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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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21 avril 2014

Blanche Gérard... Quelques lettres rédigées à l'attention du père et de la soeur du capitaine Gabriel Gérard (1ère partie).

Hopital auxiliaire n° 21 de Meaux

Dans les tout premiers jours de juin 1918, la famille du capitaine Gérard est informée de son hospitalisation à l’hôpital auxiliaire n° 21 de Meaux.

De_la_zone_de_la_blessure___la_ville_de_l_hopital_de_triage

Très inquiète, et faisant fi de toute prudence,  Blanche souhaite se rendre le plus rapidement possible au chevet de son fils. Le 5 juin, elle obtient un titre de transport à la suite d’une demande qui a été faite à la mairie de Saint-Brieuc. Elle quitte la maison familiale pour rejoindre la capitale. Madame Gérard s’installe dans un petit hôtel parisien. Elle ne sait pas encore que son séjour va durer plusieurs semaines. Chaque matin, elle prend le train pour se rendre à Meaux.

Titre_de_transport

Blanche Gérard écrit presque quotidiennement à son époux Charles et à sa fille Marcelle, pour les tenir informés de l’état de santé du capitaine Gérard.

Jeudi 6 juin 1918, 16 h 00,

Mes chers aimés,

Je suis près de Gabriel depuis 8 h 15. Je l’ai trouvé un peu pâle, mais ce soir, il a l’air d’aller bien. Voici le diagnostic de sa blessure à faire voir au docteur de Roques. Il lui faut au moins trois semaines avant qu’il ne soit transportable à l’intérieur. J’ai l’intention de rester un jour ou deux près de lui. Je lui suis utile, car c’est un hôpital de grands blessés et tout le personnel est très occupé par les grands blessés qui arrivent continuellement. Ci-joint un certificat à faire légaliser. Qu’il soit tout près en cas de besoin. Que Marcelle soit une bonne ménagère et une bonne cuisinière. Ma présence est utile près de Gabriel, je le vois bien. Affections à tous les deux.

Cette lettre part par le train de 5 h 29 de Meaux, je vais la porter à la gare.

Ambulance_14_13

Vendredi 7 juin 1918, 17 h 00,

Mon cher Charles,

Je rentre de voir Gabriel, la température est toujours à 38° 7, elle n’augmente pas. Le docteur trouve la plaie plus jolie. La nuit a été meilleure et la journée aussi. Si cela continue, je crois qu’on pourra bientôt le transporter dans deux ou trois jours dans une ambulance que Dupuis va nous indiquer demain, sous les ordres du docteur Desjardins de qui il répond. Il faudra donc, lundi matin, prendre dans les titres qui se trouvent dans le placard du mur du couloir, après le porte-manteau en bois, le bon de la défense nationale de 500 francs, sur lesquels on te donnera 400 francs, que tu m’enverras le matin même. En allant à 9 h 00 juste, et en se dépêchant, ton chargement pourra partir le matin même et je l’aurai le mardi matin ou le soir.

Gabriel est soigné par la belle-fille de Monsieur Rioche qui va bien et qui s’est sauvée des ambulances évacuées du front. Il faut aller donner de ses nouvelles à son beau-père. Demande son adresse au postier.

Marcelle devra s’occuper de la maison, elle n’a qu’à croire qu’elle est mariée et c’est tout ! Ma présence est utile ici et ce n’est pas la peine que j’aille vous expliquer tout cela de vive voix. Monsieur Plamon est venu voir Gabriel, je vais aller le voir tout à l’heure.

Espérons donc que, dans une bonne semaine prochaine, je suivrai de près les progrès. Je lui ai apporté un bout de camembert de Paris qu’il a mangé.

