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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.

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23 juin 2014

Carnets de Raymond Bonnefous... Les combats dans le secteur d'Arcy-Sainte-Restitue.

Raymond_Bonnefous__Arcy_Sainte_Restitue_

Une fois de plus, un très grand merci à N. Bauer, pour son autorisation de publier ici un nouveau passage du carnet laissé par son grand-père Raymond Bonnefous.

27 mai 1918

Ordre subit et inattendu à 9 h 00 à la suite duquel, après une série d’ordres et contre-ordres, nous embarquons en camion à 20 h 00. Roulons toute la nuit.

28 mai 1918

Arrivons à 9 h 00 à Arcy-Sainte-Restitue, où nous apprenons que les Allemands sont à 4 kilomètres d’ici. Le bataillon se déplace aussitôt en direction de Cuiry-House et de Tannières et progresse jusqu’au chemin de Cuiry-House et de Branges où il se maintient jusqu’à la tombée de la nuit. Alors vive attaque allemande qui nous force à nous replier jusqu’en arrière du chemin de Branges à la route de Braine.

29 mai 1918

Nous passons la nuit dans des trous. À 4 h 00, vive attaque allemande. Nappes de balles, nombreux blessés, sommes obligés de reculer jusqu’en bas de la crête où nous tenons avec une trentaine d’hommes jusqu’à 10 h 00. Batterie. Rentrons à Arcy-Sainte-Restitue à 11 h 00. Déjeuner copieux. Nous replions à 1 h 00 sur Servenay ; bataillon éreinté. En tirailleurs jusqu’à 23 h 00 du côté de Servenay.

Carte_R_Bonnefous_Arcy_1

Legende_carte_R_Bonnefous_Arcy_1

30 mai 1918

Rentrons fourbus par Beugneux et Oulchy-le-Château à la Croix, nous cherchons de 4 h 00 à 7 h 00 pour repartir rejoindre dans les bois le T.C. où nous passons une heure. À midi, on prend position dans le village « le Charme », où nous sommes en réserve du 158. Nous passons la soirée dans une immense ferme, où on égorge volailles et lapins, où on vide les caves et les poulaillers.

Carte_R_Bonnefous_Arcy_2

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31 mai 1918

À 3 h 00, le bataillon se porte en position à quelques centaines de mètres en avant du village, en lisière du bois, et le commandant installe son P.C. dans un hangar au milieu d’un champ, et j’y reste avec lui. On y dort jusqu’à 10 h 00. À 11 h 00, alerte, nous sommes menacés d’encerclement et nous nous replions rapidement par les bois, descendons au Tartre pour remonter de l’autre côté en position. Sur la côte d’en face, on voit les Allemands avancer en colonne par quatre : nous ne tardons pas à nous replier jusqu’à Belleau, où nous faisons grand-halte. À 21 h 00, on mange et on se replie sur Bussiares, où on cantonne avec le régiment à 4 h 00.

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1er juin 1918

On en repart à 13 h 00 pour se diriger sur Marigny-en-Orxois. On y passe une heure et on revient sur nos pas pour se mettre en position à l’est du calvaire de Bussiares. P.C. dans un petit bois où on se creuse des trous, dans lesquels on passe une nuit tranquille.

2 juin 1918

Journée calme et ensoleillée. Mais à 17 h 00, violent tir d’artillerie sur toute la ligne, qui se replie vers 18 h 00 à 300 m en arrière. Je quitte le P.C. le dernier avec mon équipe et nous ramassons un blessé de la 2e que nous transportons à Champillon, que M. Richard a déjà abandonné. Il meurt en arrivant. Nous le laissons là et revenons sur nos pas. Le P.C. est installé dans une large haie où nous passons la nuit.

3 juin 1918

Au petit jour, on le recule de quelques mètres dans la même haie ; à 10 h 00, marmitage de la ligne. Derrière nous, une forte ligne américaine. À 11 h 00, on se replie de nouveau sous un violent marmitage pour se placer sous bois en avant de Champillon. Le marmitage, de plus en plus violent, nous force à abandonner la position et on se replie dans les bois en arrière de la ligne américaine. À la tombée de la nuit, on prend des positions de repli à la lisière du bois. À minuit, on apprend, enfin, que c’est la relève bienheureuse.

 4 juin 1918

À 3 h 00, le 4, on se replie par Marigny, qui vient d’être très marmité et au petit jour, on vient bivouaquer dans les bois au nord de la ferme Heurtebise. On y passe la journée et de nouveau la nuit.

Carte_R_Bonnefous_Arcy_4

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5 juin 1918

Rassemblement du bataillon. Capitaine Pougny : Légion d’honneur. Sergent Cazin : médaille militaire. Pendant le reste de la journée, on contemple les feuilles à l’envers, et à la tombée de la nuit, on descend par Dhuisy pour cantonner à Ocquerre.

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Sources :

Toutes les informations présentées dans cette petite notice m’ont été données par Nathalie Bauer, la petite-fille de Raymond Bonnefous.

Pour en savoir plus sur Raymond Bonnefous il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Raymond_Bonnefous

L’histoire de Raymond Bonnefous durant la Grande Guerre peut se lire dans le roman de N. Bauer « Des garçons d’avenir » publié en 2011 aux Éditions Philippe Rey.

Des_gar_ons_d_avenir__couverture__

Un grand merci à N. Bauer à M. Bordes et à A. Carobbi.

16 juin 2014

Du 1er au 6 juin 1918.

Bussiares_

Le 149e R.I. a effectué un mouvement de recul de plus de trente kilomètres, depuis le 28 mai, date de son arrivée dans le secteur d’Arcy-Sainte-Restitue. La lutte n’est pas terminée pour autant. Même s’il ne participe pas directement aux combats, le régiment va se trouver très proche de la première ligne au cours des journées suivantes.

1er juin 1918

Pour des facilités de commandement, la veille au soir, le secteur du front de la 43e D.I. a été organisé en deux groupements, un groupement nord et un groupement sud.

Les 1er, 31e, 43e et 59e B.C.P. ainsi que le 12e Bataillon malgache se retrouvent rattachés au groupement nord qui est mis sous l’autorité du  commandant de l’I.D. 43. Le 149e R.I. forme la réserve de ce groupement. Il s’installe à Marigny-sur-Orxois. Le 158e R.I. est lié au groupement sud qui est constitué avec le 367e R.I. le 152e R.I. et quelques unités de la 164e D.I.. Il est sous les ordres du commandant du 152e R.I.. Ces groupements sont constitués avec des effectifs réduits complètement épuisés par plusieurs jours de lutte consécutifs.

Les attaques allemandes sont toujours aussi violentes et les troupes françaises sont obligées de poursuivre leurs mouvements de recul tout au long de la journée. Des troupes américaines commencent à prendre position dans cette zone de combat.

En fin de journée, la première ligne française passe par la ferme la Granges, la croupe de la cote 123, la croupe située entre Veuilly et Eloup, le  bois au sud-ouest de Bussiares, Bussiares, Torcy, Belleau,  les lisières est du bois Belleau, Bouresches, le triangle, et le bois des Clérambaults.

Carte_nuit_du_1er_juin_1918

Legende_carte_nuit_du_1er_juin_1918

La ligne de front de la division s’étend maintenant sur une longueur beaucoup plus raisonnable. Le commandement est mieux organisé. Les unités sont soudées entre elles et bien reliées avec l’artillerie. La résistance va pouvoir être menée dans de meilleures conditions.

Le 1er bataillon du 149e R.I., sous l’autorité du commandant Hassler, vient occuper une position à l’est du calvaire de Bussiares où il  passe la nuit.

2 juin 1918

Le commandant du 149e R.I., le lieutenant-colonel Vivier, prend le commandement d’un groupement constitué du 1er B.C.P, de deux bataillons du 149e R.I. et du 367e R.I.. Cet officier installe son P.C. à la ferme des Mares.

À partir de 10 h 00, l’ennemi effectue, sur tout le front de la division et sur tous les points d’appui de la défense française, une violente préparation d’artillerie. La journée est très dure, elle se remplit d’une série d’attaques et de contre-attaques locales. Tard dans la nuit, les Allemands réussissent à porter leur ligne de front un peu plus au sud. Ils viennent de s’emparer de Montécouvé, Bussiares, Torcy et de Belleau. C’est autour de Belleau que la lutte a été la plus vive.

3 juin 1918

Le 149e R.I. se maintient toujours à proximité de la première ligne. Il est dans le secteur de Bussiares. Des éléments du régiment occupent la cote 142, la Tuillerie et la ferme des Mares. Le 1er bataillon du 149e R.I. est positionné dans un petit bois en avant du petit village de Champillon. Plusieurs hommes de la C.H.R. sont tués au cours de la journée dans le secteur de Marigny-en-Orxois.

Positions_occup_e_par_le_149e_R

Legende_carte_journee_du_3_juin_1918

Vers 19 h 00, des éléments du 1er B.C.P., du 133e R.I. et du 149e R.I. se replient malgré l’ordre formel de maintenir les positions. Le lieutenant-colonel Vivier impose le rétablissement de la situation devant la ferme des Mares. Il faut absolument stopper tous les fuyards pour les regrouper et les renvoyer sur leurs positions.

Cette journée reste encore marquée par de violents combats, les attaques allemandes sont toujours très mordantes, mais les Français, soutenus par les premières unités américaines, ne perdent presque plus de terrain.

Les combats cessent en fin de journée. La relève est annoncée. Le 149e R.I. et les autres éléments de la 43e D.I. vont pouvoir être progressivement relevés, au nord, par les troupes américaines de la 2e D.I.U.S., au sud par la 167e D.I..

4 juin 1918

Le 1er bataillon du 149e R.I. est maintenant près de la ferme Heurtebise. Les hommes du commandant Hassler s’installent dans ce secteur pour la nuit. Les premiers éléments de la 43e D.I. commencent à se rassembler dans le secteur de Dhuisy.

5 et 6 juin 1918 

Lieux_de_cantonnement_du_149e_R

 Les 1er et 2e bataillons du 149e R.I. cantonnent à Ocquerre. Le 3e bataillon s’intalle à Rademont. Le régiment est très éprouvé. Les Allemands ont capturé une grande partie du 2e bataillon ainsi qu’un nombre important d’hommes appartenant aux  9e et 11e compagnies.

                                    Tableau des tués pour les journées du 1er au 6 juin 1918

                         Sépultures individuelles des tués pour les journées du 1er au 6 juin 1918

Sources :

J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 344/5.

J.M.O. du 13e Groupe de Chasseurs. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 560/6.

J.M.O. du 1er  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 819/5.

J.M.O. du 31e  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 826/29.

J.M.O. du 1er Régiment de Chasseurs Malgaches. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 875/1

J.M.O. du 367e R.I. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 764/4.

Historique du 149e Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

 « Une manœuvre en retraite, opération de la 43e D.I. du 27 mai au 4 juin 1918 » du lieutenant-colonel de Charry.  Revue militaire française tome 35. Librairie militaire Berger-Levrault 1930.

La carte du 1er juin 1918 a été réalisée simplement à partir des indications trouvées dans les J.M.O. cités dans les sources. La marge d’erreur indiquant les emplacements des différents bataillons et régiments risque d’être assez importante. Cette carte n’est là que pour se faire une idée approximative des positions des unités de la 43e D.I. et des éléments qui lui sont rattachés au cours de cette journée du 1er juin 1918.

La liste des tués pour ces journées allant du 1er au 5 juin 1918 a été établie uniquement à partir de l’historique du 149e R.I., elle reste certainement incomplète.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

9 juin 2014

31 mai 1918.

Les_enfants_du_midi

Les unités de la 43e D.I. et les éléments qui lui sont attachés vont, de nouveau, subir la pression des attaques allemandes. L’ennemi a pu rapprocher son artillerie de la 1ère ligne. Jusqu’à maintenant, l’action de ses canons ne s’était pas fait très sérieusement sentir. Dès les premières heures du jour, les Allemands reprennent leur vigoureuse offensive avec ce nouvel appoint. Le mouvement de repli des Français va se poursuivre tout au long de la journée. Le 149e R.I., qui est sous l’autorité du lieutenant-colonel Vivier, et le seul régiment de la division à ne pas avoir combattu la veille, se trouve, une seconde fois, sur les lieux des combats. Il vient occuper une partie du bois de Bonnes. Les renforts de la 164e D.I. qui étaient annoncés la veille commencent à prendre position dans le secteur de la 43e D.I..

Le 31e B.C.P. occupe la lisière nord-est du bois de Bonnes, le 1er B.C.P. occupe la cote 211. Un bataillon du 149e R.I. vient s’intercaler entre ces deux bataillons de chasseurs. Des éléments du 152e R.I. occupent également le bois de Bonnes.

Le 1er et le 31e B.C.P. passent sous le commandement du lieutenant-colonel Vivier. Celui-ci organise les positions et le commandement des unités qui se retrouvent sous ses ordres. La tâche est particulièrement difficile à mettre en œuvre étant donné l’enchevêtrement des troupes.

Vers 14 h 30, le responsable du 149e R.I. essaye de rentrer en contact avec le 133e R.I., un régiment qui se trouve sur son aile gauche. Il demande au commandant le Bleu du 1er B.C.P. de venir combler l’espace entre le 133e R.I. et le 149e R.I.. Des éléments du 152e R.I. qui se trouvaient dans ce secteur viennent de se reporter plus à l’ouest, laissant un vide entre le 149e R.I. et le 133e R.I. Le commandant le Bleu a pour mission de surveiller attentivement le secteur en direction de Lattilly. Il doit pouvoir signaler tout mouvement de l’ennemi qui pourrait déborder dans cette partie du front. À ce moment, le lieutenant-colonel Vivier ignore pratiquement tout de ce qui se passe dans cette zone.

