Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
Archives
29 mai 2020

Eugène Louis Joseph Favier (1889-1915).

Eugene Louis Joseph Favier

Eugène Louis Joseph Favier naît le 18 avril 1889 au Martinon, un hameau dépendant de la commune iséroise de Viriville.

Sa mère, Henriette Eugénie Merlin, travaille comme ménagère. Elle est âgée de 28 ans lorsqu’elle donne naissance à ce premier enfant.

Son père, Louis Philippe Favier, un ancien ouvrier boulanger devenu cultivateur, est âgé de 27 ans.

Des trois prénoms inscrits sur le registre d’état civil, Henriette Eugénie et Louis Philippe choisissent le second comme prénom d’usage pour leur fils.

Le couple Favier donne vie à deux autres garçons en 1890 et 1897.

Genealogie famille Favier

La fiche signalétique et des services de Louis mentionne un degré d’instruction de niveau 3. Il a donc acquis les bases du calcul, de l’écriture et de la lecture.

Une fois sa scolarité primaire terminée, il devient aide-boulanger, une profession autrefois pratiquée par le père. Alimenter en farine la machine à tamiser et pétrir le levain devient le lot quotidien de l’adolescent. Le métier est contraignant, il faut exercer la nuit.

Conscrit de la classe 1909, Louis Favier est classé dans la 5e partie de la liste lorsqu’il passe devant le conseil de révision qui s’est réuni à Roybon en 1910. Les raisons qui ont motivé cet ajournement ne sont pas connues.

L’année suivante, Louis ne se présente pas devant le conseil de révision. Il est automatiquement classé dans la 1ère partie de la liste, déclaré « bon absent ». 

Le jeune homme est incorporé au 99e R.I. à compter du 1er octobre 1911.

Il est contre indiqué de prendre des risques pour tenter d’en faire un « bon fantassin ». Louis est mis entre les mains des médecins militaires et va devoir passer devant la commission de réforme du Rhône.

Le 13 octobre 1911, celle-ci diagnostique un « développement musculaire insuffisant avec des varices dans la jambe gauche et une mauvaise denture ». Cinq jours plus tard, le général commandant le département du Rhône décide de le faire classer dans le service auxiliaire avec maintenance au corps. Louis échappe aux longues marches et aux durs entraînements de la vie de soldat.

De retour à la caserne, il apprend qu’il est affecté à la 14e section de commis pour y exercer l'activité de boulanger. Cela semble être dans ses cordes puisqu’il connaît bien la profession, mais c’est sans compter sur ses manquements disciplinaires qui vont le conduire tout droit aux sections spéciales.

Le 18 août 1912, il est envoyé dans l’île d’Oléron dans une des trois sections spéciales ordinaires, anciennement administrées par le 6e R.I. de Saintes, qui dépendent du 123e R.I. de La Rochelle depuis l’application du décret du 28 mars 1912 portant sur la réorganisation de ces sections.

Le 14 mai 1913, il est affecté à la section spéciale ordinaire du 112e R.I. de Toulon à Entrevaux, puis, pour finir, à la section spéciale de transition de Sisteron qui dépend du 3e R.I. à partir du 1er juillet 1913.

Louis finit par s’amender. Le 13 septembre 1913, il est réintégré au 30e R.I.. Il est censé passer dans la réserve de l'armée active le 1er octobre 1913, mais il est maintenu au corps jusqu'au 14 novembre1913.

Sans surprise, son certificat de bonne conduite lui est refusé lorsqu'il quitte la caserne. Il retourne vivre à Viriville.

Viriville

De retour à la vie civile, Louis Favier retrouve son fournil.

Il est rappelé le 1er août 1914, pour cause de guerre. Il n’est pas envoyé au front avec les premiers réservistes. Le 1er septembre 1914, Louis Favier est réformé n° 2 par la commission spéciale de Chambéry pour « bronchite du sommet droit », ce qui signifie qu’il est atteint par la tuberculose au poumon droit.

Cette maladie ayant été contractée avant son incorporation, Louis ne touchera pas de pension.

Louis Favier, qui n'avait pourtant pas montré beaucoup d'intérêt pour la vie militaire, décide de signer un engagement volontairement pour la durée de la guerre le 17 décembre 1914. On peut s'interroger sur sa motivation à le faire. Céda-t-il à la pression de son entourage qui l’incitait à aller accomplir, comme les autres, son devoir de soldat, malgré sa maladie ?

Il rejoint le dépôt du 75e R.I. deux jours plus tard. Le 4 février 1915, il est affecté au 158e R.I. puis au 149e R.I. le 13 mars 1915.

Dès son arrivée dans le régiment spinalien, il se montre particulièrement réfractaire à la discipline militaire. Son penchant pour la boisson est très prononcé. Louis Favier est sanctionné pour les infractions suivantes :

- le 1er avril 1915, il se présente à une revue avec des armes et des effets très mal entretenus.

- le 20 avril 1915, il quitte le cantonnement sans autorisation et manque à l'appel du soir ; il ne revient qu'à 22 h 30.

- le 17 mai 1915, il s'enivre à l'arrivée au cantonnement. Le lendemain, il est toujours incapable de se tenir debout. Louis Favier manque une revue effectuée par le capitaine. Pour cet acte, il est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. pour ivresse publique et manifeste à Sains-en-Gohelle le 4 juin 1915. Il écope de soixante jours de prison.

Cette condamnation par le conseil de guerre aurait dû l'inciter à modérer son penchant pour l'alcool afin de rentrer dans le rang. Son intempérance va au contraire l'entraîner à commettre une série d'actes de désobéissance dont la gravité finira par le rendre passible de la peine de mort.

Le rapport initial du commandant de la 2e compagnie du 21 juin 1915, les interrogatoires de Louis Favier, les auditions de trois témoins et le rapport final du rapporteur commissaire du gouvernement nous permettent de connaître avec précision les circonstances dans lesquelles les infractions militaires reprochées à ce soldat ont été commises.

Le 14 juin 1915, la 2e compagnie du 149e R.I. quitte le cantonnement de Bracquancourt dans la soirée pour se rendre aux tranchées en vue d'une attaque dans le secteur de Noulette. Louis Favier parvient à suivre ses camarades bien qu'étant en état d'ébriété au moment du départ.

À l'approche des tranchées, à un moment où le bombardement est particulièrement violent, il déclare ne plus pouvoir avancer en raison d'une indisposition.

Il s'arrête alors au poste de secours à Aix-Noulette. Le médecin aide-major Cleu le déclare « non malade » mais « en état d'ivresse ». Il le fait incarcérer au poste de police du 142e Régiment Territorial pour un dégrisement en lui donnant l'ordre de rejoindre sa compagnie dès le lendemain.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au 149e R.I. durant cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte du 16 juin 1915

Le 15 juin, au petit matin, au lieu d'exécuter cet ordre, il s'esquive du poste de police pour aller boire en compagnie d'un autre soldat.

Le sergent-major Grumbach, qui a été informé de sa présence dans un café à Aix-Noulette, se déplace pour lui intimer l'ordre de rejoindre sa compagnie.

Louis Favier demande alors une seconde visite. Cette visite se révélant de nouveau infructueuse, le même médecin lui renouvelle l'ordre de rejoindre immédiatement son poste. Au lieu d'obéir, le soldat Favier demeure à Aix et passe la nuit à la Malterie.

Dans l'après-midi, vers 16 h 00, le caporal d'ordinaire se rend à la Malterie pour le conduire lui-même aux tranchées. Il le trouve couché, vraisemblablement ivre, ne bougeant plus et ne répondant à ses appels que par des sons inarticulés.

Vers 8 h 30, Louis Flavier se soumet à l'ordre que lui réitère le sergent-major Grumbach. Il se met en route pour rallier sa compagnie. Mais dans la soirée, avant même d'avoir rejoint celle-ci, il revient à Aix-Noulette en prétendant avoir été blessé par des éclats d'obus à la cuisse et aux bras aux environs des abris du Métro.

Sa blessure est jugée insignifiante. Une nouvelle fois, le même médecin lui donne l’ordre de retourner immédiatement aux tranchées.

Il fait mine d'obéir en repartant en direction du front, mais, à 21 h 00, il s'arrête aux abris du Ravin où il va y passer deux nuits et une journée.

Le 18 juin, plutôt que de gagner le front, Louis Favier prend délibérément la direction de l'arrière. Il finit par se rendre à un gendarme rencontré sur la route Aix-Noulette vers 17 h 00.

Il est ramené à Sains-en-Gohelle, à la Fosse 10. Le sergent-major le dépose au poste du 142e R.I.T., à Aix-Noulette pour être sûr qu'il rejoint bien sa compagnie. Ce qu'il finit par faire. Il la retrouve le 19 au matin, vers 2 h 00 ou 3 h 00 au moment où celle-ci, qui n'était plus en première ligne, était en train de se ravitailler.

Ce refus de rejoindre les tranchées au moment des combats s'inscrit dans la continuité d'un comportement rebelle à toute forme d'autorité. Cette attitude ne surprend pas ses supérieurs hiérarchiques qui le jugent de manière totalement négative.

Dans son rapport du 21 juin 1915, le sous-lieutenant Stehlin, qui dirige la compagnie, le dit sans nuance : « Le soldat Favier Louis est arrivé au corps le 13 mars 1915 avec le renfort du bataillon de marche du 158e R.I.. Dès son arrivée au corps, Favier s'est montré un soldat très médiocre, paresseux et animé d'un mauvais état d'esprit. Le 4 juin 1915, le soldat Favier était traduit devant le conseil de guerre et condamné à 2 mois de prison pour ivresse publique et manifeste et évasion du poste où il avait été conduit. Depuis cette date, il n'a pas cherché à racheter sa conduite antérieure… Favier Louis est un soldat très médiocre, paresseux, sale et animé d'un mauvais état d'esprit ».

Le lendemain, 22 juin 1915, le chef de bataillon réclame lui aussi sa traduction devant le conseil de guerre en portant sur la même appréciation négative : « Le soldat Favier est non seulement un ivrogne, mais un lâche qui a abandonné sa compagnie au moment où elle allait se battre. Il n'a jamais voulu la rejoindre, alors que par renseignement il aurait très bien pu le faire. Il mérite toutes les rigueurs du code de justice militaire ».

Le même jour, le lieutenant-colonel Gothié, commandant par intérim le 149e R.I., émet l'avis qu'il « ne mérite aucune indulgence » et que ce "mauvais soldat … doit être traduit devant le conseil de guerre pour ivresse (récidive) et pour abandon de poste en présence de l'ennemi ».

Le 23 juin, le général Lombard, commandant la 43e D.I., ouvre une information. Au cours de l'instruction, Louis Favier ne conteste pas les faits. Il explique qu'il avait bu avant de partir aux tranchées et qu'ensuite il ne savait plus ce qu'il faisait.

Le 8 juillet 1915, le général Lombard ordonne sa traduction devant le conseil de guerre qui siège le 10 juillet 1915, à 13 h 30. Le soldat Favier doit répondre des chefs de poursuite suivants :

- abandon de poste en présence de l'ennemi le 14 juin 1915.

- refus d'obéissance le 15 juin 1915 au sergent-major Grumbach, du 149e R.I. lui ordonnant de rejoindre sa compagnie.

- refus d'obéissance à l'ordre donné par le médecin aide-major Cleu, le même jour, de rejoindre sa compagnie.

- refus d'obéissance à l'ordre donné par le caporal Rencurel, le même jour, dans l'après-midi.

- refus d'obéissance à l'ordre donné le 16 juin par le médecin, aide-major Cleu.

- le 16 juin 1915, désertion en présence de l'ennemi.

Le conseil de guerre est composé comme suit :

- Président : Perrin, chef de bataillon du 31e B.C.P..

- Juges : Perrier, chef d'escadron, commandant les trains régimentaires de la 43e D.I. - Roudet, capitaine du 4e régiment de chasseurs à cheval, commandant le 3e demi-régiment - Nestre, lieutenant du 31e B.C.P. - Petit, adjudant du 12e  R.A.C..

- Défenseur : Schoumacker, officier interprète de la 43e D.I..

Louis Favier ne conteste rien de ce qui lui est reproché devant le rapporteur commissaire du gouvernement et ses juges. Il reconnaît sans difficulté qu'il avait bu avant de partir aux tranchées. Ce qui est nouveau pour sa défense, c'est qu'il explique qu'il n'a pu suivre sa compagnie jusqu'à la sortie de Boyeffles, ne pouvant marcher vite, en raison de la tuberculose qui avait entraîné sa réforme.

Trois témoins sont entendus au cours de l’audience, le médecin aide-major Cleu, le sergent-major Grumbach et le caporal d'ordinaire Rencurel. Nous retrouvons ici les trois hommes qui lui ont donné l'ordre de rejoindre les tranchées et qui ont essuyé un refus de sa part.

Le président demande au premier témoin si Louis Favier jouissait d'un état de santé normal. Le médecin répondit « 'il n'était pas à première vue dans un état de santé brillant, mais en ce moment il ne s'agit que de savoir si un homme peut marcher, or il le pouvait ».

Sur une question posée par le défenseur, il précise que du point de vue mental, un examen approfondi de l'intéressé ne lui était pas apparu nécessaire lors de sa visite.

Dès lors qu'une altération, même partielle, de ses capacités physiques ou mentales était écartée par le médecin, il ne pouvait plus bénéficier d'une atténuation ou d'une suppression de sa responsabilité pénale. En conséquence, il devait répondre pleinement de ses actes. L'audition du médecin signait en quelque sorte sa condamnation à mort.

On peut s'étonner de la rigueur de ce médecin à l'égard d'un soldat tuberculeux, mais elle s'inscrivait dans le droit fil de la nouvelle doctrine des commissions de réforme en matière d'incorporation.

Pour combler les vides creusés dans les effectifs par les hécatombes des premiers mois de guerre, celles-ci se montrent moins regardantes sur l'état de santé des nouveaux soldats et les services de santé valident, malgré les risques de contagion, l'incorporation ou l'engagement volontaire de la plupart des tuberculeux qui avaient été antérieurement réformés.

Ces soldats tuberculeux sont allés rejoindre la cohorte des "Récupérés", qu'ils soient diabétiques, cardiaques, cancéreux…ou atteints d'une autre pathologie grave, qui étaient dispersés dans les unités combattantes.

 Il est vrai que, pour prendre part à une guerre de tranchées et à des attaques de masse, il fallait des effectifs conséquents, peu important qu'ils soient renforcés, faute de mieux, par des soldats amoindris par la maladie, du moment qu'ils étaient, comme Louis Favier, déclarés apte à la marche. En outre, la mort sur les champs de bataille ne faisait pas de distinction entre les bien-portants et les malades.

Les deux autres témoins, le sergent-major Georges Grumbach et le caporal d'ordinaire Rencurel, exposent les faits sans être contestés par le prévenu. Le caporal d'ordinaire, à qui on demanda ce qu'il pensait de Louis Favier, répondit que c'était « un esprit faible, se laissant aller, sans initiative, peu causant. »

Un passé militaire peu glorieux et un refus ostensible et réitéré de rejoindre les tranchées ne pouvaient lui attirer aucune clémence. Son absence illégale qui a duré quatre jours et huit heures était, pour le conseil de guerre, injustifiable.

Dès lors qu'à Aix-Noulette, il y avait le sergent-major, le caporal d'ordinaire ainsi que les cuisiniers de la compagnie qui étaient allés plusieurs fois ravitailler la compagnie, il avait eu toute latitude pour rejoindre rapidement son unité.

