26, 27 et 28 octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…
Le bataillon Froment du 149e R.I, placé la veille en 3e ligne d’attaque, passe à l’offensive. Il laisse derrière lui les chasseurs du 1er B.C.P..
L’aumônier Henry se rend au poste de secours du 2e bataillon tenu par le médecin aide-major de 1ère classe Beloux.
Samedi 26 octobre 1918
le Thour
Pas de messe. Dans le village, je n’ai pas trouvé le plus petit coin disponible où j’aie pu dire la messe.
La nuit s’est passée sans incident. De part et d’autre, on se prépare à la lutte.
Le 149 attaque ce matin à 9 h 00. À son tour, il va essayer d’enlever le morceau. Les moyens d’attaque n’ont pas été hier proportionnés à la défense ; le seront-ils davantage aujourd'hui ?
Le 158 a été fort éprouvé hier. Devant son P.S., tout proche de nous, une dizaine de morts attendent d’être emportés plus loin. Je remarque un musicien. Il paraît qu’il y en a eu trois de tués, et un brancardier.
Derrière nous, il y a, paraît-il, une division en réserve, toute prête à exploiter le succès. Il y a même, dit-on, une division de cavalerie…!
9 h 00. L’artillerie commence sa musique. Les blessés ne passant pas ici, il me faut rejoindre le P.S. Beloux du 2e bataillon, P.S. qui se trouve par là quelque part, de l’autre côté du vallon. L’indication est un peu vague ; mais je vois la direction, cela suffit.
Allons d’abord au poste de relais du G.B.D.. Je sais qu’il est sur la route de le Thour-Nizy-le-Comte. Quand nos canons parlent à pleine voix, le Boche se tait. Aussi, c’est sans incident que je puis suivre ladite route. À 1 500 m du village, je trouve l’auto sanitaire, les anciens du G.B.D. et M. Papoz, tous émotionnés de la catastrophe d’hier. Ils m’indiquent l’emplacement exact du P.S. du 149 ; j’ai juste la vallée à traverser. En cinq minutes, j’y suis.
À flanc de coteau, dans un semblant de bois, le docteur Belotte a installé son P.S.. Je trouve là tout le personnel du 2e bataillon, Rocmort en tête. Ils se sont creusé de petits trous dans les flancs du coteau. La toile de tente complète l’installation.
10 h 30. Le tumulte du canon s’apaise peu à peu, et pas la moindre nouvelle de ce qui se passe devant nous. Pourtant, à ce moment, on doit être fixé sur les résultats de l’attaque. Les tanks ont été engagés. L’horizon est tout embrumé de fumée, brouillard artificiel destiné à masquer leur avance.
Midi. Quelques rares blessés qui ont pu d’eux-mêmes sortir de la bagarre. On a progressé, on a traversé la route, on est devant les fils de fer ; mais on n’est pas dans les tranchées boches.
Une fois de plus l’attaque n’a pas donné de résultats ; elle ne peut pas, semble-t-il, en donner si les voisins ne progressent pas en même temps ; si, en particulier, le 158 ne réussit pas à enlever Banogne.
Le capitaine de Parseval est tué. Un blessé nous en apporte la nouvelle. Sa compagnie était la plus avancée ; il voulut se rendre compte de ses liaisons avec les compagnies voisines ; il se leva ; ce fut un geste malheureux ; vu, il fut aussitôt visé, atteint par une balle ; il tomba en criant : « A moi ! » et s’écroula sans pouvoir dire un mot. « Nous perdons gros, s’il est vraiment tué ! » ajoute le blessé dont le chagrin est réel et profond. Il était fort aimé de ses hommes ; il avait pour lui la séduction de la jeunesse, de la bravoure, du dévouement à ses hommes.
Sa mort mettra en deuil le régiment tout entier qui était fier de ce capitaine de 22 ans. L’état-major, où sa place semblait marquée à côté de son frère, partagera ces regrets. Capitaine à 22 ans, deux fois blessé,intelligent, soldat de race, il voyait devant lui s’ouvrir l’avenir le plus brillant. C’était trop beau ! Dieu a coupé cette fleur brillante. Pauvre frère ! Pauvres parents !
13 h 30. Reprise de l’attaque. Décidément, c’est un nouvel Orfeuil. Il y a sans doute des blessés ; mais il paraît qu’ils ne peuvent pas faire le moindre mouvement, pas plus qu’on ne peut aller à eux, sans se faire prendre à parti par les mitrailleuses ennemies.