Journee_du_31_mai_1918_carte_1

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Vers 16 h 30, le commandant le Bleu fait savoir au lieutenant-colonel Vivier qu’une de ses compagnies est parvenue à faire la liaison avec les éléments de gauche du 149e R.I.. Cette compagnie va de l’angle ouest (cote 211) pour s’étendre sur un front de 350 m avant de rejoindre le 149e R.I.. Des éléments du 133e R.I. sont signalés dans le secteur de la ferme Allondray.

 Au cours de l’après-midi, le bois de Bonnes est violemment bombardé. Le 149e R.I. parvient à maintenir ses positions tout en résistant aux attaques ennemies.

Des éléments du 149e R.I. combattent dans le secteur du 214e R.I., ils sont sous les ordres du responsable de ce régiment.

Vers 19 h 00, les hommes du lieutenant-colonel Vivier tiennent toujours le bois de Bonnes mais le régiment est maintenant menacé d’enveloppement. Les Allemands débouchent d’Epaux et du Tartre. Il est temps, pour le 149e R.I. de quitter ses positions.

 Une heure plus tard, le 149e R.I. évacue la lisière nord du bois de Bonnes pour se reformer sur les pentes au nord-est et au sud-est de Bonnes en cédant le terrain pied à pied. Les éléments du 152e R.I. qui occupaient la lisière est du bois de Bonnes se replient également.

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À la nuit tombante, les Allemands stoppent leur offensive. La nouvelle première ligne française passe par les lieux suivants : Cote 180, Sommelans, Bonnes, moulin du Pré, bois au sud-est. d’Etrepilly et la ferme de la Grande Picardie.

Ce front est tenu par le 133e R.I., le 367e R.I., le 152e R.I., le C.I.D. de la 164e D.I. et par des éléments des 214e R.I., 252e R.I. et 356e R.I..

Les unités de la 43e D.I. se regroupent plus en arrière pour constituer la réserve.

Les 1er et 31e B.C.P. s’installent à Montécouvé. Le 158e R.I. occupe Torcy. Le 149e R.I. prend position à Bussiares. Les 43e, 59e B.C.P. et le 12eClignon. Les unités de la 43e D.I. ont mené un combat de retraite ininterrompu, particulièrement éprouvant durant toute cette journée.

Le front occupé par la division a été tenu par des unités particulièrement diminuées, tant dans leurs effectifs que dans leurs capacités à résister. Même si l’arrivée de la 164e D.I. a permis d’étoffer cette partie du front, de nombreuses infiltrations de patrouilles ennemies se sont produites aux points faibles de la ligne de front. Celles-ci ont fait tomber, par mouvements de débordement, les résistances successives, qui ont été dans l’obligation de reculer pour ne pas être capturées.

La fatigue, l’énervement de tous, les nuits sans sommeil, sont les lourdes conséquences liées aux combats incessants des journées précédentes. Elles sont maintenant à leur comble. Les unités de la 43e D.I. sont épuisées. Vers l’arrière, on croise sur les routes des colonnes de voitures appartenant aux formations les plus diverses. La situation en cette fin de journée du 31 mai reste particulièrement critique.

                                        Tableau des tués pour la journée du 31 mai 1918

                              Sépultures individuelles des tués pour la journée du 31 mai 1918  

Sources :

J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 344/5.

J.M.O. du 13e Groupe de Chasseurs. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 560/6.

J.M.O. du 1er  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 819/5.

J.M.O. du 31e  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 826/29.

J.M.O. du 1er Régiment de Chasseurs Malgaches. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 875/1.

J.M.O. du 133e R.I.. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 688/14.

J.M.O. du 152e R.I.. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 697/15.

J.M.O. du 214e R.I.. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 716/12.

J.M.O. du 356e R.I.. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 760/13.

J.M.O. du 367e R.I.. S.H.D. de Vincennes : Réf : 26 N 764/4.

 Historique du 149e Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

« Une manœuvre en retraite, opération de la 43e D.I. du 27 mai au 4 juin 1918 » du lieutenant-colonel de Charry.  Revue militaire française tome 35. Librairie militaire Berger-Levrault, 1930.

Les deux cartes, qui peuvent se voir ici, ont été réalisées simplement à partir des indications trouvées dans les J.M.O. cités dans les sources. La marge d’erreur indiquant les emplacements des différents bataillons et régiments risque d’être assez importante. Ces cartes ne sont donc là que pour se faire une idée approximative des positions des unités de la 43e D.I. et des éléments qui lui sont rattachés au cours de cette journée du 31 mai 1918.

La liste des tués pour cette journée du 28 mai 1918 a été établie uniquement à partir de l’historique du 149e R.I., elle reste certainement incomplète.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

2 juin 2014

30 mai 1918.

La_Croix__Aisne_

Après les combats qui ont permis leur avancée, les Allemands ont cessé de se battre la veille au soir. La nuit s’écoule dans un calme relatif.

Le général Degoutte, responsable du 21e C.A., demande au général Michel de la 43e D.I. de faire attaquer sa division.

En effet, considérant le surcroît de forces que la 43e D.I. tirait de l’arrivée du 12e bataillon malgache et des 43e et 59e B.C.P., le 30 mai, dès le lever du jour, le responsable du 21e C.A. ordonne au général Michel de porter ces unités fraîches à l’attaque. Il espère ainsi déplacer le front sur les hauteurs de Villeneuve-sur-Fère.

Malheureusement, les deux bataillons du lieutenant-colonel Dussauge débarquent avec beaucoup de retard dans le secteur de Rocourt-Saint-Martin. Ceux-ci étaient attendus depuis la veille, mais le 43e B.C.P. n’arrive que vers 7 h 30 et le 59e B.C.P. vers 11 h 30.

L’attaque française projetée ne peut donc pas avoir lieu. Le soleil est à peine levé que les Allemands reprennent leur offensive.

Une vive attaque ennemie rejette les Malgaches aux abords du ruisseau de Coincy. La 43e D.I. se trouve de nouveau en position défensive malgré les derniers renforts qu’elle vient de recevoir.

Le 149e R.I. est le seul régiment de la division qui ne va pas être engagé au cours de cette journée.Il quitte le village de la Croix aux environs de 7 h 00, pour prendre la direction du petit village de Charme. Il doit se mettre en réserve du 158e R.I..

Deux bataillons du 158e R.I. occupent le bois du Châtelet, son troisième bataillon s’installe à Bézu-Saint-Germain.

Vers 10 h 30, un incident fâcheux, qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour la 43e D.I.,  se déroule à l’extrême droite de la division. Les unités du 214e R.I., un régiment appartenant à la 157e D.I., occupent une position au sud d’Épieds en prolongement des éléments du C.I.D./43 qui se trouvent à la droite du 158e R.I..

En plein cœur des combats, il reçoit un ordre venu, on ne sait trop d’où, qui l’oblige à rompre la lutte. Il doit immédiatement se replier vers l’ouest. Aussitôt, l’ennemi profite de l’ouverture laissée par cette brèche pour s’y s’infiltrer et menacer à nouveau la droite de la 43e D.I..

Heureusement, cette progression est vite enrayée. Le général Michel envoie dans ce secteur, le commandant Dufor avec une cinquantaine d’hommes qui proviennent tous du C.I.D./43. Voilà un renfort bien modeste ! Celui-ci à pour tâche d’arrêter la progression des patrouilles allemandes au sud de Bézu-Saint-Martin. Le général Michel réussit également à faire stopper les éléments du 214e R.I. et à les faire remonter en 1ère ligne.

Plus au sud, deux bataillons du 33e R.I.C. de la 10e D.I.C., qui ont été également mis à la disposition de la 43e D.I., sont engagés à Verdilly. Un violent combat les opposent aux Allemands qui occupent déjà la cote 217 à 1 km nord de Verdilly. Le commandant Dufor doit faire la jonction avec ces deux bataillons.

À la gauche de la division, le 1er B.C.P.  doit se replier d’Armentières sur Breny tout en maintenant la liaison avec la 4e D.I.. Le 31e B.C.P. s’installe à l’est de la route la Croix-Grisolles en liaison, à sa droite, avec le 43e  B.C.P. et, à sa gauche, avec le 1er B.C.P..

À 14 h 30, la nouvelle ligne de front de la division passe par Breny, la Haie, Rocourt-Saint-Martin, le bois du Chatelet, Bézu-Saint-Germain, Bézuet.

La situation ne se modifiera pas jusqu’aux premières heures du 31 mai.

Carte_journ_e_du_30_mai_1918

Legende_carte_journee_du_30_mai_1918

Durant cette journée du 30 mai, la division ne cède qu’une faible profondeur de terrain. Mais la situation reste critique. À la fin de ce troisième jour de combat, les unités sont très éprouvées, tant par les pertes subies que par la fatigue. Là-dessus se rajoutent les fortes chaleurs de cette fin de mois de mai. La division a  déployé toute l’infanterie dont elle dispose sur un front qui atteint près de 20 kilomètres. Toute nouvelle poussée de l’ennemi risque fort de faire craquer ce dispositif d’une tenue si précaire.

De nouveaux renforts sont annoncés.     

                                         Tableau des tués pour la journée du 30 mai 1918    

                              Sépultures individuelles des tués pour la journée du 30 mai 1918

Sources :

J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 344/5.

J.M.O. du 1er  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 819/5.

J.M.O. du 31e  B.C.P.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 826/29.

J.M.O. du 1er Régiment de Chasseurs Malgache. Réf : 26 N 875/1.

J.M.O. du 13e Groupe de Chasseurs. Réf : 26 N 560/6.

Historique du 149e Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

« Une manœuvre en retraite, opération de la 43e D.I. du 27 mai au 4 juin 1918 » du lieutenant-colonel de Charry.  Revue militaire française tome 35. Librairie militaire Berger-Levrault  1930.

La liste des tués pour cette journée du 28 mai 1918 a été établie uniquement à partir de l’historique du 149e R.I., elle reste certainement incomplète.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

26 mai 2014

Ils n'étaient que des hommes... Un cas de désertion collective en Artois.

Bois_en_Hache_vue_aerienne

Je remercie vivement Daniel Gothié, le petit-fils du lieutenant-colonel Gothié, qui vient de me donner son autorisation, pour que je puisse publier ici de nouveaux documents issus de sa collection personnelle.

Localisation_du_bois_en_Hache

Premier décembre 1915, le secteur dans lequel se trouve le 149e R.I. n’est plus le théâtre d’attaques coûteuses en vies humaines. Les dernières datent du mois de septembre. Les positions françaises et allemandes se sont stabilisées depuis plusieurs semaines.

À cette date, une partie du bois en Hache est occupée par des éléments du 2e bataillon du 149e R.I..

Position_approximative_occup_e_par_la_8e_compagnie

Même s’il n’y a plus de combats de grande envergure dans cette partie du front, la vie quotidienne en première ligne reste particulièrement éprouvante. Les hommes souffrent des conditions climatiques déplorables. La pluie survenant en même temps que le dégel cause de sérieux dégâts dans les voies de communication. La boue et l’eau sont partout… Dans cette situation, les ravitaillements et les relèves se font avec beaucoup de difficultés.

Pour certains hommes, le cafard est au rendez-vous… Une poignée de soldats de la 8e compagnie du 149e R.I., qui est installée dans un petit poste avancé, se prépare à commettre « l’irréparable »…

 Mais revenons tout d’abord sur les évènements qui se sont déroulés quelques jours auparavant.

Sous_secteur_centre_de_la_43e_D

Depuis le 24 novembre, le 158e R.I. et le 149e R.I. alternent par périodes de 4 jours dans le sous-secteur centre occupé par leur division. Deux bataillons sont en première ligne, le dernier est en soutien et en réserve. Pour le 149e R.I., les relèves se font tous les deux jours par demi-bataillon pour le 1er bataillon et tous les quatre jours pour chacun des 2e et 3e bataillons. Chaque compagnie passe un jour en 2e ligne, deux jours en  1ère ligne et un jour en soutien. Le 25 novembre, le capitaine Huet du 149e R.I. fait une reconnaissance approfondie de secteur, à la suite de laquelle il va rédiger un long rapport.

Concernant la zone qui nous intéresse, il écrit ceci :

« Dans le secteur k2-k32-g1, l’eau monte jusqu’à la cheville en de nombreux endroits. Le barrage de la sape k32 vers k33 est à 20 m environ du barrage allemand (sacs de terre verts).

La tranchée qui est située entre g1 et g19, d’une profondeur d’1 m 20 à 1 m 30 est remplie d’eau qui monte jusqu’au genou sur 20 m environ au nord de g1. »

Croquis_du_capitaine_Huet

De manière exceptionnelle, le 2e bataillon entre dans le sous-secteur centre dans la nuit du 28 au 29 novembre, pour y rester 5 jours au lieu de 4.

Une section de la 8e compagnie, qui est sous l’autorité du sous-lieutenant Salin, s’installe dans le secteur de g1 et de k32.

Nous savons, d’après le rapport du capitaine Huet, que cette zone a été particulièrement abîmée par les conditions météorologiques instables des journées précédentes.

Grâce aux documents fournis par le petit-fils du lieutenant-colonel Gothié, nous connaissons la composition exacte du peloton dans lequel se trouve la section évoquée.

Composition_du_premier_peloton

Des hommes de la 1ère escouade et de la 2e escouade de la 1ère section occupent un petit poste en g1 depuis le 30 novembre. Ils sont tous sous l’autorité du sergent Ferry.

Le 1er décembre, le sous-lieutenant Salin envoie la relève à 21 h 00. Vers 22 h 00, le capitaine Jeské, qui commande la 8e compagnie, est informé que le petit poste a été trouvé complètement vide ! Tous les hommes ont disparu, ceux qui étaient dans le petit poste depuis la veille et ceux de la relève ! Au total, 18 hommes manquent à l’appel.

Composition_peloton__2_

Un rapport circonstancié, rédigé par le capitaine Jeské, évoque les évènements qui viennent de se dérouler.

 « Dans la journée du 1er décembre, la 8e compagnie occupait la tranchée de 1ère ligne dans le secteur du bois en Hache entre g1 et k2. La 1ère section occupe la tranchée à droite du point k2. Cette section fournissait un petit poste en g1 distant de la tranchée d’une cinquantaine de mètres.

Dans ce petit poste se trouvaient, depuis la veille, le sergent Ferry, les caporaux Paradis et Dubouis, les soldats Becker, Bigot, Musset, Pierrat, Verlassen. Le poste allemand d’en face se trouvait à environ 25 mètres.

Le chef de section, le sous-lieutenant Salin, avait son poste en k32. Vers 18 h 00, il désigna le sergent Raimond, le caporal Joly et les soldats André, Barthoulot, Guiniéri, Jobard, Muller, Galopin et Villette pour relever la garde du petit poste.

Cette relève devait se faire vers 21 h 00, lorsque les hommes auraient mangé. Les cuisiniers  Laudry et Messenterre, de la 1ère section, arrivèrent vers 20 h 30 dans la tranchée, servirent les hommes qui s’y trouvaient et partirent ensuite pour le petit poste. Le sergent Raimond partit alors avec les hommes désignés pour relever le sergent Ferry. Vers 22 h 00, j’ai été prévenu par le sous-lieutenant Salin que les hommes du petit poste et ceux de la relève du même poste avaient disparu. D’après les déclarations du caporal Dubuis, le sergent Raimond aurait dit au sergent Ferry, en arrivant dans le petit poste, qu’il fallait placer les fils de fer en avant de ce petit poste. Ceci était faux, le sous-lieutenant Salin avait en effet dit au sergent Raimond, dans la journée, qu’on poserait des fils de fer pendant la nuit, mais n’avait donné aucune indication sur le point où ce travail devait se faire. Il se réservait de donner ces ordres au sergent Ferry lorsqu’il serait relevé du petit poste, attendu que le point où les défenses accessoires manquaient était à droite de la sape, vers k32. Voyant le sergent Ferry rester pour le travail dans le petit poste, le caporal Dubouis lui demanda l’autorisation de revenir à la tranchée, étant fatigué. Il revint donc à k32 ; quelques instants après, il entendit le sous-lieutenant Salin réclamer le sergent Ferry. Il retourna alors au petit poste. Il le trouva vide. Seuls restaient 5 équipements et 6 fusils. Aussitôt, il se renseigna auprès du sergent Boudène de la 7e compagnie qui occupait un petit poste voisin, à une dizaine de mètres, à gauche de celui de la 8e compagnie.

Ce sergent lui déclara : «  Le caporal Paradis m’a dit qu’il était chargé de poser des fils de fer en avant de son petit poste avec quelques hommes et m’a dit de ne pas tirer. J’ai vu sortir des hommes du petit poste, puis je n’ai plus rien entendu. » Le caporal Dubouis revint alors en hâte à k32 où il prévint le sous-lieutenant Salin. Ce dernier fit immédiatement réoccuper le petit poste par le caporal Pérol et 6 hommes. Les cuisiniers Landry et Messenterre n’ayant pas reparu depuis leur premier passage à k32, ont dû abandonner le petit poste en même temps que les occupants du même poste.

Dans toute cette affaire, il est difficile d’établir les responsabilités et de dire s’il y eut préméditation. Le caporal Dubouis, interrogé, prétend avoir entendu des propos du soldat Musset, disant qu’ils allaient «faire camarade ce soir», mais qu’il ne les a pas pris au sérieux. Le caporal Paradis aurait parlé plusieurs fois au sergent Raimond, dans le courant de la journée. Ce sont deux gradés  qui étaient très liés entre eux, ce fait n’avait pas attiré son attention. Le sergent Ferry était un bon sergent qui avait toujours donné satisfaction à ses chefs. Même s’il s’était plaint dans la journée des conditions excessivement pénibles dans lesquelles il se trouvait, on n’avait vu là que des propos ordinaires, parfaitement admissibles de la part d’un homme déjà âgé ; ceci  ne faisait aucunement préjuger de ce qui allait se passer. Les autres hommes du poste n’étaient que des hommes ordinaires, ni bons, ni mauvais, mais chez qui le moral était atteint à la suite des fatigues ressenties depuis trois jours. Il est incontestable que chez tous, à ce moment, il y avait une forte dépression. La pluie, la boue, l’eau, l’insomnie, la perspective d’autres journées semblables à celles-là, le séjour du bataillon porté à cinq jours au lieu de quatre, tout cela réuni contribua à abaisser le moral.

Il a, sans doute, certainement suffi qu’un meneur se révélât tout à coup, pour décider ceux qui hésitaient à l’exécution d’un projet, sûrement très vague encore à ce moment.

 Quoique le sergent Boudène, qui commandait le petit poste de gauche situé à environ 10 mètres, dut leur avoir affirmé n’avoir rien vu, ni rien entendu – quoique le caporal Dubouis soit aussi affirmatif, on est amené à penser qu’il y a eu entente préalable. On ne peut admettre que le poste ait été surpris par les Allemands au moment de la relève, car le poste voisin de la 7e compagnien’a rien entendu. De plus, sur le nombre, quelques isolés auraient réussi à s’échapper pour prévenir en arrière.

Quoi qu'il en soit, il y a lieu de penser que les 18 hommes, les deux postes et les deux cuisiniers sont passés à l’ennemi. Les Allemands semblent avoir laissé une preuve, le lendemain, en plaçant sur leur parapet 3 casques français. L’un d’eux a même paru coiffé d’un béret qui, paraît-il, appartenait à un des hommes de la 8e, disparus. 

 Le capitaine Jeské, commandant la 8e compagnie, a l’honneur de demander à ce que les sergents Ferry et Raimond, les caporaux Paradis et Joly, les soldats André, Barthoulot, Becker, Bigot, Guiniéri, Jobard, Laudry, Musset, Messenterre, Muller, Pierrat, Galopin, Villette, Verlassen, soient traduits devant un conseil de guerre, pour désertion en présence de l’ennemi. »

 Signé Martin Jeské

 Après avoir lu ce rapport, le capitaine Guilleminot qui commande le 2e bataillon du 149e R.I. de manière provisoire écrit la réponse suivante :

 « Les 18 militaires dont il s’agit se sont rendus coupables d’une désertion collective en présence de l’ennemi. Ils sont tous passibles du conseil de guerre. »

Le_lieutenant_colonel_Gothi__et_ses_officiers

Le texte rédigé par le capitaine Jeské arrive entre les mains du lieutenant-colonel Gothié. Celui-ci va mener sa propre enquête, en rédigeant plusieurs notes. Ses conclusions sur les évènements sont sans équivoque. 

 « Acte collectif monstrueux, qui mérite le châtiment suprême pour tous les coupables et que n’excusent, ni la fatigue, ni les circonstances atmosphériques. À traduire devant le conseil de guerre et à juger par contumace. Il ne peut exister aucun doute sur la désertion des coupables. La seule hypothèse qui puisse être admise en leur faveur est la surprise par l’ennemi au moment de la relève et après le départ du caporal Dubouis.

Mais le poste voisin de la 7e compagnie, qui n’est qu’à 10 m, aurait certainement vu ou entendu quelque chose. Sur le nombre, un ou deux auraient pu s’échapper pour prévenir en cas d’attaque par l’arrière. »

La logique voudrait que ces hommes aient tous été condamnés par contumace, comme cela s’est fait dans d’autres cas de désertions collectives. Toutefois, pour l’instant, rien n’a été trouvé sur cette probable condamnation (date, lieu, peines prononcées) ; même chose pour les suites données à ces condamnations à leur retour en 1919. Une directive de janvier 1919 prévoit pourtant que les hommes dans la situation de ces déserteurs aient des comptes à rendre. L’enquête continue.

 Sources :

J.M.O. de la 85e Brigade : 26 N 520/10

J.M.O. du 158e R.I. : 26 N 700/12

Collection personnelle de D. Gothié (le rapport rédigé par le capitaine Jeské provient également cette collection).

La photographie aérienne du bois en Hache fait partie de la collection de l’association « Collectif Artois ».

Les archives du Service de la Défense de Vincennes ont été consultées.

Pour en savoir plus sur le lieutenant-colonel Gothié et sur le capitaine Jeské, il suffit de cliquer une fois sur les deux images suivantes :

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Martin_Jeske

 

Un grand merci à M. Bordes, à. A. Bach, à A. Carobbi, à T. Cornet, à Y. Dufour, à D. Gothié, à M. Porcher, au Service Historique de la Défense de Vincennes et à l’association « Collectif Artois ».

19 mai 2014

Martin Jeské (1883-1941).

Martin_Jeske

Martin voit le jour le 12 novembre 1883, dans le lointain gouvernement de Courlange, en Lettonie. De sa famille nous ne savons rien, si ce n’est que ses parents étaient des luthériens.

Devenu adulte, le jeune Martin s’engage dans l’armée impériale russe. En mai 1905, il est sous-lieutenant au 116e régiment d’infanterie où il commande une compagnie de mitrailleuses. En octobre 1908, il est promu au grade de lieutenant. Deux ans plus tard, Martin Jeské doit quitter la ville de Riga pour rejoindre sa nouvelle affectation. Il vient d’être muté au 25e régiment de tirailleurs sibérien du général Kondratainko, une unité qui cantonne à Irkoutsk. En 1912, le lieutenant Jeské devient capitaine.

Lorsque le conflit contre l’Allemagne éclate en août 1914, Martin Jeské est en congé. Il séjourne en France depuis le mois de mai. Cet officier ne retournera pas dans son pays pour combattre avec les siens, puisqu'il va intégrer l’armée française avec son grade de capitaine.

Au cours de la même période, un petit nombre d'officiers russes se retrouvent dans la même situation. Il s'agit du lieutenant de réserve Kazakoff qui va au 6e R.I., du lieutenant de réserve Arguéeff qui est affecté au 7e R.I., du sous-lieutenant de réserve Chtiknoff qui est désigné pour rallier le 9e R.I. et du sous-lieutenant de réserve Stinikoff qui doit aller au 10e B.C.P..

 D'autres officiers russes seront incorporés par la suite, dans l'armée française.

Martin Jeské rejoint le 149e R.I. au début du mois de septembre 1914. Les circonstances de son arrivée sont inconnues.  Novembre 1914, il commande la 8e compagnie du régiment, qui se trouve en Belgique à ce moment-là.

Au cours de cette période, il obtient la citation suivante qui lui donne le droit de porter la croix de chevalier de la Légion d’honneur :

« Officier russe au service de la France pour la durée de la campagne. Officier d’une haute valeur, ayant un coup d’œil et une expérience dont il montre journellement les preuves. Le 8 novembre 1914, a arrêté, à plusieurs reprises, une poussée allemande par de vigoureuses charges à la baïonnette et, grâce à son calme et à son sang-froid, a refoulé l’ennemi. Le 9 novembre a de nouveau supporté une vigoureuse attaque qu’il a repoussée et contre-attaquée à la baïonnette avec succès. »

Toujours à la tête de sa compagnie, il reçoit une nouvelle citation en mai 1915. Le 149e R.I. combat en Artois dans le secteur d’Aix-Noulette depuis plusieurs mois.

« Le 9 mai 1915, avec trois sections de sa compagnie, s’est emparé brillamment d’une sape allemande et, à trois reprises successives, a tenu tête à trois compagnies, le plus bel exemple du mépris du danger. Officier russe d’une bravoure extrême, ayant été fait chevalier de la Légion d’honneur et obtenu une citation depuis le début de la campagne. »

En mars 1916, le capitaine Jeské est à Verdun. Il ne sait pas encore qu’il est sur le point de quitter son régiment pour être affecté à l’encadrement de soldats russes. Une brigade nouvellement constituée est sur le point de débarquer en France.

Sa connaissance de la langue de Molière, et son expérience des combats, lui seront d’une grande utilité pour former les nouveaux arrivants.

Cette 1ère brigade russe spéciale fut formée avec des hommes originaires de la région de Moscou et de Samara en janvier 1916. Elle est composée de deux régiments constitués de 3 bataillons à 4 compagnies. Les officiers ont été sélectionnés pour leur bravoure, ou pour leurs états de service excellents au cours de leur service militaire. Plusieurs  d’entre eux parlent le français.

La brigade quitte Moscou le 3 février 1916. Elle traverse la Sibérie et la Mandchourie par voie de chemin de fer en direction du port de Dairen.

Une fois sur place, elle embarque à bord de trois navires français, le Latouche-Tréville, l’Himalaya et le Sontay et de deux bateaux russes, le Tambov et le Laroslavl.

La France envoie le Lutetia au-devant du convoi lorsque celui-ci franchit le canal de Suez.

Ce long périple en mer amène la brigade jusqu’au port de Marseille où elle débarque le 20 avril 1916.

Le_debarquement_des_troupes_russes_a_Marseille

Les_troupes_russes_dans_Marseille

les_troupes_russes_a_Marseille

Les russes sont ensuite dirigés sur le camp de Mailly pour y être entrainés sur place avec un équipement et un armement fournis par l’armée française.

Pour encadrer et diriger tous ces officiers, sous-officiers et soldats, les instances supérieures ont fait retirer tout le personnel russe qui se trouvait dans les régiments français. Concerné par cette mesure, le capitaine Jeské a dû quitter le 149e R.I. dès le 6 avril 1916.

Camp_de_Mailly

De juin à octobre 1916, la brigade russe spéciale est dans le secteur de Suippes et d’Aubérive, le camp de Mourmelon lui servant de base de repos, lorsqu’elle ne se trouve pas en première ligne.

Le 16 avril 1917, Martin Jeské prend la tête d’un bataillon du 1er régiment de la 1ère brigade russe spéciale. Ce bataillon est engagé avec son régiment, dans le secteur de Courcy, et il vient tout juste de perdre son commandant qui a été mis hors de combat.

À la suite des combats qui eurent lieu dans le secteur de Courcy, Martin Jeské est nommé commandant le 18 mai 1917. Cet officier prend la tête du 2e bataillon de la légion russe qui est créée en décembre 1917.

Le_commandant__martin_Yeske

                                          Commandant Martin Jeské (1er homme à partir de la gauche)

La légion russe est engagée aux côtés de la division marocaine, dans le secteur de Villers-Bretonneux en avril 1918, au sud-ouest de Soissons, en juin et juillet et dans la région de Vic-sur-Aisne en septembre.

Le bataillon,qui est sous les ordres du commandant Jeské, ne participe pas aux combats qui eurent lieu en 1918. Seul, un détachement de cette unité s’est battu au cours d’une escarmouche qui s’est déroulée le 6 juin 1918.

Après l’armistice, il a été créé en France,un bataillon de marche composé de la légion russe et de volontaires russes de la Légion étrangère. Les volontaires russes ne sont pas des légionnaires. Martin Jeské a environ 300 hommes sous ses ordres.

Fin février, début mars 1919, le commandant Jeské est à Marseille avec ses hommes. Tous embarquent sur un navire pour retourner en Russie, un pays qui se trouve en pleine révolution. Avec ses hommes, Martin Jeské rejoint l’armée de Denikine, une armée qui est opposée aux bolcheviques. Son bataillon est engagé en avril 1919.

Un article de presse, paru dans le journal français l’humanité datant du 3 juin 1919, laisse entendre que le commandant Jeské a été assassiné par ses propres soldats.

« On lit dans la république russe du 22 mai 1919 : des nouvelles alarmantes nous parviennent sur le sort de ce premier échelon qui a quitté Marseille il y a environ trois mois pour se mettre, un peu malgré lui, sous les ordres du général Denikine. Arrivés dans le midi de la Russie, les légionnaires auraient, on ne sait pas dans quelles circonstances, refusé de combattre les armées rouges. Ils auraient même voulu passer du côté de celles-ci. Le commandant de la légion, le colonel Jeské, aurait été mis à mort par ses propres soldats, ainsi qu’au moins deux de ces officiers. Les mutins d’ailleurs n’y gagnèrent rien, car ils furent, d’après ce qu’on nous dit, entourés par les volontaires du général Denikine et tués jusqu’au dernier. » 

En fait, il n’en est rien ! Quelques articles trouvés dans « Les échos des anciens combattants », une revue mensuelle publiée après la guerre par la Fédération française des unions et sociétés d'anciens militaires et combattants, invalident cette situation. La «Moselle»,une association d’anciens des 149e et 349e R.I., donne régulièrement des nouvelles du colonel Jeské dans les années 20.

Après avoir commandé un régiment de l’armée blanche, le commandant Jeské retourne sur ses terres d’origine où il va intégrer l’armée lettone avec le grade de lieutenant-colonel obtenu en novembre 1920. La Lettonie est un pays à part entière depuis deux ans. Lénine a reconnu la souveraineté de cette nation depuis le mois de décembre 1918. Après son affectation à l’état-major général, Martin Jeské est nommé attaché militaire en Allemagne en janvier 1921.

Il revient en Lettonie en août 1923 pour prendre le commandement du 4e régiment d’infanterie de Valmiera.

De retour en France en septembre 1923, il intègre la 45e promotion de l’école supérieure de guerre pour parfaire sa formation d’officier. Il en sort le 31 octobre 1925, avec le brevet d’état-major français.

Riga

Revenu en Lettonie, il est chargé de diriger le cours de formation des officiers. Promu au grade de colonel en 1927, il est nommé directeur de l’instruction militaire à l’état-major. En 1929, Martin Jeské prend le commandement du 6e régiment d’infanterie de Riga. En 1930, il reprend ses fonctions de directeur de l’instruction militaire. En 1933, il est responsable de l’école de guerre de son pays, avant d’être mis à la disposition du commandant en chef de l’armée lettone. En 1938, il travaille pour la Société des Nations.

Cette nouvelle fonction l’amènera sur la terre d’Espagne qui est en pleine guerre civile. Début janvier 1939, il est à Valence. Martin Jeské fait partie d’une commission de contrôle qui a pour mission de surveiller l’embarquement de 2900 volontaires des brigades internationales, en vue de leur rapatriement.

De retour à Riga, il est, à nouveau, mis à la disposition du commandant en chef de l’armée lettone. Le monde va de nouveau se déchirer… Le 25 juin 1940, il est nommé chef de l’état-major général par le nouveau gouvernement mis en place par les pro-soviétiques.

Promu au grade de général en juillet 1940, il assure cette fonction jusqu’au 27 septembre 1940, date à laquelle il est victime de l’épuration organisée par les Soviétiques. Arrêté, puis jeté en prison, il décède le 21 novembre 1941.

Décorations obtenues :

Croix de guerre avec 4 citations,

Chevalier de la Légion d’honneur,

Ordre de Sainte-Anne de 2e catégorie avec glaives,

Ordre impérial de Saint-Vladimir de 4e classe avec glaives.

Le nom de cet officier est orthographié de plusieurs façons dans les différents documents consultés. Voici quelques exemples d’écriture,  Jeské, Ieské, Yeské.

Sources :

Édition originale du dictionnaire biographique des pays baltes. Une traduction française de cet ouvrage a été publiée aux éditions l’Harmattan.

L’article de presse de l’humanité et les citations du capitaine Jeské ont été trouvés sur le site de la bibliothèque numérique Gallica.

La majorité des informations concernant Martin Jeské m’ont été communiquées par F. Amélineau et par Igor, un intervenant régulier du forum du site « pages 14-18 ».

Le portrait du capitaine Jeské qui est utilisé sur le montage provient de la collection personnelle de F. Amélineau.

La photographie de groupe où figure le commandant Jeské appartient à R. Parlange. Ce cliché est légendé : « P.C. du bataillon de Sulzern colonel russe Yeské, Alsace avril 1918. »

 Un grand merci à M. Bordes, à F. Amélineau, à A. Carobbi, à Igor,  à M. Porcher, à R. Parlange, à J.L. Poisot, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux participants du forum du site « pages 14-18 ».

12 mai 2014

Charles Adolphe Louis Poidlouë (1896 -1951)

Charles_Poidloue

 

Charles Adolphe Louis Poidlouë voit le jour le 25 janvier 1896, à Brest, au n° 35 de la rue Saint-Yves. À sa naissance, son père est capitaine de frégate. Chevalier de la Légion d’honneur, il est âgé de 45 ans. Sa mère, Céline Mottez,  est une femme originaire de Cherbourg qui est âgée de 28 ans. La fratrie est composée de quatre enfants, Louise, Charles, Marthe et Denise. Après l’école primaire, Charles poursuit ses études jusqu’à l’obtention de son baccalauréat es sciences. Il se destine à faire une carrière militaire, puisqu’il demande à suivre les cours préparatoires de l’école de Saint-Cyr.

 

Le métier de marin ne semble pas l’attirer, il passe son brevet de pilote civil. Il ne suivra donc pas la tradition familiale. Le brevet, qu’il obtient le 17 août 1914, est délivré par l’aéroclub de France, celui-ci porte le numéro 1724.

 

Charles_Poidloue

 

Une fois son diplôme d’aviateur en poche, le jeune homme choisit d’interrompre ses études pour venir signer un contrat avec l’armée. Le conflit contre l’Allemagne vient tout juste de débuter… Malgré son jeune âge, il est de la classe 1916, Charles s’engage pour la durée du conflit. Le 10 septembre 1914, il rejoint la Touraine pour intégrer le 2e groupe d’aviation.

 

Charles Poidlouë veut absolument piloter, mais il se trouve dans l’obligation de devoir transformer son diplôme civil en diplôme militaire. Il va suivre une nouvelle formation. Celui-ci se rend à l’école d’aviation de Buc, une école qui se trouve dans les Yvelines,pour parfaire ses connaissances et ses savoir-faire dans le domaine du pilotage. L’aviation militaire n’en est encore qu’à ses balbutiements… Le 29 janvier 1915, il obtient son brevet militaire qui porte le numéro 670. Il est affecté à l’escadrille F 36, une escadrille dans laquelle il servira du 27 février au 19 septembre 1915. Au cours de cette période, il est nommé caporal le 11 mars, puis sergent le 4 mai.

 

Au début du mois octobre 1915, il est hospitalisé à la maison de santé de Viry-Chatillon.

 

À la suite de cette hospitalisation, il devient instructeur de l’école d’aviation de Chartres. Le 14 mars 1916, le sergent Poidlouë est victime d’un accident d’avion. Il est promu adjudant le 24 mai 1916, puis sous-lieutenant à titre temporaire le 31 mars 1917. De nouveau, apte au pilotage, Charles Poidlouë doit rejoindre l’escadrille P.S. 126. Il restera dans cette escadrille du 8 avril au 12 juillet 1917.

 

Blessé une seconde fois, il est, dans un premier temps, hospitalisé à Beauvais du 12 juillet au 5 novembre 1917, puis envoyé en convalescence jusqu’au 6 décembre 1917. Cette nouvelle blessure ne lui permettra pas de reprendre les commandes d’un appareil. Il est rayé du personnel navigant. Pourtant, sa carrière militaire ne va pas s’arrêter là puisqu’il se retrouve affecté à un régiment d’infanterie.

 

Fin novembre 1917, le sous-lieutenant Poidlouë doit rejoindre le 149e R.I., qui se trouve, à ce moment-là, en cantonnement de repos à l’ouest de Montmirail. Le lieutenant-colonel Vivier l’envoie à la 9e compagnie de son régiment pour prendre le commandement d’une section. Le 6 décembre 1917, Charles Poidlouë se déplace avec le 149e R.I. dans la région d‘Hérimoncourt, près de Montbéliard. Il reste dans cette partie du Doubs jusqu’au 17 janvier 1918 avant d’être envoyé dans les Vosges.

 

Le 27 mai 1918, le 149e R.I. doit quitter le secteur de Compiègne qu’il occupe depuis une dizaine de jours. Le régiment est appelé d’urgence dans le secteur de Braine, une petite commune du département de l’Aisne. Les Allemands viennent de lancer une offensive de grande envergure près du Chemin des Dames. Le 28 mai 1918, la section du sous-lieutenant Poidlouë se trouve en première ligne dans le secteur de Cuiry-House. Celui-ci est blessé une première fois, au bras et au genou par éclat d’obus. Le lendemain, continuant de combattre avec ses hommes, il est à nouveau blessé, cette fois-ci par une balle. Sa section est complètement encerclée par l’ennemi. Il doit se rendre. La captivité l’attend…

 

En mars 1919 une demande de témoignage, en faveur du sous-lieutenant Charles Poidlouë, est requise par l’officier responsable du bureau des décorations du dépôt commun du 149e R.I. et du 43e R.I.T. auprès du soldat Jean-Marie Larue.

 

« Je certifie que le sous-lieutenant Poidlouë Charles du 149e R.I. a été blessé au combat des 28 et 29 mai 1918. Le 28 mai, le sous-lieutenant Poidlouë reçoit l’ordre avec sa section de se porter sur un petit mamelon en avant de Cuiry-House. Là, nous tenons énergiquement, mais l’ennemi était trop en nombre. Nous nous sommes repliés, après avoir reçu l’ordre du commandant de la compagnie. À ce moment, le sous-lieutenant Poidloüe a été blessé par éclat d’obus au bras gauche et au genou. Une fois arrivé dans la dépression, il nous quitte pour se faire panser. Après, nous sommes établis dans un chemin creux, au nord de Cuiry-House.

 

Il revient nous rejoindre et nous tenons jusqu’au 29 mai 1918. Là, nous sommes entourés de tous côtés par l’ennemi. La section de droite est commandée par un sous-lieutenant qui est tué et notre commandant de compagnie, le lieutenant Perronet, est blessé grièvement. À ce moment, la position devenue intenable, nous nous replions dans un silo de betteraves, sous un feu croisé de mitrailleuses, pour rejoindre le bataillon.

 

Nous rencontrons la 11e compagnie en cours de route. Le sous-lieutenant Poidlouë a été renversé et blessé par une balle au bras gauche. Il revient nous rejoindre et à ce moment,  nous sommes cernés de tous côtés, nous sommes forcés de nous rendre avec la 11e compagnie.