Affections,

Blanche

Samedi 8 juin 1918, 11 h 00,

Je vous écris en gare où j’attends le train de Paris d’où je reviendrai ce soir. Ce matin, la température était de 37° 8. On lui a fait, devant moi, une piqure à l’huile camphrée et son pansement. La blessure est belle,disent les docteurs, et l’état général s’améliore. Je vais régler le problème d’évacuation d’ici. Depuis que les docteurs savent que Gabriel va être transporté avec le docteur Desjardins, on y fait attention. Ici encore,  il n’y a pas de doute, que le nom de l’école ait été efficace. Je ne le quitterai qu’une fois installé en mains sûres. Tant pis pour la dépense. Ce matin, on l’a mis sur un brancard et on l’a chargé devant moi. Ce qui fait que j’ai l’esprit plus tranquille. Mais quelle saleté ces hôpitaux de triage ! 

Je viens de voir la levée de corps d’un jeune aviateur. Quelle tristesse ! Et dire que nous aurions pu avoir le même chagrin !

Attendez avant d’expédier l’argent. À nous deux, Gabriel et moi, nous avons 400 francs et j’en demanderai à Marthe si besoin. J’ai peur d’être partie d’ici, avant qu’il n’arrive. Il me semble qu’il vaudrait mieux l’envoyer à Marthe puisqu’elle va  encore m’être très précieuse dans la circonstance.

Voilà deux jours que je mange à l’ambulance avec les infirmières et j’ai trouvé un petit hôtel pour coucher à 2 francs 50 la nuit. Hier vendredi, j’ai déjeuné à Paris à 13 h 00 dans un Duval pour 3 francs 85, une omelette et des pommes de terre et un peu de camembert. Il y a aussi les pourboires, les timbres et les métros et tout ce qui s’ensuit. Mais Gabriel paraît mieux et il est si content. C’est tout ce que je désire. Quand il sera à Paris, je serai plus tranquille. Nous viendrons le voir à tour de rôle et Marthe ira, souvent je l’espère. Donc, encore quelques jours d’angoisses et de fatigue et après on se reposera.

Nous avons été si près du pire. Jusqu’au 4 juin, il avait 40° 9 !!!

Samedi 8 juin 1918, 17 h 00,

 Mes biens chers,

Je vous écris toute seule dans une chambre et je peux mieux vous dire ce que je pense. Gabriel est gravement atteint. Il peut se remettre, me dit le docteur, mais il ne faut pas s’illusionner. Ce sera très long. Cependant, le danger immédiat semble conjuré. On va le transporter à Paris. Le docteur m’a prise à part, hier soir, et m’a dit qu’il était de la plus grande urgence que je ne l’emmène pas sans qu’il ne soit dans une gouttière. On en a demandé une à Paris, cela pourra mettre encore 2 ou 3 jours à arriver. Alors, je le ferai emmener à l’ambulance du professeur Desjardins indiqué par l’école, c’est le premier chirurgien de Paris et on pourra retenir son diagnostic. Il y a trois jours, par le même moyen, on a emmené le fils de Marcel Hutin. Mais ce moyen n’est permis qu’aux gens aisés. Enfin, Gabriel paraît content de cet arrangement et m’a embrassée hier soir avec émotion de ce que je faisais pour lui. Dupuis a été très chic. Je dois y retourner ce tantôt, pour arrêter tout définitivement. Donc, le samedi soir 16, vous pourrez peut-être embarquer pour venir le voir à Paris. Enfin, on verra d’ici là ! Marcelle souffrira peut-être d’avoir à s’occuper de la maison, mais, à vous deux, vous aurez tout de même moins de peine que moi de voir notre trésor aussi amoché. L’ennui encore, c’est que madame Riche quitte l’ambulance aujourd’hui. Elle était fort aimable et fort adroite. Gabriel l’aimait beaucoup. Il va devoir s’habituer à de nouvelles figures.

Je trouve inutile de retourner à Saint-Brieuc tout de suite. Passer encore deux nuits, Gabriel veut que je reste et les docteurs et les infirmières sont unanimes à constater combien il y a  de progrès depuis mon arrivée. Tant mieux, si cela a pu contribuer à cette amélioration.

Vous devez bien penser si je suis triste à côté de lui, et ma pensée va vers vous deux qui devez être, par moments, bien embarrassés.