Il faut attendre la nuit pour le transfert de ces blessés. Le père Pons, le brave père Pons, en sait quelque chose. Il a voulu essayer de rapporter le corps de Parseval. Il a été arrêté net dans sa tentative par une balle à la jambe. « La fine blessure ! » lui crient les camarades, mais le père Pons n’est pas de ceux qui désirent un prétexte honnête pour s’échapper du devoir.
Auprès de nous, des batteries d’artillerie ; il y en a un peu partout ! Cela nous vaut dans la journée quelques obus, dont l’un est venu tomber à une quarantaine de mètres. Un musicien, Brunel, a été blessé à nos côtés ; on l’a emporté mourant. Le pauvre garçon était là depuis quelques instants seulement.
L’attaque de 13 h 30 n’a donné aucun résultat. C’était prévu. Les 280 qui devaient soi-disant pulvériser Banogne, ont, paraît-il, mis à côté du but. Banogne n’a pas été démoli ; les 75 ont bien tapé dedans ; mais qu’est-ce que cela pour des gens bien abrités.
La mort du sous-lieutenant Morin, faussement annoncée en même temps que celle de Parseval, est heureusement démentie en fin de journée.
Retour au P.C. du colonel à la tombée de la nuit. Au P.C., on est navré de la mort de Parseval.
En prévision de la messe de demain dimanche, je reviens à Lor avec le docteur Rouquier.
L’abri occupé précédemment par nous a été cédé au G.B.D. 167 qui fonctionne en lieu et place du G.B.D. 43. Une couchette est cependant réservée dont je peux profiter, M. Rouquier s’étant fait aménager une autre cave. Nuit peu silencieuse au P.S.. Va et vient de blessés et infirmiers à la recherche d’une protection contre les obus. Major s’excite un peu.
Dimanche 27 octobre 1918
La nuit a été d’un calme relatif. Sur le village de Lor, les Allemands se sont mis dès la première heure à envoyer des obus à gaz. Ce matin, nous avions tous les larmes aux yeux.
Retour à le Thour vers 9 h 00. L’auto du lieutenant **** de la section sanitaire se trouve fort à propos pour nous porter à destination.
12 h 00. Un officier du 170 se présente pendant qu’on est à table. Il parle de relève. Oh que voilà un mot qui fait plaisir à entendre ! Il ne tombe pas dans l’oreille de sourds, au grand désespoir du colonel du 149 qui voudrait le silence là-dessus. C’est trop demander. De pareilles nouvelles se répandent vite.
Soirée ensoleillée et calme au moins à le Thour. Les avions s’en donnent à pleines ailes. On signale un avion boche descendu en flammes, un autre forcé d’atterrir dans nos lignes.
Puis voici une série d’escadrilles de chez nous qui s’en vont par groupes bombarder l’ennemi. On dirait le vol de canards sauvages. Les bombes sont jetées loin de nous ; on entend le bruit de l’explosion. Pourtant, une série de 5 ou 6 explosions beaucoup plus proches nous rend perplexes. Les bombes sont-elles tombées sur nous ou sur les Boches ? Ces explosions sont-elles bien le fait de bombes ? Mystère.
On parle de repli des Boches à notre droite ; Saint-Fargeau serait atteint ; le Boche serait bousculé. On donne aussi de bonnes nouvelles de l’armée Debeney. C’est sans doute pour nous consoler de n’être arrivé à rien en deux jours de combats.
C’en est bien fini pour nous pour cette fois ; à 16 h 45 on annonce officiellement la relève. Ce n’est pas trop tôt.
Relève cette nuit par le 170. Le 149 doit se rendre à Brienne (connu !)
Je reviens alors avec M. Rouquier qui me donne l’hospitalité dans sa cave, où je me trouve certes mieux qu’avec les agités du G.B.D. 167.. Les Boches bombardent le Thour quand nous quittons le carrefour de Lor.
Lundi 28 octobre 1918
De Lor à Brienne.
Messe à 6 h 00.
La relève s’est effectuée sans accident ni incident. Le lieutenant Morin,dont on avait affirmé la mort avec tant d’assurance, est bel et bien vivant.
7 h 00. Départ avec mon ordonnance pour Brienne.
Pour en apprendre d’avantage sur la bataille de la Hunding-Stellung il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.
Sources :
Témoignage inédit de l’abbé Henry.
Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes.