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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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25 février 2022

26, 27 et 28 octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

Journees des 26, 27 et 28 octobre 1918, abbe Henry temoigne

 

Le bataillon Froment du 149e R.I, placé la veille en 3e ligne d’attaque, passe à l’offensive. Il laisse derrière lui les chasseurs du 1er B.C.P..

 

L’aumônier Henry se rend au poste de secours du 2e bataillon tenu par le médecin aide-major de 1ère classe Beloux.

 

Samedi 26 octobre 1918

 

le Thour

 

Pas de messe. Dans le village, je n’ai pas trouvé le plus petit coin disponible où j’aie pu dire la messe.

 

La nuit s’est passée sans incident. De part et d’autre, on se prépare à la lutte.

 

Le 149 attaque ce matin à 9 h 00. À son tour, il va essayer d’enlever le morceau. Les moyens d’attaque n’ont pas été hier proportionnés à la défense ; le seront-ils davantage aujourd'hui ?

 

Le 158 a été fort éprouvé hier. Devant son P.S., tout proche de nous, une dizaine de morts attendent d’être emportés plus loin. Je remarque un musicien. Il paraît qu’il y en a eu trois de tués, et un brancardier.

 

Derrière nous, il y a, paraît-il, une division en réserve, toute prête à exploiter le succès. Il y a même, dit-on, une division de cavalerie…!

 

9 h 00. L’artillerie commence sa musique. Les blessés ne passant pas ici, il me faut rejoindre le P.S. Beloux du 2e bataillon, P.S. qui se trouve par là quelque part, de l’autre côté du vallon. L’indication est un peu vague ; mais je vois la direction, cela suffit.

 

Allons d’abord au poste de relais du G.B.D.. Je sais qu’il est sur la route de le Thour-Nizy-le-Comte. Quand nos canons parlent à pleine voix, le Boche se tait. Aussi, c’est sans incident que je puis suivre ladite route. À 1 500 m du village, je trouve l’auto sanitaire, les anciens du G.B.D. et M. Papoz, tous émotionnés de la catastrophe d’hier. Ils m’indiquent l’emplacement exact du P.S. du 149 ; j’ai juste la vallée à traverser. En cinq minutes, j’y suis.

 

Carte 1 Journee du 26 octobre 1918 P

 

À flanc de coteau, dans un semblant de bois, le docteur Belotte a installé son P.S.. Je trouve là tout le personnel du 2e bataillon, Rocmort en tête. Ils se sont creusé de petits trous dans les flancs du coteau. La toile de tente complète l’installation.

 

10 h 30. Le tumulte du canon s’apaise peu à peu, et pas la moindre nouvelle de ce qui se passe devant nous. Pourtant, à ce moment, on doit être fixé sur les résultats de l’attaque. Les tanks ont été engagés. L’horizon est tout embrumé de fumée, brouillard artificiel destiné à masquer leur avance.

 

Midi. Quelques rares blessés qui ont pu d’eux-mêmes sortir de la bagarre. On a progressé, on a traversé la route, on est devant les fils de fer ; mais on n’est pas dans les tranchées boches.

 

Une fois de plus l’attaque n’a pas donné de résultats ; elle ne peut pas, semble-t-il, en donner si les voisins ne progressent pas en même temps ; si, en particulier, le 158 ne réussit pas à enlever Banogne.

 

Le capitaine de Parseval est tué. Un blessé nous en apporte la nouvelle. Sa compagnie était la plus avancée ; il voulut se rendre compte de ses liaisons avec les compagnies voisines ; il se leva ; ce fut un geste malheureux ; vu, il fut aussitôt visé, atteint par une balle ; il tomba en criant : « A moi ! » et s’écroula sans pouvoir dire un mot.  « Nous perdons gros, s’il est vraiment tué ! » ajoute le blessé dont le chagrin est réel et profond. Il était fort aimé de ses hommes ; il avait pour lui la séduction de la jeunesse, de la bravoure, du dévouement à ses hommes.

 

Sa mort mettra en deuil le régiment tout entier qui était fier de ce capitaine de 22 ans. L’état-major, où sa place semblait marquée à côté de son frère, partagera ces regrets. Capitaine à 22 ans, deux fois blessé,intelligent, soldat de race, il voyait devant lui s’ouvrir l’avenir le plus brillant. C’était trop beau ! Dieu a coupé cette fleur brillante. Pauvre frère ! Pauvres parents !

 

13 h 30. Reprise de l’attaque. Décidément, c’est un nouvel Orfeuil. Il y a sans doute des blessés ; mais il paraît qu’ils ne peuvent pas faire le moindre mouvement, pas plus qu’on ne peut aller à eux, sans se faire prendre à parti par les mitrailleuses ennemies.

 

Il faut attendre la nuit pour le transfert de ces blessés. Le père Pons, le brave père Pons, en sait quelque chose. Il a voulu essayer de rapporter le corps de Parseval. Il a été arrêté net dans sa tentative par une balle à la jambe. « La fine blessure ! » lui crient les camarades, mais le père Pons n’est pas de ceux qui désirent un prétexte honnête pour s’échapper du devoir.

 

Auprès de nous, des batteries d’artillerie ; il y en a un peu partout ! Cela nous vaut dans la journée quelques obus, dont l’un est venu tomber à une quarantaine de mètres. Un musicien, Brunel, a été blessé à nos côtés ; on l’a emporté mourant. Le pauvre garçon était là depuis quelques instants seulement.

 

L’attaque de 13 h 30 n’a donné aucun résultat. C’était prévu. Les 280 qui devaient soi-disant pulvériser Banogne, ont, paraît-il, mis à côté du but. Banogne n’a pas été démoli ; les 75 ont bien tapé dedans ; mais qu’est-ce que cela pour des gens bien abrités.

 

La mort du sous-lieutenant Morin, faussement annoncée en même temps que celle de Parseval, est heureusement démentie en fin de journée.