Le 10 juillet 1915, le conseil de guerre, à l'unanimité, le déclare coupable d'abandon de poste en présence de l'ennemi et de quatre refus d'obéissance commis également en présence de l'ennemi. Louis Favier est condamné à la peine de mort avec dégradation militaire. En revanche, le conseil de guerre à voté à l'unanimité l'acquittement du chef de désertion. Il a sans doute considéré que l'intéressé n'était pas parvenu à quitter les zones occupées par l'armée en raison de la surveillance des routes par les gendarmes.

Le 11 juillet 1915, l'ordre est donné de procéder à l'exécution de Louis Favier.

Le 12 juillet, il est passé par les armes, conformément au règlement militaire, par un piquet du 149e R.I. à 5 h 00 à Coupigny.

Si les notes d'audience rendent amplement compte de l'interrogatoire de l'accusé, des déclarations des témoins, le procès-verbal d'exécution est, en revanche, succinct. Il ne précise pas les unités qui étaient présentes, ni à quel endroit le corps a été inhumé.

Le chef de bureau spécial de comptabilité du dépôt du 149e R.I. recommande au maire de Viriville d'informer, « avec tous les ménagements nécessaires », la famille de Louis Favier de son décès et de lui présenter "les condoléances de M. le ministre de la Guerre".

Cette lettre est le modèle type couramment utilisé pour annoncer une mort « au champ d'honneur ». Elle ne correspond absolument pas à la cause de la mort d'un soldat passé par les armes.

Après la guerre, les parents de Louis Favier tentent d'obtenir sa réhabilitation en s'adressant au député de l'Isère, Camille Rocher. Celui-ci interroge le ministre de la Guerre pour savoir si la famille pouvait obtenir sa réhabilitation en raison d'une citation qu'il a obtenue avant les faits ayant motivé sa condamnation.

Le 13 novembre 1923, le ministre lui répond qu'aucune trace de citation n'a été retrouvée et qu'en tout état de cause, selon les dispositions de la loi du 19 mars 1919, la réhabilitation n'était possible qu'à l'égard des condamnés cités à l'ordre du jour postérieurement à l'infraction et non antérieurement.

Cette réponse dissuade les parents de poursuivre leurs démarches.

Près de dix ans plus tard, la mère Henriette Marlin, qui est devenue veuve, n'a  toujours pas renoncé. Le 17 mai 1932,  elle dépose une requête tendant à la révision du jugement de condamnation de son fils.

Elle est représentée dans la procédure d'abord par André Rouast, professeur à la faculté de droit de Paris, puis par Louis Plateau, docteur en droit, directeur des services de l'Union fédérale des mutilés. Ce dernier est agréé par l'Union fédérale des associations françaises des anciens combattants.

Dans sa requête, Henriette Marlin rappelle que son fils avait été appelé à la mobilisation en 1914 et renvoyé dans ses foyers comme étant inapte, puis déclaré apte et qu'il était, sur sa demande, parti au front en 1915.

Elle produit, à l'appui de sa demande de révision du jugement de condamnation, une lettre, non datée, rédigée par quatre anciens mitrailleurs de la compagnie des mitrailleuses de brigade du 149e R.I..

Ces hommes rappellent que, lorsque l'abandon de poste a été relevé, Lucien Favier « s'était tout simplement enivré, ce qui lui arrivait fréquemment » et qu'il n'avait pu ainsi rejoindre sa compagnie.

Estimant que sa condamnation n'était pas justifiée, ils demandent la révision du jugement en faisant valoir qu'il avait été auxiliaire au début de la guerre et qu'il avait demandé à passer au service armé, ce qui lui avait été accordé. Ils font également valoir qu'il avait été proposé pour la croix de guerre et qu’il avait fait la campagne jusqu'en juillet.

Ils mentionnent en outre que son frère, de la classe 17, décédé des suites de la guerre, avait servi dans l'infanterie, et qu’il avait été cité et qu’il avait reçu la croix de guerre. Ils demandent que "la justice soit rendue à la mémoire du soldat Favier pour adoucir la peine de sa pauvre mère éplorée ".

Le 12 mai 1932, le maire de Viriville établit un certificat rappelant que Louis Favier avait été volontaire pour partir à la guerre, qu'il avait toujours été un bon citoyen et que s'il était « quelques fois pris par la boisson, il ne pouvait pas en être déduit qu'il était un ivrogne ».

Le conseiller général du canton, par ailleurs président d'une association d'anciens combattants, fait valoir que la famille Favier était digne d'intérêt. Les trois enfants du couple étaient morts, l'un avant la guerre, un autre, mobilisé pendant la guerre, était mort en janvier 1922. La mère, dont la détresse était immense, voulait réhabiliter la mémoire d'un fils qui lui avait écrit des lettres pleines d'amour filial et de patriotisme.

Il est vrai que dans une lettre du 13 mai 1915, versée à l'appui de la demande, Louis Favier écrit à ses parents qu'il était aux tranchées depuis 11 jours. Il fait savoir également qu’il a été cité à l'ordre du régiment le 12 mai à midi en ajoutant : « cela me laisse complètement indifférent pourvu que je puisse retourner vous embrasser et revoir mon cher pays, cela me suffit ! ».

La trace de cette citation n’a pas été retrouvée dans les archives du régiment. A-t-elle existé autrement que dans l’imagination de ce soldat ? Il est fort probable que Louis Favier, pour plaire à ses parents, se soit quelque peu vanté en s'attribuant une citation à l'ordre du régiment qu'il n'avait sans doute pas méritée. Cette façon de romancer la réalité peut se vérifier, dans une autre de ses lettres rédigée le 19 mai 1915.

Il a une façon toute particulière de leur écrire que, le lundi, il a « bu un verre » avec un compatriote rencontré fortuitement alors que, précisément ce jour-là, le lundi 17 mai, il s'est enivré à un point tel que le lendemain, il était encore « incapable de se tenir debout ».

De même, il leur décrit avantageusement sa participation aux combats : « J'ai repris du service et j'ai assisté à deux combats où nous avons fait du beau travail, ce qui m'honore, mon régiment aussi… » … « Nous avons attaqué les tranchées allemandes et réussi à les leur prendre et aussi nous avons fait 800 prisonniers et pris 26 mitrailleuses. Enfin, nous avons bien rempli notre journée, mais que voulez-vous, c'est la guerre. Espérons que la paix sera bientôt signée au profit de la France, bien entendu. ».

Cette description de sa vie de soldat courageux et patriote visait sans doute à susciter chez ses parents un sentiment de fierté, mais elle est peu crédible, étant aux antipodes de l'opinion peu flatteuse de ses chefs. Le rapporteur, commissaire du gouvernement, résumait ainsi : « Favier est un mauvais soldat » qui s'est signalé « immédiatement par sa paresse, son mauvais esprit et ses habitudes d'ivrognerie ».

Les interventions de notables et les lettres de Louis Favier transmises à la cour spéciale de justice militaire n'auront aucun impact. Cette juridiction n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de la requête pour la raison simple que celle-ci était irrecevable.

Dans un premier temps, le 1er juillet 1933, la cour spéciale va renvoyer l'examen de la requête en révision présentée par Madame Favier à l'audience du 22 juillet 1933. Le but est de lui permettre de produire les pièces établissant qu'entre le 11 novembre 1918 et le 11 novembre 1928, elle avait manifesté auprès d'une autorité judiciaire ou administrative sa volonté d'obtenir la révision du jugement de condamnation de son fils.

En effet, selon l'article 3, paragraphe 3, de la loi du 9 mars 1932, ne sont recevables que les demandes formées par les ayants droit dont la volonté d'obtenir la révision se sera manifestée par une requête adressée à une autorité judiciaire ou administrative, ceci  dans un délai de 10 ans à compter du 11 novembre 1918 et si le jugement est antérieur à cette date.

Au terme de l'audience de renvoi du 22 juillet 1933, la Cour, composée de trois conseillers à la cour d'appel de Paris, d'un lieutenant de réserve, d'un sergent, réformé de guerre et d'un soldat réserviste, relève l'irrecevabilité de la requête. Celle-ci n'a pas été précédée par une manifestation de volonté d'obtenir la révision dans le délai de dix ans, ouvert à compter du 11 novembre 1918.

La Cour constate en effet qu'une telle manifestation de volonté ne résulte pas seulement des pièces produites et des démarches faites en 1923 par le député Rocher. L’intervention de ce député consistait à se renseigner auprès du ministère de la guerre sur la possibilité d'obtenir la réhabilitation du soldat Favier, en raison d'une citation obtenue par ce militaire ; il ne s’agissait pas d'obtenir la révision en application de la loi du 29 avril 1921.

Les archives relatives à la demande du député n'ayant pas été conservées par le ministère de la guerre, il ne subsistait donc que la réponse ministérielle à cette demande de renseignements. Ce fut insuffisant pour fonder la recevabilité de la requête de la veuve Favier. Son fils ne sera donc pas réhabilité.

C'est en définitive un curieux destin que celui de Louis Favier. Il aurait pu échapper au service actif en raison de sa tuberculose mais il s'engage volontairement pour combattre sur le front. Ensuite, son comportement d'ivrogne indiscipliné fera passer au second plan la maladie qui rongeait ses poumons ce qui l’a privé du traitement humain que justifiait sa situation de soldat tuberculeux dans l'enfer des tranchées. Au lieu d'être écarté de l'armée par un renvoi dans ses foyers il en sera éliminé par les balles d'un peloton d'exécution.

Le corps du Louis Favier repose actuellement dans le carré militaire du cimetière communal d'Hersin-Coupigny. Sa tombe porte le n° 111.

Sepulture Louis Favier

Le nom de cet homme est gravé sur le monument aux morts de la commune de Viriville.

Monument aux morts de la commune de Viriville

Louis Favier est resté célibataire et n’a pas eu de descendance.

Sources :

Dossier individuel d’Eugène Louis Joseph Favier figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Le registre de recensement réalisé en 1906 de la commune de Viriville et les fiches signalétiques et des services des trois frères Favier ont été consultés sur le site des archives départementales de l’Isère.

Le texte qui suit a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté les informations sur la jeunesse du soldat Favier et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son étude qui a permis de remettre en lumière le parcours de ce soldat.

Pour en savoir plus sur les soldats tuberculeux, voir l'article de Pierre Darmon intitulé "La grande guerre des soldats tuberculeux. Hôpitaux et stations sanitaires", publié dans les Annales de démographie historique 2002, n° 1, page 35 à 50.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à G. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de l’Isère.

22 mai 2020

Edmond Édouard Gerbex (1889-1916).

Edmond Edouard Gerbex

Le 30 septembre 1889, Edmond Édouard Gerbex voit le jour en Suisse, à Chêne-Bourg. Ce petit village jouxte la frontière française et dépend du canton de Genève. La famille Gerbex est venue s’y installer après avoir vécu un moment chez les beaux-parents maternels au Grillon, un hameau rattaché à la commune de Choisy. Elle s’installe ensuite quelque temps au hameau de Vallard, près du village de Gaillard.

Le père, Charles, est un Savoyard né à Viviers en 1839. Cet homme, qui ne sait pas écrire, travaille comme agriculteur. Toute sa vie, il a poussé la charrue et participé aux récoltes pour de nombreux propriétaires terriens français et suisses. Il n’a probablement jamais eu l’occasion de faire l’acquisition du moindre lopin de terre pour assurer ses vieux jours. La mère, Jeannette Dumas, est née en 1842 à Choisy, une commune de Haute-Savoie. Elle œuvre chez son père les premières années de son mariage. À Gaillard, elle exerce le métier de ménagère. Après la naissance d’Édouard, les Gerbex s’établissent à Rolle, dans le canton suisse de Vaux.

Genealogie famille Gerbex

La fiche matricule d’Édouard mentionne un degré d'instruction de niveau 3. Il a acquis les rudiments de savoir prodigués par l'école suisse de langue française.

Sa fiche signalétique et des services nous apprend également qu’il a été recensé dans la commune française de Reignier et qu’il a pratiqué le métier de boucher. Pour quelle raison a-t-il été enregistré dans cette commune de Haute-Savoie ? Il est impossible de le savoir. Son nom n’a pas été retrouvé dans les registres de recensement des années 1901 et 1906.

Edmond Édouard Gerbex est classé dans la 1ère partie de la liste de l’année 1910 par le conseil de révision. Le 4 octobre 1910, il est à Chambéry, pour être affecté à la 6e compagnie du 13e B.C.P. qui est installé à la caserne Joppet.

Ses premiers mois au bataillon montrent qu'il n'est pas un sujet facile, n'hésitant pas à répéter "Je m'en fous" quand un sous-officier lui annonce une punition. Il s'enferme alors dans une attitude qui va régulièrement le conduire en prison.

En février 1911, Édouard est informé par dépêche que sa mère est gravement malade. Il obtient de ses chefs une permission de 24 heures pour se rendre à son chevet, mais il ne rentre pas dans les délais. Inscrit « manquant à l’appel » le 24 février 1911, il est enregistré comme déserteur à partir du  3 mars. Le 6, il revient de lui-même à la caserne. Aussitôt arrêté, il apprend qu’il va être traduit devant le conseil de guerre du 14e C.A..

Le 18 avril 1911, celui-ci le condamne à une peine de 1 an et deux mois de prison avec sursis pour désertion à l’étranger et vol militaire.

Cette sanction le fait muter au 22e B.C.P.. Le 6 mai 1911, le chasseur Gerbex se rend à Albertville, à la caserne Songeon, où il est aussitôt envoyé à la 3e compagnie. Le 1er juillet 1912, il passe à la 2e compagnie du bataillon.

Édouard Gerbex a régulièrement pris des libertés avec la discipline militaire durant ses passages au sein des deux B.C.P.. Il fut sanctionné pour de nombreux manquements : refus de refaire son paquetage, de faire son lit, de prendre son service de manutentionnaire, vol au préjudice d'un camarade, perte d'un bourgeron, mauvaise volonté dans l'exécution de tout travail, retour tardif de permission et enfin désertion en pays étranger. Ces infractions lui vaudront d'être détenu 54 jours en salle de police, 73 jours en prison et 8 jours en cellule d'isolement. Sans surprise, Édouard est maintenu au corps lorsque ses camarades de la classe 1910 quittent le bataillon à la fin de leurs obligations militaires. Le 15 décembre 1912, il laisse ses effets militaires derrière lui ; bien évidemment, son certificat de bonne conduite ne lui a pas été accordé.

Le lendemain, il passe dans la réserve de l'armée active. Il se retire alors en Suisse, pour s'installer rue de la Cité à Genève.

On ne connaît presque rien du parcours de cet homme durant les deux années qui suivirent son retour à la vie civile, si ce n’est qu’a la fin du mois février 1913, il est de nouveau installé à Chêne-Bourg. Y a-t-il exercé une activité professionnelle stable ? Celle de boucher ou de manœuvre qu'il a pratiquée successivement ou une autre ? Que s’est-il passé dans la vie d’Édouard pour que nous le retrouvions à vagabonder sur les routes de Haute-Savoie durant les mois qui précédèrent la guerre ? Nous n’avons pas de réponses satisfaisantes à donner à toutes ces questions.

Son parcours erratique fut jalonné par quatre condamnations pour infractions de droit commun. Le jeune homme est plusieurs fois jugé, sous le nom de "Gerbaix". Le 26 décembre 1913, Édouard est condamné une première fois à Saint-Julien-en-Genevois. Il est puni de 6 jours de prison avec sursis pour filouterie d'aliments. La seconde fois, il se fait prendre à Nantua le 14 janvier 1914. Sursis oblige, il doit effectuer, en plus de sa nouvelle condamnation, 10 jours de prison pour filouterie d'aliments et vagabondage. Le 29 janvier 1914, il est encore arrêté à Saint-Julien-en-Genevois. Son errance de « trimardeur » lui vaut une troisième sanction. Cette fois-ci, la peine est plus sévère, il doit passer un mois derrière les barreaux.

Le 26 mai 1914, il est arrêté à Grenoble pour le même délit. Il retourne en prison pour un mois.

De nouveau libre, il ne sait pas encore qu’il va bientôt être dans l’obligation de revêtir l’uniforme. Des signes de guerre contre l’Allemagne sont de plus en plus perceptibles, mais personne n’y croit vraiment.

Les quelques mois de vie errante, les multiples petits séjours en prison et son aversion de la discipline militaire ne prédisposent pas Édouard Gerbex à rentrer dans le rang lors de son retour sous les drapeaux.

Il est envoyé au service auxiliaire puis classé "service armé" par la commission de réforme de Grenoble du 23 décembre 1914. Il est d'abord affecté à la 28e compagnie du 30e R.I. qui est stationné à Grenoble, dans les bâtiments de la caserne Decoux.

Le 3 février 1915, Édouard est affecté dans une compagnie de mitrailleuses au 158e R.I. avant d'intégrer la 3e compagnie du 149e R.I. à partir du 23 mars 1915.

Le 9 mai 1915, cette dernière se distingue, au prix de lourdes pertes, sur le champ de bataille d'Aix-Noulette, en prenant trois tranchées successives, malgré une canonnade intense et les feux convergents de l'artillerie et des mitrailleuses ennemies.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés durant la journée du 9 mai 1915, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

journee du 9 mai 1915

Édouard Gerbex est blessé par un éclat d'obus au cours de ce combat. Il est transféré dans un hôpital auxiliaire à Caen le 11 mai 1915 pour y être soigné durant 3 mois et demi.

Une fois guéri, il retrouve son ancienne unité le 28 septembre 1915. Le 149e R.I. est toujours sur le front d’Artois. Le régiment vient de subir d’énormes pertes au cours des journées précédentes, pertes provoquées par de violents combats qui eurent lieu dans le secteur du bois en Hache. 

La 3e compagnie du 149e R.I., sous les ordres du capitaine Cochain, a été citée à l'ordre de l'armée le 23 juin 1915 pendant que celui-ci était à l’hôpital. Pour attester de sa participation à l’attaque du 9 mai, il lui sera remis une copie de cet ordre portant mention de son nom.

Cette copie est signée le 17 janvier 1916 par le lieutenant-colonel Gothié, l’officier qui commande le 149e R.I..

Le passage d'Édouard Gerbex à la 3e compagnie est marqué par une alternance du meilleur et du pire.

Moins d'un mois après son retour, alors que sa compagnie est en 2e ligne aux environs d'Aix-Noulette, au chemin creux, l'intéressé quitte son travail de nuit le 10 octobre 1915 vers 22 h 00, en abandonnant tout son équipement. Il regagne alors l'arrière et ne réapparaît que le 17 octobre 1915, à 19 h 45, en se rendant à la gendarmerie de Barlin, localité située à quelques kilomètres d'Aix-Noulette.

Pour ces faits, le 18 novembre 1915, il est condamné par le conseil de guerre de la 43e D.I. à une peine de 5 ans de détention et de 5 ans d'interdiction de séjour ; la justification de cette peine est « abandon de poste sur un territoire en état de guerre et désertion en présence de l'ennemi ».

Comme il est souvent d'usage, le général, commandant la 43e D.I., prononce la suspension de sa peine pendant la durée du conflit. Édouard Gerbex est muté à la 10e compagnie du même régiment le 26 novembre 1915. Cette mesure de  « clémence » ne change rien à son comportement.

Le 8 mars 1916, il commet l'irréparable en quittant une nouvelle fois sa formation dans des conditions qui lui vaudront, cette fois-ci, une condamnation à la peine de mort par le même conseil de guerre.

Ce jour-là, sa compagnie a dû s'abriter contre un bombardement intense dans une tranchée creusée dans un bois, au nord de Verdun. Elle reprend vers 20 h 00  sa marche en direction des lignes ennemies, à proximité de Fleury. À l'arrivée, à 23 h 00, l'absence du soldat Gerbex est constatée. Une enquête rapide et immédiate révèle qu'il a bien quitté le bois avec son escouade, mais qu'on a perdu sa trace au cours de la marche. Comme aucun élément ne laisse supposer qu'il a abandonné volontairement la colonne, il est porté disparu.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur la carte postale suivante.

Batterie de l'Hôpital 1

L'affaire prend une autre tournure lorsque, le 17 mars, à 13 h 30, le soldat Gerbex est arrêté par la gendarmerie à Dieue-sur-Meuse, au sud de Verdun.

Interrogé, il explique que le 8 mars, il s'était abrité derrière le talus de la route du fort de Souville pour laisser passer quelques rafales d'obus, qu'il avait pris peur et qu’il n'avait pas osé sortir de son abri lorsque la troupe avait repris la marche.

Selon ses déclarations, il n’a pas pu retrouver la direction suivie par sa compagnie. Il est alors retourné dans le bois où celle-ci avait bivouaqué. Après une première nuit passée dans ce bois, il abandonne son équipement, ses armes et ses effets pour prendre la direction de Verdun en s'arrêtant dans un village dont il a oublié le nom.

Quelques jours après, il gagne Dieue-sur-Meuse, où il a séjourné jusqu'à son arrestation. Edmond Gerbex achète sur place de la nourriture ou il se la procure auprès des cuisines roulantes stationnées dans ce village.

Le 11 mars, il rencontre un caporal de sa compagnie à qui il déclare, pour dissiper son attention, qu'il était malade et qu'il se rendait dans une infirmerie.

Le capitaine Bonnaud, commandant de la 10e compagnie, porte un jugement négatif, sans nuance, sur le comportement de ce soldat à la fin du rapport qu'il rédige sur les faits le 19 mars 1916.  

"Gerbex est le type du mauvais soldat, indiscipliné, fainéant, constamment malade, il cherche par tous les moyens à se soustraire à ses obligations militaires. Sa conduite dans l'armée active a été mauvaise et depuis le début de la campagne, il ne s'est pas amendé." Rappelant ses deux précédentes condamnations par un conseil de guerre, il estime qu'en raison "de sa mauvaise conduite habituelle et de sa récidive, Gerbex ne mérite aucune indulgence" et que sa traduction devant le conseil de guerre s'impose pour "abandon de poste en présence de l'ennemi, désertion en présence de l'ennemi avec dissipation d'armes, d'effets et de vivres.".

Cette proposition de renvoi devant le conseil de guerre est approuvée par tous les niveaux de la hiérarchie militaire. Partagé par le lieutenant-colonel Abbat, qui commande par intérim le 149e R.I., l'avis du chef de bataillon de Witkowski, commandant le 3e bataillon du 149 R.I., est catégorique.

"Soldat indigne, condamné plusieurs fois, il n'y a plus lieu d'espérer aucun relèvement – mérite toute la rigueur du code de justice militaire".

Se conformant à l'avis du général Guillemot, commandant la 85e brigade, qui demande un renvoi devant le conseil de guerre, le général de Boissoudy, commandant la 43e D.I., donne l'ordre d'informer contre ce soldat le 23 mars 1916.

Au cours de l'information, l'audition des témoins et l'interrogatoire du prévenu par le sous-lieutenant Le Féron, rapporteur commissaire du gouvernement, n'apportent aucun élément nouveau sur les faits reprochés à Édouard Gerbex.

Le 31 mai 1916, le général de Boissoudy ordonne son renvoi devant le conseil de guerre de la 43e D.I. à une audience fixée au 2 juin 1916.

Il désigne comme président de cette juridiction le chef de bataillon Tixier, chef du 3e B.C.P. et, comme juges, le chef d'escadron Deboscq du 158e R.I., le capitaine Daniel du 31e B.C.P., le sous-lieutenant Mengel du 3e B.C.P. et l'adjudant Malerne du 12e régiment d'artillerie de campagne.

Le maréchal des logis Zittel du 12e régiment d'artillerie de campagne fut désigné pour défendre le soldat Gerbex.

Au cours des débats, Édouard Gerbex reconnaît les faits sans chercher à les minimiser. Il déclare regretter sincèrement sa faute et demande à pouvoir la racheter.

Le greffier note qu'à l'audience, "il n'a fait aucune déclaration nouvelle susceptible d'atténuer la gravité de sa faute ou pouvant plaider en sa faveur. Il a donné l'impression d'un caractère sans énergie, d'une intelligence au-dessous de la moyenne".

Pour résumer la teneur des pièces du dossier, Édouard Gerbex appartient à la catégorie des "mauvais" soldats. Il fait partie de ceux qui restent réfractaires à toute forme de discipline militaire et qui, de manière coutumière, font preuve d'inertie, de paresse, de mauvaise volonté ou encore de négligence dans l'accomplissement de leur devoir de soldat.

En quittant sa compagnie le 8 mars 1916, l'intéressé n'a pas eu conscience de la gravité de son acte qui se situait dans le droit fil de son comportement habituel. Il décide de ne pas remonter au front avec sa compagnie. Il rejoint l'arrière sans mesurer les conséquences de son acte, comme s'il s'était agi pour lui d'échapper à une simple corvée ou à une manœuvre quelconque.

À l'unanimité, le soldat Gerbex est condamné à la peine de mort, le chef d’accusation étant l'abandon de poste en présence de l'ennemi commis le 8 mars 1916 sur la route du fort de Souville. Sa culpabilité est également retenue pour avoir "dissipé les armes et effets remis à lui pour le service". En revanche, le conseil de guerre, toujours à l'unanimité, écarte, sans logique ni raison apparentes, la désertion en présence de l'ennemi.

Il est vrai que, dans la mesure où l'abandon de poste en présence de l'ennemi était pleinement caractérisé, la peine de mort qui s'applique à cette infraction suffit pour éliminer ce soldat. Le jour même de la condamnation, le général de Boissoudy ordonne l'exécution de la peine de mort qui eut lieu le lendemain, 3 juin 1916, à 4 h 00, à Saint-Jean-sur-Tourbe dans la Marne.

Saint-Jean-sur-Tourbe

Même s'il comporte toutes les mentions exigées par les textes militaires sur le déroulement du cérémonial, le procès-verbal d'exécution est succinct. Il ne donne aucun renseignement sur le lieu exact de l'exécution ni sur celui de l'inhumation.

Pour en savoir plus sur la fin d'Édouard Gerbex, il faut se reporter aux notes rédigées par l'aumônier qui l'a assisté. L'abbé Henry, aumônier divisionnaire, en fait le récit dans son journal de guerre du 3 janvier 2016 en ces termes : "…Il faut être à 3 heures et demie à Saint-Jean pour l'exécution d'un pauvre type du 149e R.I.. Son crime : "abandon de poste devant l'ennemi". C'est encore Verdun qui nous vaut cela. Réveil à 2 heures du matin. Départ avec Bonnefous à 2 heures 3/4. Il a plu toute la nuit ; il fait froid, froid de toutes façons.

La triste corvée s'est accomplie avec le rite habituel. Le commandant de gendarmerie, le rapporteur sont là à l'heure dite pour le réveil du condamné. C'est un pauvre malheureux, encore un sans famille, classe 1909. Je me suis entretenu avec lui dans le box étroit transformé en prison. Il fut courageux, très courageux. Je lui demande s'il veut voir son avocat : "A quoi bon, il est trop tard !". " Au revoir les amis !" crie-t-il d'une voix ferme à ses compagnons de captivité. "Il faut monter là-dedans", dit-il, en apercevant la voiture, "j'aurais bien été à pied".

L'exécution s'est faite à 100 mètres du village. Le malheureux s'est affaissé comme une masse ; le sergent lui a donné le coup de grâce d'une façon assez maladroite d'ailleurs. Est-il mort sur le coup ? Ce n'est pas sûr ; le médecin affirme qu'il a eu un dernier râle pendant le défilé des troupes.

Enterrement au cimetière voisin. Le procureur, un nouveau qui succède à Toussaint évacué, l'avocat, un maréchal des logis du 12e d'Artillerie sont fort émus. Le premier vient du 9e corps où la discipline est beaucoup plus paternelle, dit-il. L'avocat a peine à prendre son parti de n'avoir pu faire échapper son client à la mort ; pour obtenir sa grâce, il a multiplié, mais en vain, toutes les démarches possibles.

À noter une attente très désagréable de quelque temps, attente imposée par le capitaine de gendarmerie ; il n'est pas tout à fait l'heure ! La forme, même en cet instant tragique, ne perd jamais ses droits !".

Après la guerre, la dépouille du condamné fut exhumée du cimetière communal de Saint-Jean-sur-Tourbe. Elle fut transférée au cimetière militaire de la nécropole nationale, édifiée en 1922 à la sortie du village qui regroupe les corps des militaires inhumés dans les différents cimetières du secteur.

Sepulture Edouard Gerbex

La tombe de cet homme porte le n° 397. La plaque indique son nom suivi de son premier prénom d'état civil, "Edmond", son régiment, le 149e R.I., ainsi qu'une date erronée. Édouard Gerbex a été fusillé le 3 juin 1916 et non le 3 juin 1915.

 

 Sources :

Fiches signalétiques et des services de la fratrie Gerbex lues sur le site des archives départementales de la Haute-Savoie. Les registres de recensement des années 1901 et 1906 de la commune de Reigner ont également été consultés.

Dossier individuel du soldat Gerbex figurant dans la base de données des militaires et civils qui furent fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

La citation à l’ordre de l’armée de la 3e compagnie du 149e R.I. est extraite du dossier du soldat Gerbeix consultable sur le site « mémoire des hommes ».

La cellule familiale a été recomposée à partir du site « Généanet ». Plusieurs arbres généalogiques ont dû être visualisés.

La photographie de la sépulture du soldat Gerbex a été réalisée par J.M.Laurent.

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté des éléments concernant la jeunesse du soldat Gerbex et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.M. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de la Haute-Savoie.

8 mai 2020

Aimé Honoré Devaux (1893-1914).

Aime Honore Devaux

Natif du département du Jura, Aimé Honoré Devaux naît le 20 juin 1893 dans la commune de Chaux-du-Dombief où ses parents se sont mariés en 1880.

Son père, Séraphin Honoré, gagne sa vie comme cultivateur et comme camionneur. Cet homme, âgé de 41 ans, passe beaucoup de temps sur la route, livrant probablement fruits et légumes à Paris, ville où il a un pied-à-terre. Sa mère, Luce Defert a 29 ans. Elle exerce la même profession que son époux. Luce a déjà donné naissance à 6 enfants. Aimé est le benjamin de la fratrie.

Séraphin Honoré n’est pas présent à la naissance de son fils. C’est le garde champêtre Vital Petetin qui est chargé de venir déclarer l’enfant à la maison commune du village. Il est accompagné de l’épicier Paul Devaux et de l’instituteur Eugène Peuget. Les trois hommes sont reçus par le maire Joseph Émile Epailly.