 

J’ai 46 mois de front, je certifie que le sous-lieutenant Poidlouë a été très brave pendant les journées des 28 et 29 mai 1918. Malgré sa blessure, il a gardé le commandement de sa section. »

 

Le 30 mars 1919 Jean Marie Larue

 

Le sous-lieutenant Poidlouë poursuit sa carrière militaire après l’armistice. Il est nommé lieutenant à titre temporaire le 31 mars 1919. Charles Poidlouë assume les fonctions de chef de piste de l’école d’aviation militaire d’Avord. Il se spécialise dans les vols de nuit dont il est également chargé de l’instruction. En décembre 1919, il totalise 1200 heures de vol.

 

Démobilisé le 2 janvier 1920. Il crée en 1920, un cours technique d’aviation à l’usage des élèves-pilotes boursiers. Le lieutenant Poidlouë est confirmé définitivement dans son grade le 4 mars 1922.

 

Il est fait Chevalier de la Légion d’honneur le 21 février 1926.

 

Charles Poidlouë épouse Julienne de Gonzalvès, le 28 septembre 1926 dans le 9e arrondissement de Paris.

 

Le lieutenant Poidloüe quitte l’armée le 18 septembre 1939. De retour dans la vie civile, il se lance dans une carrière d’industriel.

 

Il décède à l’âge de 55 ans, le 8 avril 1951, dans le 8e arrondissement de la capitale.

 

Citation à l’ordre de l’Armée en date du 21 juillet 1918 :

 

« Jeune officier, très brave et très audacieux. A fait preuve d’une grande énergie au cours des combats des 28 et 29 mai 1918 dans l’Aisne, où il s’est montré comme un véritable entraineur d’hommes, maintenant sa section dans des circonstances critiques et refusant de quitter son commandement malgré ses blessures. Trois blessures. »

 

Sources :

 

L’acte de naissance de Charles Poidlouë est lisible sur le site des Archives départementales du Finistère.

 

Charles Poidlouë possède un dossier qui peut se voir sur la base Léonore.

 

La base de données des personnels naviguant ou au sol de l’aéronautique militaire au cours de la Grande Guerre du site « Mémoire des Hommes » a été consultée.

 

Le site "les as oubliés" de 14-18 a également été consulté.

 

Pour en savoir plus sur la carrière d’aviateur de Charles Poidlouë il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

 

Site_As_oubli_s_14_18

 

Un grand merci à M. Bordes et à A. Carobbi.

5 mai 2014

Blanche Gérard... Quelques lettres rédigées à l'attention du père et de la soeur du capitaine Gabriel Gérard (3e partie).

Capitaine_G_rard_

Le capitaine Gérard entre dans une brève période de rémission. Malgré les soins prodigués, la situation finit par s’aggraver. Blanche, désemparée, envisage le pire… 

Jeudi 20 juin 15 h 00,

Bien chers, 

Je suis arrivée vers Gabriel avant midi avec Marthe. Nous avions déjeuné toutes les deux à 10 h 00 et nous sommes venues de bonne heure. Notre cher malade va un tantinet mieux. La température hier soir à 17 h 00 était de 39° 3 et ce matin de 38° 4. La nuit sans sommeil a été relativement calme, sauf au matin, me dit l’infirmière.

Il a eu à déjeuner, à midi, un peu de bouillon et un œuf à la coque, mais des envies de vomir nerveuses l’ont pris. On va lui faire un pansement cet après-midi au lieu de ce matin.  Ce matin, il y avait une lettre de Betty qui est à Chaumont, une de madame Rioche qui doit venir ce tantôt, une de Maria d’Aix et la vôtre, plus une du colonel Vivier. 

Gabriel me dit : « embrasses bien papa et puis Marcelle et qu’on donne le bonjour à tous les amis ». Ma commission est donc faite.

Il paraît qu’on va … (?)  dans 15 jours, mais je filerai vers vous avant, du reste dès que le mieux sera constaté plusieurs jours de suite. Je ne quitte pas Gabriel sauf lundi où je suis allée deux heures pour aller manger. J’ai eu tort, car Gabriel allait plus mal à mon retour. Aussi, je ne le quitterai plus du tout. Je rentre chez Marthe vers 19 h 30. Nous causons et ensuite on se couche jusqu’à 7 h 00. Nous partageons nos déjeuners. Je suis vraiment fatiguée et nerveuse. J’ai peur d’être obligée de me mettre au lit en rentrant, surtout depuis dimanche où je vois des hauts et des bas. J’ai un peu peur de perdre le ciboulot. 

15 h 30 : Madame Rioche vient de repartir. Elle a apporté des fleurs à Gabriel. Elle a 24 heures de permission et demande à repartir dans une ambulance de front. Elle reviendra la semaine prochaine si elle est toujours à son poste aux environs de Lagny. Gabriel a uriné toujours avec sa sonde normalement. Le liquide qui s’écoule du canal rachidien diminue, mais il a une nervosité très grande, qui, si elle augmentait, parviendrait à troubler l’équilibre mental. Espérons que cela n’en arrivera pas jusque-là. Voilà ce qui est à craindre. 

Au revoir, baisers affectueux à tous les deux et soignez-vous bien. 

Blanche 

Jeudi 20 juin 21 h 00, 

Ma bien chère fille, 

Je viens de recevoir ta lettre où tu me parles de Monsieur Servais. Tu as fait  un très bon menu. Je suppose que cela doit être Madame … qui te l’a indiqué. C’était parfait. J’espère que tout se sera bien passé. Je l’attendrai donc lundi à 14 h 00 et j’emmènerai Marthe avec moi pour qu’elle puisse la connaître. Ci-jointe une lettre de Maria reçue ce soir. Je vais lui répondre de suite.

Lorsque j’ai quitté Gabriel ce soir, vers 19 h 00, il avait 39°. Il m’a parlé de Jeandot sans que je sollicite l’entretien, et j’ai su beaucoup. Il m’a dit que mademoiselle J... (?) lui avait  écrit deux fois, mais qu’il ne lui avait jamais répondu. Qu’elle avait abusé de lui et qu’elle le talonnait pour avoir sa photo afin de l’envoyer à sa sœur, qu’elle avait hâte que la compromission soit complète. Que le père ne connaissait rien du tout, mais, que dans la circonstance, elle avait été très coupable. Qu’à sang-froid, il avait jugé sa manière de faire, tout à fait incorrecte et répréhensible. C'est pourquoi il n’avait pas voulu répondre.

 Lorsque ses cantines seront à Saint-Brieuc, papa Charles, m’a-t-il dit, prendra la photo de Suzanne et la remettra au père sans commentaires. Il m’a dit à nouveau encore combien je l’avais tiré du pétrin où il s’était mis par sa faute, et qu’il se repentait de la peine qu’il nous avait faite à ce moment-là. Tout de même, il faudrait songer à le marier. Je lui ai promis que, sitôt guéri, on s’en occuperait pour de bon, mais qu’il me serait bien plus agréable de marier sa sœur la première. Naturellement, m’a-t-il dit. C’est ainsi que je comprends la chose. Alors, nous sommes d’accord sur ce point, ton tour viendra tout de suite après.

C’est la première fois qu’il me cause sainement et sérieusement. C’est donc une preuve qu’il allait mieux de 17 h 00 à 19 h 00. Vivons au jour le jour comme m’a dit, hier, le docteur Iselin.

Le colonel lui a écrit qu’il conservait sa place et qu’il aurait été heureux de lui attacher lui-même sa croix si bien méritée.

Le régiment est dans la craie et le colonel montait à son poste de commandement le 17 au matin. 9 disparus, 2 tués et 7 ou 8 blessés parmi les officiers dit le colonel.

Ma chère Marcelle, tu oublies dans tes lettres de dire bonjour à cousine Marthe. Tu as le temps de joindre un petit mot spécial pour elle dans ta lettre.

Je ne t’écris pas longuement dis-tu ! Que pourrais-je te dire ? Le matin, je vais vers Gabriel où alors je pars pour y être à midi. Je reste vers lui toute la soirée et je ne rentre qu’à 19 h 00. On dîne, après on écrit comme ce soir et on se couche. Et c’est toujours ainsi.

Ci-jointe une lettre de Maria. Je vais lui répondre tout de suite.

Gabriel m’a fait ses comptes de 17 h 00 à 19 h 00. Il n’a pas perdu le nord. J’attends demain pour voir comment il va passer la nuit.

Bonsoir à tous les deux. Il y a des heures où je désespère et d’autres où j’espère beaucoup.

Affections,

Blanche 

Vendredi 21 juin 1918,

J’ai déjà écrit à Marcelle ce matin, mais je tiens à le faire à nouveau tous les jours à la même heure. Arrivée vers Gabriel à midi. Je l’ai fait déjeuner, du bouillon bu dans un canard et un œuf à la coque sans pain. La température ce matin était de 38° 1. Je lui ai dépouillé un énorme courrier arrivé du front, plus de 30 lettres. Il a lu lui-même celles de ses amies. Il y avait trois écritures différentes. Une, entre autres qui s’appelle Marton, et qui écrit rudement bien.

Je fais la secrétaire, sauf pour les lettres d’amour. J’ai écrit à ses deux derniers colonels et à tous ses camarades. Je ne le quitterai qu’à 19 h 30.

Il y a une grande belle et forte infirmière qui le soigne. C’est la fille de Coville, qui, autrefois, était directeur de l’enseignement secondaire. Ça va bien.

J’ai reçu hier soir le col. Je l’offrirai à la jeune demoiselle Garreau, quand elle viendra voir Gabriel, comme elle l’a promis.

À l’heure où j’écris, je trouve Gabriel mieux, mais ce qui m’embête, c’est qu’il se plaint toujours du derrière de la tête. On va peut-être lui couper les cheveux ce soir, quand la faiblesse diminuera.

J’attendrai madame… lundi à 14 h 00, mais, sitôt le premier coup de canon, je file. Je suis vraiment en mauvais état.

Baisers affectueux à tous les deux et bonjour à tout le monde.

Blanche 

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Vendredi 21 juin 1918 à 19 h 00, 

Bien chers,

J’ai eu, vers 16 h 00, la visite de Madame Garreau et de sa fille ainée qui ressemble beaucoup au papa. Elle apportait 4 oranges à Gabriel. Je lui ai offert le col pour la petite jeune fille en promettant à l’aînée de lui en faire un lorsque je serai de retour à Saint-Brieuc. Cela a paru lui faire plaisir. Il faudrait que papa Charles tâche d’avoir quelques paquets de tabac, pour cousine Marthe. Envoyez-les-lui directement. Mettez-moi aussi, dans la lettre, quelques tickets de pain. Et puis, pensez à aller les renouveler, en temps voulu pour juillet. Demandez à Jeanne. Et puis, pour juin, il y a à prendre un kilo de sucre chez Potin en cherchant la carte dans le tiroir à cuillères, puis celui de mai et de juin chez le Douane avec la carte d’alimentation.

Arrangez-vous pour le mieux tous les deux. Je reste jusqu’au dernier coup de canon. La température est de 38° 6 ce soir.

Gérard se plaint beaucoup de la tête. On lui a coupé les cheveux. Cela lui échauffait trop la tête.

Bien que je sois tout le temps à côté de lui, il trouve encore le moyen de sonner les infirmières. Il les fatigue, si tous les malades étaient comme lui !! Il lui faut toujours quelqu’un à côté de lui.

Nous partageons, avec Marthe, la dépense. À midi, j’ai acheté le déjeuner et elle fera le diner ce soir. Le matin, je mange du chocolat. Marcelle m’en avait mis quelques tablettes. J’en prends la moitié d’une et, comme cela, je n’use pas de sucre. Je m’arrange de façon à ne pas lui faire faire de frais et ça va comme cela.

Hier soir, Delpy est venu seul diner. Hippolyte était consigné. Ce soir, sa mère va aller le voir. C’est pourquoi je reste avec Gabriel jusqu’à 19 h 30. Je ne serai chez elle que vers 20 h 00. À peine si elle sera rentrée. 

Voilà, je vais quitter Gabriel. Il a dîné d’un bouillon. Il avait aussi de l’omelette, un œuf trop salé, un soupçon de gruyère, plus un doigt de vin blanc, additionné de beaucoup d’eau. 

Cela m’embête que, plusieurs fois dans l’après-midi, il ait eu des cauchemars. L’infirmière dit que c’est de la faiblesse. Il y a eu aussi des pleurs. Je serai là de nouveau demain pour midi, pour le faire déjeuner. 

20 h 00 : Au moment où je quitte Gabriel, il se plaint de bourdonnements dans la tête et dans les oreilles. Il a des compresses d’alcool camphrées sur le front.

Bonsoir,

Blanche 

Samedi 22 juin 1918 à 15 h 00,

Bien chers,

À cause de la lenteur de Marthe, je ne suis arrivée vers Gabriel qu’a 12 h 30. Il est vrai que j’ai eu deux pannes de métro en venant. La température de ce matin était de 38°. La plaie est belle, me dit-on, les urines vont normalement. Mais il a eu des idées bizarres toute la nuit et pendant que je lui donnais à déjeuner il m’a dit qu’il voulait du vin blanc du lycée de Vesoul !!

Par moment il divague, les infirmières me disent qu’il ne faut pas y faire attention, qu’il va avoir des hauts et des bas, comme les grands malades. Le docteur Iselin a été prévenu de ce fait ce matin disent-elles et on va lui faire des piqures de cacodylate.

Notre bien cher malade est très exigeant et n’est pas toujours commode, même avec sa maman. Que voulez-vous que je dise ? J’attends un mieux qui, parait-il, vient bien lentement, mais sûrement.

Espérons donc et ayons confiance dans sa bonne étoile.