 

Retour au P.C. du colonel à la tombée de la nuit. Au P.C., on est navré de la mort de Parseval.

 

En prévision de la messe de demain dimanche, je reviens à Lor avec le docteur Rouquier.

 

L’abri occupé précédemment par nous a été cédé au G.B.D. 167 qui fonctionne en lieu et place du G.B.D. 43. Une couchette est cependant réservée dont je peux profiter, M. Rouquier s’étant fait aménager une autre cave. Nuit peu silencieuse au P.S.. Va et vient de blessés et infirmiers à la recherche d’une protection contre les obus. Major s’excite un peu.

 

Dimanche 27 octobre 1918

 

La nuit a été d’un calme relatif. Sur le village de Lor, les Allemands se sont mis dès la première heure à envoyer des obus à gaz. Ce matin, nous avions tous les larmes aux yeux.

 

Retour à le Thour vers 9 h 00. L’auto du lieutenant **** de la section sanitaire se trouve fort à propos pour nous porter à destination.

 

12 h 00. Un officier du 170 se présente pendant qu’on est à table. Il parle de relève. Oh que voilà un mot qui fait plaisir à entendre ! Il ne tombe pas dans l’oreille de sourds, au grand désespoir du colonel du 149 qui voudrait le silence là-dessus. C’est trop demander.  De pareilles nouvelles se répandent vite.

 

Soirée ensoleillée et calme au moins à le Thour. Les avions s’en donnent à pleines ailes. On signale un avion boche descendu en flammes, un autre forcé d’atterrir dans nos lignes.

 

Puis voici une série d’escadrilles de chez nous qui s’en vont par groupes bombarder l’ennemi. On dirait le vol de canards sauvages. Les bombes sont jetées loin de nous ; on entend le bruit de l’explosion. Pourtant, une série de 5 ou 6 explosions beaucoup plus proches nous rend perplexes. Les bombes sont-elles tombées sur nous ou sur les Boches ? Ces explosions sont-elles bien le fait de bombes ? Mystère.

 

On parle de repli des Boches à notre droite ; Saint-Fargeau serait atteint ; le Boche serait bousculé. On donne aussi de bonnes nouvelles de l’armée Debeney. C’est sans doute pour nous consoler de n’être arrivé à rien en deux jours de combats.

 

C’en est bien fini pour nous pour cette fois ; à 16 h 45 on annonce officiellement la relève. Ce n’est pas trop tôt.

 

Relève cette nuit par le 170. Le 149 doit se rendre à Brienne (connu !)

 

Je reviens alors avec M. Rouquier qui me donne l’hospitalité dans sa cave, où je me trouve certes mieux qu’avec les agités du G.B.D. 167.. Les Boches bombardent le Thour quand nous quittons le carrefour de Lor.

 

 

Lundi 28 octobre 1918

 

De Lor à Brienne.

 

Messe à 6 h 00.

 

La relève s’est effectuée sans accident ni incident. Le lieutenant Morin,dont on avait affirmé la mort avec tant d’assurance, est bel et bien vivant.

 

7 h 00. Départ avec mon ordonnance pour Brienne.

 

Pour en apprendre d’avantage sur la bataille de la Hunding-Stellung il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

25 et 26 octobre 1918 bataille de la Hunding-Stellung

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes.

18 février 2022

Alexandre André Edmond Eugène de Parseval (1896-1918)

Alexandre de Parseval

 

Alexandre André Edmond Eugène de Parseval vient au monde le 29 janvier 1896, au domicile de ses parents, situé au numéro 1 de la rue du moulin de Saint-Étienne, à Senlis, dans le département de l’Oise.

 

Son père, Paul Édouard, est âgé 33 ans. Il vient tout juste d’être nommé capitaine, une promotion qui a entraîné son affectation au 153e R.I., en garnison à Toul, le 30 décembre 1895.

 

Sa mère, Léonie Marie Virginie Escallier, est âgée de 33 ans. Elle éduque déjà deux enfants. Les Parseval donneront encore la vie à trois garçons.

 

Genealogie famille de Parseval

 

Alexandre fait ses études au collège Stanislas à Paris. Devenu bachelier, il choisit de suivre les traces paternelles et celles de son frère aîné. Il tente le concours d’entrée de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Le jeune homme est reçu aux épreuves écrites. Toutes les chances sont de son côté.

 

Mais les évènements internationaux qui aboutirent à la déclaration de guerre contre l’Allemagne en août 1914 empêchent les futurs admissibles de passer la 2e partie du concours qui ne put avoir lieu.

 

Tout comme ses camarades de la 99e promotion, ultérieurement nommée la Grande Revanche, Alexandre fut déclaré reçu au concours avec dispense des épreuves orales. Pour cause de conflit, les élèves de cette promotion n’auront pas la possibilité de suivre les premiers cours.

 

Le 2 février 1915, Alexandre de Parseval signe un engagement volontaire de 8 ans à la mairie de Châteauroux pour le 90e R.I. au titre de l’école spéciale militaire.

 

C’est en tant que simple soldat qu’il commence ses apprentissages sous l’uniforme à la caserne Bertrand. Alexandre devient élève aspirant après avoir passé des examens les 13 et 14 mars 1915. 

 

Il est nommé aspirant le 25 août, puis sous-lieutenant à titre temporaire le 26 octobre 1915. Le 2 novembre, il est affecté au 149e R.I., une unité dans laquelle sert déjà son frère aîné.

 

Pour en savoir plus sur Georges Joseph Roger de Parseval il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Georges Joseph Roger de Parseval

 

Le 11 novembre, Alexandre reçoit l’ordre de se rendre sur la ligne de front. Une fois sur place, il lui est demandé de suivre le cours donné au chef de section, prévu au centre d’instruction du 21e C.A., pour parachever sa formation d’officier.