La Chaux-du-Dombief

Aimé Devaux quitte l’école communale en sachant lire écrire et compter. C’est avec ce degré d’instruction de niveau 3 qu’il rejoint définitivement le monde du travail en tant qu’agriculteur.

L’année de ses vingt ans, il quitte la campagne jurassienne et le domicile parental pour aller effectuer ses obligations militaires. Aimé était le dernier des enfants de la fratrie à vivre chez Séraphin Honoré et Luce.

Il doit rejoindre le 149e R.I. qui est en garnison à Épinal, à la fin du mois de novembre 1913. Le jeune homme franchit le portail de la caserne Courcy le 29 novembre.

Fin juillet 1914, le régiment spinalien est en manœuvre au camp du Valdahon. Les menaces de guerre contre l’Allemagne s’accentuent. Le 149e R.I., qui fait partie des troupes de couverture, doit retourner à la caserne Courcy au plus vite.

Il quitte Épinal pour se rendre à la frontière le 1er août 1914, Aimé Devaux fait partie des effectifs de la 11e compagnie du 149e R.I. sous l’autorité du capitaine Erhard.

Le baptême du feu du 149e R.I. a lieu le 9 août 1914. La compagnie du soldat Devaux n’est pas engagée au début du combat. Cette compagnie est positionnée au sud-est du col de Sainte-Marie, avec le reste du 3e bataillon sous les ordres du commandant Didierjean. Ce bataillon ayant reçu une mission de surveillance de la route qui mène à Sainte-Marie-aux-Mines.

Les 1er et 2e bataillons sont en grande difficulté. Dans l’après-midi, le lieutenant-colonel Escallon donne l’ordre au capitaine Erhard de conduire un renfort composé de sa compagnie et d’autres d’éléments du 3e bataillon, au colonel Menvielle.

La 11e compagnie est de nouveau impliquée dans les combats qui se déroulèrent au nord d’Abreschiller le 21 août 1914 et dans ceux qui eurent lieu les 25 et 26 août du côté de Ménil-sur-Belvitte.

En septembre 1914, c’est la bataille de la Marne, le 149e R.I. participe à de violents combats qui se déroulent dans et autour du village de Souain.

Le 20 septembre 1914, à 13 h 30, Aimé Devaux se présente à l'ambulance 9/21 qui est installée à Raon-l’Étape. Le médecin-chef examine sa blessure à la main gauche. Il observe un premier "orifice circulaire d'un diamètre inférieur à un centimètre au niveau du 3e espace interosseux, qui est entouré d'une zone criblée de grains de poudre et un second orifice d'un diamètre très légèrement supérieur au premier, sur la face dorsale de la main en un point correspondant au premier orifice".

Le soldat Devaux a déclaré qu'il avait été blessé accidentellement par le fusil qu'il portait. Le médecin-chef ajoute à son rapport la mention : "blessure suspecte".

Ce rapport est communiqué à Aimé Devaux le lendemain, 21 septembre, par un sous-officier de police militaire. Cet homme est maréchal des logis à la prévôté du Quartier Général du 21e Corps d'Armée. Il lui notifie son inculpation pour blessures volontaires et procède à son interrogatoire.

Selon sa déposition, le 19 septembre 1914, vers 14 h 00, Aimé Devaux aurait quitté sans autorisation sa compagnie qui se dirigeait vers un village voisin de Souain pour aller satisfaire un besoin naturel en raison de coliques. Après un quart d'heure d'absence, il n'a pas retrouvé sa compagnie. N'ayant pu être renseigné utilement par les soldats présents à Souain, il est allé à la recherche de sa compagnie dans les bois environnants ou il a dormi toute la nuit.

Le lendemain, 20 septembre, alors qu'il poursuit ses recherches, des tirs d'obus l’obligent à s'enfuir en courant. Il chute, la face en avant, en se prenant les pieds dans des branches de sapins éparses. C’est au cours de cette chute qu'il fut blessé à la main gauche par un tir provenant de son propre fusil qu'il porte, à la bretelle, à l'épaule droite. Il ne s'explique pas comment cette blessure est survenue. Il pense que la détente du fusil a été accrochée par des branches lors de sa chute.

À la suite de ses explications confuses et peu convaincantes, le soldat Devaux fut contraint, devant l'enquêteur, de mimer l’évènement en portant un fusil Lebel à l'épaule droite. La démonstration est peu vraisemblable. Le sous-officier de police constate qu'une blessure accidentelle pendant la chute n'était pas compatible avec la position de l'arme. L'extrémité du canon se trouve beaucoup trop loin de la main gauche alors même que l'intéressé a chuté naturellement au cours de cette reconstitution et non lors d'une course. Invité à s'expliquer à nouveau, Aimé Devaux déclare : "Je ne sais comment cela s'est fait, mais le canon est resté en arrière et c'est ainsi que je me suis blessé".

Le 24 septembre, le général Lanquetot qui commande la 43e D.I. ordonne l'ouverture d'une information pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Aimé Devaux est entendu le 6 octobre par le rapporteur-commissaire du gouvernement. Il lui confirme sa déclaration précédente en précisant que, le 19 septembre, après avoir perdu le contact avec sa compagnie, il était retourné dans le bois de Souain où sa compagnie avait cantonné avant de se porter en avant de Souain.

Le lendemain, le 7 octobre 1914, le rapporteur-commissaire du gouvernement rédige un rapport requérant la traduction d'Aimé Devaux devant le conseil de guerre pour abandon de poste en présence de l'ennemi. Le rapporteur juge invraisemblable que l'intéressé, portant son fusil à l'épaule droite, suspendu par la bretelle, ait pu être blessé par balle à la main gauche en tombant.

Il relève en outre que sa version des faits implique qu'il ait gardé son fusil chargé et armé, ce qui constitue une violation fautive des consignes. Le rapporteur juge retient également que, selon ses propres dires, au lieu de rejoindre sa compagnie qui se dirigeait en avant de Souain, il est, au contraire, retourné en arrière et qu'il a passé la nuit seul dans un bois au lieu de chercher à se rapprocher des autres corps de troupe qui se trouvaient en avant.

Au vu de ce rapport, le général commandant la 43e D.I. ordonne alors son renvoi devant le conseil de guerre siégeant le 24 octobre 1914, à 7 h 30.

Le conseil de guerre appelé à juger Aimé Devaux, est composé par :

- Le lieutenant-colonel Le Rond du 12e R.I., président

- Le chef de bataillon Hutteau d'Origny du 1er B.C.P.

- Le capitaine Dezautières du 4e Régiment de chasseurs à cheval

- Le lieutenant Van Crayelinghe du 3e B.C.P.

- Le sergent-major Martonosy du 3e B.C.P.

Le 24 octobre 1914, le conseil de guerre déclare Aimé Devaux coupable d'abandon de poste commis en présence de l'ennemi commis à Souain (Marne) le 19 septembre 1914. Si la déclaration de culpabilité fut acquise à l'unanimité, en revanche c'est par quatre voix contre une qu'il a été jugé que l'abandon de poste a été commis "en présence de l'ennemi". La question se posait en effet de savoir si l'abandon de poste avait été commis "en présence de l'ennemi" ou "sur un territoire en état de guerre" auquel cas il encourrait une simple peine de 2 à 5 ans de travaux publics. Si la blessure a été faite en première ligne, lors d'opérations de combat, l'abandon de poste est, à l'évidence, commis en présence de l'ennemi. Mais il peut y avoir un sérieux doute lorsque, comme en l'occurrence, le soldat se mutile au cours d'un déplacement de son unité, en dehors d'une phase de combat et sans être sous la menace directe de l'ennemi.

Le recours en révision ayant été suspendu par les décrets des 10 et 17 août 1914, le jugement est dès lors immédiatement exécutable. Aussi, le lendemain de la condamnation, le général Lanquetot, commandant de la 43e D.I., ordonna l'exécution de la décision du conseil de guerre le 26 octobre à 8 heures.

Une note de service du 25 octobre apporte des précisions sur le déroulement de l'exécution fixée au lendemain et précise notamment :

- qu'un détachement du 149e R.I. fournira le personnel, gradés et troupes, nécessaires à l'exécution,

- que le général commandant la 85e brigade présidera la cérémonie.

- que les troupes présentes sous le commandement du lieutenant-colonel, commandant le 143e Régiment Territorial, comprendront le bataillon du 143e Territorial stationné à Estrée, sauf la compagnie de service, quatre sections de chasseurs à pied, un peloton de l'escadron divisionnaire, une section du Génie, qui seront rassemblées à 7 h 45 en tenue de campagne.

- que le commissaire du gouvernement s'entendra avec le capitaine de gendarmerie et un aumônier du groupe de brancardiers pour que le condamné soit amené à 8 heures précises sur le terrain et pour les détails de l'enlèvement du corps et de son inhumation.

- que les troupes rejoindront directement leur cantonnement après avoir défilé devant le corps.

C'est ainsi qu'Aimé Devaux, âgé de 21 ans, a été passé par les armes le 26 octobre 1914 à l'heure prévue et selon le cérémonial convenu et que son corps a été inhumé au cimetière d'Estrée-Cauchy.

Estree-Cauchy

Ancien militaire du 149e R.I., l'aumônier du Groupe de Brancardiers de la 43e D.I., l'abbé André Marchal, qui a accompagné ce soldat jusqu'au peloton d'exécution, note simplement dans son carnet de guerre : "À Estrée-Cauchy -  le condamné Devaux du 149e, 11e compagnie (Jura) fusillé à 8 h 00 – "Mes pauvres parents !".Les dernières pensées d'Aimé Devaux pour ses parents illustrent bien la détresse morale de ce malheureux soldat devant la mort.

L'abbé Henry, aumônier divisionnaire, plus loquace dans ses souvenirs  écrit, à la date du 12 octobre : "Aujourd’hui, peu de blessés et encore trois nous arrivent encadrés par les gendarmes ; ce sont trois malheureux inculpés de blessures volontaires ; ils viennent se faire panser. Les malheureux ! je les ai déjà vus à Souain. Quel calvaire pour eux, s’ils sont innocents !".

Le jour de l'exécution, il mentionne : "Il paraît que M. l’abbé Marchal a dû encore assister un soldat condamné à mort. Motifs : désertion en face l’ennemi et mutilation volontaire (149e d’Infanterie). C’est déjà une vieille histoire, car le fait a dû se passer lors de l’attaque de Souain. Ne serait-ce pas l’un de ceux que j’ai vu venir ces jours derniers se faire panser à la guerre de Camblain, conduits par deux gendarmes ? - Il faut sans doute des exemples ; je ne connais pas les détails de l’affaire, mais il me semble en voyant ces malheureux que c’est surtout de la pitié que j’éprouve pour eux, une immense pitié !".

La justice militaire s'est montrée rigoureuse avec Aimé Devaux. On ne peut pas lui reprocher d'avoir agi dans la précipitation, sans avoir entendu au préalable ses explications ni vérifié si elles étaient ou non plausibles. Dès lors que l'enquête a établi qu'il avait pris le chemin inverse de celui emprunté par sa compagnie et que le caractère accidentel de sa blessure était exclu, il devenait évident que le sort d'Aimé Devaux était scellé.

Les exécutions pour mutilation volontaire étaient destinées à dissuader les autres soldats de suivre l'exemple d'Aimé Devaux. On constate que la 43e D.I. a tout mis en œuvre pour parvenir à ce résultat en s'assurant de la présence à cette cérémonie d'exécution de plusieurs corps de troupe qui ont été contraints de défiler devant le cadavre, comme l'exige le cérémonial militaire.

Le nom d'Aimé Devaux et la date de sa mort sont inscrits sur le monument aux morts de la commune de La Chaux-du-Dombief.

Monument aux morts la Chaux-du-Dombief

Pour consulter la généalogie d’Aimé Honoré Devaux, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Sources :

Registres de recensement des années 1896, 1901, 1906 et 1911 de la commune de La Chaux-du-Dombief et fiche signalétique et des services consultés sur le site des archives départementales du Jura.

Dossier individuel du soldat Devaux figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté la partie concernant l’enfance et la jeunesse du soldat Devaux et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis de rappeler l’existence de cet homme.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du Jura.

24 avril 2020

Alexandre Émile Jeudy (1890-1914).

Alexandre Emile Jeudy

Natif du département de la Haute-Saône, Alexandre Émile Jeudy voit le jour le 30 octobre 1890 dans la petite commune d’Amage. Ses parents s’y sont mariés le 23 août 1879.

Le père, Auguste Constant, travaille comme journalier. Il a 48 ans à la naissance de son fils. 

Accompagné de l’instituteur Jean Baptiste Belot et du sabotier Louis Lallez, les trois hommes se rendent à la maison commune du village pour y déclarer la naissance d’Alexandre et signer le registre d’état civil.

La mère, Marie Adèle Philomène Tirvaudey, est alors âgée de 36 ans. Elle travaille comme ménagère. Elle élève déjà une fille, Marie Clémentine Amélie âgée de 8 ans. En 1893, Adèle donne vie à un 3e enfant, une fille qui fut prénommée Marie Louise.

La vie n’est pas facile pour les Jeudy. La mère travaille maintenant comme journalière. Les gages d'ouvriers agricoles devaient être bien modestes pour imaginer faire des économies, améliorer le quotidien.

En 1894, un premier drame frappe la famille. Adèle décède le 5 septembre. Alexandre n’a pas encore fêté ses quatre ans et sa petite sœur a tout juste 15 mois. C’est probablement la sœur aînée qui, du haut de ses douze ans, fut sollicitée pour s’occuper des tâches ménagères et pour la prise en charge quotidienne de ses cadets.

Moins de deux ans plus tard, c’est à son tour de perdre la vie. Le père, qui ne s’est pas remarié, est maintenant seul avec ses deux petits enfants à charge. Il lui faut faire face.

Alexandre fréquente l’école devenue obligatoire depuis 1882. Comme la plupart des enfants issus des milieux pauvres, il ne s’y rend que 6 mois dans l’année, de novembre à avril. Les registres de l’école communale mentionnent plusieurs motifs d’absences : n’a pas de sabots, va à la charrue, mendie… La famille vit dans un degré de précarité très élevé.

La fiche signalétique et de services d’Alexandre Jeudy indique un degré d’instruction de niveau 3. Alexandre s’en sort plutôt pas mal malgré son enfance difficile et ses nombreuses absences scolaires. Il a réussi à intégrer les bases de l’écriture, de la lecture et du calcul.

Le 19 février 1911, le conseil municipal accorde au père une allocation journalière de 0.75 franc, soit l'équivalent de 2.75 euros, ce père ne possédant absolument rien d’autre que ses gages de journalier.

Le registre de recensement de la commune de naissance d’Alexandre, réalisé en 1911, nous apprend que ce dernier vit toujours chez son père et qu’il travaille comme tisseur de coton à l’usine Desgrange ; c’est une industrie implantée à Raddon, située à moins de deux kilomètres d’Amage. La date d’entrée d’Alexandre dans cette entreprise n’est pas connue.

L’année 1911 est également la période des obligations militaires pour celui-ci. Le jeune homme ne s’est pas présenté devant le conseil de révision qui le déclare d’office bon pour le service armé.

Alexandre Jeudy est incorporé au 149e R.I.. Il doit se présenter au corps le 1er octobre 1911. Son arrivée pose problème. La médecine militaire doit donner son avis. Alexandre passe devant une commission spéciale de réforme qui se réunit le 21 octobre 1911. Cette commission suggère que le soldat Jeudy soit versé dans le service auxiliaire pour « insuffisance de taille ».