De tous les côtés, je reçois des lettres pour demander des nouvelles. J’en ai eu une de Marguerite André, et une de Juliette ce matin. Je vous les enverrai demain. Ci-jointe une lettre de Madame Marfayou que j’ai reçue aussi ce matin. Si le père Jamet vient demain, il lui emportera les nouvelles. Hier, j’ai au moins répondu à 20 lettres pour lui. Mes après-midis sont occupés rien que pour lui. Enfin, si seulement je peux arriver à un résultat. Je suis arrivée à midi, mais j’ai bien des angoisses !!! 

Je me hâte de mettre cette lettre à la conciergerie pour être sûre que vous l’aurez demain matin.

Affections à tous les deux et ne désespérez pas non plus.

Blanche 

Samedi 22 juin 1918 16 h 00, 

Gabriel a un fort mal de tête, mais il se plaint davantage ou le sent plus, parce qu’il est plus faible.

Il m’a cependant dit moins de bizarreries qu’hier.

 Ainsi vers 15 h 30, il m’a dit : « Maman, dans les 4 régiments, il y a eu un d’esquinté. Les trois autres sont intacts, je vais aller vivement prendre le commandement pour le remettre sur pied.

Un peu après, il m’appelle : « il faut me procurer des béquilles que j’aille à l’enterrement des deux victimes.»

On lui a donné une drogue dans du tilleul pour calmer le mal de tête. 

16 h 50 : Il vient de saigner un peu du nez du côté droit. 

17 h 15 : 39° 3. J’ai bien vu toute la soirée que ce soir la température serait haute, car il était très rouge. Voilà donc encore une journée de fièvre qui vient et demain dimanche, la journée ne sera pas dans les bonnes. La nuit sera certainement agitée aussi. 

Je ne sais si je vous ai dit qu’avec Madame Coville, comme infirmière, il y en avait une autre qui boîte comme Jo, qui est la fille de Gallois, ancien normalien, professeur à la faculté des lettres. 

17 h 30 : Dîner – Un bouillon bu dans un canard, un œuf à la coque et deux bouchées de fromage. L’infirmière dit que du côté des urines cela va parfaitement, la sonde donne goutte à goutte ce qu’il faut.

Mais il est d’une faiblesse extrême. Toujours la même phrase : « Nous aurons des hauts et des bas.» Rien d’alarmant me dit-on. Dois-je le croire ? 

19 h 15 : Mademoiselle Gallois vient de lui apporter une bouillie très claire de châtaignes. Je redoute pour la nuit. Il est vrai qu’on va lui donner une infusion de tilleul avec un peu de morphine. Je vais partir à 18 h 45, retrouver mes pénates à la gare de Lyon. 

Bonsoir à tous deux,

Blanche 

Dimanche 23 juin,

Dimanche midi,

J’arrive vers Gabriel. La situation s’aggrave, il y a un commencement de méningite. Le docteur me le fait dire. Situations des plus graves. Précautionne-toi d’argent et arrive au premier appel. Que vais-je faire en cas de malheur ? L’emmener où ? Il m’a appelée paraît-il toute la nuit. Je vais passer celle-ci près de lui.

Dis à Marcelle qu’elle prépare, en cas d’évènement, ma jupe de drap noir qui doit être dans son placard ou dans le buffet, et un corsage de crêpe qui est dans un carton en bas de son placard. Il y a aussi un chapeau de crêpe dans un sac ou dans une caisse au bas de ce placard.

 En plus, il y a un carton dans le rayon du haut, un carton gris bordé de vert. Il y a dedans des affaires de crêpes à jeter dans un sac, châles, voiles et chapeaux.

Ton pantalon noir est dans le bas de la commode. Ta jaquette et ton gilet noir sont dans le buffet du salon. Mais j’espère quand même jusqu’au bout.

Je vais beaucoup prier. Faites-le aussi vous-même, cela peut s’éterniser plusieurs jours encore. Madame Jamet est venue le voir, pas moyen, défense de faire entrer personne. 

Quand je le quitte pour aller déjeuner, il chante et divague de plus en plus à 12 h 30. 

Affections,

Blanche 

Le capitaine Gérard décède le 24 juin 1918, à l’âge de 24 ans. Quatre longues semaines à souffrir sur son lit d’hôpital.  Charles et Marcelle Gérard vont devoir retourner à Paris pour les obsèques. 

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Après une cérémonie religieuse qui a lieu dans l’église de Saint-Hippolyte le 27 juin 1918, le capitaine Gérard est enterré provisoirement au cimetière parisien d’Ivry. Au cours de la cérémonie, le sous-directeur de l’école normale supérieure, prononce le discours suivant : 

Madame, Monsieur,

Nous ne nous séparerons pas de vous, dans ce cimetière où il vous faut laisser pour un temps la dépouille de votre fils, sans que vous ayez reçu de l’école le remerciement qu’elle vous doit pour la confiance avec laquelle vous lui avez demandé de vous assister dans ces cruels jours d’épreuve.

En venant à vous, vous aviez deviné que votre anxiété serait notre anxiété ; en nous quittant, vous emporterez la certitude que votre deuil est notre deuil. Une fois de plus, après tant d’autres, hélas ! Nous communions avec les âmes douloureuses d’un père et d’une mère que le sacrifice accable sans les révolter. Comme eux, nous en mesurons la grandeur, et nous voulons comme eux que cette mesure soit aussi celle de nos espérances

Votre fils sera de ceux que nous n’aurons fait qu’entrevoir. Dès longtemps vous nous l’aviez donné. Tout votre effort et tout le sien n’avaient jamais tendu que vers l’école normale. Nous n’aurons connu de lui que la joie d’être admis dans cette petite patrie d’élection, que l’ardeur de son renoncement quand il en fut séparé par l’appel de la grande patrie commune, que la fidélité de son affection à travers quatre années de guerre, où toutes les forces de son esprit et de son cœur se donnèrent pourtant sans réserve à ses devoirs de soldat.

La mort le prit, et, dans son cercueil enveloppé du drapeau, il n’aura pas reçu l’adieu de ses compagnons d’armes, de ceux avec lesquels il s’est offert à elle. Mais puisque c’est près de nous qu’il est venu mourir, nous pouvons bien confondre en un seul adieu, l’adieu de ses camarades d’études et celui de ses camarades de combat, celui de ses maîtres et celui de ses chefs.

C’est comme officier que nous le reconnaissons nôtre, comme un type achevé de cet officier universitaire que tous les soldats ont aimé, auquel tant de chefs ont rendu hommage, et de ceux de Gabriel Gérard qui ont honoré en lui leur confiance et leur affection constantes.

Ses années d’école, il les a faites au 149e R.I., et il y est devenu capitaine dans le temps où, chez nous, il serait devenu agrégé. Sa large culture humaine, culture de l’intelligence et culture de la conscience, a été le principal ressort de sa vie militaire. Par là, il a été aussi normalien que le plus normalien de ses anciens, et, loin de l’école, il en est resté le vrai fils, dont la pensée demeurait tournée vers elle comme vers la maison où s’épanouissaient un jour pleinement, dans la liberté de la paix, toutes les richesses de sa vie intérieure, qu’il asservissait sans regret aux contraintes de la guerre.

Son rêve ne sera pas réalisé, son rêve qui était aussi le vôtre. Du moins, le souvenir vous restera, et la fierté, de ses quatre années dont la plénitude et la valeur ont dépassé tous les rêves, en confondant sa vie avec la vie même de la patrie. Et, en mourant, il vous lègue sa foi dans la destinée de cette patrie pour laquelle il est mort.

Nous aussi, nous conserverons chèrement son souvenir, comme une part de ce trésor d’honneur qu’ont amassé pour l’école tant de jeunes existences sacrifiées en pleine fleur, dont les promesses étaient si brillantes, et qui ont donné plus que leurs promesses, en s’offrant, non pour orner et embellir la France, mais pour la sauver.

Vous allez partir. C’est pour vous un déchirement de vous en aller loin de lui, de ne pouvoir l’emporter tout de suite avec vous, vers la tombe où l’attendent vos morts, où vous le rejoindrez un jour. Confiez-nous cette tombe provisoire. Nous vous la garderons d’un cœur tout à fait ami, d’un cœur qui sera vraiment selon le vôtre. Ce seront nos pensées mêmes que nous apporterons près d’elle. Notre piété pour lui sera aussi notre piété pour tous ceux de ses camarades qui sont tombés comme lui.

Notre piété pour vous sera aussi notre piété pour tous les parents, des nôtres qui pleurent comme vous. De ce coin de terre auquel vous confiez ses restes, notre tristesse, en rejoignant la vôtre, s’en ira vers ceux dont nul ne sait où sont les restes, dont aucune tombe ne gardera jamais le nom, dont les pères et les mères n’auront jamais un coin de terre où s’agenouiller pour pleurer

Ce sont bien là, n’est-ce pas, vos pensées, par quoi votre deuil se grandit et s’ennoblit du deuil de tous ceux qui ont donné comme vous leurs enfants. Allez. Emportez dans vos cœurs, avec votre douleur à vous, la grande douleur commune, rançon de l’espérance commune. Un jour viendra, bientôt, je l’espère, où nous vous retrouverons ici, pour vous rendre la chère dépouille. Les souffrances d’aujourd’hui ne seront pas éteintes : dans votre mémoire des images se lèveront en foule pour les raviver ; mais vous sentirez aussi sur vous, ce jour-là, la bénédiction de la patrie, et, tout bas, la voix même de celui que vous pleurerez encore murmurera à vos oreilles la parole du dieu de paix et de miséricorde : « bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » 

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Le lieu où repose actuellement le capitaine Gérard m’est inconnu. 

Sources :

Les Lettres rédigées par Blanche Gérard et les documents proposés ici, proviennent toutes de ma collection personnelle. 

Un grand merci à M. Bordes et à A. Carobbi.

 

28 avril 2014

Blanche Gérard... Quelques lettres rédigées à l'attention du père et de la soeur du capitaine Gabriel Gérard (2e partie).

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Charles Gérard et sa fille Marcelle reçoivent les dernières consignes de Blanche avant de se rendre dans la capitale pour le weekend…

Vendredi 14 juin 1918,

Bien Chers,

Ainsi que je vous le disais dans ma lettre de ce matin, la nuit a été très mauvaise. Mercredi soir, j’avais quitté Gabriel vers 18 h 30 après lui avoir fait donner un potage, un œuf à la coque et un peu de confiture. Il paraît que dans la nuit, il a eu une grande agitation, il voulait même se lever. D’où une situation tendue avec une grosse fièvre et des secousses nerveuses. En arrivant près de lui vers midi et demi, je l’ai trouvé dans une prostration extrême avec des compresses d’eau sur la tête. Je ne l’ai plus quitté d’une minute. L’après-midi de jeudi a été pénible pour lui et plus encore pour les infirmières et pour moi moralement. On lui a injecté un litre et demi de sérum dans les cuisses, par un goutte à goutte ; ensuite, il y a eu une succession de piqûres de toutes sortes. Toute la nuit, il se tournait dans son lit et sautait comme une carpe. À 3 h 00, quelqu’un est venu le sonder, cela n’a pas duré une demi-heure tellement il est faible. Je me demande si vous ne feriez pas mieux d’attendre pour venir le voir. Faites donc comme vous voudrez.

Sa croix est belle à voir sur sa tunique et le trou qu’elle a derrière aussi. Cette nuit, il m’a appelé plus de 50 fois, cela, malgré le fait que je sois souvent à son chevet. Que ferai-je cette nuit, je ne sais, je vais voir comment va se passer la suite.

Il me faudrait soit mon bracelet-montre, ou celui de Marcelle qui se trouve chez Jacqueline. C’est ce qui me manque le plus. Surtout, apportez-moi ma robe avec1, 2 ou 3 guimpes en tulles qui sont à prendre dans le devant de mon armoire et puis des gants. Pouvez-vous m’apporter des cartes de visite et des enveloppes ? 

 Le docteur Iselin est passé vers 11 h 00. Il lui a retiré trois haricots d’urine. Il lui a posé un appareil qui va permettre de lui faire, deux fois par jour, des lavages de vessie au nitrate d’argent. Le fait de le faire boire beaucoup, c’est peut-être cela qui lui a occasionné cette journée de fièvre et cette grande agitation qui dure depuis samedi soir 22 h 00. Juste 48 heures de souffrance.

Gabriel est maintenant soulagé, il se repose et reste bien calme, ce qui change avec ce que j’ai vu depuis midi.

Venez donc pour vous tranquilliser, tant pis si le séjour devra être court près de lui. Attention donc à mes commissions. Je vous attendrai chez Marthe. Au cas où je n’y serais pas, vous y déposerez le sac et vous viendrez me trouver à l’hôpital. Vous le verrez donc un peu le matin et un peu le soir. 

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Le père et la sœur de Gabriel Gérard ont quitté Paris pour rejoindre la Bretagne. Blanche fait le choix de demeurer auprès de son fils, elle estime que sa présence reste indispensable. Elle continue d’envoyer régulièrement des nouvelles aux siens. Les journées s’écoulent…

Lundi 17 juin 1918,

 Bien chers,

Je suis au chevet de Gabriel depuis 9 h 30 ce matin. Je l’ai admiré dormir jusqu’à 10 h 15, heure à laquelle on est venu s’occuper de lui. Les soins ont duré jusqu’à 11 h 45. Je lui ai alors fait la toilette de la figure et des mains et on lui a donné un peu de bouillon de légumes.