Ne vous chamaillez pas trop, si vous voyiez ce que je vois et les cris que j’entends, vous vous trouveriez au paradis. Dites aux sœurs de prier pour Gabriel, il en a besoin. La température était hier de 38° 2, ce matin, cela n’augmente pas. Le liquide rachidien coule de moins en moins de sa plaie.

J’ai couché, cette nuit, dans un petit hôtel. Tant pis pour l’argent, si Gabriel nous reste, c’est le principal.

Affections les meilleures

Blanche

Au fur et à mesure que la température de son fils baisse, le moral de Blanche revient. Les messages donnés par les médecins se veulent rassurants, mais tous rappellent la gravité de la blessure du capitaine Gérard.

Dimanche 9 juin 1918, 18 h 00,

Bien Chers,

La température à 17 h 00 était de 37° 4. Je vais, à nouveau, surveiller son dîner. Un soupçon de bouillon avec un œuf. Un œuf à la coque. Demain matin à 5 h 40, je file à Paris. Il me vient une idée géniale ! Je vais trouver le docteur Iselin pour savoir à quelle ambulance il est affecté. Dommage que cette idée ne me soit pas venue plus tôt. Il n’y a pas, il faut que Gabriel soit hors d’ici bientôt. Gabriel vient de trouver à faire prévenir de Parseval.

Affections,

Blanche

Blanche Gérard se démène pour que son fils puisse changer d’Hôpital. Les démarches ne sont vraiment pas simples à mettre en place. Elle devra aller jusqu’au sous-secrétariat d’état du service de santé militaire pour obtenir gain de cause.  Grâce à l’intervention de sa mère, le capitaine Gérard pourra bientôt se faire soigner à l’hôpital n° 133, au 108 avenue d’Ivry à Paris.

Meaux, mardi 11 juin 1918 ce matin à 8 h 00,

Bien chers,

On attend l’ambulance militaire munie d’une gouttière de Bonnet pour transporter Gabriel à l’ambulance du docteur Iselin. Gabriel a été décoré hier soir 10 juin, à 20 h 30 par les docteurs qui avaient reçu des ordres du sous-secrétariat où j’étais allée hier tantôt 2 fois. Cela a été fort bon pour son moral et il a été très ému, moi pas. Je trouvais que cela lui était dû. Je suis ravie au point de vue pratique et lui l’est bien plus du côté moral. On lui a attaché le ruban rouge et la croix de guerre avec palme sur sa chemise de nuit. Je les ai mises ensuite sur sa tunique, ce qui est d’un heureux effet. L’état s’améliore, j’espère maintenant après le diagnostic du docteur Iselin, ce qui ne saurait tarder, puisque nous serons chez lui ce soir. Je vous écrirai plus longuement demain en vous disant ce qu’il faut m’apporter. Je vais coucher chez Marthe. Il ne faut donner son adresse à personne sous aucun prétexte. Je vous l’envoie à vous, il a besoin de calme, car il va redevenir faible.

Cette lettre écrite à Meaux sera envoyée de Paris comme les autres.

Affections,

Blanche 

De_la_ville_de_l_hopital_de_triage___la_ville_de_l_h_pital_de_transfert

Mardi 11 juin 1918,

Bien chers,

Vous allez avoir des surprises agréables. Écoutez plutôt : dimanche, dans l’après-midi, étant au chevet de Gabriel, l’idée m‘est venue que le docteur Iselin était affecté à une ambulance de Paris. J’ai pris le train à 5 h 40 lundi et je suis venue à son domicile privé. Je l’ai vu à 8 h 15. Immédiatement, il m’a donné un billet disant qu’il serait désireux d’avoir le capitaine Gérard dans son service, qu’il s’agissait d’une blessure dans la région sacrée, chose qui était tout à fait de son ressort.

Lettre_du_docteur_Isselin

Il m’envoie à la place de l’hôtel des Invalides. De ce bureau, on me renvoie au lycée Buffon, au service de santé puis au sous-secrétaire d’État (65 rue de Varenne) disant que le transfert ne dépendait que du sous-secrétaire et qu’il me fallait une lettre d’audience pour être reçue. J’ai répondu à l’huissier : « Non Monsieur, il s’agit d’un capitaine gravement blessé et je n’ai pas le temps, ni le droit de compliquer la situation. Je tiens absolument à voir quelqu’un du sous-secrétariat. » Il me répond : «  Et bien Madame ! Voyez un des chefs adjoints. Voici les noms de deux de ces messieurs, choisissez ! »

À tout hasard, je choisis le nom de Monsieur Vivier. Arrivée là avant 11 h 00, je n’ai été reçue qu’à 12 h 15. J’arrive dans un bureau devant un Monsieur de 60 à 65 ans, qui, après m’avoir laissée m’expliquer, me dit tout de suite que je ne pourrais pas obtenir satisfaction.

«  Comment Monsieur ?  Vous me refusez d’enlever mon fils, à mes frais, quand il était voisin de lit avec le fils de Marcel Hutin qui a été enlevé par ambulance spéciale il y a quelques jours ! Je ne suis pas Madame Hutin, cependant, ce qui a été accordé au caporal Hutin peut bien être accordé au capitaine Gérard, élève de l’école normale supérieure et qui en est à sa 3e blessure !

À ce moment, comme un Méphisto, il est sorti de derrière un paravent vert, un capitaine à 3 galons, qui m’a fait préciser si vraiment Gabriel est bien élève à l’école normale supérieure.

« Parfaitement Monsieur, promotion 1914, et Monsieur Dupuis, que j’ai vu samedi, ne veut pas le voir transporter à l’ambulance de l’école vue sa défectuosité. Il cherche un endroit convenable à m’indiquer. De plus, je me suis souvenue, hier soir seulement, que le docteur Iselin, que nous connaissions, était affecté à une ambulance de Paris comme Major. En lui, j’ai une grande confiance. Voici l’hôpital qu’il m’indique. »

« Oh Madame, revenez vers 14 h 00 et je pourrai vous donner une réponse. »

«  Si elle doit être négative, inutile Monsieur, de me priver de la présence de mon fils quelques heures de plus. La gravité de sa blessure m’engage à ne pas le quitter, et j’ai, du reste, l’autorisation du médecin inspecteur Lesnay depuis jeudi soir, puisque j’étais au chevet de mon fils lorsqu’il est passé et que je sais que ce médecin inspecteur avait pris bonne note de la proposition de décoration faite en sa faveur. »

« Comment Madame ? J’étais avec l’inspecteur Lesnay, et je me souviens bien en effet d’un grand blessé du nom de Gérard. Mais pourquoi n’avoir pas dit à ce moment, les titres de votre fils ? »

« Oh Monsieur, j’étais arrivée depuis quelques heures à peine et j’étais tellement émotionnée que je n’ai nullement pensé à ce détail, et puis, Monsieur, la question pour moi est de retirer mon fils de l’hôpital de Meaux. »

«  Et bien Madame, revenez à 14 h 30. »

En arrivant vers cette heure, les deux hommes de ce matin sont venus vers moi, l’officier à 3 galons me dit :

« Oh Madame, nous sommes entre nous, dans un milieu universitaire. Je suis, moi aussi, élève de l’école et chargé des travaux pratiques à la faculté de Rennes et voici ce que nous avons décidé, Monsieur Vivier et moi. Vous allez rentrer près de votre fils et lui dire ceci : par mesure de faveur et surtout on compte sur votre discrétion afin que pareille demande ne se renouvelle, qu’il se tranquillise. Demain matin, à 20 h 00, une ambulance militaire munie d’une gouttière de Bonnel et un médecin auxiliaire avec tout ce qu’il faut, seront à l’hôpital de Meaux. À midi, votre fils sera à l’hôpital que vous indiquez. Nous nous sommes renseignés, l’hôpital est de premier ordre, repartez donc tranquille Madame et tous nos vœux pour le rétablissement de votre enfant.

Et bien Monsieur, à qui vais-je devoir payer cette auto ? Ne vous inquiétez pas, Madame ! C’est le service militaire envoyé par le sous-secrétaire d’État. Nous ne vous demandons que de la discrétion. »

 Je me suis confondue en remerciements. Mais que veux-tu, c’est un normalien qui rendait service à un camarade, à côté de ce service, il en avait ajouté un autre que tu vas savoir tout à l’heure.