 

Le sous-lieutenant de Parseval effectue ce stage entre le 22 novembre et le 6 décembre 1915.

 

Le lieutenant-colonel Gothié, responsable du 149e R.I., lui confie ensuite le commandement d’une section de sa 5e compagnie. Alexandre n’a pas encore fêté ses 21 ans.

 

À  cette époque du conflit, le 149e R.I. occupe un secteur à proximité d’Aix-Noulette en Artois.

 

Le 31 décembre, Alexandre de Parseval est touché à l’oreille gauche et dans les jambes par plusieurs petits éclats d’obus. Les premiers soins lui sont donnés à l’ambulance de la 81e D.I., installée dans le secteur 104.

 

Le sous-lieutenant de Parseval est ensuite évacué par train sanitaire en direction de la Bretagne. Pris en charge par le personnel soignant de l’hôpital mixte de Lorient à partir du 5 janvier 1916, il reste dans cet établissement pendant 4 mois.

 

Sorti le 11 mai, il est envoyé au dépôt des convalescents de la sous-préfecture du Morbihan avant de partir se reposer à Marmande, entre le 13 mai et le 13 juin 1916.

 

Ce 13 juin, Alexandre de Parseval doit rejoindre le dépôt du 149e R.I.. Le retour au front n’est pas pour de suite.

 

Le 3 septembre, il fait un stage au centre des grenadiers de Langres. Alexandre rentre au dépôt le 13 septembre. Il part de nouveau en formation entre le 18 octobre et le 11 novembre 1916 pour suivre le cours de la série A, dans le centre de mitrailleurs de Chaumont.

 

Donnant pleine satisfaction à ses supérieurs, le jeune officier est maintenu au centre de mitrailleurs de Chaumont encore un mois en tant qu’instructeur auxiliaire pour le cours de la série B.

 

Le directeur du centre, le capitaine Péricot, l’évalue de la manière suivante : « C’est un excellent officier et un excellent instructeur. Très actif, très dévoué, très énergique et très discipliné. Il a de l’initiative, de la décision et beaucoup d’allant. Il a beaucoup travaillé et il s’est intéressé à l’instruction du personnel des équipes de son dépôt.

 

Excellente instruction technique, très bonne instruction pratique, très apte au commandement d’un peloton de mitrailleuses. »

 

Alexandre de Parseval retrouve le dépôt du 149e R.I. le 17 décembre 1916.

 

Le 2 janvier 1917, il est renvoyé dans une unité combattante du 149e R.I.. Cet officier fut intégré durant quelque temps à la 2e compagnie.

 

Le 20 février 1917, Alexandre de Parseval est affecté à la compagnie de mitrailleuses du 1er bataillon du régiment.

 

Il gagne ses galons de lieutenant en avril 1917.

 

Le capitaine Vial, le lieutenant Rejou et le sous-lieutenant de Parseval

 

Le lieutenant-colonel Boigues, responsable du 149e R.I. depuis le 12 mai 1917 note ceci dans le feuillet individuel de campagne du lieutenant de Parseval, à la date du 29 septembre 1917 : « Il a remplacé, pendant plusieurs semaines, son capitaine évacué pour maladie. Malgré son extrême jeunesse, il a su faire preuve d’une réelle autorité et d’une aptitude certaine au commandement. A de belles qualités morales. Actif et courageux. »

 

En février 1918, ce même officier supérieur écrit : «  Montre une maturité au dessus de son âge dans le commandement de sa compagnie de mitrailleuses qu’il dirige bien et avec autorité. Il s’est distingué le 23 octobre 1917 à la bataille de l’Aisne. Officier doué de belles qualités. »

 

Alexandre de Parseval est nommé dans le grade supérieur à titre temporaire à partir du 19 mai 1918.

 

Dix jours plus tard, il est blessé, touché par une balle au cours des combats qui eurent lieu dans le secteur de Cuiry-Housse, au sud-est de Soissons.

 

Pour en savoir plus sur la journée du 29 mai 1918, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

 

Les lieux d’hospitalisation et de convalescence où il fut soigné ne sont pas connus, tout comme la date de son retour au sein du régiment.

 

Le 26 octobre 1918, le capitaine de Parseval, qui commande la 3e compagnie du 149e R.I. depuis seulement 18 jours, est mortellement blessé par une balle reçue dans la poitrine. Il meurt aux alentours de 10 h 00, durant l’attaque de la Hunding-Stellung, près d’une carrière située à environ 400 m à l’ouest de Banogne.

 

Pour en savoir plus sur l’attaque de la Hunding Stellung, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

26 octobre 1918

 

Ce jeune capitaine allait bientôt fêter ses 23 ans. Il fut le dernier des officiers du 149e R.I. à être tué durant le conflit.

 

Les circonstances de sa mort sont évoquées dans un des carnets rédigés par l’aumônier Henry à plusieurs reprises. Voici ce que celui-ci a écrit :

 

Extrait du carnet pour la journée du 26 octobre 1918 

 

« …Le capitaine de Parseval est tué. Un blessé nous en apporte la nouvelle. Sa compagnie était la plus avancée ; il voulut se rendre compte de ses liaisons avec les compagnies voisines ; il se leva ; ce fut un geste malheureux ; vu, il fut aussitôt visé, atteint par une balle ; il tomba en criant : « A moi ! » et s’écroula sans pouvoir dire un mot.  « Nous perdons gros, s’il est vraiment tué ! » ajoute le blessé dont le chagrin est réel et profond.

