragons, une unité qui est logée dans des bâtiments lyonnais. Ismaël arrive à la caserne de la Part-Dieu le 1er décembre 1914. Handicapé par une hernie, il doit vite renoncer à ce régiment. Ses supérieurs le présentent pour un changement d’armes. Une commission réunie le 9 février 1915 l’envoie à l’infanterie. Le 26, l’ancien cavalier rejoint le dépôt du 158e R.I..

 

Le 21 juin 1915, nouvelle affectation ; le soldat Sourdon est muté au 149e R.I., le régiment frère de brigade du 158e R.I..

 

Ismaël intègre la 2e compagnie lorsqu’il rejoint son régiment qui combat en Artois depuis la fin du mois de décembre 1914.

 

Le 25 septembre 1915, le régiment spinalien participe à une importante attaque qui implique la totalité de la 43e D.I.. Les hommes du général Lombard reçoivent l’ordre de prendre le bois en Hache, une tâche ardue qui occasionnera de lourdes pertes. Le 149e R.I. est désigné comme réserve de division.

 

Le lendemain, les 2e et 3e bataillons passent à l’offensive. Le 1er bataillon reste en réserve.

 

Le 27 septembre 1915, la 2e compagnie, sous les ordres du capitaine Toussaint, rejoint le 3e bataillon du régiment en 1ère ligne. Ce jour-là, Ismaël est blessé.

 

Le soldat Sourdon est évacué à l’ambulance 4 du 13e corps qui est installée à Barlin. Il est impossible de le sauver. Ismaël décède le jour même.

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante. 

 

journee du 27 septembre 1915

 

Son acte de décès officiel est transcrit à la mairie de Saint-Didier le 23 novembre 1915.

 

Le corps de ce soldat fut probablement rendu à sa famille dans les années 1920.

 

Le nom de cet homme est inscrit sur le monument aux morts de la commune de Saint-Didier.

 

Ismaël Marie Augustin Sourdon ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance.

 

Sources :

 

La Fiche signalétique et des services du soldat Sourdon, les actes d’états civils concernant sa famille ainsi que les registres de recensements des années 1891, 1896, 1901, 1906 et 1911 de la commune de Saint-Didier ont été consultés sur le site des archives départementales du Vaucluse.

 

Contrôle nominatif du 3e trimestre 1915 du 149e R.I. des malades et des blessés traités dans les formations sanitaires détenu par les archives médicales hospitalières des Armées de Limoges.

 

La photographie qui représente Ismaël Sourdon provient du site « Mémorialgenweb ».

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.M. Laurent, aux archives départementales du Vaucluse, aux archives médicales hospitalières des armées de Limoges et au S.H.D. de Vincennes.

25 septembre 2020

Carnet de guerre de Joseph Barth soldat au 149e R.I. (3e partie)

A Calonne-Ricoire 1

 

L’auteur de ce témoignage vient de vivre ses premières expériences du feu dans le département de la Marne. Le 149e R.I. a perdu et repris le village de Souain plusieurs fois au cours du mois de septembre 1914. La pugnacité et l’engagement sans faille du régiment durant ces combats lui valent d’être cité à l’ordre de l’armée. Pour l’anecdote, ce fut la première fois qu’une décoration de cette importance fut attribuée à un régiment.

 

Après ces évènements, Joseph Barth poursuit la guerre au 149e R.I. jusqu’au 3 mars 1915, date de sa blessure qui va définitivement l’éloigner de la zone des combats.

 

Certaines localisations sont restées en blanc dans le manuscrit. Elles ont été remplacées par "?".

 

3e et dernière partie du témoignage

 

Le Nord

 

L'embarquement

 

Le 5 octobre, de bon matin, le régiment quitte La Veuve. À 11h 00, il arrive près de Châlons et fait la grand' halte dans un grand terrain vague contigu à la manutention.

 

À 13 h 00, départ pour la gare, où il est près de 14 h 00 quand le régiment arrive. Les convois qui doivent nous emmener sont à quai. Trois, un pour chaque bataillon.

 

L'embarquement se fait dans d'excellentes conditions. Ma section qui n'est guère privilégiée est de garde de police.

 

Pendant tout le parcours ce ne sont qu'acclamations de la part des populations, surtout dans les gares où le train a de l'arrêt. Les personnes nous offrent toutes sortes de fruits et de victuailles et nous demandent « des souvenirs boches ».

 

Le voyage est assez intéressant, car une fois arrivés à Reims et jusqu'aux abords de Paris, nous pouvons contempler l'œuvre de destruction, soit de la main allemande, soit volontairement de notre part. Nous passons Paris la nuit. Notre voyage dure trente-six heures.

 

Le débarquement

 

Gare de Calonne-Ricouart

 

Nous débarquons à Calonne-Ricouart. Il est 17 h 00.

 

La population est là qui nous acclame. On reforme le régiment tout près de la gare et là on fait un repas sur place. À 9 h 00, alors que presque tous les hommes reposent, couvre-pieds déroulés derrière les faisceaux, nous recevons ordre d'aller cantonner dans la localité.

 

La population veut à toute force loger des soldats. Chacun aurait son lit, mais les ordres sont formels ; nous sommes en cantonnement d'alerte, nous reposerons tout équipés et dans les granges ou locaux disponibles. Il est près de 11 h 00 quand nous sommes installés.

 

À 2 h 00, on nous crie « debout ». Le départ est fixé à 3 h 30. Néanmoins, nous avons grandement le temps de faire le café.

 

À l'heure fixée, le régiment se met en marche. Toute la journée est consacrée aux marches d'approche. Après avoir traversé bien des villages, des bois, des champs, nous passons la nuit « à la belle étoile ».

 

À 3 h 00 de nouveau « départ ».

 

Jusqu'à 7 h 00 nous marchons en colonne.

 

L'attaque du Bois de Bouvigny

 

Le bois de Bouvigny

 

Il est 7 h 30 quand nous arrivons à l'orée du bois de Bouvigny.

 

Le 2e bataillon qui nous précédait nous fait place en se rangeant de chaque côté du chemin, car c'est le premier qui doit attaquer, la 3e compagnie de tête.

 

Arrivés à la maison forestière on commence à sentir que « ça va chauffer ».

 

Une compagnie cycliste qui était chargée de la reconnaissance de l'ennemi se replie, sa mission terminée. L'ennemi est tout proche. Nous continuons à marcher dans le grand chemin jusqu'à la Faisanderie. Là, commencent nos déploiements.

 

Nous n'avons pas encore terminé cet exercice que les patrouilles allemandes nous attaquent de flanc. Cette surprise occasionne un certain flottement parmi les hommes et les gradés ont bien du mal à les contenir.

 

Nous reculons de cinquante mètres environ jusqu'à un chemin coupant le bois dans sa plus grande largeur. Les hommes se placent en tirailleurs, couchés, se sentant les coudes, alors là, ils ont repris leur belle assurance habituelle et un feu nourri et très efficace salue l'ennemi qui s'avance.

 

Bientôt, sous nos feux de salve les Allemands reculent.

 

Alors commencent les reconnaissances. Ma section est envoyée à la droite du bois. Nous accomplissons notre mission peut-être avec un peu trop d'audace, car nous nous installons à la lisière du bois en mangeant un morceau pendant que quelques camarades poussent plus en avant. Ils reviennent bientôt, ayant aperçu les tranchées allemandes à proximité de nous et ayant été vus de l'ennemi. Briser la clôture métallique qui entoure le bois pour y pénétrer fut pour nous l'affaire d'un instant. En quelques minutes nous avions rejoint notre compagnie.

 

Le travail commence : chacun doit faire sa tranchée. Les pelles-bêches et tous les outils manœuvrent de belle façon.  En peu de temps des tranchées confortables sont faites et les hommes se reposent. À 16 h 55, on fait passer l’ordre de boucler les sacs et les mettre au dos.

 

Pas besoin d'autres explications « ça va chauffer ». À 17 h 00 juste, chacun saute au-dessus de sa tranchée et « en avant » dans cette formation. Les chasseurs à pied se trouvent à notre droite et à notre gauche. Nous sommes bientôt en contact avec l'ennemi, qui, lui aussi, venait nous attaquer.

 

La fusillade est tellement intense dans ce bois que l'on croirait l'œuvre des mitrailleuses.

 

Nous avançons toujours, culbutant l'ennemi ; à chaque pas il y a des victimes. À un moment donné, la gauche se trouve un peu en arrière de la ligne, les officiers et chefs de section rallient les hommes en criant « par ici le 149e ». Les Allemands, rusés, s'emparent aussitôt de ce cri, amenant ainsi beaucoup de camarades à leur portée.

 

Nous avons bientôt fait de les punir en activant notre marche. Ils reculent toujours, nous leur marchons sur les talons, mais arrivés à l'extrémité du bois nous sommes obligés de nous arrêter là, car nous sommes devant leurs tranchées et la nuit est tombée.

 

Le capitaine commande « tout le monde couché » et nous restons là.

 

Bientôt retentissent les sifflets des commandements allemands : ils déménagent leurs trains de combat ; ils nous passent devant le nez à quelques mètres à peine, mais personne ne bouge, chacun retient son souffle, car nous ne sommes pas en force pour les attaquer.

 

Alors commencent les missions périlleuses. Une patrouille de dix hommes commandée par un sergent (je suis du nombre) doit aller rendre compte au colonel, qui se trouve à la maison forestière, que la 3e compagnie occupe la lisière du bois.

 

Cette mission est d'autant plus périlleuse que nous avons, dans notre précipitation à refouler les Allemands, laissé des ennemis derrière nous. Ce qui nous le fait croire c'est que des coups de feu nous viennent de derrière. Nous partons à la file indienne à distance de dix pas.

 

À chaque instant, nous rencontrons des cadavres et à chaque petit sentier nous sommes arrêtés par les sentinelles.

 

Enfin, nous arrivons sans encombre à la maison forestière où le sergent va faire son rapport au colonel. Félicitations pour le capitaine et la compagnie. Le chef de patrouille est maintenant chargé de mettre en liaison le bataillon de chasseurs qui se trouve à notre droite avec notre unité.

 

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

Carte secteur d'attaques du 149e R

 

Nouvelle marche sous-bois, plus pénible cette fois, car la nuit est noire et nous ne savons pas exactement où se trouve le bataillon.

 

À force de marche et de recherches, notre mission est remplie et nous allons rejoindre les camarades.

 

Là, la nuit se passe. Nous goûtons néanmoins un petit peu le sommeil ; nous sommes tellement fatigués.

 

Avant le jour, nous nous remettons sur pied et nous obliquons fortement à droite, cédant la place à d'autres fragments.

 

Nous arrivons à une clairière où nous mangeons un peu tout en commentant les événements de la veille.

 

L'attaque de la Chapelle de N.-D.-de-Lorette

 

Chapelle de Notre-Dame-de-Lorette (1)

 

Vers midi, nous quittons notre clairière pour nous porter plus en avant. Nous nous plaçons dans un chemin creux qui traverse le bois et qui nous sert de tranchée. Nous sommes fortement bombardés, car en ce moment, l'artillerie allemande arrose tout le bois.

 

À 15 h 00, arrivent des officiers d'état-major. La chapelle de Notre-Dame-de-Lorette se dresse devant nous au bout du terrain découvert. L'ennemi a placé deux ou trois mitrailleuses dans le clocher ce qui rend toute attaque d'infanterie impossible.

 

L'ordre est formel : il faut hisser à bras une pièce de 75 pour abattre le clocher, ce qui nous débarrassera des mitrailleuses, mais pour cela, il faut tenter une fausse attaque, et, si nous y arrivons avant la nuit, disent les officiers, nous aurons gagné une partie de la bataille. D'après ce que nous avons entendu nul doute « que ça va encore chauffer ».

 

On nous forme en ligne et en-avant dans le terrain découvert. Nous nous aplatissons le plus possible, nos sacs devant nos têtes.

 

Les mitrailleuses nous arrosent, mais sans succès ; mais pendant ce temps nous les occupons à ce tir et la pièce grimpe, grimpe dans la forêt. Elle est arrivée à la lisière du bois ; on nous fait prendre la droite, rentrer de nouveau sous les arbres, et en-avant en cas d'attaque de l'ennemi.

 

Il va bientôt faire nuit, le temps presse. Nous sommes tous couchés à quelque cent mètres de la chapelle. Soudain, un coup de canon fait trembler la terre et nous remue : c'est la pièce qui fait son œuvre. Le premier obus trop à droite, le deuxième trop à gauche, le troisième le clocher tombe.

 

Alors, la pièce est retournée vers sa batterie et les mitrailleuses allemandes se sont tues. Les chasseurs et le régiment chargent et nous prenons position sur la crête.

 

Nous laissons des avant-postes et des sentinelles et nous reculons pour nous reposer de cinq cents mètres environ de notre première ligne. Alors, commence réellement pour nous la vie « d'hommes des bois ».

 

Vers la chapelle, notre génie nous fabrique des tranchées confortables et en arrière, dans le bois, des tranchées de repos sont confectionnées par nous-mêmes.

 

Nous prenons les tranchées de première ligne trois jours et trois nuits sans être relevés. C'est long, surtout que l'on compte à présent six hommes par escouade. Les tours de garde ne sont par conséquent jamais terminés. C'est donc soixante-douze heures que nous sommes restés là sans repos.

 

Enfin nous arrive du renfort et nous pouvons être relevés plus souvent. Nous prenons alors quarante-huit heures de première ligne, vingt-quatre de deuxième, vingt-quatre de troisième, mais néanmoins nous sommes toujours dans le bois.

 

À différentes reprises, les Allemands ont fait des attaques, presque toujours repoussées, avec des pertes considérables pour eux. Dire que nous n'avons pas perdu d'hommes serait mentir, car le jour de l'attaque de la Chapelle surtout, nombreux sont les chasseurs et les gars du régiment qui tombèrent coude à coude, et c'est en prenant les tranchées ou la garde aux sentinelles avancées, à la meule de paille (de si triste mémoire) que l'on pouvait exactement se rendre compte des pertes subies par les deux partis.

 

Nos attaques ont presque toujours réussi, mais chaque fois les gains étaient minimes, quelques mètres de tranchées. Les Allemands, jusque-là, restent toujours maîtres de la Chapelle. Ordre est donné de s'en emparer.

 

Des volontaires sont demandés dans le bataillon et des hommes sont désignés d'office. Ils feront l'attaque en veste et en équipement, la musette remplie de cartouches. Les braves partent et accomplissent leur mission avec succès. Depuis lors c'est à la Chapelle que le petit poste s'installe abandonnant la meule de paille qu'un Allemand est venu incendier quelques jours plus tard.

 

La Chapelle est prise et nous la conservons quelque temps, l'ennemi attaque et en devient le maître, nous attaquons à nouveau et nous la reprenons et ce manège continue encore maintenant.

 

De la chapelle il n'en existe plus que le tas de pierres et l'emplacement. Le seul regret de mon chef de section est de n'avoir pas emporté une statue de la Vierge placée près de l'autel pour la remettre à notre aumônier, sûrement que les Allemands l'ont prise ou elle a été détruite par les bombardements successifs.

 

Chapelle de Notre-Dame-de-Lorette (2)

 

Les 2e et 3e bataillons de notre régiment quittent le secteur le 20 octobre pour se rendre en Belgique. Nous restons donc là jusqu'au 4 novembre.

 

Le jour de la Toussaint, nous étions dans les tranchées de première ligne. Nous pensions ce jour sans doute jour d'accalmie, mais il n'en fut rien.

 

Le matin, on entendait très bien les Allemands chanter des cantiques dans leurs tranchées. Après, le bombardement a commencé et la journée fut plus rude que d'habitude.

 

Du 4 au 8, nous sommes allés au repos à Bouvigny, après avoir passé quarante-deux jours dans cette forêt.

 

La Belgique

 

La région d'Ypres

 

Notre action

 

Nous quittons la France le 8 novembre pour aller rejoindre nos deux bataillons en Belgique. C'est en automobile que nous faisons le trajet.

 

La nuit du 8 au 9 nous la passons dans une forge située à l'extrémité du village de « ? ». Le lendemain départ où nous arrivons le soir à Dixmude, charmante petite ville, mais continuellement bombardée. Nous restons là deux jours, très bien cantonnés.

 

Le troisième jour nous nous mettons en route, mais impossible de savoir où nous allons. Il fait nuit quand nous approchons de la ligne de l'artillerie et que nous rencontrons des habitations. Une assez longue pause près des artilleurs et on nous fait cantonner chez l'habitant qui n'avait pas fui ou était revenu à sa demeure. Là nous apprenons que nous sommes dans les faubourgs d'Ypres. Les habitants sont très complaisants. Le matin à 5 h 00, réveil pour partir à six. Le café bu, un petit morceau avalé et en route.

 

Nous laissons Ypres à notre gauche et nous nous engageons sur une ligne de chemin de fer. Nous marchons jusqu'à 11 h 00, longeant en plein jour la ligne de feu, occupée par les Anglais. Nous arrivons dans le village de « ? ». Là, on place le bataillon dans une tuilerie.

 

Bientôt les cuisiniers s'occupent de faire la soupe et tout le monde s'occupe à cela. Les feux s'allument, mais bientôt les Allemands aperçoivent la fumée et commencent à nous bombarder. Leur tir est assez efficace. Nous avons plusieurs victimes.

 

Le soir, nous partons prendre les tranchées combien mauvaises celles-là, pleines d'eau et de neige. Nous travaillons pour nous réchauffer. Heureusement, nous ne restons que vingt-quatre heures.

 

Nouveau changement de secteur. Plusieurs jours de marche. Nous arrivons à Zonnebeke, village complètement détruit. À l'entrée se trouve un cimetière de soldats anglais très bien entretenu. C'est même imposant.

 

À Zonnebeke, nous prenons les tranchées quarante-huit heures. On nous annonce le deuxième jour, à la nuit, que nous allons être relevés vers deux ou trois heures du matin.

 

Effectivement, à cette heure, nous mettons sac au dos et nous retournons à Poperinghe, ville où nous avons été au repos huit jours avant d'aller à Zonnebeke. Cette fois nous n’y restons qu'une journée. Tous ces changements nous ont amenés au mois de décembre.

 

Le rôle de notre bataillon n'a pas été bien grand en Belgique. Notre temps a été plutôt employé en marches et contre marches, nous portant chaque jour à un autre point où l'on pensait avoir besoin de renfort.

 

Il n'en fut pas de même pour les 2e et 3e bataillons qui, arrivés quinze jours avant nous, ont subi de grands chocs.

 

À Kemmel, principalement où ils ont attaqué les tranchées allemandes, ils subirent de très grandes pertes. Ce sera significatif quand je dirai que sur une section de cinquante hommes envoyés à l'attaque cinq seulement purent échapper. Et il en fut presque ainsi pour les deux bataillons. Quand nous les avons revus, ces deux braves portions ne formaient plus guère que deux compagnies. A Vlamertynge, ils furent reformés par des contingents envoyés du dépôt.

 

Dès Vlamertynge, nous commençons les marches de retour en France.

 

Tout le monde est joyeux, car je crois que tous les hommes ne se plaisaient pas en Belgique. Dans le début, nous marchons la nuit, nous reposant le jour pour dissimuler nos mouvements à l'ennemi.

 

Ces marches de nuit furent très pénibles sur ces routes pavées de Belgique, et en plus très longues.

 

En France

 

De Vlamertinge à Hersin-Coupigny

 

C'est avec un soupir de soulagement que nous rentrons en France.

 

Nous traversons bien des villes et des villages dans le Pas-de-Calais et dans le Nord.

 

Je mentionnerai seulement que tous les cinq jours nous avions une journée de repos, et que les grands repos alors eurent comme cantonnements Aire-sur-Lys, Bours, Rebreuve, Hersin-Coupigny.

 

De cette dernière localité, nous sommes partis pour Béthonsart, où de là nous allions prendre les tranchées à Mont-Saint-Éloi.

 

Le trajet de Béthonsart à Mont-Saint-Éloi était très long et c'est très fatigués que chaque fois nous arrivions aux tranchées ou au cantonnement.

 

Nous avons eu la bonne fortune de passer les fêtes de Noël et du Jour de l'an en cantonnement à Hersin. Les tranchées à Saint-Éloi étant de bonne construction (comme on dit), nous n'avons pas eu beaucoup de pertes.

 

Notre-Dame-de-Lorette

 

Emplacement de la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette

 

Les tranchées

Nous quittons le secteur de Mont-Saint-Éloi à la fin de janvier pour reprendre celui de Notre-Dame-de-Lorette que nous avions tant occupé quelques mois auparavant.

 

Nous cantonnons, pour nous y rendre une nuit à «?» où eurent lieu de si terribles engagements. D'ailleurs, les maisons portent les traces des récents combats.

 

Pour prendre les tranchées, les effectifs sont réduits à trente hommes par section, soit cent vingt par compagnie. Les plus fatigués resteront au cantonnement.

 

Le départ a lieu à 16 h 00. Le premier soir notre compagnie est de réserve et elle s'installe dans les caves du château de Noulette. Ces caves sont immenses, parfaitement bien aménagées et voûtées.

 

Le deuxième soir nous sommes en première ligne. Du château il faut traverser et suivre des routes à découvert pour arriver au bois où nous empruntons les boyaux qui existent ; mais pour se rendre dans les tranchées de première ligne il y a à l'extrémité du boyau une centaine de mètres à parcourir à découvert. Ce passage est très ingrat, car les mitrailleuses allemandes peuvent, de leurs positions, le balayer facilement. Il ne se passe guère de relève que nous n'ayons des victimes. Il est impossible d'y établir un boyau à cet endroit, le terrain étant en déclivité et plein d'eau.