Je vais sortir un peu pour aller déjeuner et je reviendrai vers 15 h 00. Il dort tranquillement et il paraît que la nuit n’a pas été mauvaise. Je ne le quitterai que vers 19 h 00 pour rejoindre Marthe et dormir aussi bien que cette nuit. Couchée à 20 h 30, je me suis reposée jusqu’à 8 h 00, d’un seul somme tellement j’étais fatiguée.

Il faudra répondre à l’évêque. Gabriel le fera lui-même quand il le pourra.

Je vous quitte pour aller déjeuner

Affection

Blanche

Adressez vos lettres à Gabriel à l’hôpital.

Mardi 18 juin 1918 à 14 h 00,

Mon cher Charles,

Toute l’après-midi d’hier lundi a été occupée après Gabriel tellement il en a fait des pleins chapeaux. Plus deux fois cette nuit et encore tout à l’heure. J’arrivais, on venait de le changer. Il va un peu mieux, la température est bonne. Monsieur Iselin que j’ai vu ce matin m’a dit que pour quelque temps encore, il fallait vivre au jour le jour.

Écris-moi chez Marthe, j’ai ta lettre tous les matins avant de la quitter. Il y a amélioration pour Gabriel, dans ce sens qu’il se sent évacuer et que même tout à l’heure, il appelé pour qu’on lui donne le bassin. L’appétit revient lentement et il a un gros bouton de fièvre à la lèvre.  Si le mieux continuait, je partirais lundi ou mardi. Je commence à m’ennuyer ici et à bien être fatiguée.

Au revoir, c’est l’heure de mettre ma lettre à la poste.

Écris à Madame Garneau pour les remercier d’être venus voir Gabriel et encore les regrets de ne pas avoir été présent pour le faire toi-même.

Affections à tous les deux

Blanche

La solde de Gabriel vient d’arriver, plus de 700 francs.

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Mercredi 19 juin 1918 à 14 h 00,

Bien cher,

La journée d’hier, n’a pas été brillante, nous avions hier soir 40° 3 et ce matin 39°. La fièvre est donc encore persistante. Cependant, il a évacué et uriné. On me dit que la plaie est belle. Lorsque je suis arrivée, il avait des envies de vomir, ce qu’il a  rarement fait dans sa vie.

Mes inquiétudes subsistent donc toujours et qu’y faire !!!

Il faut, mon cher Charles, que tu gardes tes papiers tout près pour un voyage imprévu. Hier, il a reçu sa solde sous la délégation 783 francs.

Il  a envoyé ce matin sa créance de Valette, il lui reste donc un peu plus de 335 francs. Seulement, à la fin du mois, il ne touchera plus que 450 francs. Mais il n’en a pas besoin de sitôt. Malheureusement.

On te donnera le nom de l’infirmière plus tard, lorsqu’elle saura quand son frère arrivera au lycée.

Je suis toujours avec Gabriel, toutes les après-midi et vous pouvez suivre par la pensée.

Affections à tous deux,

Blanche

14 h 30 : Gabriel vient de vomir. L’infirmière me dit qu’il va y avoir des hauts et des bas encore pendant au moins15 jours ou trois semaines. Elle dit aussi qu’il ne faut pas s’inquiéter, que c’est normal. Il souffre beaucoup aujourd’hui de la tête.

Sources :

Le morceau de plan de Paris utilisé pour le montage provient du site suivant :

Atlas historique de Paris

La photographie de l’hôpital Marie Lannelongue a été réalisée par le photographe Chevojon. L’architecte 1913. Planche XLI.

 Les Lettres rédigées par Blanche Gérard proviennent toutes de ma collection personnelle.

Un grand merci à M. Bordes et à A. Carobbi.

21 avril 2014

Blanche Gérard... Quelques lettres rédigées à l'attention du père et de la soeur du capitaine Gabriel Gérard (1ère partie).

Hopital auxiliaire n° 21 de Meaux

Dans les tout premiers jours de juin 1918, la famille du capitaine Gérard est informée de son hospitalisation à l’hôpital auxiliaire n° 21 de Meaux.

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Très inquiète, et faisant fi de toute prudence,  Blanche souhaite se rendre le plus rapidement possible au chevet de son fils. Le 5 juin, elle obtient un titre de transport à la suite d’une demande qui a été faite à la mairie de Saint-Brieuc. Elle quitte la maison familiale pour rejoindre la capitale. Madame Gérard s’installe dans un petit hôtel parisien. Elle ne sait pas encore que son séjour va durer plusieurs semaines. Chaque matin, elle prend le train pour se rendre à Meaux.

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Blanche Gérard écrit presque quotidiennement à son époux Charles et à sa fille Marcelle, pour les tenir informés de l’état de santé du capitaine Gérard.

Jeudi 6 juin 1918, 16 h 00,

Mes chers aimés,

Je suis près de Gabriel depuis 8 h 15. Je l’ai trouvé un peu pâle, mais ce soir, il a l’air d’aller bien. Voici le diagnostic de sa blessure à faire voir au docteur de Roques. Il lui faut au moins trois semaines avant qu’il ne soit transportable à l’intérieur. J’ai l’intention de rester un jour ou deux près de lui. Je lui suis utile, car c’est un hôpital de grands blessés et tout le personnel est très occupé par les grands blessés qui arrivent continuellement. Ci-joint un certificat à faire légaliser. Qu’il soit tout près en cas de besoin. Que Marcelle soit une bonne ménagère et une bonne cuisinière. Ma présence est utile près de Gabriel, je le vois bien. Affections à tous les deux.

Cette lettre part par le train de 5 h 29 de Meaux, je vais la porter à la gare.

Ambulance_14_13

Vendredi 7 juin 1918, 17 h 00,

Mon cher Charles,

Je rentre de voir Gabriel, la température est toujours à 38° 7, elle n’augmente pas. Le docteur trouve la plaie plus jolie. La nuit a été meilleure et la journée aussi. Si cela continue, je crois qu’on pourra bientôt le transporter dans deux ou trois jours dans une ambulance que Dupuis va nous indiquer demain, sous les ordres du docteur Desjardins de qui il répond. Il faudra donc, lundi matin, prendre dans les titres qui se trouvent dans le placard du mur du couloir, après le porte-manteau en bois, le bon de la défense nationale de 500 francs, sur lesquels on te donnera 400 francs, que tu m’enverras le matin même. En allant à 9 h 00 juste, et en se dépêchant, ton chargement pourra partir le matin même et je l’aurai le mardi matin ou le soir.

Gabriel est soigné par la belle-fille de Monsieur Rioche qui va bien et qui s’est sauvée des ambulances évacuées du front. Il faut aller donner de ses nouvelles à son beau-père. Demande son adresse au postier.

Marcelle devra s’occuper de la maison, elle n’a qu’à croire qu’elle est mariée et c’est tout ! Ma présence est utile ici et ce n’est pas la peine que j’aille vous expliquer tout cela de vive voix. Monsieur Plamon est venu voir Gabriel, je vais aller le voir tout à l’heure.

Espérons donc que, dans une bonne semaine prochaine, je suivrai de près les progrès. Je lui ai apporté un bout de camembert de Paris qu’il a mangé.

Affections,

Blanche

Samedi 8 juin 1918, 11 h 00,

Je vous écris en gare où j’attends le train de Paris d’où je reviendrai ce soir. Ce matin, la température était de 37° 8. On lui a fait, devant moi, une piqure à l’huile camphrée et son pansement. La blessure est belle,disent les docteurs, et l’état général s’améliore. Je vais régler le problème d’évacuation d’ici. Depuis que les docteurs savent que Gabriel va être transporté avec le docteur Desjardins, on y fait attention. Ici encore,  il n’y a pas de doute, que le nom de l’école ait été efficace. Je ne le quitterai qu’une fois installé en mains sûres. Tant pis pour la dépense. Ce matin, on l’a mis sur un brancard et on l’a chargé devant moi. Ce qui fait que j’ai l’esprit plus tranquille. Mais quelle saleté ces hôpitaux de triage ! 

Je viens de voir la levée de corps d’un jeune aviateur. Quelle tristesse ! Et dire que nous aurions pu avoir le même chagrin !

Attendez avant d’expédier l’argent. À nous deux, Gabriel et moi, nous avons 400 francs et j’en demanderai à Marthe si besoin. J’ai peur d’être partie d’ici, avant qu’il n’arrive. Il me semble qu’il vaudrait mieux l’envoyer à Marthe puisqu’elle va  encore m’être très précieuse dans la circonstance.

Voilà deux jours que je mange à l’ambulance avec les infirmières et j’ai trouvé un petit hôtel pour coucher à 2 francs 50 la nuit. Hier vendredi, j’ai déjeuné à Paris à 13 h 00 dans un Duval pour 3 francs 85, une omelette et des pommes de terre et un peu de camembert. Il y a aussi les pourboires, les timbres et les métros et tout ce qui s’ensuit. Mais Gabriel paraît mieux et il est si content. C’est tout ce que je désire. Quand il sera à Paris, je serai plus tranquille. Nous viendrons le voir à tour de rôle et Marthe ira, souvent je l’espère. Donc, encore quelques jours d’angoisses et de fatigue et après on se reposera.

Nous avons été si près du pire. Jusqu’au 4 juin, il avait 40° 9 !!!

Samedi 8 juin 1918, 17 h 00,

 Mes biens chers,

Je vous écris toute seule dans une chambre et je peux mieux vous dire ce que je pense. Gabriel est gravement atteint. Il peut se remettre, me dit le docteur, mais il ne faut pas s’illusionner. Ce sera très long. Cependant, le danger immédiat semble conjuré. On va le transporter à Paris. Le docteur m’a prise à part, hier soir, et m’a dit qu’il était de la plus grande urgence que je ne l’emmène pas sans qu’il ne soit dans une gouttière. On en a demandé une à Paris, cela pourra mettre encore 2 ou 3 jours à arriver. Alors, je le ferai emmener à l’ambulance du professeur Desjardins indiqué par l’école, c’est le premier chirurgien de Paris et on pourra retenir son diagnostic. Il y a trois jours, par le même moyen, on a emmené le fils de Marcel Hutin. Mais ce moyen n’est permis qu’aux gens aisés. Enfin, Gabriel paraît content de cet arrangement et m’a embrassée hier soir avec émotion de ce que je faisais pour lui. Dupuis a été très chic. Je dois y retourner ce tantôt, pour arrêter tout définitivement. Donc, le samedi soir 16, vous pourrez peut-être embarquer pour venir le voir à Paris. Enfin, on verra d’ici là ! Marcelle souffrira peut-être d’avoir à s’occuper de la maison, mais, à vous deux, vous aurez tout de même moins de peine que moi de voir notre trésor aussi amoché. L’ennui encore, c’est que madame Riche quitte l’ambulance aujourd’hui. Elle était fort aimable et fort adroite. Gabriel l’aimait beaucoup. Il va devoir s’habituer à de nouvelles figures.

Je trouve inutile de retourner à Saint-Brieuc tout de suite. Passer encore deux nuits, Gabriel veut que je reste et les docteurs et les infirmières sont unanimes à constater combien il y a  de progrès depuis mon arrivée. Tant mieux, si cela a pu contribuer à cette amélioration.

Vous devez bien penser si je suis triste à côté de lui, et ma pensée va vers vous deux qui devez être, par moments, bien embarrassés.

Ne vous chamaillez pas trop, si vous voyiez ce que je vois et les cris que j’entends, vous vous trouveriez au paradis. Dites aux sœurs de prier pour Gabriel, il en a besoin. La température était hier de 38° 2, ce matin, cela n’augmente pas. Le liquide rachidien coule de moins en moins de sa plaie.

J’ai couché, cette nuit, dans un petit hôtel. Tant pis pour l’argent, si Gabriel nous reste, c’est le principal.

Affections les meilleures

Blanche

Au fur et à mesure que la température de son fils baisse, le moral de Blanche revient. Les messages donnés par les médecins se veulent rassurants, mais tous rappellent la gravité de la blessure du capitaine Gérard.

Dimanche 9 juin 1918, 18 h 00,

Bien Chers,

La température à 17 h 00 était de 37° 4. Je vais, à nouveau, surveiller son dîner. Un soupçon de bouillon avec un œuf. Un œuf à la coque. Demain matin à 5 h 40, je file à Paris. Il me vient une idée géniale ! Je vais trouver le docteur Iselin pour savoir à quelle ambulance il est affecté. Dommage que cette idée ne me soit pas venue plus tôt. Il n’y a pas, il faut que Gabriel soit hors d’ici bientôt. Gabriel vient de trouver à faire prévenir de Parseval.

Affections,

Blanche

Blanche Gérard se démène pour que son fils puisse changer d’Hôpital. Les démarches ne sont vraiment pas simples à mettre en place. Elle devra aller jusqu’au sous-secrétariat d’état du service de santé militaire pour obtenir gain de cause.  Grâce à l’intervention de sa mère, le capitaine Gérard pourra bientôt se faire soigner à l’hôpital n° 133, au 108 avenue d’Ivry à Paris.

Meaux, mardi 11 juin 1918 ce matin à 8 h 00,

Bien chers,

On attend l’ambulance militaire munie d’une gouttière de Bonnet pour transporter Gabriel à l’ambulance du docteur Iselin. Gabriel a été décoré hier soir 10 juin, à 20 h 30 par les docteurs qui avaient reçu des ordres du sous-secrétariat où j’étais allée hier tantôt 2 fois. Cela a été fort bon pour son moral et il a été très ému, moi pas. Je trouvais que cela lui était dû. Je suis ravie au point de vue pratique et lui l’est bien plus du côté moral. On lui a attaché le ruban rouge et la croix de guerre avec palme sur sa chemise de nuit. Je les ai mises ensuite sur sa tunique, ce qui est d’un heureux effet. L’état s’améliore, j’espère maintenant après le diagnostic du docteur Iselin, ce qui ne saurait tarder, puisque nous serons chez lui ce soir. Je vous écrirai plus longuement demain en vous disant ce qu’il faut m’apporter. Je vais coucher chez Marthe. Il ne faut donner son adresse à personne sous aucun prétexte. Je vous l’envoie à vous, il a besoin de calme, car il va redevenir faible.