 

Il était fort aimé de ses hommes ; il avait pour lui la séduction de la jeunesse, de la bravoure, du dévouement à ses hommes. Sa mort mettra en deuil le régiment tout entier qui était fier de ce capitaine de 22 ans. L’état-major, où sa place semblait marquée à côté de son frère, partagera ces regrets. Capitaine à 22 ans, deux fois blessés, intelligent, soldat de race, il voyait devant lui s’ouvrir l’avenir le plus brillant. C’était trop beau ! Dieu a coupé cette fleur brillante. Pauvre frère ! Pauvres parents ! »

 

Extrait du carnet pour la journée du 27 octobre 1918 

 

« … Le corps de ce pauvre de Parseval a été ramené dans la nuit. Une balle dans la poitrine cela a suffi. La mort n’a point défiguré cette figure qui a conservé sa jeunesse. Il faut, avant de l’emmener plus loin, prévenir son frère aîné, capitaine à l’Infanterie divisionnaire. C’est le Docteur Rouquier qui s’en charge. Scène pénible, toute en larmes. »

 

Extrait du carnet pour la journée du 28 octobre 1918 

 

L’aumônier Henry rapporte dans son journal une conversation qu’il a eue avec le général Michel, chef de la 43e D.I. à propos de la mort du capitaine de Parseval.

 

« Mon général, nous nous doutons bien que nous jugeons mal de l’opportunité ou de l’inutilité des efforts qui sont demandés et que les chefs ont des raisons qui nous échappent. Il n’en est pas moins vrai que quand le succès immédiat couronne leurs efforts, les soldats sont plus encouragés.

 

Les dernières affaires ont été coûteuses. Les pertes ont été sensibles peut-être plus encore par la qualité que par la quantité ! Ah oui ! reprend le général, il y a ce petit de Parseval ; c’est une perte douloureuse, oui, ce sont les plus courageux les meilleurs qui tombent !… Je n’ai pas été surpris… Il était marqué celui-là ! »

 

Le médecin aide major de 2e classe Raymond Bonnefous, ami du capitaine, évoque son ressenti, dans une lettre adressée à sa mère, datée du  29 octobre 1918.

 

«… Mon bataillon, qui avait fourni une compagnie d’attaque, a perdu son meilleur officier, le petit de Parseval (22 ans), tué d’une balle. Jamais la mort d’un officier ne m’a été aussi pénible. Pendant la dernière période de repos, où il nous avait rejoint, nous avions passé toutes nos journées ensemble, et nous nous entendions très bien. Ses hommes l’adoraient et il avait dans l’armée un très brillant avenir. »

 

Alexandre de Parseval est inhumé par les soins du G.B.D. de la 43e D.I. au cimetière militaire de la ferme du Tremblot, dans une sépulture portant le numéro 46.

 

Son corps a été restitué à la famille dans les années 20. Le nom du cimetière où il repose actuellement n’est pas connu.

 

Decoration capitaine de Parseval

 

Décorations obtenues :

 

Croix de guerre avec 3 palmes et une étoile d’argent

 

Cité à l’ordre de la 43e Division d’Infanterie n° 103 du 15 janvier 1916.

 

« Jeune officier, brave, énergique, plein d’allant, exemple de courage et d’abnégation pour ses hommes. Blessé le 31 décembre 1915 devant Angres en maintenant sa section sous un bombardement des plus violents. »

 

Cité à l’ordre de la VIArmée n° 27 en date du 30 novembre 1917.

 

« Jeune officier commandant la compagnie de mitrailleuses, d’une bravoure, d’un calme et d’un jugement remarquables. À l’attaque du 23 octobre 1917 est parti avec la première vague. Arrêté par un feu intense de mitrailleuses, a donné l’exemple de la plus belle bravoure, en commençant lui-même la progression, l’outil à la main pour la réduction de ses mitrailleuses. »

 

Cité à l’ordre de la VIArmée n° 604 en date du 15 juillet 1918.

 

« N’a pas hésité sous un feu violent de mitrailleuses à se porter en avant de la ligne pour reconnaître des emplacements de mitrailleuses. A été blessé au cours de cette mission en faisant preuve de la plus grande bravoure. »

 

Cité à l’ordre de la VArmée en date du 7 décembre 1918.

 

« Officier d’élite. Les 25 et 26 octobre 1918 a entraîné sa compagnie à l’assaut de positions puissamment défendues, exécutant une importante progression sous un feu de mitrailleuses et d’artillerie d’une violence inouïe. A été mortellement blessé, au moment où, parmi les éléments les plus avancés de sa compagnie, il observait le mouvement de l’ennemi. »

 

Pour visualiser la généalogie de cet officier, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Geneanet

 

Pour prendre connaissance de la généalogie de la famille de Parseval, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Les Parseval et leurs alliances - genealogie et souvenirs de famille - Copie

 

Sources :

 

Dossier personnel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

 

Fiche signalétique et des services lue sur le site des archives départementales de l’Indre.

 

« Livre d’or de la promotion de la Grande Revanche, Saint-Cyr 1914. »

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Correspondance inédite du médecin aide major de 2e classe Raymond Bonnefous.

 

 La carte avec les chars a été réalisée par « Tanker » un intervenant du forum « Pages 14-18 ».

 

La photographie de groupe présentée dans le 1er montage fait partie du fonds Raymond Bonnefous propriété de N. Bauer.

 

Le capitaine Alexandre de Parseval est évoqué dans le roman de Nathalie Bauer « Des garçons d’avenir » publié aux éditions Philippe Rey en 2011.

 

Contrôle nominatif du 4e trimestre 1915 du 149e R.I. des malades et des blessés traités dans les formations sanitaires détenu par les archives médicales hospitalières des Armées de Limoges.

 

Un grand merci à N. Bauer, à M. Bordes, à A. Carrobi, à J.L.Poisot, à M. Porcher, à la famille de Parseval, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives médicales hospitalières des Armées de Limoges.

11 février 2022

Gaston Edmond Viard (1888-1918)

Gaston Edmond Viard

 

Gaston Edmond Viard est né le 18 novembre 1888 à Saint-Didier, faubourg de Langres, au domicile parental, dans le département de la Haute-Marne.

