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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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6 mai 2022

Une image spectaculaire

Un appareil de l'escadrille F 60 survole Soyecourt

 

Le 4 septembre 1916, un avion de reconnaissance français appartenant à l’escadrille F 60 vole au-dessus de Soyécourt. Au sol, les unités de la 43e D.I. sont sorties des tranchées pour tenter de reprendre le village.

 

À bord de l’appareil, le mitrailleur-photographe effectue plusieurs prises de vue…

 

Le travail suivant a entièrement été réalisé par Arnaud Carobbi. La photographie aérienne étudiée provient de la collection personnelle de Sébastien Robit.

 

Une image spectaculaire 

 

Image 1

 

Dans le choix du mot « spectaculaire », il y a l'idée de se retrouver face une image « qui frappe la vue, l'imagination par son caractère remarquable, les émotions, les réflexions suscitées ». Cette définition, extraite du site du Trésor de la Langue Française Informatisé, s’adapte parfaitement à la photographie aérienne présentée ici.

 

Les images prises au cours d'un assaut sont rares. La plupart d’entre elles sont souvent sujettes à caution : reconstitution ? Légendes truquées ? Légende contradictoire d'un livre à un autre. Finalement, les clichés réellement authentifiés, pris au cours d'une attaque, sont assez uniques.

 

La photographie en question exécutée par l’avion de reconnaissance survole les troupes françaises au cours de l’attaque. On y voit des soldats progresser dans des tranchées, dans des boyaux et dans le no man's land.

 

C’est une image peu commune, à la fois par son mode de prise de vue et par sa datation, mais surtout par la précision de l'heure. Ces informations permettent d'en savoir beaucoup plus. Elles montrent à quel point le mot « spectaculaire » est adapté, sans pour autant être exceptionnel.

 

Nous allons déterminer dans quel contexte cette vue oblique a été réalisée et tenter de répondre à la question : s'agit-il d'hommes du 149e R.I ?

 

Se repérer 

 

Les lieux visibles sur une photographie aérienne sont la plupart du temps difficiles à identifier. Heureusement, des annotations étaient systématiquement ajoutées sur les clichés. Ici, elles nous seront d'une grande utilité.

 

Petit tableau escadrille F 60

 

L’indication « tranchée des Gémeaux, Soyécourt » permet de localiser le secteur…

 

Image 2

 

… de nommer les tranchées visibles, de voir leur forme caractéristique et de repérer les boyaux de communications allemands...

 

Image 3

 

… de délimiter l'espace sur une autre vue aérienne, ce qui facilitera la comparaison d'un même lieu à quelques jours d'intervalle.

 

Tranchées des Gémeaux le 31 août 1916

 

Pour en savoir plus sur la prise de vue réalisée le 31 août 1916, il suffit de cliquer une fois sur la photographie suivante.

 

Image 4

 

Un secteur dans les combats de la bataille de la Somme 

 

Le 4 septembre 1916, commence une nouvelle phase d'attaques françaises dans ce secteur, situé à l'extrême sud de la zone, où se déroule la bataille de la Somme depuis le 1er juillet. Voici la partie du front avant le 21 juillet 1916... 

 

Image 5

 

 … et le tracé de la tranchée des Gémeaux.

 

Image 6

 

Le 21 juillet, le front progresse vers Soyécourt. Avant cette date, la tranchée des Gémeaux n'était qu'une ligne arrière. Elle se retrouve maintenant en 1ère ligne et doublée. De ce fait, son nom devient plus cohérent : les Gémeaux Castor et Pollux de la mythologie grecque symbolisent la gémellité (à noter qu'on trouve également une tranchée Jupiter non loin, plus au sud).

 

Le 19 août, les régiments de la 43e D.I. relèvent ceux de la 51e D.I. Une nouvelle attaque est prévue pour le 4 septembre.

 

Image 7

 

Chaque unité de la 43e D.I. (149e R.I., 3e et 10e B.C.P. pour la 85e Brigade ; 158e R.I., 1er et 31e B.C.P. pour la 86e Brigade) s'est vue attribuer un secteur et un couloir de progression avec les objectifs à atteindre.

 

Ces couloirs de progression ont une importance capitale. Ils permettent l’identification de l'unité ayant pris le contrôle de la tranchée des Gémeaux. Il ne s'agit pas du 149e R.I., mais du 31e B.C.P..