Je quitte la rue de Varennes à 15 h 00 et j’étais à 15 h 30 à la gare de l’est d’où je t’ai télégraphié. J’ai pris le train de 16 h 20 et à 18 h 00 j’étais au chevet de Gabriel qui savait déjà, par le médecin-chef,qu’il partait le lendemain, qu’il était décoré et qu’on attendait le principal à 5 galons pour la cérémonie. Les infirmières ont rangé un peu la chambre et les fleurs de Madame Tardieu que Gabriel avait reçues le matin pendant  mon absence, étaient à côté de lui. La direction était venue apporter deux belles roses rouges. Entre 20 h 30 et 21 h 00, un principal à 5 galons, le médecin-chef à 4, un autre à 3, deux autres à 2 et un auxiliaire sont arrivés. On lui a attaché sur sa chemise de nuit, une croix rouge et une croix de guerre avec palme. Il est devenu très rouge, a fait le salut militaire et était content, très content. Il avait surtout eu de l’émotion, lorsque le médecin-chef était venu lui dire à 15 h 00 qu’on allait le décorer. En même temps on télégraphiait du sous-secrétariat à cet hôpital qu’on veuille bien préparer la meilleure chambre pour le capitaine Gérard et pour que la faveur soit un peu masquée. Comme il y avait place pour 3 grands blessés couchés dans l’ambulance, on en a mis deux à côté de lui. Le fils du général Morel et un lieutenant du 356e R.I. dont les parents habitent Neuilly, mais qui sont trois dans la même chambre tandis que Gabriel est tout seul dans une jolie chambre ripolinée de blanc et confortable. On attend le docteur Iselin. J’ai télégraphié à Dupuis qui va arriver ce soir. Ce matin, l’auto est arrivée. Gabriel a fait le voyage en moins de temps que moi. Il était enveloppé de ouate dans une gouttière et pendant qu’on l’emballait, il a demandé plusieurs fois si sa maman était là. Il est venu ici avec un maximum de bien être, mais c’était tout de même triste. Il était comme dans un cercueil. Il ne me parait pas plus fatigué que ce matin et combien mieux installé.

Moi, je ne suis arrivée ici qu’à 14 h 00, il m’attendait avec impatience. Les communications pour y venir sont difficiles. Il me manque un plan de Paris pour m’orienter. Demain, je vous écrirai ce qu’il faudra m’apporter en venant, car je compte rester ici pour voir quelle tournure la blessure va prendre. Du moment que Marcelle voit son papa, j’ai toute ma tranquillité d’esprit pour rester près de Gabriel. Il me manque mon crochet, mais demain, je vais lui raccommoder ses habits. Il veut qu’on laisse le trou de sa tunique. C’est, parait-il, très chic de laisser l’endroit où on a été blessé. Je couche chez Marthe ce soir, après, on verra. Sa température est ce soir de 38° 6.

Le matin, Gabriel aura du chocolat. Déjeuner à 11 h 00 et repas à 17 h 00. Régime spécial jusqu’à nouvel ordre. On ne peut pas venir le voir le matin. Seulement à partir de midi,vient de me dire la directrice.

Il est 18 h 00, je vais clore ma lettre. Je vous écrirai à nouveau demain.

Affections à tous les deux.

Blanche

Hopital_Marie_Lannelongue

Le capitaine Gérard est maintenant installé à l’hôpital parisien Marie Lannelongue. Blanche rédige une lettre depuis la chambre occupée par Gabriel. Elle organise le voyage de son époux et de sa fille qui doivent venir les rejoindre pour le weekend.

Mercredi 12 juin 1918,

Mes bien chers,

Je suis près de Gabriel depuis 13 h 30, car on ne veut de personne le matin. Marthe est venue avec moi. Le docteur Iselin l’a vu ce matin, la plaie est en bon état. Il lui a fait une incision au bras gauche qui était très enflé à cause des piqûres qu’on lui a faites depuis 15 jours. Le docteur le passera à la radio vendredi matin, pour voir où est le fameux éclat d’obus et après on verra à le lui enlever. Gabriel est assez faible aujourd’hui, mais il n’y a rien d’étonnant, parce qu’on a été après lui toute la matinée pour une chose ou pour une autre. Si j’avais mon crochet, ce serait parfait.

Je suis allée coucher chez Marthe cette nuit et j’y couche encore ce soir. Comme elle part pendant 3 jours, je coucherai toute seule chez elle et lorsque vous serez là dimanche, nous l’emmènerons, avec Hipo, déjeuner au restaurant.

Vous prendrez donc le train samedi soir à 20 h 11 pour être ici à 6 h 00. Vous viendrez par le métro « Gare de Lyon », vous demandez où il faut changer de correspondance.

Marcelle mettra son costume marin, ses chaussures jaunes et son chapeau de paille qui est dans son armoire. De plus, qu’elle mette sa capote, les nuits sont fraîches. Il faut qu’elle mette aussi son polo de laine blanche pour la nuit pour dormir.

C’est une chose qui me manquait en venant. Apportez-moi deux ou trois mouchoirs blancs, une chemise, un cache-corset empire et une paire de bas. Le tout dans un sac de cuir qui se trouve dans l’armoire grise de la chambre de Marcelle. Au fond du sac, Marcelle pourra mettre, en faisant attention de ne pas la froisser, ma robe à mille raies et une ou deux guimpes blanches en tulle, qui sont dans le devant de mon armoire. Et surtout, ne pas vous coucher sur ce sac la nuit pour ne pas froisser. Et c’est tout. Si vous pouviez trouver un morceau d’excellent beurre samedi matin, vous l’apporteriez en l’emballant bien et en le mettant au fond du sac pour madame G… , morceau d’un kilo et un plus petit morceau d’une livre pour Marthe. Vous repartirez le soir même parce que je ne veux pas que papa Charles reste seul pour les repas. Je tiens à rester une semaine encore, afin de bien voir quelles tournures vont prendre les évènements, puisqu’on va opérer Gabriel probablement bientôt. À moins que l’évacuation de Paris se fasse, dans ce cas, je rentre.

Je n’ai nullement besoin d’argent et si vous m’en avez envoyé, gardez bien le reçu de l’envoi, car la lettre va courir après moi dans différents endroits.

J’ai écrit aux Antoine et avant de quitter, dimanche matin, la gare Montparnasse, reprenez vos billets pour le soir, ce sera plus sûr. Marthe vous donnera des colis qu’elle fera enregistrer dans la journée avec vos billets.

Votre billet d’hôpital de Meaux va vous servir. J’en demanderai un autre ici, ces temps-ci.

Surtout, pour le beurre, mettez assez de papier qu’il ne puisse graisser et ne vous couchez pas dessus pour le faire fondre et froisser ma robe. Avec les billets de demi-place comme on les a, les frais ne seront pas énormes. Gabriel sera très content de vous voir. Demain, je vais arranger la croix sur sa tunique, mais il n’est pas près, le pauvre, de s’exhiber avec sa tunique trouée à la fesse. Ce sera la tenue des grands jours de fête.

Je vais me reposer tranquillement dans le lit de Marthe. Vendredi et samedi toute la journée, j’aurai l’illusion qu’il est à moi. Pourvu que les Gothas ne viennent pas me troubler la nuit.

Dupuis est venu voir Gabriel. Malheureusement, je n’étais pas là, mais hier soir, en repartant, le hasard m’a fait le rencontrer dans le tramway, et nous avons causé.

Apportez le plan de Paris et voyez où se trouve Lannelongue, à l’angle de la rue Tolbiac et de l’avenue d’Ivry. Gabriel est dans une chambre donnant sur la rue de Tolbiac, mais l’entrée est Ivry.

Affections à tous les deux,

Blanche

Sources :

Les lettres rédigées par Blanche Gérard et les documents proposés proviennent de ma collection personnelle.

Un grand merci à M. Bordes et à A. Carobbi.

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