 

Sa mère, Marie Reine Détourbet, est âgée de 25 ans. Elle vient de donner vie à son 2e fils. Son père, Alphonse Didier, a 35 ans. Alphonse et Marie travaillent tous les deux comme jardiniers.

 

Très bon élève, Gaston continue ses études jusqu’au lycée. Une fois son baccalauréat obtenu, ses parents l’inscrivent à l’institut national agronomique de Versailles où il suit les cours à partir de 1908.

 

La même année, le jeune homme est déclaré « bon pour le service armé ». Le fait de poursuivre des études supérieures lui octroie le droit de ne pas être incorporé avec les éléments de sa classe.

 

Le 2 avril 1909, le conseil de révision de la Haute-Marne lui accorde un sursis supplémentaire d’un an. Gaston devra effectuer ses obligations militaires à la fin de ses études.

 

Le 5 octobre 1910, il intègre le 149e R.I., une unité qui tient garnison à Épinal. Le nouveau conscrit est affecté à la 5e compagnie du régiment dès son arrivée à la caserne Courcy.

 

5e compagnie du 149e R

 

Il a deux ans de plus que la plupart de ses camarades de classe. Sa maturité et son niveau scolaire très élevé lui offrent la possibilité de suivre les cours du peloton d’instruction des élèves caporaux, grade qu’il obtient le 26 septembre 1911.

 

Gaston ne souhaite pas faire de carrière militaire. Il est envoyé dans la disponibilité de l’armée active le 25 septembre 1912, à la fin de ses deux années de service obligatoire. Une fois son uniforme restitué à l’habillement, il se retire à Brennes, où ses parents se sont installés depuis peu, avec son certificat de bonne conduite en poche.

 

Il passe avec succès le concours de vérificateur-rédacteur au crédit foncier de France. Devenu inspecteur à la division des prêts hypothécaires, il s’installe à Paris pour exercer ses nouvelles fonctions professionnelles.

 

L’équilibre politique européen est devenu instable après l’attentat de Sarajevo survenu le 28 juin 1914. Un conflit armé contre l’Allemagne est sur le point d’éclater à la fin du mois suivant.

 

Gaston Viard reçoit un ordre de mobilisation individuel à son domicile, situé au 29 avenue de Tourville, dans le 7e arrondissement. Il retrouve son ancien régiment le 1er  août.

 

Le caporal Viard reste au dépôt durant les 20 jours suivants. Il rejoint le régiment actif juste à temps pour participer aux combats dans le secteur de Menil-sur-Belvitte. Le 149e R.I. retraite, talonné par les Allemands.

 

Sa présence au front est de courte durée. Blessé par une balle reçue à la main droite le 25 août, il est évacué vers l’arrière pour être soigné à l’hôpital n° 57 de Saint-Amand-Montrond, dans le département du Cher.

 

Une fois rétabli, Gaston Viard est renvoyé au dépôt du 149e R.I. à la date du 30 septembre 1914. Les compagnies de dépôt ont été transférées depuis peu à Rolampont dans le département de la Haute-Marne.

 

Rolampont

 

Le caporal Viard ne rejoint pas la ligne de front avant plusieurs mois. Les documents consultés ne permettent pas de savoir ce qu’il a fait durant cette longue période. Ils nous informent simplement qu’il est de retour au régiment actif à la date du 21 mai 1915 pour être aussitôt affecté à la 3e compagnie.

 

Huit jours plus tard, le régiment attaque pour la énième fois dans le secteur d’Aix-Noulette. Gaston Viard est de nouveau blessé à la main droite. Cette fois-ci, il est touché par des éclats de bombe.

 

Comme le présume sa fiche signalétique et des services, il aurait probablement été soigné à proximité de la zone de front, ce qui laisserait supposer une blessure légère. La date exacte de son retour au régiment actif n’est pas connue.

 

Nous savons simplement qu’il occupe les fonctions de caporal fourrier à la 3e compagnie à la date du 23 juillet 1915, puis celles de sergent fourrier à partir du 9 octobre, dans la même unité.

 

Durant cette période, ses missions, plus proches de l’intendance que du Lebel, lui ont probablement offert une protection relative lorsque sa compagnie se trouvait en 1ère ligne, notamment en Artois en septembre 1915 et à Verdun en mars et en avril 1916.

 

Le 9 octobre 1916, Gaston Viard est de nouveau sergent de compagnie. Il prend le commandement d’une section de la 3e. Il n’attend pas bien longtemps pour se faire remarquer par ses supérieurs. Le 17, il est cité à l’ordre du régiment.

 

Le 1er décembre 1916, le sergent Viard est nommé sous-lieutenant à titre temporaire. Le lieutenant-colonel Pineau, responsable du 149e R.I. depuis la capture du lieutenant-colonel Gothié, lui confie le commandement d’une des sections de sa 2e compagnie à partir du 13. Dix jours plus tard, il rédige la note suivante dans le feuillet individuel de campagne du jeune sous-lieutenant :

 

« Venu des sergents du corps, s’est montré chef de section énergique, allant, solide, sur lequel on pouvait compter. A montré de réelles qualités militaires qui en feront, sans aucun doute, un excellent officier. »

 

L’année suivante, le 149e R.I. occupe plusieurs secteurs à proximité du chemin des Dames. La zone est très exposée, mais le régiment n’est pas engagé dans une grande offensive avant le mois d’octobre.

 

Le sous-lieutenant Viard est un officier fraîchement nommé, sorti du rang. Il doit être instruit à l’art du commandement. Envoyé en stages à plusieurs reprises, il effectue une 1ère période de formation sur le fusil mitrailleur du 12 au 20 février 1917, une seconde période de formation sur le fusil R.S.C. (Ribeyrolle Sutter Chauchat) du 19 avril au 26 avril puis une 3e période de formation sur les grenades du 12 au 21 juillet.

 

Gaston Viard est ensuite nommé responsable des cuisines et des voitures à eau. Il participe de manière indirecte à la bataille de la Malmaison du 23 octobre 1917.