Une décision est prise le 17 novembre 1911 par le général commandant la 4e subdivision de la VIIe armée : cette décision le fait officiellement classer dans le service auxiliaire tout en le maintenant au 149e R.I..

Le 18 février 1912, le conseil municipal accorde une nouvelle allocation journalière au père. Le maigre salaire qu’Alexandre apportait n’étant plus là, il lui est impossible de joindre les deux bouts.

Alexandre Jeudy fait une requête pour réintégrer le service armé à la fin de l’année 1912. Sur avis favorable de la commission spéciale de réforme qui s’est réuni à Épinal le 13 janvier 1913, le général commandant la 4e subdivision de la VIIe armée accepte sa demande le 21 janvier 1913.

L’article 33 de la loi du 21 mars 1905 maintient le soldat Jeudy dans son régiment jusqu’à la fin de ses obligations militaires.

Il passe dans la réserve de l’armée active à partir du 8 novembre 1913 avec l’obtention de son certificat de bonne conduite.

Il n’est pas sûr qu’Alexandre ait pu retrouver son emploi de tisserand après son séjour de deux ans à la caserne Courcy. Par choix personnel ? Par décision de son employeur ? Impossible de le savoir. Sa fiche matricule indique simplement qu’il exerce la profession de cultivateur.

Été 1914, les moissons approchent. Alexandre ne s’imagine pas un seul instant que le monde va bientôt basculer dans une terrible guerre. Il s’attend plutôt à une forte sollicitation de la part de ses employeurs lorsqu’il sera l’heure de se mettre au travail pour les récoltes.

Alexandre Jeudy est rappelé par ordre de mobilisation générale le 4 août, en tant que réserviste, pour être affecté à la 11e compagnie du 149e R.I. sous les ordres du capitaine Erhard.

Le 1er échelon du régiment, qui fait partie des troupes de couverture, est déjà en route en direction de la frontière. Le 2e échelon, essentiellement composé de réservistes, rejoint le 1er échelon le 4 août 1914 à Vanémont. Il est impossible de savoir si notre soldat faisait partie des 983 hommes qui composaient ce groupe.

A-t-il rejoint le régiment avec les premiers renforts ? At-il participé aux combats du mois d’août 1914 ? Les éléments reconstitués de son histoire ne permettent pas de répondre à ces questions.

Septembre 1914, le 149e R.I. est engagé dans de violents combats près et dans le village de de Souain.

Pour en savoir plus sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Carte postale Souain (1)

Alexandre Jeudy est blessé, au cours de l’un de ces combats. Au poste de secours, il présente une plaie à la main droite.

Envoyé vers l'arrière, il est pris en charge à  l'hôpital d'évacuation n° 2 de Châlons-sur-Marne.

Le 3 octobre 1914, sa blessure est examinée par le médecin-chef de cet hôpital, le médecin principal de 2e classe Buy, qui la trouve suspecte. Au vu de la lésion constatée, il conclut à une "présomption de mutilation volontaire".

Rapport medical du medecin principal Buy

Cette forte suspicion médicale vaut à Alexandre Jeudy d'être traduit devant le conseil de guerre du Quartier Général de la IVe armée le 18 octobre 1914, en compagnie de six autres soldats venant des 7e, 17e et 21e R.I.. Ceux-ci sont soupçonnés également de mutilation volontaire.

À la suite de cette audience collective, six sont condamnés à la peine de mort, dont Alexandre Jeudy. Une peine de cinq ans d'emprisonnement est infligée au septième, dont l'infraction est requalifiée en simple abandon de poste "sur un territoire en état de guerre".

L’alinéa 1er de l'article 213 du code justice militaire impose en effet au conseil de guerre de prononcer la peine de mort lorsque le soldat abandonne son poste "en présence de l'ennemi. L'alinéa 2 lui laisse la faculté de choisir une peine de 2 à 5 ans d'emprisonnement lorsqu'il estime que cet abandon de poste a lieu "sur un territoire en état de guerre ou en état de siège".

Déterminer, de manière factuelle, si l'abandon de poste a été commis "en présence de l'ennemi" ou "sur un territoire en état de guerre" est laissé à l'appréciation discrétionnaire des juges ; ceux-ci ne sont pas tenus de motiver leur choix dont dépend pourtant l'exécution ou non du soldat concerné.

Pour juger ces sept soldats, le conseil de guerre dispose seulement des rapports médicaux du médecin-chef Buy et des dépositions écrites laissées par chacun des hommes sur les circonstances accidentelles de leur blessure.

Or, la lecture de ces rapports médicaux révèle que le médecin-chef, qui devait se borner à la constatation de l'existence de blessures causées par un tir à bout touchant, a dépassé sa mission en excluant le caractère accidentel des lésions constatées et en concluant à une présomption de mutilation volontaire.

Ses rapports sont d'autant plus critiquables que ce médecin utilise des documents sur lesquels la conclusion de présomption de mutilation volontaire fut imprimée à l'avance par polycopie et qu'il se bornait à y ajouter la mention manuscrite de l'identité du blessé et la description des blessures.

La présence sur ces certificats médicaux d’une conclusion préétablie en défaveur des blessés examinés suffit à faire douter de l'impartialité de ce médecin-chef. Les certificats concernant les sept soldats renvoyés devant le conseil de guerre présentent la même particularité.

Dans le cas d'Alexandre Jeudy, la mention manuscrite constatant la "perte récente de la troisième phalange du médius droit par coup de feu" est suivie de la mention ronéotypée suivante : "le tatouage très net des bords de la plaie prouve que le coup a été tiré à bout portant. La présomption de mutilation volontaire ressort de ce que l'orifice d'entrée du projectile et le tatouage siègent du côté de la paume de la main".

On peut légitimement se poser la question de la crédibilité médicale d'un tel rapport en raison de l'impossibilité évidente de déterminer les orifices d'entrée et de sortie d'une balle qui avait arraché la troisième phalange d'un doigt, quelques jours auparavant.

Comme les autres soldats poursuivis l'ont fait, Alexandre Jeudy a décrit, de manière sommaire, les circonstances accidentelles qui seraient, selon lui, à l'origine de sa blessure : "On était dans les tranchées, nos fusils étaient appuyés dans la tranchée. Les obus sont tombés au bord de la tranchée et ont été recouverts de terre. J'ai voulu prendre mon fusil qui était plein de terre, j'ai voulu le nettoyer, c'est à ce moment que le coup partit et que je fus blessé. J'ai fait constater à mes camarades que je fus blessé accidentellement ".

Ce récit, pour succinct qu'il soit, méritait au moins d'être vérifié, ce qui n'a pas été fait.

Aucune enquête n'a été diligentée au sein de la 11e compagnie pour rechercher si la blessure était accidentelle ou non.

À l'occasion de la révision de la condamnation d'un soldat du 247e  R.I., François Marie Laurent, qui a  été fusillé le même jour, le 19 octobre 1914, le médecin Buy a tenté de justifier ses pratiques ; il a expliqué que ces rapports médicaux évoquaient une simple "présomption de mutilation volontaire", sans être affirmatif et que c'est par manque de temps qu'ils étaient, en partie, polycopiés à l'avance.

L'expert désigné par la Cour spéciale de justice militaire, dans son rapport du 1er décembre 1933, a émis de sévères critiques sur ce point. Il a estimé que "la lecture d'une telle pièce ne constitue nullement la démonstration qu'on se trouvait en présence d'une mutilation volontaire que le médecin ne peut et ne doit pas dire qu'il s'agit d'une mutilation volontaire qui ne peut résulter que de l'ensemble des constatations médicales, mais aussi et surtout de l'enquête à laquelle il doit être procédé".

Dans une lettre de janvier 1920, le capitaine Bruant qui commande alors la 22e compagnie où évoluait François Laurent témoigne en sa faveur, en dénonçant, en ces termes, l'absence d'enquête: " Il fut blessé à la main au cours d'une vive fusillade la nuit du 1er (ou du 2) octobre 1914. On me rendit compte de sa blessure et il vint à mon poste et je lui fis dire d'aller au poste de secours… Quelques semaines plus tard, j'appris que Laurent avait été fusillé. Je m'y attendais si peu qu'à une demande de renseignements à son sujet, je répondis d'abord : "Ce n'est pas le Laurent de ma compagnie lequel a été blessé" … Aucune enquête n'a été faite à la compagnie. Je n'ai porté aucune plainte, aucune punition, je ne sais rien… Je n'ai pas eu le temps de bien le connaître, mais je sais qu'il était réputé dévoué et qu'avec son camarade Collet - un vrai brave - il s'était vaillamment battu."

Le même constat et les mêmes griefs s'appliquent au cas d'Alexandre Jeudy.

Une fois évacué sur l'hôpital n° 2, celui-ci s'est trouvé pris dans le piège de cette justice expéditive et sommaire alimentée par les rapports contestables du médecin-chef Buy.

Les jugements expéditifs et la multiplication des condamnations à la peine de mort visaient à dissuader les soldats de se mutiler volontairement. On peut douter qu'ils aient eu le caractère dissuasif escompté. Les exécutions eurent lieu à l'arrière, à l'insu des troupes combattantes dont ces soldats faisaient partie. En outre, à défaut d'enquête interne au sein de ces unités, le motif exact des condamnations est resté longtemps ignoré, comme le montre le témoignage du capitaine Bruant qui, six ans après l'exécution de François Laurent, ne savait rien de ce qui s'était passé.

Quatre des hommes qui furent condamnés à la peine de mort en même temps qu'Alexandre Jeudy purent bénéficier d'une commutation de leur sentence en une peine de vingt ans d'emprisonnement, par décision du Président de la République du 14 novembre 1914.

Il s'agit des quatre soldats dont la culpabilité n'a pas été déclarée à l'unanimité par les cinq juges du conseil de guerre.

Leurs dépositions écrites, trop brèves, ne permettent pas de savoir pourquoi leur condamnation a été acquise à la majorité des voix et non à l'unanimité, comme ce sera le cas d'Alexandre Jeudy et d'Émile Busquet. Ces deux soldats furent fusillés dès le lendemain, à six heures vingt-cinq, sur le champ de tir de la garnison de Châlons-sur-Marne.

Comme si les morts sur les champs de bataille ne suffisaient pas, ils ne seront pas les seuls à tomber sous les balles des pelotons d'exécution puisque, ce 19 octobre 1914, on fusillera 13 autres soldats, à la même heure, sur le même champ de tir.

Les exécutions multiples étant toujours simultanées, il y a tout lieu de penser que les condamnés ont été placés, comme l'exigeait le règlement militaire, sur une même ligne, séparés par un intervalle de dix mètres et que le feu a été commandé à l'ensemble des piquets par un seul adjudant.

En 1933, les familles de deux d'entre eux, François Laurent et Élie Lescop, obtiendront l'annulation de leur condamnation. Par contre, aucun recours ne fut exercé pour obtenir la réhabilitation d'Alexandre Jeudy.

Plaques commemoratives

Son lieu de naissance, Amage, faisant partie de la paroisse de Sainte-Marie-en-Chanois, son nom a été gravé sur une plaque commémorative apposée dans l'église de cette localité.

Il est important de préciser que le prénom mentionné "Émile" qui est inscrit sur cette plaque d’église correspond au prénom usuel de l'intéressé. Il faut donc comprendre que le nom d'Alexandre Jeudy inscrit sur le monument aux morts et celui d’Émile Jeudy qui se trouve sur la plaque de l'église correspondent en fait à une seule et même personne.

Le nom de ce soldat ne fut pas inscrit sur le monument aux morts d'Amage.

Le maire de cette commune, Monsieur Bruno Heymann, a œuvré pour réparer cette injustice. Une plaque commémorative, réalisée par le sculpteur Dedier, portant la mention « Jeudy Alexandre, né le 30 octobre 1890, fusillé pour l’exemple le 19 octobre 1914 », a été apposée sur le monument aux morts au cours d’une cérémonie organisée pour le centième anniversaire de la mort de ce soldat du 149e R.I..

Monument aux morts de la commune d'Amage

Alexandre Émile Jeudy ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance. À ce jour, le lieu de sa sépulture reste inconnu.

Le maire de la commune d’Amage a déposé un dossier pour une demande de réhabilitation.

Pour en savoir plus sur la généalogie du soldat Jeudy, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Sources :

Registre de recensement de l’année 1911 de la commune d’Amage consulté sur le site des archives départementales de la Haute-Saône.

Dossier individuel du soldat Jeudy figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes ».

Ce texte a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté la partie concernant la jeunesse du soldat Jeudy et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour son travail qui a permis d’évoquer la courte vie de cet homme.

Un grand merci à Monsieur le maire d'Amage et à Madame le maire de Sainte-Marie en Chanois pour avoir apporté certaines précisions concernant la famille Jeudy.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales de la Haute-Saône.

10 avril 2020

Julien Brignon (1887-1915).

Julien Brignon

Julien Brignon voit le jour le 4 février 1887 à Wakenbach, une commune située dans le Bas-Rhin.

Cette région fut annexée à l’Allemagne à la fin de la guerre 1870-1871. Julien est le fils d’Albert et de Virginie Adrien. Il est le 6e enfant d’une fratrie composée de 9 frères et sœurs.

En 1892, la famille vit à Moussey, une petite commune vosgienne. Les Brignon ont fini par opter pour un retour en France. Le père travaille comme bûcheron. Jeanne Virginie, la sœur cadette de Julien, ne survit pas à sa 2e année. En 1906, le couple parental et leurs 8 enfants sont installés rue Neuve Grange.

Commune de Moussey

Ainsi qu’il est stipulé sur sa fiche signalétique et des services, Julien quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il travaille ensuite comme tisserand avant de pratiquer la profession paternelle. Une dépendance à l’alcool s’installe.

Ayant atteint l’âge d’effectuer ses obligations militaires, Julien Brignot doit se rendre à Épinal pour intégrer un peloton du 4e régiment de chasseurs à cheval, escadron divisionnaire de la 43e D.I..

Il arrive au corps le 1er octobre 1908.

Nommé trompette le 25 septembre 1909, il passe dans la réserve active le 1er octobre 1910, mais il est maintenu au régiment par mesure disciplinaire jusqu'au 23 octobre.

Son passage sous les drapeaux a été émaillé par de nombreux actes d'indiscipline (état d'ébriété à plusieurs reprises, absence ou retard lors de l'appel, inattention aux manœuvres, retour tardif de permission, escalade du mur d'enceinte pour sortir du quartier la nuit, fait d’avoir uriné dans les couloirs, tenue malpropre et paquetage sale, introduction de tabac dans les locaux disciplinaires, avoir gardé une cigarette sur l'oreille au commandement "Garde à vous", être allé à la cantine au lieu de panser les chevaux, etc…).

Selon son relevé de punitions, il fut sanctionné à 18 reprises. Au total, le soldat Brugnon a été détenu 49 jours en cellule de police et 35 jours en prison. Ces 35 jours de prison firent qu'il resta 35 jours de plus à la caserne après la libération de sa classe. Son certificat de bonne conduite lui fut aussi refusé.

Julien retourne vivre à Moussey. Retrouvant ses outils de bûcheron il repart travailler dans la forêt vosgienne. Son addiction à l’alcool est maintenant bien marquée.

Rappelé le 2 août 1914, Julien retrouve son régiment de cavalerie légère. Il devient cavalier de 2e classe le 1er janvier 1915. De graves ennuis avec la justice militaire commencent. Julien Brignot est dans un premier temps condamné à 6 semaines d'emprisonnement par le conseil de guerre de la 43e D.I..