Cette lettre écrite à Meaux sera envoyée de Paris comme les autres.

Affections,

Blanche 

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Mardi 11 juin 1918,

Bien chers,

Vous allez avoir des surprises agréables. Écoutez plutôt : dimanche, dans l’après-midi, étant au chevet de Gabriel, l’idée m‘est venue que le docteur Iselin était affecté à une ambulance de Paris. J’ai pris le train à 5 h 40 lundi et je suis venue à son domicile privé. Je l’ai vu à 8 h 15. Immédiatement, il m’a donné un billet disant qu’il serait désireux d’avoir le capitaine Gérard dans son service, qu’il s’agissait d’une blessure dans la région sacrée, chose qui était tout à fait de son ressort.

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Il m’envoie à la place de l’hôtel des Invalides. De ce bureau, on me renvoie au lycée Buffon, au service de santé puis au sous-secrétaire d’État (65 rue de Varenne) disant que le transfert ne dépendait que du sous-secrétaire et qu’il me fallait une lettre d’audience pour être reçue. J’ai répondu à l’huissier : « Non Monsieur, il s’agit d’un capitaine gravement blessé et je n’ai pas le temps, ni le droit de compliquer la situation. Je tiens absolument à voir quelqu’un du sous-secrétariat. » Il me répond : «  Et bien Madame ! Voyez un des chefs adjoints. Voici les noms de deux de ces messieurs, choisissez ! »

À tout hasard, je choisis le nom de Monsieur Vivier. Arrivée là avant 11 h 00, je n’ai été reçue qu’à 12 h 15. J’arrive dans un bureau devant un Monsieur de 60 à 65 ans, qui, après m’avoir laissée m’expliquer, me dit tout de suite que je ne pourrais pas obtenir satisfaction.

«  Comment Monsieur ?  Vous me refusez d’enlever mon fils, à mes frais, quand il était voisin de lit avec le fils de Marcel Hutin qui a été enlevé par ambulance spéciale il y a quelques jours ! Je ne suis pas Madame Hutin, cependant, ce qui a été accordé au caporal Hutin peut bien être accordé au capitaine Gérard, élève de l’école normale supérieure et qui en est à sa 3e blessure !

À ce moment, comme un Méphisto, il est sorti de derrière un paravent vert, un capitaine à 3 galons, qui m’a fait préciser si vraiment Gabriel est bien élève à l’école normale supérieure.

« Parfaitement Monsieur, promotion 1914, et Monsieur Dupuis, que j’ai vu samedi, ne veut pas le voir transporter à l’ambulance de l’école vue sa défectuosité. Il cherche un endroit convenable à m’indiquer. De plus, je me suis souvenue, hier soir seulement, que le docteur Iselin, que nous connaissions, était affecté à une ambulance de Paris comme Major. En lui, j’ai une grande confiance. Voici l’hôpital qu’il m’indique. »

« Oh Madame, revenez vers 14 h 00 et je pourrai vous donner une réponse. »

«  Si elle doit être négative, inutile Monsieur, de me priver de la présence de mon fils quelques heures de plus. La gravité de sa blessure m’engage à ne pas le quitter, et j’ai, du reste, l’autorisation du médecin inspecteur Lesnay depuis jeudi soir, puisque j’étais au chevet de mon fils lorsqu’il est passé et que je sais que ce médecin inspecteur avait pris bonne note de la proposition de décoration faite en sa faveur. »

« Comment Madame ? J’étais avec l’inspecteur Lesnay, et je me souviens bien en effet d’un grand blessé du nom de Gérard. Mais pourquoi n’avoir pas dit à ce moment, les titres de votre fils ? »

« Oh Monsieur, j’étais arrivée depuis quelques heures à peine et j’étais tellement émotionnée que je n’ai nullement pensé à ce détail, et puis, Monsieur, la question pour moi est de retirer mon fils de l’hôpital de Meaux. »

«  Et bien Madame, revenez à 14 h 30. »

En arrivant vers cette heure, les deux hommes de ce matin sont venus vers moi, l’officier à 3 galons me dit :

« Oh Madame, nous sommes entre nous, dans un milieu universitaire. Je suis, moi aussi, élève de l’école et chargé des travaux pratiques à la faculté de Rennes et voici ce que nous avons décidé, Monsieur Vivier et moi. Vous allez rentrer près de votre fils et lui dire ceci : par mesure de faveur et surtout on compte sur votre discrétion afin que pareille demande ne se renouvelle, qu’il se tranquillise. Demain matin, à 20 h 00, une ambulance militaire munie d’une gouttière de Bonnel et un médecin auxiliaire avec tout ce qu’il faut, seront à l’hôpital de Meaux. À midi, votre fils sera à l’hôpital que vous indiquez. Nous nous sommes renseignés, l’hôpital est de premier ordre, repartez donc tranquille Madame et tous nos vœux pour le rétablissement de votre enfant.

Et bien Monsieur, à qui vais-je devoir payer cette auto ? Ne vous inquiétez pas, Madame ! C’est le service militaire envoyé par le sous-secrétaire d’État. Nous ne vous demandons que de la discrétion. »

 Je me suis confondue en remerciements. Mais que veux-tu, c’est un normalien qui rendait service à un camarade, à côté de ce service, il en avait ajouté un autre que tu vas savoir tout à l’heure.

Je quitte la rue de Varennes à 15 h 00 et j’étais à 15 h 30 à la gare de l’est d’où je t’ai télégraphié. J’ai pris le train de 16 h 20 et à 18 h 00 j’étais au chevet de Gabriel qui savait déjà, par le médecin-chef,qu’il partait le lendemain, qu’il était décoré et qu’on attendait le principal à 5 galons pour la cérémonie. Les infirmières ont rangé un peu la chambre et les fleurs de Madame Tardieu que Gabriel avait reçues le matin pendant  mon absence, étaient à côté de lui. La direction était venue apporter deux belles roses rouges. Entre 20 h 30 et 21 h 00, un principal à 5 galons, le médecin-chef à 4, un autre à 3, deux autres à 2 et un auxiliaire sont arrivés. On lui a attaché sur sa chemise de nuit, une croix rouge et une croix de guerre avec palme. Il est devenu très rouge, a fait le salut militaire et était content, très content. Il avait surtout eu de l’émotion, lorsque le médecin-chef était venu lui dire à 15 h 00 qu’on allait le décorer. En même temps on télégraphiait du sous-secrétariat à cet hôpital qu’on veuille bien préparer la meilleure chambre pour le capitaine Gérard et pour que la faveur soit un peu masquée. Comme il y avait place pour 3 grands blessés couchés dans l’ambulance, on en a mis deux à côté de lui. Le fils du général Morel et un lieutenant du 356e R.I. dont les parents habitent Neuilly, mais qui sont trois dans la même chambre tandis que Gabriel est tout seul dans une jolie chambre ripolinée de blanc et confortable. On attend le docteur Iselin. J’ai télégraphié à Dupuis qui va arriver ce soir. Ce matin, l’auto est arrivée. Gabriel a fait le voyage en moins de temps que moi. Il était enveloppé de ouate dans une gouttière et pendant qu’on l’emballait, il a demandé plusieurs fois si sa maman était là. Il est venu ici avec un maximum de bien être, mais c’était tout de même triste. Il était comme dans un cercueil. Il ne me parait pas plus fatigué que ce matin et combien mieux installé.

Moi, je ne suis arrivée ici qu’à 14 h 00, il m’attendait avec impatience. Les communications pour y venir sont difficiles. Il me manque un plan de Paris pour m’orienter. Demain, je vous écrirai ce qu’il faudra m’apporter en venant, car je compte rester ici pour voir quelle tournure la blessure va prendre. Du moment que Marcelle voit son papa, j’ai toute ma tranquillité d’esprit pour rester près de Gabriel. Il me manque mon crochet, mais demain, je vais lui raccommoder ses habits. Il veut qu’on laisse le trou de sa tunique. C’est, parait-il, très chic de laisser l’endroit où on a été blessé. Je couche chez Marthe ce soir, après, on verra. Sa température est ce soir de 38° 6.

Le matin, Gabriel aura du chocolat. Déjeuner à 11 h 00 et repas à 17 h 00. Régime spécial jusqu’à nouvel ordre. On ne peut pas venir le voir le matin. Seulement à partir de midi,vient de me dire la directrice.

Il est 18 h 00, je vais clore ma lettre. Je vous écrirai à nouveau demain.

Affections à tous les deux.

Blanche

Hopital_Marie_Lannelongue

Le capitaine Gérard est maintenant installé à l’hôpital parisien Marie Lannelongue. Blanche rédige une lettre depuis la chambre occupée par Gabriel. Elle organise le voyage de son époux et de sa fille qui doivent venir les rejoindre pour le weekend.

Mercredi 12 juin 1918,

Mes bien chers,

Je suis près de Gabriel depuis 13 h 30, car on ne veut de personne le matin. Marthe est venue avec moi. Le docteur Iselin l’a vu ce matin, la plaie est en bon état. Il lui a fait une incision au bras gauche qui était très enflé à cause des piqûres qu’on lui a faites depuis 15 jours. Le docteur le passera à la radio vendredi matin, pour voir où est le fameux éclat d’obus et après on verra à le lui enlever. Gabriel est assez faible aujourd’hui, mais il n’y a rien d’étonnant, parce qu’on a été après lui toute la matinée pour une chose ou pour une autre. Si j’avais mon crochet, ce serait parfait.

Je suis allée coucher chez Marthe cette nuit et j’y couche encore ce soir. Comme elle part pendant 3 jours, je coucherai toute seule chez elle et lorsque vous serez là dimanche, nous l’emmènerons, avec Hipo, déjeuner au restaurant.

Vous prendrez donc le train samedi soir à 20 h 11 pour être ici à 6 h 00. Vous viendrez par le métro « Gare de Lyon », vous demandez où il faut changer de correspondance.

Marcelle mettra son costume marin, ses chaussures jaunes et son chapeau de paille qui est dans son armoire. De plus, qu’elle mette sa capote, les nuits sont fraîches. Il faut qu’elle mette aussi son polo de laine blanche pour la nuit pour dormir.

C’est une chose qui me manquait en venant. Apportez-moi deux ou trois mouchoirs blancs, une chemise, un cache-corset empire et une paire de bas. Le tout dans un sac de cuir qui se trouve dans l’armoire grise de la chambre de Marcelle. Au fond du sac, Marcelle pourra mettre, en faisant attention de ne pas la froisser, ma robe à mille raies et une ou deux guimpes blanches en tulle, qui sont dans le devant de mon armoire. Et surtout, ne pas vous coucher sur ce sac la nuit pour ne pas froisser. Et c’est tout. Si vous pouviez trouver un morceau d’excellent beurre samedi matin, vous l’apporteriez en l’emballant bien et en le mettant au fond du sac pour madame G… , morceau d’un kilo et un plus petit morceau d’une livre pour Marthe. Vous repartirez le soir même parce que je ne veux pas que papa Charles reste seul pour les repas. Je tiens à rester une semaine encore, afin de bien voir quelles tournures vont prendre les évènements, puisqu’on va opérer Gabriel probablement bientôt. À moins que l’évacuation de Paris se fasse, dans ce cas, je rentre.

Je n’ai nullement besoin d’argent et si vous m’en avez envoyé, gardez bien le reçu de l’envoi, car la lettre va courir après moi dans différents endroits.

J’ai écrit aux Antoine et avant de quitter, dimanche matin, la gare Montparnasse, reprenez vos billets pour le soir, ce sera plus sûr. Marthe vous donnera des colis qu’elle fera enregistrer dans la journée avec vos billets.

Votre billet d’hôpital de Meaux va vous servir. J’en demanderai un autre ici, ces temps-ci.

Surtout, pour le beurre, mettez assez de papier qu’il ne puisse graisser et ne vous couchez pas dessus pour le faire fondre et froisser ma robe. Avec les billets de demi-place comme on les a, les frais ne seront pas énormes. Gabriel sera très content de vous voir. Demain, je vais arranger la croix sur sa tunique, mais il n’est pas près, le pauvre, de s’exhiber avec sa tunique trouée à la fesse. Ce sera la tenue des grands jours de fête.

Je vais me reposer tranquillement dans le lit de Marthe. Vendredi et samedi toute la journée, j’aurai l’illusion qu’il est à moi. Pourvu que les Gothas ne viennent pas me troubler la nuit.

Dupuis est venu voir Gabriel. Malheureusement, je n’étais pas là, mais hier soir, en repartant, le hasard m’a fait le rencontrer dans le tramway, et nous avons causé.

Apportez le plan de Paris et voyez où se trouve Lannelongue, à l’angle de la rue Tolbiac et de l’avenue d’Ivry. Gabriel est dans une chambre donnant sur la rue de Tolbiac, mais l’entrée est Ivry.

Affections à tous les deux,

Blanche

Sources :

Les lettres rédigées par Blanche Gérard et les documents proposés proviennent de ma collection personnelle.

Un grand merci à M. Bordes et à A. Carobbi.

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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