 

Les tranchées de ce secteur sont très mal agencées et très mal placées, pleines d'eau et de boue, et de plus, se trouvant dans le creux de la plaine, elles forment un objectif très net pour les Allemands qui occupent la crête.

 

On prend vingt-quatre heures de première ligne, vingt-quatre de réserve et cela pendant six jours. Après les six jours, trois jours de repos pour le nettoyage à Sains-en-Gohelle, où notre régiment occupe la fosse n° 10. Ceci est un roulement continu.

 

Vu l'état du secteur et les nombreux engagements à soutenir, le régiment a des pertes assez sérieuses.

 

L'ennemi a découvert notre lieu de réserve et le 13 février se met à le bombarder. Le château, qui était parfaitement repéré par eux et plusieurs fois bombardé déjà, s'écroule sous les obus. C'est la 4e compagnie qui l'occupait à ce moment. Il y a des nombreuses victimes. La réserve prend son repos depuis à Aix-Noulette.

 

Ma dernière tranchée

 

Le mardi 2 mars 1915, le 1er bataillon, à 20 h 00, prend les tranchées en remplacement du 3e bataillon qui va prendre son repos à la fosse 10.

 

La relève se fait normalement et sans à-coups. La 3e compagnie occupe la tranchée montante, emplacement habituel de la 1ère, les sapes et les postes d'écoute.

 

À 7 h 45, toutes les sentinelles et veilleurs sont désignés et à leurs postes. Rien d'anormal, calme complet, pas un coup de fusil de la part de l'ennemi. Mauvais présage. Vers 10 h 00, du poste d'écoute on entend très bien l'ennemi qui travaille. Nous en avertissons nos chefs.

 

À 11 h 00,  le travail continue de plus belle. Nouvel avertissement sans résultat.

 

À 2 h 00, l'ennemi travaille toujours. Troisième avertissement sans résultat. À partir de ce moment, les Allemands semblent avoir accéléré leur tâche. Réflexions entre camarades. Nous prévoyons quelque coup de la part de notre adversaire.

 

À 4 h 00, coups de feu répétés sur les créneaux du poste d'écoute.

 

À 5 h 00, on entend un grondement sourd. Les Allemands ont miné notre poste d'écoute et le font sauter. Deux minutes après c'est au tour de la tranchée, minée elle aussi.

 

Au même moment les Allemands arrivent sur nous ; c'est un combat terrible. Beaucoup de camarades tombent d'abord des explosions, puis des balles. À l'instant même, l'artillerie entre en action et fait rage.

 

Nous reculons pas à pas. Le chef de section veut ressaisir ses hommes, mais en vain, la poussée est trop grande. À ce moment je veux mettre en joue, mais je me sens frappé à la face. Je perds mon sang en abondance ; impossible de rester en place.

 

Je cherche à me frayer un passage pour gagner les tranchées arrières, mais il est trop tard. Alors, je m'enfile dans un boyau contigu à la tranchée, à partir de ce moment la tranchée est perdue pour nous et les Allemands l'occupent. Dans ce boyau je me trouve avec quelques camarades, dont un sous-officier, blessé quelques minutes plus tard en voulant chercher du renfort.

 

Il est exactement 6 h 30 et nous sommes obligés de rester là toute la journée, sans bouger, sans faire de bruit, dans l'eau, de crainte d'être découverts par les Allemands qui ne sont qu'à quelques mètres seulement de nous.

 

Nous sommes là, terrés dans notre trou, pendant les deux attaques qui se sont produites dans l'après-midi. Les obus éclatent à quelques pas de nous et les balles nous sifflent au-dessus de la tête.

 

Enfin, la journée se passe et la nuit fait son apparition. À la faveur de la brume, nous cherchons à reconnaître notre chemin. Notre parti est de nous rapprocher le plus vite possible du bois qui se trouve à notre gauche et où sont placées les sentinelles françaises.

 

Nous attendons encore quelques instants que la nuit soit à peu près complète et en avant par trois à distance de cinq mètres et en rampant le plus possible « À la grâce de Dieu » et nous partons.

 

Une fois hors de notre trou, nous nous traînons sur le ventre ; mes deux amis d'abord, moi je ferme la marche. Tout va bien, personne ne nous aperçoit, pas un coup de fusil n'est tiré sur nous. L'espace à franchir est d'environ cent cinquante mètres.

 

Nous profitons de chaque petit accident de terrain pour nous reposer. Enfin nous voici arrivés à proximité des sentinelles ; encore quelques mauvaises minutes à passer pour se faire reconnaître. Heureusement, nous avons en face de nous un type débrouillard qui comprend de suite qui nous sommes.

 

Nous passons la sentinelle et immédiatement nous prenons le boyau qui nous conduit à Noulette, car j'ai hâte d'arriver au poste de secours pour me faire panser. Un camarade m'accompagne, l'autre va quérir des brancardiers pour aller chercher le sous-officier blessé qui ne peut marcher.

 

Il est 20 h 30 quand j'arrive au poste de secours, depuis le matin à 6 h 30 que je suis blessé.

 

Immédiatement on m'évacue sur Aix-Noulette. Là, je reste environ une heure en attendant une voiture qui m'emmène je ne sais où, en compagnie d'autres blessés.

 

On nous conduit à l'hôpital de Sains ; là, on ne peut nous recevoir faute de place. En avant pour Hersin ; là, on nous fait descendre et nous passons une visite sommaire.

 

 Le major me fait faire des lavages de bouche pendant deux heures. Il est exactement 3 h 30 quand je me couche pour me reposer.

 

Diagnostic du major : « Plaie par éclat d'obus. Langue coupée. Mâchoire inférieure fracassée »

 

À 9 h 00, visite du médecin-major ; je suis à évacuer dans la journée.

 

Ici, j'ouvre une parenthèse pour remercier les infirmiers qui ont été très bons pour moi et les bonnes sœurs qui m'ont prodigué leurs bons soins et leurs encouragements.

 

À 15 h 00, je quitte l'hôpital d'Hersin en automobile sanitaire pour Noeux-les-Mines. Là, je suis heureux de trouver deux camarades de mon pays qui sont automobilistes d'état-major.

 

À la gare de Noeux-les-Mines, nouvelle visite sommaire ; on me désinfecte ma blessure, piqûre antitétanique et nouveau pansement. On fait le triage des blessés pour la formation du train.

 

À minuit, nous prenons nos places dans des wagons de deuxième classe et nous passons la nuit en gare de Noeux-les-Mines ; ce n'est qu'à midi que le convoi se met en marche. Là, je remercierai beaucoup l'infirmier du convoi qui m'est venu en aide une grande partie de la nuit, car je souffrais énormément. Les camarades qui étaient dans le compartiment avec moi m'ont été aussi d'un précieux concours.

 

À 16 h 00, le train arrive à Saint-Pol. On me fait descendre pour renouveler mon pansement. Là je suis soigné par un médecin-major de chasseurs alpins et une dame infirmière de la Croix-Rouge qui dirigent un établissement pour blessures maxillaires. C'est à cet établissement que j'ai pris mon premier repas depuis ma blessure à l'aide d'un tuyau de caoutchouc et d'une canule en verre. Je passe la nuit là, dans un bon lit pourtant, mais impossible de dormir, tant la souffrance est grande.

 

Le soir à 20 h 00, on m'évacue à nouveau. Ici aussi je n'ai trouvé que des amis parmi le personnel et la direction. Dans cet établissement, je fais la connaissance d'un chasseur à pied du 31e bataillon qui a une blessure analogue à la mienne.

 

Nous voyageons ensemble bien péniblement, car la soif nous tourmente continuellement et nous ne pouvons boire faute d'appareil.

 

Enfin Paris, on nous fait descendre du train pour nous conduire en automobile sanitaire à l'hôpital auxiliaire 252, boulevard des Invalides, 56.

 

Là, aussitôt arrivé, je m'aperçois que je ne suis plus mon maître ; je ne m'appartiens plus ; je n'ai même pas le droit d'enlever mes chaussures moi-même, tant les infirmières sont serviables. On me lave, car réellement j'en ai besoin ; on me met dans un bon lit, auquel malheureusement je ne peux faire honneur, et de suite je suis entouré de soins dévoués prodigués par les bonnes dames françaises qui constituent le personnel infirmier de l'établissement.

 

Aujourd'hui 5 avril est mon 29e jour de présence à l'hôpital, aussi quel contraste avec le premier jour. Ma santé, bien altérée, est revenue peu à peu, et ma blessure est en bonne voie de guérison.

 

Je ne voudrais pas terminer mon petit résumé sans remercier et présenter toute ma reconnaissance à mes infirmières si dévouées, si serviables et si bonnes ; en particulier Mmes du Chatelet, Mollet et Pemjean. Je ne citerai pas d'autres noms par crainte d'en oublier, mais, je le répète, toutes ont ma plus sincère reconnaissance.

 

A l'hopital auxiliaire n°252 de Paris

 

J'adresse aussi tous mes remerciements et mon respect à Monsieur le Docteur Courtiller, lequel est l'objet de toute mon admiration et tous mes éloges à Mme Courtiller pour son dévouement continuel à la cause des blessés.

 

Fait à Paris, le 5 avril 1915

 

Quoiqu’éloigné de mon régiment, mon premier soin a été de rester en rapport avec mes camarades. J'ai appris par eux que la 3e compagnie du 149e R.I. avait particulièrement souffert le 3 mars à Notre-Dame-de-Lorette. Sur cent quarante hommes que comptait ce jour la compagnie pour prendre les tranchées, il y eut cent neuf manquants dont le capitaine. La compagnie fut donc réduite à trente-neuf hommes.

 

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

Journee du 3 mars 1915

 

J'adresse ici un souvenir ému à tous mes camarades tombés au Champ d'Honneur.

P-S :

 

N'étant pas un fin lettré je prierai mon lecteur de ne pas me faire grief de mon style. J'ai écrit uniquement ce petit carnet pour ma famille.

 

Je n'ai relaté que les faits saillants et principaux de ma campagne. Les à-côtés sont nombreux et plus tard, si la Providence me le permet, j'en ferai un petit travail.

 

Fin du témoignage

 

Sources :

 

Carnet inédit rédigé par François Joseph Barth.

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carrobi, à I. Holgado,  à J.P. Juliac et à sa famille.  

18 septembre 2020

Barthélémy Joseph Géhin (1883-1974)

Barthelemy Joseph Gehin

 

Barthélémy Joseph Géhin naît le 12 janvier 1883, au Rupt de Bâmont, un hameau rattaché à la commune vosgienne de Saulxures-sur-Moselotte.

 

Sa mère, Marie Delphine Vanson, a 29 ans lorsqu’elle lui donne la vie. Son père, Désiré, est âgé de 34 ans. Delphine et Désiré sont tous deux cultivateurs.

 

Barthélémy est le second enfant d’une fratrie composée de 3 filles et de 2 garçons nés entre 1880 et 1897.

 

Rupt de Bamont

 

Il quitte l’école communale en maîtrisant l’arithmétique, la lecture et l’écriture. L’adolescent a la possibilité de poursuivre ses études durant une année supplémentaire en fréquentant le cours complémentaire, ce qui est rare pour un fils de paysans. Durant cette période, il acquiert quelques rudiments de la langue allemande.

 

Une fois sa scolarité achevée, Barthélémy rejoint le monde du travail pour exercer la même activité professionnelle que ses parents.

 

Plusieurs années de moissons et de récoltes s’écoulent avant que ce jeune vosgien doive penser aux obligations militaires. Son métier, aux tâches rudes, a fait de lui un homme solide.

 

Barthélémy est donc en très bonne condition physique lorsqu’il se présente devant le conseil de révision qui s’est réuni à la mairie de Saulxures. Sans aucune surprise, il est déclaré « bon pour le service actif » par le médecin militaire qui l’examine. Le futur conscrit est inscrit dans la 1ère partie de la liste de l’année 1904.

 

Le 1er novembre 1904, Barthélémy doit rejoindre le 21e R.I. qui tient garnison à Langres, mais ce n’est que quinze jours plus tard qu’il se présente à la caserne Turenne. La raison de ce retard n’est pas connue.

 

Son niveau scolaire lui permet de suivre les cours dispensés au peloton des élèves caporaux. Il obtient ce grade le 24 septembre 1905.

 

Barthélémy retourne à la vie civile le 11 juillet 1907 avec son certificat de bonne conduite accordé. Le caporal Géhin est rayé des contrôles du corps le 1er octobre 1907.

 

Il se marie le 2 mai 1908 à Cornimont avec Marie Léocadie Irma Jeangeorges. Le couple s’installe à Gerbamont. C’est dans cette commune que naîtront leurs 6 enfants.

 

Barthélémy est d’une grande habileté avec ses mains. Il fabrique lui-même le mobilier indispensable au foyer, lits, tables, armoires, rien ne lui fait peur.

 

Il confectionne également des râteaux et des sabots pour l’usage familial et de manière occasionnelle pour la vente, et cela, jusqu’à la fin de sa vie.

 

En 1910, le caporal Géhin est rappelé par le devoir militaire. Il est obligé de réintégrer la caserne Turenne pour effectuer sa 1ère période d’exercices qui a lieu du 29 novembre au 21 décembre.

 

L’année de ses 30 ans, ce père de deux enfants, devenu réserviste au 349e R.I., réalise sa 2e période d’exercices à Épinal du 14 au 30 mai 1913. Lorsqu’il laisse son uniforme à l’habillement, il pense probablement qu’il va être tranquille de ce côté-là pour un bon bout de temps, ne s’imaginant pas un seul instant que le monde va basculer dans une guerre mondiale dès l’année suivante.

 

L’ordre de mobilisation générale est décrété le 1er août 1914. Barthélémy doit être à son régiment le lendemain. Il laisse derrière lui son épouse avec ses trois enfants en bas âge. Il apprend qu’il est affecté au 149e R.I. dès son arrivée à la caserne Courcy.

 

Le caporal Géhin reste plusieurs mois au dépôt du régiment qui est venu s’installer à Rolampont après avoir fait un bref passage à Jorquenay. Il est chargé de former les nouvelles recrues.

 

Sa fiche matricule indique qu’il arrive dans la zone des armées le 8 novembre 1914.

 

Il a probablement quitté le dépôt du 149e R.I. le 3 novembre avec un renfort composé de 360 hommes, sous l’autorité du capitaine Retout. Ce dernier a pris la direction de la Belgique, où son régiment est engagé. Une fois sur place, Barthélémy est affecté à la 9e compagnie.

 

À partir de ce moment, il participe à tous les combats dans lesquels sa compagnie est impliquée.

 

Le 3 mars 1915, les Allemands lancent une vaste offensive-surprise sur les positions occupées par le 149e R.I., dans le secteur de Lorette. La 9e compagnie, qui est sous les ordres du capitaine Baril, est en 1ère ligne. Les pertes sont sévères. Barthélémy sort indemne de cette attaque qui fut probablement sa première véritable « expérience » de combat de grande ampleur.

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés durant cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

 

À la mi-juin 1915, le 149e R.I. participe à des combats très violents dans le secteur du fond de Buval. C’est au cours de l’un d’entre eux que le caporal Géhin est grièvement blessé. Le 16 juin, il est touché au bras, à un doigt et au genou par deux éclats d’obus. Un 3e éclat est venu briser une grenade qui se trouvait dans une des poches de son pantalon sans que celle-ci explose. Ce jour-là, la chance a vraiment été avec lui !

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés durant cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

 

Le caporal Géhin est transféré à l'hôpital n° 34 de Rambouillet. Le 11 octobre 1915, Barthélémy poursuit sa prise en charge médicale à l’hôpital de Paramé (couvent de Notre Dame des Chênes) à Saint-Malo.

 

Fin décembre 1915, son état de santé s’aggrave. La fièvre monte, son pied s’infecte. L’infirmière en chef prévient la famille. Léocadie, son épouse, arrive à Saint-Malo le 7 janvier 1916 ; elle n’en  repartira que le 20.

 

Les médecins font tout pour sauver la jambe de Barthélémy, sans succès. Le 24 janvier 1916, il finit par passer entre les mains du chirurgien pour être amputé.

 

Durant son séjour à Paramé, une infirmière religieuse lui apprend à tricoter des chaussettes avec quatre aiguilles. Il en confectionne plusieurs pour ses enfants.

 

En avril 1916, Barthélémy est équipé d'une prothèse de jambe à l'hôpital n° 83 de Rennes.

 

Il obtient le statut de réformé n° 1 avec attribution d’une pension définitive à 85 % ; ceci fait suite à une décision prise par la commission de réforme de la préfecture d’Ille-et-Vilaine dans sa séance du 3 juin 1916 pour :

 

-  amputation de la cuisse droite au 1/3 inférieur.

 

-  raccourcissement de 3 cm de l’index gauche avec limitation de la flexion et limitation de la pronation.

 

Dégagé de toutes obligations militaires, il est renvoyé dans ses foyers et rayé des contrôles du corps.

 

Le 19 novembre 1920, la commission de réforme d’Épinal le maintient dans ce statut pour :

 

-  amputation de la cuisse droite au 1/3 inférieur.

 

-  bras gauche : perte de substance musculaire épicondylienne et pseudarthrose de l’articulation métacarpienne phalangienne de l’index avec résection de la 3e partie inférieure du 2e métacarpien et raccourcissement de 3 cm de l’index gauche avec limitation  de la flexion  et limitation de la pronation. 

 

Le 27 octobre 1932, son taux de pension est porté à 95 %.

 

Le 14 septembre 1960, cet ancien poilu du 149e R.I. est proposé pour une pension définitive de 100 % + un degré par décision de la commission de réforme de Nancy pour :

 

-  amputation de la cuisse droite au 1/3 inférieur.

 

- douleurs névritiques avec sensation de douleur dans le pied et dans le mollet (membre fantôme). Douleurs nocturnes avec insomnies, aggravation et  majoration.   

          

-  raccourcissement de 3 cm de l’index gauche avec limitation de la flexion et limitation de la pronation.

 

Le 1er septembre 1960, il est admis à recevoir cette pension définitive de 100 % + un degré à compter du 25 juin 1960, pension qu’il touchera jusqu’à son décès.

 

Barthélémy possède deux fermes mitoyennes à Gerbamont provenant d’un héritage. La première, qu’il exploite toute sa vie, a une superficie cultivable d’environ 8 ha. La seconde, la ferme du bas du Mettey, bien plus petite avec ses 3 ha, est louée.

 

Barthélémy Géhin décède le 27 janvier 1974 dans sa commune natale. Il a été inhumé dans le cimetière de Vagney.

 

Les decorations de Barthelemy Joseph Gehin

 

Citation obtenue :

 

Citation à l’ordre de la 85e brigade en date du 25 juin 1915 :

 

« A entraîné par son exemple de bravoure intrépide d’entrain et de ténacité, ceux qui l’entouraient dans les attaques successives du fond de Buval le 13 juin et jours suivants. »

 

Médaille militaire par ordre n° 3100 « D » du 20 juin 1916 :

 

« Très bon caporal, a été blessé très grièvement le 16 juin 1915 en entraînant son escouade à l’attaque. Amputé de la jambe droite. » Comporte l’attribution de la croix de guerre avec palme.

 

Il est fait chevalier de la Légion d'honneur par décret du 20 octobre 1963 (J.O. du 8 novembre 1963).

 

Pour connaître la généalogie de la famille Gehin, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Geneanet

 

Sources :

 

Fiche signalétique et des services et acte de naissance du soldat Gehin consultés sur le site des archives départementales des Vosges.

 

Les portraits de Barthélemy Gehin proviennent de la collection familiale appartenant à L. Delassause.

 

Le fond de carte à été réalisé par V. Le Calvez.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à L. Delassause, à V. Le Calvez, à la famille descendant de Barthélémy Joseph Gehin, aux archives départementales des Vosges et au service historique de la défense de Vincennes.

11 septembre 2020

Les fusillés du 149e R.I.

Un fusille au 149e R

 

Le thème des fusillés durant le 1er conflit mondial reste encore un sujet sensible et très mémoriel à ce jour. Les dossiers des soldats condamnés à mort ont été mis en ligne en 2014 sur le site « mémoire des hommes ». Ils deviennent ainsi accessibles à tous. De très nombreux articles analysant en profondeur l’histoire de ces hommes ont été publiés sur le site « Prisme 14-18 ».

 

Pour en apprendre davantage il suffit de cliquer une fois sur l'icône suivante.

 

Prisme 14-18

 

En ce qui concerne le 149e R.I. six de ses soldats ont été exécutés durant le 1er conflit mondial.

 

Deux d’entre eux ont été fusillés les 19 et 26 octobre 1914 pour abandon de poste en présence de l'ennemi et mutilation volontaire. Deux autres ont été passés par les armes le 12 juillet et un le 27 octobre 1915, pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Le dernier a été ligoté au poteau d’exécution le 3 juin 1916 pour le même motif avec une « condamnation supplémentaire » pour dissipation d'armes et d'effets d'équipement.

 

Voici l'histoire de ces hommes.

 

Alexandre Émile Jeudy  a été condamné à mort par le conseil de guerre du quartier général de la IVe  armée et fusillé le 19 octobre 1914 à Châlons-en-Champagne.

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Alexandre Emile Jeudy

 

Aimé Devaux a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 43e D.I. et fusillé le 26 octobre 1914 à Cauchy dans le Pas-de-Calais. 

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Aime Honore Devaux

 

Eugène Louis Joseph Favier a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 43e  D.I. et fusillé le 12 juillet 1915 à Hersin-Coupigny dans le Pas-de-Calais.

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Eugene Louis Joseph Favier

 

Henri Félix Sauvage a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 43e  D.I. et fusillé le 12 juillet 1915 à Hersin-Coupigny dans le Pas-de-Calais.

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Henri Felix Sauvage

 

Julien Brignon a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 43e D.I. et fusillé le 27 octobre 1915 à Hersin-Coupigny dans le Pas-de-Calais.

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Julien Brignon

 

Édouard Gerbex a été condamné à mort par le conseil de guerre de la 43e D.I. et fusillé le 3 juin 1916 à Saint-Jean-sur-Tourbe dans la Marne.

 

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Edmond Edouard Gerbex

 

En 1917, au cours des mutineries, des incidents ont fait leur apparition au mois de mai 1917 au 31e B.C.P, au 158e R.I. et au 149e R.I.. Plusieurs manifestations eurent lieu à l’intérieur de la 43e D.I., à Saconin, dans le département de l’Aisne. Des liaisons avec des régiments extérieurs furent  tentées.

 

L’Internationale a été entonné … La colère gronde, mais il n’y a pas eu de débordements. Les hommes ont conservé une attitude correcte envers leurs supérieurs.

 

Plusieurs soldats de la 3e compagnie de mitrailleuses du 149e R.I. ont essayé d’entraîner des camarades du 129e R.I.. Le mouvement de masse ne prend pas. Il n’y aura pas suite. Aucune condamnation à mort n’a été prononcée pour les unités qui ont été mêlées à ces évènements.

 

Sources :

 

« Les mutineries de 1917 » de G Pedroncini. Éditions presses universitaires de France.1967.

 

La grève des tranchées, les mutineries de 1917 » de Denis Rolland. Éditions Imago.

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à I. Holgado et à J.P. Poisot.

4 septembre 2020

Henri Félix Sauvage 1884-1915)

Henri Felix Sauvage

 

Henri Felix Sauvage est né le 8 février 1887 au domicile parental, dans le 4e arrondissement de la ville de Lyon. Son père, Charles Thomas Sauvage, est âgé de 31 ans ; sa mère, Adrienne Joséphine Bruyas, a 30 ans. Les parents vivent rue du Pavillon. Ils sont tous les deux tisseurs. Plus tard, la famille Sauvage réside au n° 9 de la rue Gigodot. Henri Félix est le second d’une fratrie composée de 4 enfants.

 

Genealogie famille Sauvage

 

Henri suit une scolarité qui lui permet d'acquérir les connaissances de base dispensées par l'enseignement primaire.

 

Adolescent, il apprend le métier de cartonnier. Il exerce cette profession durant quelques années, mais elle finit par ne plus lui convenir. À peine ses 18 ans atteints, il décide de s'engager volontairement pour une durée de trois ans.

 

Le jeune homme signe son contrat avec l’armée le 20 février 1905. Il choisit le 133e régiment d'infanterie, une unité qui tient garnison à Belley.

 

Son père décède en octobre 1905. Le 20 février 1906, Henri bénéficie d’une disponibilité liée à l'article 21 de la loi du 15 juillet 1889 en qualité de "fils aîné de veuve ". Son séjour dans ce régiment n'ayant donné lieu à aucun problème particulier, Henri obtient son certificat de bonne conduite.

 

L’année suivante, la vie militaire finit par lui manquer. Le 19 août 1907, il renonce à son exemption. Dès le lendemain, il intègre le 149e régiment d'infanterie d’Épinal en qualité de soldat de 2e classe.

 

Au terme de ses trois années d'engagement, Henri passe dans la réserve active le 20 février 1908, avec un nouveau certificat de bonne conduite.

 

Revenu à la vie civile, il réside à Hersin-Coupigny, du 11 août au 6 novembre 1908, chez Camille Nicaisse, un houilleur belge. À partir de cette date, Henri retourne vivre à Lyon. Il habite au n° 24-26 de la rue du Mail dans le quartier de la Croix Rousse. Il exerce la profession de voiturier.

 

Le jeune homme est condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis pour abus de confiance, une sentence qui a été prononcée par le tribunal correctionnel de Lyon, le 15 juillet 1911.

 

Lorsque le 1er conflit mondial du XXe siècle éclate en août 1914, Henri Sauvage à obligation de rejoindre le dépôt du 149e R.I.. Le 4 août, il est à la caserne Courcy.

 

Affecté à la 9e compagnie, il participe à tous les combats du régiment dans les Vosges, dans la Marne, en Belgique et en Artois.

 

Le 29 avril 1915, Henri Félix Sauvage est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. à 30 jours d'emprisonnement pour ivresse publique et manifeste.

 

Le 10 juillet 1915, il comparaît de nouveau devant cette même juridiction. Cette fois-ci, le soldat Sauvage doit répondre d'infractions nettement plus graves. Il lui est reproché les faits suivants :

 

- le 14 juin 1915, entre Boyeffles et Aix-Noulette a abandonné son poste en présence de l'ennemi.

 

- le 15 juin 1915, à Aix-Noulette, a refusé d'obéir à l'ordre de son supérieur le médecin aide-major de rejoindre la compagnie pour marcher contre l'ennemi, et ce, en présence de l'ennemi.

 

- le même jour, au même lieu, a refusé d'obéir au même ordre qui lui était donné par son supérieur, le caporal Benoît, du même régiment, et ce, en présence de l'ennemi.

 

- le 16 juin 1915, au même lieu, a refusé d'obéir au même ordre que lui a donné à nouveau le médecin aide-major Cleu, et ce, en présence de l'ennemi.

 

Le conseil de guerre qui siège au Quartier Général est installé à Hersin-Coupigny. Il est présidé par le chef de bataillon Perrin du 31e B.C.P.. Les assesseurs sont le chef d'escadron Perrier qui commande les trains régimentaires de la 43e D.I., le capitaine Roudet du 4e régiment de Chasseurs à cheval, commandant le 3e demi-régiment, le lieutenant Nestre du 31e B.C.P. et l'adjudant Petit du 12e R.A.C..

 

À l'unanimité, les membres du conseil de guerre retiennent la culpabilité de ce soldat. Il est condamné à la peine de mort.

 

C'est en vertu de l'ordre d'exécution du 11 juillet qu’Henri Félix Sauvage est fusillé le lendemain à 5 h 00 à Hersin-Coupigny.

 

La base des fusillés de la Première Guerre mondiale consultable sur le site « mémoire des hommes » est peu prolixe pour nous aider à comprendre la singularité du parcours de cet homme. Elle ne comporte que deux documents :

 

- la fiche du décès survenu le 12 juillet 1915 qui comporte une date de naissance erronée. Elle indique le 8 février 1884 au lieu du 8 février 1887. Ce soldat était de la classe 1907 et non de celle de 1904 comme indiqué par la fiche de présentation de son dossier.

 

- le jugement du conseil de guerre de la 43e D.I. du 10 juillet 1915 et le procès-verbal de l'exécution du 12 juillet 1915.

 

Le dossier d'instruction est manquant.

 

Ces documents sont bien trop succincts pour déterminer les raisons pour lesquelles Henri Félix Sauvage est passé de l'engagement volontaire à la condamnation à mort.

 

Il est cependant possible de suppléer aux lacunes de son dossier en puisant dans le dossier de procédure d’un autre condamné à  mort.

 

En effet, Henri Félix Sauvage a comparu le même jour qu'un autre soldat du 149e R.I., Eugène Favier, qui fut poursuivi pour des infractions similaires.

 

Ainsi, les notes d'audience rédigées lors de la comparution d'Eugène Favier devant le conseil de guerre, notamment celles qui relatent la déposition du médecin aide-major Cleu, révèlent ceci : le 14 juin 1915, au lieu de suivre leurs unités qui se rendaient dans le secteur d'Aix-Noulette pour combattre, ces deux soldats se sont arrêtés au poste de secours d'Aix-Noulette.

 

Ils se sont présentés en état d'ivresse devant ce médecin qui leur a alors intimé l'ordre de rejoindre sans délai leur compagnie respective (la 2e pour le soldat Favier, la 9e pour le soldat Sauvage).

 

Le caporal d'ordinaire du 149e R.I., entendu également comme témoin lors du procès de Eugène Favier, a déclaré que le lendemain, le 15 au matin, il avait lui-même constaté que les deux compères étaient en train de boire dans un débit de boissons à Aix-Noulette, et qu'ils avaient refusé, malgré une sévère mise en garde, de repartir au front.

 

L'interrogatoire d’Eugène Favier confirme que le 15 au matin, ils étaient bien allés boire à Aix Noulette après s'être esquivés du poste de police du 142e Régiment d'infanterie territoriale ; ils y avaient, tous deux, dormi la nuit du 14 au 15 juin 1915.  

 

Il révèle également qu'après une nouvelle nuit passée à la Malterie, ils étaient partis ensemble, le 16 juin 1915, en direction du front. Le duo s'est séparé lorsqu’ Henri Félix Sauvage, réfugié dans abri, n'a plus voulu en sortir.

 

Eugène Favier dit avoir poursuivi son chemin, seul, avant de revenir sur ses pas pour aller se faire examiner au poste de secours d'Aix Noulette. Sa blessure fut jugée insignifiante par l'intransigeant médecin qui lui réitéra l'ordre de remonter en ligne.

 

Henri Félix Sauvage s'est vu reprocher lui aussi un refus d'obéissance commis le même jour. Le chef de poursuite mentionné dans le jugement et l’absence de déclaration de témoins ne permettent pas de savoir s'il a cherché à se faire exempter avant de faire mine de rejoindre la zone de combat ou si, comme Favier, c'est après s'être remis en route qu'il a fait demi-tour pour retourner au poste de secours.

 

Bien que lacunaires, ces renseignements sont cependant suffisants pour constater la chose suivante :  c'est une consommation excessive d'alcool dans un débit de boissons à Aix-Noulette, juste avant le retour au front de sa compagnie, qui a donné le courage à Henri Félix Sauvage, non pas de retourner au combat, mais de passer à l'acte en refusant ostensiblement d'obéir aux injonctions de rejoindre ses camarades.

 

Dans un premier temps, l'alcool l'a sans doute aidé à supporter, comme tant d'autres, les conditions de vie désastreuses dans les tranchées et probablement à surmonter sa peur de mourir sur le champ de bataille ou d'y subir une blessure mutilante. Au fil du temps, son addiction aux boissons alcoolisées a petit à petit anéanti son sens du devoir et sa volonté de combattre.

 

Progressivement, elles ont pu lui donner la hardiesse de passer à l'acte sans prendre véritablement conscience des conséquences d'un refus d'obéissance ; il n’a probablement pas réalisé que ce « défi » à l'égard d'une institution fondée sur la discipline et l'obéissance lui vaudrait une condamnation à la peine de mort.

 

On peut également concevoir que leur situation personnelle respective, celle d’Henri Sauvage, engagé volontaire à deux reprises et celle d’Eugène Favier, mobilisé malgré la tuberculose, méritait, à leurs yeux, quelques égards. L’indifférence de l’armée à leur sort, a pu faire naître en eux un sentiment de rancœur et d’aigreur qui a pu être ressassé à loisir dans l’ivresse. Ce sentiment a pu les aider à franchir le pas de la désobéissance coupable.

 

Les poursuites ont été étendues à trois refus d'obéissance aux ordres donnés par le médecin aide-major Cleu et par le caporal Benoît de la 9e compagnie.

 

Ces refus réitérés de "monter aux tranchées" caractérisent de manière rigoureuse l'abandon de poste en présence de l'ennemi et rendent ainsi incontestable, sur un plan juridique, l'application de plein droit de la peine de mort à un tel crime.

 

Le conseil de guerre de la 43e D.I. a pris soin d'entendre les témoins, dont les dépositions avaient été recueillies au cours de l'instruction. Même si on ne dispose pas du dossier d'instruction concernant Henri Félix Sauvage, il est certain que le médecin aide-major Cleu, qui a déposé devant le conseil de guerre sur les circonstances des deux refus d'obéissance d’Eugène Favier, a également été entendu sur le cas analogue de désobéissance de son acolyte, jugé le même jour, lors de la même session.

 

Il est tout aussi vraisemblable que le caporal Benoît, qui n'était pas parvenu à le convaincre de rejoindre ses camarades de combat, a été appelé à témoigner lui aussi, comme l'ont été ceux qui avaient essuyé un semblable refus de la part de Eugène Favier.

 

Pour en savoir plus sur le soldat Favier, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Eugene Louis Joseph Favier

 

Nous sommes loin des pratiques de certains conseils de guerre qui consacraient peu de temps à l'examen d'un dossier et expédiaient rapidement les affaires, à l'instar de ce qu'expliquait un commissaire du gouvernement à un nouveau défenseur : " Vous comprenez c'est simple comme bonjour. Par exemple, ce soir, je vous envoie une convocation ; demain, vous voyez le dossier – dix minutes – l'après-midi, vous voyez votre client – dix minutes – et le lendemain, vous plaidez votre affaire – dix minutes. Ce n’est pas plus malin que ça. …des témoins ? Vous n'en avez pas souvent. Il y a une circulaire du grand quartier pour dire qu'on ne doit pas déranger, sauf en cas de nécessité absolue, un témoin du front… Oui, vous voyez que votre rôle est fort peu de chose. On peut même dire presque rien"- (Raymond Lefèvre et Paul Vaillant Couturier – La guerre des soldats – Ernest Flammarion Éditeur – 1919).

 

Un autre défenseur, plaidant devant un conseil de guerre différent, confirme ce fonctionnement expéditif en ces termes : "Pas très intéressants les clients. Des déserteurs en masse, des ivrognes, je vais expédier leur cause le plus vite possible"(le 15 février 1917) " Nous avons établi un record : douze affaires en une heure et demie" (le 2 mars 1917)- (André Kahn, Journal de guerre d'un juif patriote -1914/1918,  Éditions Jean Claude Simoën – 1978).

 

Nous ne disposons pas de renseignements précis sur l'exécution d’Henri Félix Sauvage, le procès-verbal ne contenant que les strictes mentions prévues par la loi. Nous savons seulement que l'ordre d'exécution a été donné le 11 juillet 1915 et que le condamné a été passé par les armes à 5 h 00 par un piquet du 149e R.I. en présence des troupes du cantonnement en armes.

 

Le corps de ce soldat repose, comme celui d’Eugène Favier, dans le carré militaire du cimetière d’Hersin-Coupigny. Sa sépulture porte le n° 153bis.

 

 

Sources :

 

Dossiers individuels des soldats Henri Félix Sauvage et d’Eugène Louis Joseph Favier qui se trouvent dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

 

Le registre de recensement réalisé en 1901 de la ville de Lyon et les actes d’état civil de la famille Sauvage ont été consultés sur le site des archives départementales du Rhône.

 

Le texte qui suit a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté des informations complémentaires sur la jeunesse du soldat Sauvage et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis de reconstruire le parcours militaire de cet homme.

 

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Rhône.

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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