Le 4 juin 1915, pour aller boire, il a quitté sans autorisation la colonne pendant la promenade des chevaux. Il est revenu en état d'ivresse. L'exécution de cette condamnation est suspendue le 5 juin.

Une décision du général Maistre, commandant le 21e C.A., le fait muter à la 3e compagnie du 149e R.I. le 9 juin 1915.

Cette nouvelle affectation ne l’incite pas pour autant à changer de comportement. L’alcool est devenu comme une drogue. Toutes les occasions sont bonnes pour aller s’enivrer. Julien est régulièrement en manque, il lui faut ingérer quotidiennement une dose importante de vin, peut-être d’alcool plus fort. L’impact de ces produits sur son état psychique va l’amener à commettre de nouveaux actes d’indiscipline lourds de conséquences en temps de guerre.

Dès le 14 juin suivant, il est à nouveau sanctionné de 15 jours de prison pour état d'ivresse. Le 24 juillet, Julien est détenu 8 jours en salle de police pour avoir manqué, sans motif, un rassemblement lors de l'exercice du matin.

L’homme est condamné à 2 ans de travaux publics par le même conseil de guerre le 24 août 1915. Cette fois-ci, c’est beaucoup plus grave. Il est condamné pour désertion à l'intérieur en temps de guerre. Pour raison de guerre, l'exécution de cette peine est suspendue par décision du 25 août 1915.

Le 2 septembre 1915, le lieutenant Canaux, qui commande la 3e compagnie, écrit à son sujet : « Brignon est un très mauvais soldat qui a une manière de servir déplorable. Il est sans énergie et d'un mauvais exemple pour ses camarades. Il serait à désirer que le soldat Brignon disparaisse du 149e R.I.".

Traduisant l'état d'esprit de la hiérarchie militaire à son égard, le capitaine Cochain, commandant le 1er bataillon, confirme cet avis : "Le soldat Brignon est un incorrigible dont il a lieu de sanctionner la dernière faute. Ce soldat a déjà été condamné deux fois par le conseil de guerre ; il ne s'est pas amélioré ; il ne mérite aucune indulgence".

Il est vrai que ce soldat n'a pas du tout tiré profit de la mansuétude dont il avait bénéficié avec la suspension de l'exécution de ses deux condamnations prononcées par le conseil de guerre.

Au lieu de changer de conduite, il va, au contraire, commettre, en très de peu de temps, plusieurs infractions passibles de la peine de mort, qui vont finalement le conduire à cette issue fatale.

Avec 21 punitions ayant entraîné une détention de 57 jours au poste de police et de 62 jours en prison, ce passif ne pouvait, en aucun cas, lui valoir une nouvelle « bienveillance » de la part du conseil de guerre.

La dérive de ce soldat du 149e R.I. nous est rapportée par les différents rapports de la procédure devant le conseil de guerre.

Après avoir été placé en liberté provisoire à la suite de la suspension de l'exécution de sa condamnation à 2 ans de travaux publics pour désertion, Lucien Brignon rejoint son bataillon cantonné à Eps dans le Pas-de-Calais le 27 août.

Dès le lendemain, il s'absente irrégulièrement entre 7 h 00 et 17 h 00, pour se soustraire à des exercices de lancers de grenades. Incarcéré au poste de police vers 18 h 00, il s'en échappe une demi-heure plus tard par une porte dérobée. Il se rend dans un estaminet d’Eps pour y manger et boire. Il en ressort sans payer son repas. À 20 h 30, il est repris et reconduit au poste de police. Julien Brignon fournit des explications aussi confuses qu'erronées pour tenter de justifier l'abandon de poste et le délit de grivèlerie qui lui sont reprochés.

Toujours en prévention pour abandon de poste et de grivèlerie, il est remis en liberté provisoire le 22 septembre.

Son régiment se prépare à retourner en 1ère ligne pour effectuer une attaque de grande envergure avec l’intégralité de la 43e D.I.. Il lui est en quelque sorte offert la possibilité de se racheter. Julien Brignon ne se saisit pas l’occasion.

Bully-Grenay fosse n°10

Le 23 septembre, il quitte la prison de la division. Il retourne à son cantonnement à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle, mais deux heures plus tard, il en repart, sans autorisation, afin d'aller percevoir le montant d'un mandat à Hersin. 

La 3e compagnie monte aux tranchées le 24 septembre à 22 h 45. Il n’a pas rejoint son unité durant toute la période d'attaque de son unité.

Après une errance de quelques jours passés le plus souvent à dormir et à fréquenter les estaminets de Sains, de Coupigny et d’Hersin, il est arrêté le 30 septembre à 20 h 30, par la gendarmerie, dans une taverne d'Hersin.

Le soldat Brignon est ramené le 1er octobre au train de combat de son régiment, à la Fosse 10.

Dès le lendemain, il s'esquive une nouvelle fois à l'occasion d'une corvée. Selon ses dires il se décidait, le 5 octobre, à rejoindre sa compagnie cantonnée à Bracquencourt après s'être rendu à Barlin, à Haillicourt et à Coupigny.

Cette accumulation d'agissements contraires à la discipline militaire sur une période aussi courte lui vaut de comparaître pour la troisième fois devant le conseil de guerre de la 43e D.I. qui siège au Quartier Général à Hersin-Coupigny, le 25 octobre 1915.

Il doit répondre cette fois-ci des infractions suivantes :

1°) le 28 août 1915, abandon de poste sur un territoire en état de guerre à Eps (Pas-de-Calais)

2°) le 28 août 1915, grivèlerie à Eps (Pas-de-Calais)

3°) le 23 septembre 1915, abandon de poste en présence de l'ennemi à la Fosse 10, à Sains-en-Gohelle (Pas-de-Calais)

4°) entre le 23 septembre et le 1er octobre 1915 et le 2 octobre 1915, désertion en présence de l'ennemi.

Le conseil de guerre est composé de la façon suivante :

Président : chef de bataillon Collet du 158e R.I.

Juges :

- chef d'escadron Perrier commandant les trains régimentaires de la 43e D.I.

- capitaine Rondet du 4e Régiment de chasseurs à cheval (commandant le 3e demi-régiment)

- sous-lieutenant Foucher du 158e R.I.

- adjudant Petit, du 12e Régiment d'artillerie de campagne        

Commissaire du gouvernement : lieutenant Toussaint Maurice

Greffier : officier Viriot Henri.

Par jugement du 25 octobre 1915, Julien Brignon est condamné à la peine de mort à l'unanimité sauf en ce qui concerne la question de savoir, 1°) s'il était coupable d'abandon de poste le 23 septembre au lieu-dit la Fosse 10 - 2°) si cet abandon avait eu lieu sur un territoire en état de guerre - 3°) s'il avait eu lieu en présence de l'ennemi. Ainsi aux questions 4, 5 et 6 portant sur ces trois points, il a manqué une voix pour atteindre l'unanimité.

Au cours de l'instruction et devant le conseil de guerre, Julien Brignon tente vainement de s'expliquer : "Je ne savais plus ce que je faisais. Si j'ai le malheur de boire un verre, je ne sais plus ce que je fais … Je ne me rappelle plus exactement ce que je fais. J'étais perdu." Il dira encore : "Depuis le 14 juillet, à la suite d'un bombardement, je n'ai plus toute ma lucidité d'esprit. Je ne comprends pas comment j'ai pu quitter ainsi mon régiment".

Les explications de Julien Brignon, considéré comme un récidiviste incorrigible, ne convainquent pas les membres du conseil de guerre. L'intervention d'un notable en sa faveur n'a pas eu plus d'influence. À l'annonce de son passage devant le Conseil de guerre, Julien Brignon avait écrit le 7 octobre à René Laederich, propriétaire d'usines de tissage et filature à Moussey, administrateur de la Banque de France d'Épinal de 1899 à 1913, puis Régent de la Banque de France ; cette lettre lui demandait une intervention en sa faveur.

La réponse transmise à Julien Brignon le 19 octobre semblait, par sa sécheresse, constituer une fin de non-recevoir : "(M. Laederich) a été très mécontent et vous fait dire qu'il n'aurait jamais cru ça de la part d'un Brignon, car votre famille est estimée à Moussey. Et c'est justement au moment où l'on se bataille beaucoup que vous avez commis votre faute, risquant d'être en prison le jour où vos camarades avanceront. Vous n'avez pas fait honneur à vos frères et sœurs…".

Pourtant, dans le même temps, le 18 octobre, cet industriel adresse au commissaire rapporteur du gouvernement une lettre qui expliquait, mieux que ne saura le faire l'intéressé, les raisons de son effondrement moral :  "Me permettez-vous…. d'apporter à ce pauvre Brignon le seul témoignage de moralité sur lequel il puisse compter aujourd'hui, puisqu'il appartient à une région des Vosges envahie depuis 14 mois et que par conséquent nulle autre voix que la mienne ne peut s'élever en sa faveur.

Je connais depuis de longues années la famille Brignon qui travaille dans mes établissements de Moussey. Elle est tout à fait honorable. Six fils et trois gendres sont au front. Les parents, évacués de Moussey vers la fin d'avril dernier, sont actuellement réfugiés dans les Basses-Pyrénées et vivent difficilement. Jules Brignon est en tout cas demeuré plus de 9 mois sans avoir eu la moindre nouvelle de sa famille. Il faut avoir été, comme je le suis, journellement en correspondance avec les soldats du front qui sont de nos villages encore aux mains de l'ennemi, pour se rendre compte de la dépression morale dans laquelle les a jetés la situation particulière dans laquelle ils se trouvent.

Si Brignon que j'ai toujours connu comme un bon et brave ouvrier a commis une faute assurément regrettable, peut-être est-il permis d'invoquer à sa décharge qu'il n'était plus tout à fait lui-même et que les épreuves qu'il a subies et l'ébranlement nerveux qui en est résulté le rendent moins responsable que ne le serait tout autre.".

Le lendemain, le défenseur du soldat Brignon, l'officier d'administration Membré, qui était officier d'approvisionnement à l'Ambulance 8/21, adresse pour avis au général, commandant la 43e D.I., un recours en grâce présidentielle, en faisant valoir en faveur du condamné :

- qu'il était le fils d'un Alsacien, ancien combattant de 1870,

- que ses cinq frères, nés comme lui en Alsace, combattaient dans les rangs français

- que sa volonté était affaiblie

- qu'il s'était lui-même rendu aux autorités militaires.

Depuis le 1er septembre 1914, les recours en grâce étaient suspendus sauf lorsque l'officier qui avait ordonné l'engagement des poursuites proposait une commutation de peine. En d'autres circonstances, il y aurait eu matière à trouver dans sa situation de détresse morale, telle qu'évoquée par René Laederich, des circonstances atténuantes justifiant la commutation sollicitée par son défenseur.

Mais le général Lombard, commandant la 43e D.I. s'y oppose. Il ordonne l'exécution de la peine.

Le 27 octobre 1915 à 7 h 00 à Hersin-Coupigny, Julien Brignon est fusillé par un piquet du 149e R.I., en présence des troupes du cantonnement en armes. Le procès-verbal d'exécution ne mentionne ni le nom du médecin-major qui a constaté le décès, ni celui de l'aumônier qui l'a assisté.

Tout le temps où il a été sous les drapeaux, en temps de paix comme en temps de guerre, Julien Brignon s'est toujours montré mauvais soldat, incapable de se soumettre à la discipline militaire, démontrant ainsi progressivement une totale et irréversible inadaptation aux contraintes de la vie militaire, notamment après son affectation au 149e R.I..

Il est vrai que la dispense d'exécution des deux premières sentences posées par le conseil de guerre de la 43e D.I. a pu le convaincre qu'il pouvait transgresser la discipline militaire en toute impunité.

Sa condamnation à mort avait-elle pour objectif d'éliminer de l'armée un soldat indiscipliné, ingérable et donc irrécupérable ; ou bien l’objectif était-il  d'escompter de son élimination un effet d'exemplarité à l'égard des troupes du 149e R.I. qui gardaient un bon état d'esprit et ne souffraient alors d'aucune propension à l'indiscipline ? Était-ce juste l'application des règlements ?

L’alcool l’a probablement conduit à sa perte. Le soldat Brignon s'est engagé dans une spirale de comportements répréhensibles dont l'issue ne pouvait être que le peloton d'exécution, comme le montrent les pièces de la procédure judiciaire conservées dans la base nominative des "fusillés de la Première Guerre mondiale" sur le site "mémoire des hommes".

En contradiction avec sa condamnation à la peine de mort, Julien Brignon figure sur le monument aux morts de la commune de Moussey sous le nom de "Jules Brignon", "Jules" étant son prénom d'usage ainsi que l'attestent les lettres des membres de sa famille et de René Laederich saisies dans le cadre de la procédure pénale militaire.

Il est assez fréquent que la participation financière des familles à la construction des monuments aux morts puisse conduire à faire quelques petits arrangements avec les textes : souscription en échange de l’inscription d’un soldat mort chez lui ou décédé après avoir été gazé bien après la signature de l’armistice ou encore fusillé. Ce fut probablement le cas de Jules Brignon.

Cette inscription sur le monument aux morts de Moussey est en quelque sorte une manière de montrer a posteriori que ce soldat perdu était malgré tout digne de compassion. Julien Brignon fut l'un de ces "pauvres diables" dont l'aumônier Pierre Henry disait, à chaque exécution : "Il me semble en voyant tous ces malheureux que c'est surtout de la pitié que j'éprouve pour eux, une immense pitié".

Son décès a été transcrit à l'état civil de Moussey avec la mention "décédé accidentellement".

Aucun recours en révision de sa condamnation ne sera exercé dans les années d'après-guerre.

Le soldat Brignon repose actuellement dans une sépulture individuelle dans le carré militaire du cimetière communal d’Hersin-Coupigny.

Sepulture Julien Brignon

C’est le seul de la fratrie à ne pas s’être marié. Julien Brignon n’a pas eu de descendance.

Il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante pour faire connaissance avec sa généalogie.

Geneanet

Sources :

Les registres de recensement de la commune de Moussey ont été consultés sur le site des archives départementales des Vosges.

Dossier individuel de Julien Brignon figurant dans la base de données des militaires et civils qui ont été fusillés durant le 1er conflit mondial sur le site « mémoire des hommes.

 Le portrait est extrait de la revue « L’Essor » n° spécial 141 publiée en 1988.

La photographie de la sépulture du soldat Brignon a été réalisée par J.M.Laurent.

Ce texte  a été rédigé par J.P. Poisot auquel j’ai ajouté les informations concernant la jeunesse du soldat Brignon et quelques précisions. Qu’il soit remercié pour sa recherche qui a permis de remettre en lumière le parcours singulier de cet homme.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à T. Cornet, à J.M. Laurent, au Service Historiques de la Défense de Vincennes et aux archives départementales des Vosges.

3 avril 2020

Félix Chazal (1895-1929).

Felix chazal

Années de jeunesse

Félix Chazal voit le jour le 26 novembre 1895 au domicile de ses parents, au numéro 132 de la route de Vienne, dans le 3e arrondissement de la ville de Lyon.

Le père, Antoine, est alors âgé de 39 ans. Il a travaillé comme veloutier, puis comme cultivateur, avant d’être embauché par la compagnie de chemin de fer de la ligne Paris-Lyon à Marseille-Saint-Charles.