 

Le 1er novembre 1917, le lieutenant-colonel Boigues écrit : « Rien n’a été modifié au jugement posé sur le sous-lieutenant Viard au semestre précédent. A pris la direction du T.C. à l’attaque du 23 octobre 1917. Il a très bien assuré ce commandement modeste, mais très délicat. »

 

Le 27 novembre 1917, Gaston Viard est de nouveau affecté à la 3e compagnie du 149e R.I..

 

Fin mai 1918, le 149e R.I. tente, avec toutes les unités des 4e et 43e D.I., de mettre fin à une vaste offensive allemande lancée sur le chemin des Dames, entre le moulin de Laffaux et la ville de Reims. Les combats sont rudes, mais l’attaque ennemie finit par être contenue. Le sous-lieutenant Viard est cité à l’ordre du corps d'armé.

 

Pour en apprendre davantage sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

Arcy-Sainte-Restitue

 

Le 15 juillet 1918, les Allemands attaquent en Champagne dans le secteur du trou Bricot. Le 149e R.I. résiste sur sa position. Il est impossible de dire si le sous-lieutenant Viard a participé aux combats, ou non. Les informations fournies par sa fiche matricule et par son dossier individuel, ne permettent pas de le dire.

 

Le 11 septembre 1918, le capitaine Kaetzel écrit ceci sur son subordonné tout juste versé à la 7e compagnie: « Quoique n’ayant que depuis peu cet officier sous mes ordres, j’ai été à même de le juger très favorablement. Excellent officier, ayant une bonne instruction générale et une excellente éducation, très énergique, possède une grande autorité sur ses hommes. »

 

Le chef de bataillon Froment ajoute « Le lieutenant Viard paraît devoir faire un bon commandant de compagnie. Il suit dans ce but le cours fait au G.A.. Bonne éducation, belle conduite au feu. »

 

Gaston Viard est promu sous-lieutenant à titre définitif le 25 septembre.

 

Le sous-lieutenant Viard meurt à l’âge de 29 ans, dans la nuit du 24 au 25 octobre 1918, durant l’attaque de la Hunding-Stellung. Une rafale d’obus de gros calibres tombe près de lui. Son corps est criblé d’éclats. La mort est instantanée.

 

L’aumônier Henry évoque la fin de cet officier dans un de ses carnets.

 

« Le lieutenant Viard est tué ! Il a été tué hier, dans la nuit. Il fait partie des cinq signalés comme tués. Il paraît que son corps était tellement abîmé qu’il était complètement méconnaissable. Dieu l’accueille dans son saint Paradis ! J’aime à me rappeler que je l’ai vu à la messe le dimanche ; c’était un bon camarade et un chef sympathique. Je n’en ai entendu dire que du bien ; en plus, c’était un modeste. »

 

Gaston Viard est dans un premier temps inhumé par le  G.B.D. 43, dans la tombe n° 20 du petit cimetière construit à proximité de la ferme Tremblot.

 

Pour en apprendre davantage sur cette période, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

25 et 26 octobre 1918 bataille de la Hunding-Stellung

 

Le 4 juin 1920, il est exhumé puis déplacé au cimetière militaire de le Thour. Sa nouvelle sépulture est enregistrée sous le n° 568.

 

Le corps de Gaston Viard est à nouveau sorti de terre le 4 avril 1923. Cette fois-ci, il est définitivement enterré dans la nécropole nationale de Rethel dans une tombe portant le n° 2096.

 

 

Décorations obtenues 

 

Croix de guerre avec une palme, une étoile de vermeil, une étoile d’argent et une étoile de bronze.

 

Citation à l’ordre du régiment n° 267 en date du 1er novembre 1916 :

 

« Chef de section d’un sang-froid et d’un coup d’œil remarquables. Le 17 octobre 1916, la compagnie devant occuper, pendant la nuit, une position ennemie, a conduit sa section dans un ordre parfait et a su obtenir de ses hommes, le plus grand rendement dans l’organisation de la position. Blessé deux fois au cours de la campagne. »

 

Citation à l’ordre du 21e C.A. n° 211  en date du 9 juillet 1918 :

 

« Officier au front depuis le début, s’est toujours fait remarquer par son courage, notamment le 31 mai 1918, où il est resté sur une position pendant plus d’une heure, sous un feu très intense de mitrailleuses ennemies, criant à haute voix : ʺNous tiendrons jusqu’au bout. »

 

Citation à l’ordre de la division n° 362 en date du 14 août 1918 :

 

« Chargé avec sa section d’enlever un groupe de combat ennemi, s’est montré d’une bravoure et d’une conscience exemplaires en enlevant la position et s’y maintenant malgré les contre-attaques successives. »

 

Citation à l’ordre de l’armée (J.O. du 25 mars 1920) :

 

« Officier du plus beau courage. Au front depuis la guerre, s’est toujours fait remarquer par son entrain et sa bravoure au combat ; est tombé glorieusement le 25 octobre 1918, en se portant à l’attaque des positions ennemies. »

 

Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume (J.O. du 25 janvier 1920)

 

« Officier du plus beau courage, au front depuis le début de la guerre, s’est toujours fait remarquer par sa bravoure et son entrain au combat. Est tombé glorieusement, le 25 octobre 1918, en se portant à l’attaque des positions ennemies. A été cité. »

 

Monuments aux morts de Langres et de Brennes

 

Le sous-lieutenant Viard a son nom gravé sur les monuments aux morts de Langres et de Brennes. Il est également inscrit sur le monument aux morts de la colline des Fourches de Langres.

 

Pour prendre connaissance de la généalogie de la famille Viard, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Geneanet

 

Gaston Viard  ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance.

 

Sources :

 

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

 

La fiche signalétique et des services et l’acte de naissance du sous-lieutenant Viard ont été lus sur le site des archives départementales de la Haute-Marne. Son acte de décès a été visionné sur le site des archives de la ville de Paris.