La mère, Jeanne Marie Bodoy, est originaire de Saint-Laurent-d’Agny. Elle a également 39 ans. Cette femme travaille comme ménagère. En plus de sa charge professionnelle, elle élève aussi deux garçons, Philippe et Jean Pierre, respectivement âgés de 16 et 14 ans.

Genealogie famille Chazal

Félix quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il fait ensuite un apprentissage chez un bijoutier avant de devenir ouvrier dans cette profession. En 1914, son salaire journalier est de 4 francs. Son frère Philippe travaille comme comptable. Jean Pierre a suivi les traces paternelles.

Le 1er août 1914, le gouvernement Viviani ordonne la mobilisation générale. La guerre contre l’Allemagne est sur le point d’être déclenchée. Il est demandé aux réservistes de rejoindre au plus vite leurs dépôts d’affectation. Les territoriaux sont également sollicités. Les classes 1912 et 1913 sont déjà dans les casernes.

Félix Chazal est passé devant le conseil de révision qui l’a classé, avant la déclaration du conflit, dans la 1ère partie de la liste du 7e arrondissement de Lyon.

Conscrit de la classe 1915, il doit encore attendre quelques mois avant être incorporé. Ses frères, plus âgés, sont de suite mobilisables.

Formation au métier de soldat

Le 15 décembre 1914, Félix se rend à la caserne de Chabran, boulevard Limbert, à Avignon. Il est affecté à la 27e compagnie du 58e R.I..

Sa formation militaire dans ce régiment se termine le 1er avril 1915. Elle est plutôt expéditive comparée à celles qui ont été suivies par les classes d’avant-guerre, mais elle se poursuit après son incorporation dans un nouveau régiment.

Après avoir intégré les premiers rudiments de la vie de soldat, Félix est affecté au  415e R.I, une unité nouvellement créée au camp de Carpiagne, au sud de la ville de Marseille. Ce régiment est en majorité composé d’éléments qui appartiennent à la classe 1915. Tous proviennent des différents dépôts du 15e C.A..

Le 415e R.I. quitte le camp de Carpiagne le 31 mars pour prendre place au camp de la Valbonne, près de Meximieux, dans le département de l’Ain. Le 1er février, Félix intègre la 7e compagnie du régiment qui cantonne à Pérouge pour une quinzaine de jours.

L’ancien bijoutier  a tout juste le temps de donner quelques nouvelles à sa famille avant de partir pour le front dans la Somme.

« Chers parents,

Je vous envoie deux mots pour vous dire qu’au lieu de partir lundi comme je vous l’avais écrit, nous partons mercredi à 5 h du matin pour le front. On ne va pas aux Dardanelles. Nous allons dans l’est. Si tu ne te rappelles pas où je serai, je te le mettrai dans ma prochaine lettre. Je pars avec l’espoir de revenir tout au plus blessé, mais avec rien si je peux. Probablement qu’à la fin de la semaine, j’aurai déjà vu les Allemands. Tâchez de ne pas vous en faire, car, d’un côté, si je suis blessé, je pourrai être évacué dans un hôpital et après, j’aurai 8 à 15 jours à passer à la maison.

Enfin, tout va pour le mieux. Espérons que ça n’ira pas plus mal que maintenant.

Votre fils affectueux qui vous aime et vous embrasse. Félix »

Première blessure

Son régiment vient s’installer en Champagne à partir du mois d’août 1915. Il occupe une zone comprise entre Souain et Perthes.

Le 25 septembre 1915, le 415e R.I. lance une attaque dans ce secteur. Félix est blessé au talon gauche.

Le soldat Chazal rejoint le dépôt du 141e R.I. après avoir été soigné. Il est inscrit dans les effectifs de la 9e escouade de la 26e compagnie.

Le 14 février 1916, le jeune homme envoie une carte postale aux siens.

« Chers parents,

J’ai reçu votre lettre, mais il ne faut pas compter sur une permission de 15 jours. C’est impossible.

Je vous demande de m’envoyer 3 gros paquets de tabac. Nous faisons que fumer et l’on n’en a pas assez. Je compte sur vous pour me les envoyer, car, si je partais, ils me couvriraient après. Je vais toujours très bien. Je ne pense pas remonter à mon ancien régiment, car aujourd’hui, il y a eu un départ. Je ne vois rien d’autre à vous dire, si ce n’est que j’attends le tabac. Votre fils Félix. »

Il bénéficie encore d’un mois de relative tranquillité au dépôt.

Une note de service rédigée par le général commandant la 15e région, datée du 15 mars 1916,  lui apprend qu’il est versé au 149e R.I..

Au 149e R.I.

Félix arrive dans cette unité le 18 mars 1916. Son nouveau régiment est  engagé dans le secteur de Verdun depuis une quinzaine de jours. Le soldat Chazal est affecté à la 8e compagnie qui est installée à la caserne Bevaux. Elle vient de passer une sale période dans le secteur du fort de Souville et du bois Fumin.

Le 26 mars, les 3 bataillons du régiment s’établissent à Dugny. Les 1er et 3e bataillons remontent en 1ère ligne le 30 mars.  Le 2e bataillon rejoint Verdun pour aller cantonner à la caserne d’Anthouard. Félix a tout le temps de sympathiser avec les hommes de sa nouvelle escouade.

Le 1er avril, sa compagnie reçoit l’ordre de se rendre au fort de Tavannes. Le 2e bataillon est réserve de division. Le 3 avril, la 8e s’installe aux abris du ravin. Elle ne sera pas engagée.

Pour en savoir plus sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

Verdun 5 avril 1916

L’ensemble du régiment quitte la zone de Verdun le 11 avril 1916. Après une courte période de repos passée à Landrecourt, il se rend dans un secteur plus calme, en Champagne, entre les buttes de Tahure et de Mesnil où il reste plusieurs mois.

Septembre 1916, le 149e R.I. doit prendre le village de Soyécourt dans la Somme. Le 2e bataillon ne participe pas à l’attaque, il est en réserve, comme à Verdun.

Deuxième blessure 

Ablaincourt

 Le 23 octobre 1916, Félix Chazal est grièvement blessé dans le secteur d’Ablaincourt par des éclats d’obus. Sa jambe gauche et son pied gauche sont fracturés et très abîmés. Il est impossible de les sauver, c’est l’amputation au tiers supérieur. Son pied droit est également touché.

Ce n’est que le 8 novembre 1916 qu’il est évacué vers l’arrière. Il est pris en charge par les médecins de l’hôpital mixte de Limoges.

Felix Chazal photographie 1

Les soignants ne parviennent pas à sauver la partie inférieure de sa jambe droite. Deuxième traumatisme, il faut de nouveau amputer.

Les soins sont longs et douloureux, mais la guerre est terminée pour Félix. Lui qui rêvait tant d’une blessure ! À l’époque, il était loin de s’imaginer que celle-ci allait tant lui coûter.

Un taux d’invalidité à définir 

Felix Chazal photographie 2

 La commission de vérification de Lyon, qui s’est réunie le 12 décembre 1918, fait une proposition qui lui permettrait de toucher une pension de retraite de 2e classe suite à l’amputation de ses deux membres inférieurs.

Le 1er février 1919, Félix Chazal épouse Victoire Faillant, une femme originaire de la Saône-et-Loire.

Les suggestions de pensions s’enchaînent. Le 16 avril 1921, le centre spécial de réforme de Lyon propose une pension d’invalidité temporaire de 100 % avec un surcroît de 20 % pour amputation des deux jambes au 1/3. Félix est également atteint de bacillose pulmonaire.

L’ancien soldat du 149e R.I. est réformé définitivement par la commission de réforme du Rhône-sud réunie le 11 octobre 1921.

Le 8 février 1922, Félix Chazal est proposé pour une pension temporaire de 100 % avec un surcroît de 20 % au bénéfice de l’article 10 par la commission de réforme de la Seine. Cette proposition se base sur l’amputation des deux jambes et sur l’induration discrète du sommet droit.

Le 22 octobre 1922, Félix est admis à recevoir une pension de 3000 francs avec jouissance à partir du 12 décembre 1918. Il obtient une invalidité permanente de 100 %. Le 25 septembre 1923, il bénéficie également de l’article 10 à la suite d’une décision qui fut prise par la 2e commission de réforme de la Seine, pour l’amputation de ses deux jambes.

En 1923, victoire donne naissance à une fille qui fut prénommée Jeannette.

Félix cesse toutes activités professionnelles à partir du 1er avril 1924.

La commission de réforme de Mâcon du 27 février 1925 augmente de manière conséquente son supplément de pension. Elle le fait passer directement du 2e au 10e degré pour amputation des deux jambes et ramollissement du poumon droit et du 1/3 supérieur du poumon gauche.

De plus en plus diminué par ses problèmes de santé et par son lourd handicap, Félix décède dans la petite commune de Chânes à l’âge de 33 ans le 13 janvier 1929.

Decorations Felix Chazal

Décorations obtenues :

Citation à l’ordre n° 39 850 du G.Q.G. en date du 2 novembre 1916.

« Soldat brave et dévoué, déjà blessé le 25 septembre 1915. A été atteint d’une nouvelle blessure très grave le 23 octobre 1916, amputé de la jambe gauche. »

Décoré de la Médaille militaire avec attribution de la croix de guerre avec palme en date du 24 octobre 1916. Q n° 3985 D du Grand Quartier Général en date du 2 novembre 1916.

Chevalier de la Légion d’honneur (décret du 21 février 1925 rendu sur la proposition du ministre de la guerre).

Sources :

La fiche signalétique et des services de Félix Chazal a été consultée sur le site des archives départementales du Rhône.

Les photographies et les documents présentés ici proviennent tous de la collection de la famille descendante de Félix Chazal. Je remercie tout particulièrement Y. Fanise pour son aide et son autorisation de publication.

Merci également à M. Bordes, à A. Carobbi, à Y. Fanise, aux archives départementales du Rhône et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

27 mars 2020

Paul Jean Marie Adrien Soirot (1887-1965).

Paul Jean Soirot

Paul Jean Marie Adrien Soirot est né le 26 juin 1887 à Langres, une ville du département de la Haute-Marne dont elle est l’une des deux sous-préfectures.

La mère, Marie Catherine Hermance Simon, est âgée de 30 ans lorsqu’elle met au monde son enfant.

Le père, Nicolas Jean Baptiste, passe une grande partie de sa vie en dehors du domicile conjugal. Cet homme, âgé de 32 ans, travaille comme voyageur de commerce pour nourrir et loger sa famille installée au n° 21 de la rue du repos.

La fiche signalétique et des services de Paul Jean Marie Adrien Soirot confirme un degré d’instruction de niveau 3. Son instituteur lui a appris à lire, à écrire et à compter. L’adolescent fait ensuite un apprentissage en mécanique. À l’approche de ses obligations militaires et ne trouvant pas sa voie professionnelle dans la vie civile, il prend la décision de signer un engagement volontaire de trois ans. Les motifs qui le poussent à embrasser une carrière de soldat ne sont pas connus.

Ce fils de voyageur de commerce n’a pas encore vingt ans. Paul Jean Marie Adrien est à plus d’un an de la majorité. Il doit avant tout persuader ses parents du bien-fondé de son choix. Après les avoir convaincus, il se rend à la mairie de Langres le 17 janvier 1907.

Cet engagement volontaire lui offre la possibilité de choisir son affectation. Paul Jean Marie Adrien privilégie le 21e R.I., une unité qui est en garnison dans sa ville natale depuis 1871.

Le 5 novembre 1907, le jeune homme signe pour la seconde fois un contrat de 2 ans et 9 jours. La date butoir du précédent contrat est encore très lointaine. Quelle est la raison de cette initiative ? Regrette-t-il de ne pas avoir touché une prime d’engagement plus conséquente s’il avait opté pour un engagement plus long ? A-t-il découvert, dans les possibilités offertes par l’armée, de nouveaux corps de métiers accessibles avec un plus long engagement ?

Toujours est-il que le temps effectif supplémentaire, imposé par ce nouveau contrat, se cumule à celui qu’il doit encore à l’armée.

Paul Jean Marie Adrien Soirot est affecté au 4e R.I.C. aussitôt après avoir apposé sa signature. Il quitte le département de la Haute-Marne pour rejoindre sa nouvelle unité qui est installée à Toulon.

Le 24 décembre 1909, le soldat Soirot signe à nouveau pour deux années supplémentaires. Ce troisième contrat prend effet le 26 septembre 1910.

Le 26 septembre 1912, il est envoyé dans l’est, muté au 149e R.I.. Paul Jean Marie Adrien Soirot abandonne son uniforme de colonial. Le changement climatique est rude. Il faut, une nouvelle fois, trouver de nouveaux repères. Une fois revêtu de la tenue de fantassin, il occupe les fonctions d’armurier dès son arrivée à la caserne Courcy.

Avant qu’ils n’aient accès à l’intégralité de l’armement de l’unité, les hommes qui vont exercer cette charge sont choisis avec extrême attention par les plus hauts gradés du régiment.

Concernant Paul Jean Marie Adrien, sa formation initiale de mécanicien et ses cinq années passées sous l’uniforme l’ont probablement aidé à faire pencher la balance en sa faveur. 

Il est nommé caporal armurier le 1er octobre 1912. Le 11 août 1911, il épouse Marie Joséphine Muller, une femme originaire de Metz, à Épinal.

C’est avec son grade de caporal qu’il commence la guerre en août 1914. Toujours en retrait de la ligne de front, il consacre son temps à réparer les crosses brisées des Lebel, à changer les pièces mécaniques défectueuses et à régler avec précision les armes qui ont été malmenées aux cours des combats ; il est en cela aidé par quelques ouvriers armuriers.

La photographie suivante, réalisée par Jean Archenoul, montre l’armurerie du 149e R.I. installée en Artois, au château de Bouvigny, en octobre 1915.

Armurerie du 149e R

Le 28 mars 1916, le caporal Soirot est nommé sergent armurier. Son régiment est à Verdun depuis le début du mois.

Les années de guerre passent. Il ne compte plus les armes réparées qui sont passées entre ses mains. L’armistice est signé le 11 novembre 1918. Le retour à la paix ne met pas fin à sa carrière. Il participe même à une nouvelle campagne au Maroc en 1921-1922, la guerre du Rif. Pour sa participation, il est d'ailleurs décoré de l’ordre du Ouissam Alaouite Cherifien.

Paul Jean Marie Adrien Soirot est promu adjudant maître armurier par décision ministérielle du 7 octobre 1924 (publication dans le J.O. du 9 octobre 1924).

Le 16 novembre 1926, il est affecté au service du 2e régiment d’aviation.

L’adjudant Soirot est admis dans le corps des sous-officiers de carrière à la date du 24 avril 1928. Il est promu adjudant-chef le 20 janvier 1933 (J.O. du 22 janvier 1933).

Il est ensuite affecté à la 2e escadre d’aviation légère de défense le 1er octobre 1933. Trois jours plus tard, il rejoint les rangs du 25e Régiment de Tirailleurs Algériens.

C’est dans cette unité qu’il termine sa carrière militaire. Le 26 juin 1937, il fait valoir ses droits à la pension de retraite d’ancienneté. Le jour même, il est rayé du contrôle, ce qui le dégage de toute obligation militaire à partir de cette date. Il a porté l’uniforme pendant presque trente ans.

Le 25 avril 1959, il épouse Marguerite Aline Henriette Ganaye à Chennegy, dans le département de l’Aude.