 

Livre d’or « À la mémoire des anciens élèves et élèves de l’institut national agronomique morts pour la défense du sol français. »

 

Témoignage inédit de l'abbé Henry

 

Les clichés représentant les monuments aux morts de Langres et de Brennes proviennent du site « Mémorialgenweb ».

 

La photographie de la sépulture du sous-lieutenant Viard a été réalisée par J.F. Pierron.

 

Un grand merci à M. Bordes, à P. Baude, à A. Carobbi, à J.F. Pierron, à J.L. Poisot, à M. Porcher, au S.H.D. de Vincennes et aux archives départementales de la Haute-Marne.

4 février 2022

Verdun 1916, Maurice Henri Pichenet témoigne (2e partie)…

Au fort de Vaux

 

Avril 1916, le sergent Pichenet du 149e R.I. remonte en 1ère ligne pour la seconde fois depuis son arrivée dans le secteur de Verdun. Envoyé au fort de Vaux, il est mis sous l’autorité du capitaine Gérard, responsable de la 10e compagnie. Cet officier lui confie le commandement d’une escouade.

 

Per Angusta

 

Dans la nuit du 1er au 2 avril 1916, vers 8 h 00, le 2e bataillon du 149e R.I. est alerté et quitte les casernes d’Anthouard, situées en pleine ville de Verdun. Une visite opérée avant le départ dans quelques caves des environs, accompagnée de Gigel, nous a fait découvrir 30 litres de vin, des confitures, une bouteille d’arquebuse. Notre demi-section a reçu avec joie ce supplément inattendu.

 

Les abords du tunnel sont toujours fortement marmités, encore que bien souvent, quand l’aube est proche, une sorte d’accalmie se produise. L’heure n’est sans doute pas encore venue, car au moment où nous allons, en colonne par un et forçant l’allure, pénétrer sous la voûte, je reçois sur les reins quelques bonnes pelletées de terre qu’un gros percutant vient d’arracher du talus.

 

La journée qui va suivre sera l’une des plus pénibles de notre séjour ici. Nous ne quittons guère nos masques. Plusieurs sont intoxiqués et pris de vomissements.

 

Dans la soirée, nous apprenons qu’il nous faut relever le 158e R.I. aux abords de l’étang de Vaux. Nous partons à 21 h 00, gravissant en toute hâte, parmi des nuages de gaz, les pentes qui aboutissent au tunnel. Nous parvenons néanmoins sans perte à l’endroit où, peu de jours auparavant, nous avons été violemment marmités.

 

Le malheur est qu’à ce moment, plusieurs corvées de matériel nous coupent, en pleine obscurité. On jure, on s’invective, selon la coutume, et une fois dégagés, plus personne des nôtres !... Nous sommes ainsi, quelques-uns, à avoir été entourés par un groupe de sapeurs du génie, porteur de fascines. Pendant ce temps, la tête de la colonne a continué son chemin, nous laissant seuls.

 

Nous faisons quelques pas en arrière, escomptant encore trouver quelqu’un de chez nous, mais rien…

 

Pendant un moment, nous errons à 5 ou 6 parmi d’énormes trous et des souches à demi déracinées.  Les obus recommencent à tomber, très proches. Je reste seul. Je sais le fort à quelques centaines de mètres. Le mieux est d’y parvenir. Le trajet est pénible et surtout redoutable.

 

L’étreinte de fer et de feu qui enserre les défenseurs ne se relâche pas. C’est encore aux abords immédiats, comme il y a 8 jours, la cadence vertigineuse des projectiles de tous calibres. Je parviens enfin à cette petite poterne, où déjà je m’étais arrêté lors des corvées de torpilles. J’y trouve le lieutenant Monnoury et le caporal Christmann, tous deux de la 7e compagnie. Ils m’apprennent que le commandant Schalck est là également.

 

Nous causons quelques instants. Un véritable engourdissement me prend. Malgré le vacarme, je m’assoupis, tout harnaché.

 

À mon réveil, quelques heures plus tard, le lieutenant et le caporal sont partis sans rien me dire. Aussitôt, avant même que le jour paraisse, je me mets à la disposition de l’un des officiers présents au fort, le lieutenant commandant la 10e compagnie de notre régiment. Il m’affecte au commandement d’une escouade et je passe la journée du 3 avril à l’intérieur du fort.

 

Pour en apprendre davantage sur la journée du 3 avril 1916, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Fort de Vaux

 

Je le parcours à plusieurs reprises, me familiarisant avec ses multiples services : infirmerie, dortoirs, gaines, couloirs de toutes sortes, citernes. Je fais tout cela dans une atmosphère poussiéreuse, altérante, parmi de nombreux blessés ou commotionnés qui encombrent les couloirs. Plusieurs sont pris de tremblement à la pensée qu’on va tenter de les évacuer.

 

Au-dehors, les effectifs de surveillance sont réduits au minimum. Les pertes sont si lourdes !

 

L’ennemi s’acharne de plus en plus. La masse du fort vibre sans arrêt, sous les coups de bélier de monstrueux projectiles. À chaque fois que l’un d’eux éclate à proximité, c’est un souffle puissant qui parcourt l’entrée des galeries. Les lanternes dispensées dans des coins souvent très reculés sont chaque fois comme un sursaut. Elles émettent soudain une lumière plus vive.

 

À la nuit, je pars avec mon escouade occuper un emplacement situé un peu en avant du fort, face à la plaine de Woëvre.

 

Nous sommes longtemps sans pouvoir déboucher l’accès de notre position étant obstrué par des éboulis. Enfin, vers 20 h 00, nous sommes en place, à quelques pas d’une petite butte maçonnée qui nous protège un peu.

 

Notre nuit s’écoule sans pertes, les coups passant au-dessus de nos têtes pour atteindre le fort et surtout, en interdire l’accès aux relèves et au ravitaillement.

 

À l’aube, comme toujours, le rythme du bombardement s’apaise. Le soleil se lève, au loin, par delà la plaine qui s’étale à nos pieds. La journée s’annonce superbe.

 

Laissant deux des nôtres en position, nous rentrons au fort sans cependant nous éloigner beaucoup de notre emplacement de la nuit.

 

Nous allons passer dans l’inaction totale, cette journée du 4 avril, assis sur les marches d’un escalier qui donne accès aux couloirs supérieurs, munis de quelques bougies que le vent des explosions soufflera fréquemment.

 

Pour en apprendre davantage  sur la journée du 4 avril 1916, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Secteur du fort de Vaux

 

La journée est très pénible pour les défenseurs du fort dont les nerfs sont mis à l’épreuve par un marmitage encore inégalé jusque-là. Quand le soir, après avoir reçu chacun un peu de nourriture froide et une petite ration d’eau, nous reprenons notre emplacement, c’est à peine si nous pouvons reconnaître les lieux.

 

Le terrain a été dans la journée pilonné mètre par mètre et fouillé de partout comme par une charrue colossale. Une heure se passe. Le feu ennemi ne se ralentit point et maintenant, les obus tombent très proches, à l’inverse de la nuit précédente.

 

Une puissance rafale arrive de l’horizon. Nous entendons venir son souffle haletant et nous nous jetons à terre. Tout jaillit aux alentours de nous. Quelques secondes s’écoulent.

 

Je redresse la tête, puis le buste. À ce moment, venant de très haut sans doute, j’entends un faible sifflement. Un choc violent frappe le bord gauche de mon casque. J’éprouve aussitôt, à l’oreille et à l’épaule, une sensation de brûlure très vive. Je suis touché.

 

Le lobe de l’oreille est largement fendu à sa base. L’éclat qui m’a frappé a coupé ensuite le col de ma capote et celui de ma vareuse. Il a suivi le long du cou, frôlant la carotide, pour venir s’incruster légèrement vers la clavicule.

 

Je l’enlève sans difficulté, encore tout chaud, mais le choc a été violent.

 

J’éprouve l’impression qu’un autre éclat m’a frappé, sans pénétrer, le long du bras gauche. Celui-ci est tout engourdi.

 

Je saigne abondamment au cou. Ma vareuse commence à s’imbiber. Il faut partir.

 

Je passe le commandement à un 1ère classe, je rentre au fort où un infirmier me fait un pansement rapide.

 

« Tu es valide » me dit-il. «  Il faut partir dès que tu le pourras. Ici c’est déjà complet. »

 

Je ne demande pas mieux. Mais comment sortir pour l’instant ? Le fort est un cratère qui fume, tonne, rugit, flamboie sous une averse d’acier !

 

Avant de me risquer hors de l’enceinte, je séjourne pendant plus de deux heures tout près de l’entrée. La mort est partout ! On vient de porter à l’instant, sur un brancard, un pauvre diable de fantassin dont la jambe gauche, atteinte aux deux tiers par un gros éclat, a été littéralement retournée. Le malheureux hurle comme un damné et profère sans arrêt cette interjection du midi que j’entends encore : « Ah macarelle ! macarelle ! ».

 

Il faut le maintenir de force sur le brancard et l’on oublie ses propres maux à voir cette infortune.

 

Enfin, vers minuit, le bombardement s’apaise un peu. Je pars aussitôt avec un chasseur à pied, blessé également à la tête.

 

Gagner Tavannes, c’est notre seul but ! Les relèves et les corvées qui viennent à nous utilisent aussi les moindres cheminements. Tout comme nous, elles veulent aussi profiter de l’accalmie.  Au bout d’un moment, je perds mon camarade.

 

La fièvre m’a pris depuis longtemps déjà, martelant mes tempes. Je n’ai plus rien à boire ! Enfin, vers 2 heures et après mille détours, j’arrive au tunnel. Ce sont des territoriaux, du 43e, je crois, qui l’occupent alors. Ils viennent d’arriver.

 

Ils ont de la lumière. Me voyant blessé, hâve, exténué, la capote ensanglantée, l’un d’eux prend son bidon et, généreusement, m’offre à boire !

 

Camaraderie, sainte amitié du front qui, si souvent et de façon si obscure, s’est manifestée pendant ces années de misère. Puissent ceux qui l’ont pleinement pratiquée, avoir reçu, avec large mesure, leur récompense dans la suite !

 

Un peu réconforté, je gagne le fort non sans avoir failli être « soufflé » au sommet du tunnel.

 

Je trouve un poste de secours bien aménagé. Mon pansement est refait. Je n’ai plus qu’à attendre.

 

Au petit jour, quelques camionnettes arrivent. Nous gagnerons, non sans risques, Bévaux où l’on nous évacuera. Puis ce sera Regret, Bar-le-Duc, Saint-Dizier, et Troyes. Quand l’heure sera venue de rejoindre, après une courte permission, ma compagnie, Verdun ne sera plus qu’un souvenir. Je retrouverai (combien, hélas, manquant à jamais) mes camarades de la 7e, à la butte du Mesnil face à Vouziers.

 

Signé : H. Pichenet

 

Caporal, 149e R.I., 7e compagnie

 

En 2018, Nicolas Bernard fait don aux archives départementales de la Somme du texte original écrit par le sergent Pichenet et de l’ensemble des témoignages d’anciens combattants utilisés par Jacques Péricard pour la rédaction de son « Verdun ».

 

 Sources :

 

Témoignage inédit rédigé par Henri Pichenet. Archives départementales de la Somme. Fonds Péricard. Cote 179 J 91.

 

Archives départementales de la Somme

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à F. Charpentier à A. Carrobi, à X. Daugy, à I. Holgado, à L. Klawinski  et aux archives départementales de la Somme.

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