Paul Jean Marie Adrien Soirot décède le 20 mai 1965 à Bondy, commune de la Seine-Saint-Denis, située dans la banlieue nord-est de Paris, à l’âge de 77 ans.

Décorations obtenues :

Médaille militaire par décret du 7 juillet 1927 (J.O. du 10 juillet 1927).

Chevalier de l’ordre du Ouissam Alaouite Cherifien le 21 février 1927.

Pour prendre connaissance de la généalogie de Paul Jean Marie Adrien Soirot, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Sources :

La fiche signalétique et des services de l’armurier Soirot a été consultée sur le site des archives départementales de la Haute-Marne.

La photographie représentant les armuriers et le portrait de Paul Jean Marie Adrien Soirot dessiné par Jean Archenoul proviennent du fonds Archenoul.

Un grand merci à M. Bordes, à J. Breugnot, à S. Agosto, à A. Carrobi, aux archives départementales de la Haute-Marne, à la mairie d’Épinal  et  au Service Historique de la Défense de Vincennes.

13 mars 2020

Jean Pierre Gagne (1895-1915).

Jean Pierre Gagne

Jean Pierre Gagne voit le jour le 19 juin 1895 dans une exploitation agricole, à Maiguezin, où travaille son père.

Ce lieu-dit du département de la Haute-Loire est situé au nord-est de la petite commune de Salettes, dont il dépend administrativement.

Son père, Jean Pierre, est âgé de 39 ans. C’est un homme qui exerce le métier de cultivateur, mais qui n’est pas propriétaire de ses terres. Sa mère, Rosine Rolland, est une femme de 30 ans qui travaille comme ménagère. Elle a déjà donné vie à 5 enfants. Trois n’ont pas survécu. Elle donnera encore naissance à un garçon après l’arrivée de Pierre.

Le registre matricule de Pierre nous indique qu’il est en possession d’un degré d’instruction de niveau 3. Cet adolescent aux yeux bleus sait donc lire écrire et compter lorsqu’il quitte l’école communale de Salettes.

Une fois son enseignement primaire achevé, il n’est pas question pour lui de poursuivre des études. Pierre doit vite aller gagner sa vie en tant qu’agriculteur, probablement pour labourer les mêmes champs que son père ou des parcelles avoisinantes.

En 1911, quatre des enfants du couple Gagne vivent encore sous le même toit. Pierre est alors âgé de 17 ans. Il partage toujours ses repas à la table familiale avec deux de ses sœurs et son petit frère Louis.

Conscrit de la classe 1914, Pierre est inscrit sous le numéro 39 du canton de Le Monastier. Le travail physique de paysan qu’il pratique depuis plusieurs années a fait de lui un homme robuste. Il est solide comme un roc. C’est donc sans surprise qu’il se retrouve déclaré bon pour le service armé par le médecin militaire du conseil de révision.

Cette même année, un conflit majeur, d’abord européen puis mondial, qui durera plus de quatre ans, débute en août 1914. En cette chaude période d’été, Pierre n’est pas encore sous les drapeaux. Ne souhaitant pas signer d’engagement volontaire, il sait simplement qu’il devra bientôt abandonner la charrue pour aller faire ses classes.

Il quitte le département de la Haute-Loire pour celui de l’Isère à la mi-décembre 1914.

Le 17 décembre, Pierre est à Grenoble pour y intégrer une des compagnies de dépôt du 140e R.I..

Le 3 mars 1915, il est envoyé au 414e R.I. un régiment qui vient tout juste d’être créé. Il est à peine formé au métier de soldat avec, comme seul bagage, ses deux mois d’apprentissage militaire.

Le 10 juin 1915, il est affecté au 158e R.I.. Le 21, il est muté au 149e R.I. sans avoir mis les pieds dans une des compagnies combattantes du régiment lyonnais.

Le 149e R.I., commandé par le lieutenant-colonel Gothié, combat en Artois depuis de nombreux mois. Le secteur occupé est particulièrement dur. Les pertes sont sévères à chaque fois que le régiment est engagé.

Pierre Gagne est affecté à la 12e compagnie du régiment qui a été particulièrement malmenée au cours des attaques des jours précédents. Ces attaques ont permis la prise du fond de Buval, longtemps convoité par les Français.

Le soldat Gagne participa probablement à toutes les opérations de sa compagnie jusqu’à la date de son décès.

Le 26 septembre 1915, le 149e R.I. est engagé dans une vaste offensive commencée la veille.

Une série d’attaques menées par les unités de la 43e D.I. doit permettre la prise du bois en Hache. Ce n’est que théorique, toutes ces offensives échouent. Le soldat Gagne trouve la mort au cours de l’une d’entre elles.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Lieutenant-colonel Gothie 26 septembre 1915

Suite aux témoignages fournis par les soldats Augustin Honorat et Auguste Humbert qui l’ont vu tomber sur le champ de bataille, l’acte de décès de Pierre Gagne est établi le 5 octobre 1915 par l’officier d’état civil du 149e R.I., le sous-lieutenant Alexandre Mortemard de Boisse.

L’acte de décès de Pierre est transcrit à la mairie de Salettes le 7 mars 1916.

Le soldat Gagne a été décoré de la Médaille militaire à titre posthume (J.O. du 6 octobre 1920) :

« Excellent soldat dévoué et actif. Mortellement frappé le 26 septembre 1915, en se portant courageusement à l’attaque des tranchées allemandes devant Angres. »

Cette citation lui donne également droit à la Croix de guerre avec étoile de bronze.

Monument aux morts de Salettes

Le nom de ce jeune soldat âgé de 20 ans est gravé sur le monument aux morts de la commune de Salettes et sur la plaque commémorative qui a été fixée à l’intérieur de l’église du village.

Il n’y a pas de tombe individuelle militaire connue qui porte le nom de cet homme. Il repose peut-être dans un des ossuaires de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

Pierre Gagne ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance.

La généalogie de cet homme originaire de la Haute-Loire peut se consulter en cliquant une fois sur le lien suivant.

Geneanet

Sources :

Fiche signalétique et des services consultée sur le site des archives départementales de la Haute-Loire.

Les sites « Mémoire des Hommes » et « MémorialGenWeb » ont également été compulsés.

Une recherche a été effectuée sur le registre de recensement de l’année 1911 de la commune de Salettes. Ce registre est disponible sur le site des archives départementales de la Haute-Loire.

Le portrait de Jean Pierre Grave et la photographie du monument aux morts de la commune de Salettes proviennent du site « MémorialGenWeb ».

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à S. Protois, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives départementales du département de la Haute-Loire.

6 mars 2020

Claude Marius Michoud (1885-1928).

Claude Marius Michoud

Claude Marius Michoud est né le 21 novembre 1885 à Saint-Quentin-Fallavier, une commune située en Isère, en bordure du département du Rhône.

Son père, Jean Claude, dit « Michon », est âgé de 22 ans. C’est un ancien domestique qui travaille comme cultivateur depuis qu’il s’est marié avec Marie Antoinette Odet le 19 février 1885. Cette femme a 24 ans lorsqu’elle accouche de son premier enfant.

En 1893, Marie Antoinette donne vie à une fille qui est prénommée Francia Véronique. En 1899, elle met au monde un garçon, Louis, qui décède à l’âge de 3 mois.

La fiche signalétique et des services de Claude Michoud nous indique qu’il possède un degré d’instruction de niveau 3. Il quitte le système scolaire en sachant lire, écrire et compter.

À l’âge de 15 ans, Claude vit à Lyon. Il travaille comme employé chez un certain Monsieur Jarnon.

En 1906, il gagne sa vie dans un commerce géré par des membres de sa famille. C’est également l’année où il doit se présenter devant le conseil de révision. Il est atteint de cryptorchidie. Ce problème testiculaire l’exempte de ses obligations militaires.

Il occupe toujours son poste d’employé lorsque la guerre contre l’Allemagne commence en août 1914. Très rapidement, les instances militaires sont dans l’obligation de rappeler une grande majorité des exemptés. Il faut combler les pertes impressionnantes des premières semaines du conflit. Claude Michoud est donc de nouveau convoqué devant le conseil de révision, mais il ne répond pas à cette injonction. Le jeune homme est automatiquement déclaré « bon absent ».

Claude est incorporé au 99e R.I. Cette unité a son dépôt à Vienne, une ville située à une trentaine de kilomètres de Saint-Quentin-Fallavier. Il arrive au corps le 17 février 1915.

Sa formation militaire est rapide. Le 9 juin 1915, il est affecté au 158e R.I. puis douze jours plus tard, au 149e R.I..

Versé à la 3e compagnie du régiment, Claude participe aux combats du mois de septembre 1915 en Artois.

Son unité est envoyée de toute urgence dans le secteur de Verdun en mars 1916. Les Allemands y ont lancé une vaste offensive qui risque de rompre la ligne de front.

Le 1er bataillon du 149e R.I. est désigné pour tenter de reprendre aux Allemands le village de Vaux-devant-Damloup le 2 avril 1916.

Cette opération est un échec. Le 1er bataillon du régiment fut dans l’impossibilité de déloger l’ennemi qui a réussi à se maintenir sur sa position. Les pertes sont importantes. De nombreux soldats ont été capturés. C’est le cas de Claude Michoud.

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Commandant Magagnosc et sous lieutenant Auvert

Une fiche individuelle qui porte son nom est consultable sur le site du Comité International de la Croix Rouge.

Fiche C

Le soldat Michoud est, dans un premier temps, interné à Darmstadt dans le grand duché de Hesse. Il est ensuite transféré à d’Heilsberg en Prusse orientale.

Camps de prisonniers ou a été interne Claude Michoud

Après plus de deux ans et demi de captivité, il est rapatrié d’Allemagne, un mois après que les clairons aient appelé au cessez-le-feu. Le 19 janvier 1919, Claude Michoud est de retour au 99e R.I..

Le 16 avril 1919, il est envoyé en congé illimité de démobilisation. Il retourne un temps à Saint-Quentin-Fallavier. En 1921, il est de nouveau installé à Lyon. Claude vit au 33 de la place Bellecourt chez une dénommée Madame Mauchamps.

Il devient voyageur de commerce.

Claude Michoud décède le 16 février 1928 dans sa commune natale, à l’âge de 43 ans. Il repose auprès de ses parents et d’autres membres de sa famille dans le cimetière communal de Saint-Quentin-Fallavier.

Sepulture famille Michoud

Pour avoir accès à la généalogie de cet homme, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Geneanet

Claude ne s’est pas marié.

Sources :

La fiche signalétique et des services de Claude Marius Michoud, les registres d’état civil et les registres de recensement des années 1901 et 1906 ont été consultés sur le site des archives départementales de l’Isère.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi et aux archives départementales de l’Isère.

28 février 2020

Georges Léon Horiot (1890-1915)

Georges Leon Horiot

 

Le 18 novembre 1886, Léon Arthur Horiot, surveillant général au collège de Remiremont, épouse Clarisse Mougenot dans la commune de Lure. Le couple s’installe ensuite à Langres. Le 9 mars 1887, Clarisse donne naissance à une fille qui fut prénommée Germaine Claire.

 

Léon obtient un poste de professeur au collège de Luxeuil-les-Bains, une petite ville thermale située au nord-est de Vesoul. C’est dans cette commune que Georges Léon Horiot voit le jour le 31 mai 1890.

 

Genealogie famille Horiot

 

Le métier de son père, qui devait certainement être très attentif à sa scolarité, et sa profession de comptable à la société générale confirment une maîtrise parfaite de l’écriture et des chiffres. Cependant, il est impossible de dire si Georges a poursuivi ses études jusqu’au collège. Sa fiche signalétique et des services nous indique simplement qu’il détient un degré d’instruction de niveau 3.

 

Un an avant sa majorité, il est convoqué devant le conseil de révision. Le jeune homme ne s’y présente pas. Son absence devant les instances officielles, volontaire ou non, le fait déclarer d’office « bon pour le service armé ».

 

Quelque temps plus tard, il reçoit sa feuille de route qui le convoque à rejoindre un régiment d’infanterie vosgien.

 

Le 1er octobre 1911, Georges Horiot arrive à Épinal. Il intègre une des compagnies du 149e R.I.. Son capitaine le fait inscrire au peloton des élèves caporaux, grade qu’il obtient le 15 avril 1912.

 

Georges est nommé sergent le 26 septembre 1912. Ses supérieurs ont sans doute pensé qu’il pourrait faire un excellent sergent fourrier. En tout cas, il possède l’instruction requise pour exercer ces fonctions.

 

L’application de l’article 33 de la loi du 21 mars 1905 le maintient sous les drapeaux plus longtemps que prévu. Georges finit par être envoyé dans la réserve de l’armée active le 8 novembre 1913. Mises à part les périodes d’exercices obligatoires, il pense en avoir terminé avec les affaires militaires.

 

Mais c’est sans compter sur les évènements politiques qui vont conduire le monde tout droit vers un conflit armé sans précédent.

 

Georges est rappelé à l’activité par l'ordre de mobilisation générale du 1er août 1914. Trois jours plus tard, il endosse à nouveau son uniforme de sergent.

 

Selon sa fiche signalétique et des services, ce sous-officier aurait échappé à toute blessure entre le moment où il quitte la caserne Courcy et la date de sa mort. Ce qui relève de l’exception. En effet, peu d’hommes du régiment ont pu traverser une période aussi longue sans aucune « égratignure », surtout durant la période allant du début du mois d’août 1914 à la fin du mois de septembre 1915.

 

Registre matricule incomplet, poste administratif occupé de façon temporaire au sein du régiment ou « chance incroyable » ? Il est impossible de le dire.

 

Tout ce que nous savons de manière sûre, c’est qu’il servait à la 11e compagnie, peu de temps avant sa mort.

 

Le 25 septembre 1915, le 149e R.I. participe à une offensive de grande ampleur. Les 12 compagnies constituent la réserve de division. La 43e D.I. vient de recevoir l’ordre de s’emparer du bois en Hache au sud-ouest d’Angres.

 

Le lendemain, la 11e compagnie du régiment spinalien, sous les ordres du capitaine Prenez, passe à l’offensive.

 

Le sergent Horiot est tué aux alentours de 23 h 30 alors qu’il participait à l’organisation de la position enlevée aux Allemands.

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante. 

 

Carte 2 journée du 26 au 27 septembre 1915

 

L’acte de décès de ce sous-officier âgé de 25 ans a été transcrit à la mairie de Luxeuil-les-Bains le 4 août 1916.

 

Le sergent Horiot est cité à l’ordre n° 121 de la Xe armée (J.O. du 21 décembre 1915).

 

« Le 26 septembre devant Angres, s’est porté à l’attaque des lignes ennemies en entraînant sa demi-section. Tué le soir de l’assaut pendant l’organisation de la position conquise. »

 

Il fut également décoré de la Médaille militaire à titre posthume avec la même citation (J.O. du 6 octobre 1920).

 

Georges est resté célibataire et n’a pas eu de descendance.

 

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Luxeuil-les-Bains ainsi que sur la plaque commémorative qui se trouve à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre de la commune.

 

Il n’y a pas de sépulture connue pour cet homme.

 

Sources :

 

La Fiche signalétique et des services et le registre de recensement de l’année 1911 de la commune de Luxeuil-les-Bains ont été consultés sur le site des archives départementales de la Haute-Saône.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi et aux archives départementales de la Haute-Saône.

<< < 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 > >>
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
Visiteurs
Depuis la création 837 063
Newsletter
41 abonnés
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.