 

À 14 h 00, les hommes sont sortis des tranchées françaises situées à la limite gauche de la photographie aérienne.  Elles restent invisibles.

 

Le bombardement préparatoire, commencé le 28 août, a fait son effet. Lorsque nous comparons les photographies du 31 août et du 4 septembre, le nombre de cratères visibles entre le premier et le second cliché est éloquent. La mise en parallèle des deux prises de vues permet de se faire une idée concrète de ce que pouvait être le  résultat d'un tel tir. Plusieurs obus, manifestement tombés sur les tranchées allemandes, donnent des éboulements significatifs.

 

 

Les tranchées ont été rapidement conquises les unes après les autres (le J.M.O. de la 43e D.I. indique que l'avancée s’est réalisée au maximum sur 1700 mètres en 35 minutes ! ).

 

Les chasseurs se sont enfoncés dans le dispositif allemand. Il en est de même pour les hommes des unités voisines. Le 31e B.C.P. atteint les dernières maisons de Soyécourt dès 14 h 14.

 

Le 149e R.I. signale la conquête du village à 15 h 04. La résistance allemande ne se durcira que plus loin.

 

Dans la mesure où la vue aérienne a été réalisée à 16 h 00, les hommes visibles sur le cliché ne font pas partie de la 1ère vague d’assaut.

 

Ces soldats se déplacent dans la zone de front reprise aux Allemands au cours des toutes premières minutes de l'attaque. Ce sont des chasseurs du 31e B.C.P., des soldats du 149e R.I. voisin et des soldats du génie... En tout cas, il ne s'agit pas des chasseurs du 1er B.C.P., placés en réserve de division. La moitié d’entre eux prendra place dans les tranchées de départ aux alentours de 18 h 30 et l'autre moitié restera à Herleville.

 

Le J.M.O. de la 86e Brigade chargé de ce secteur indique :

 

« À 15 h 30, le colonel commandant la brigade donne à son bataillon de réserve de brigade l'ordre suivant... ». Ce bataillon de réserve appartient au 158e R.I.. Il  doit se mettre en relation avec le commandant du 31e B.C.P.. Il est donc fort probable que ces hommes constituent une partie des renforts destinée au 31e B.C.P., donc des hommes du 2e bataillon du 158e R.I..

 

À vrai dire,  les choses ne sont pas si simples. Sur la photographie, nous voyons nettement deux groupes. L’un d'entre eux est clairement situé dans le secteur attribué au 149e R.I., dans les 50 mètres longeant la rue ouest de Soyécourt et mentionnés par le J.M.O. de la 85e brigade.

 

Il pourrait très bien s'agir de fantassins du 158e R.I. en bas de l'image et d'hommes du 149e R.I. le long du village. Hélas, il n'y a pas de sources suffisamment précises pour confirmer cette hypothèse concernant les hommes du 149e R.I..

 

Voici une proposition d'interprétation de la photographie 

 

Image 9

 

Du fait au ressenti 

 

En l'absence de reconnaissance absolue de l'unité, il reste l'identification (dans le sens d'immersion) que peut percevoir l'observateur d'aujourd'hui. Comme il a déjà été dit précédemment, il est peu courant de voir ainsi des hommes un jour d'assaut, fussent-ils de la 3e vague ou de renfort.

 

En observant, on peut mettre des images plus précises sur les récits d'attaques que l'on a pu lire sur le secteur, ou sur la période en général : un village qui n'est pas rasé puisqu'on y voit encore des bâtiments, des haies, des chemins et des routes.

 

Ici, la guerre n'a pas tout pulvérisé comme ce fut le cas pour plusieurs villages de la Meuse.

 

La préparation d'artillerie a tout de même détruit des bâtiments qui possédaient encore leurs toitures quelques jours auparavant. Désormais, ils ne sont reconnaissables que par les encadrements de portes et de fenêtres.

 

Image 10

 

Il en est de même pour le no man's land qui ne ressemble en rien à la série continue de cratères visibles dans plusieurs secteurs de Verdun. Certes, il est bouleversé, mais ses tranchées ne sont pas totalement rasées.

 

Ces hommes viennent des premières lignes françaises. Ils se dirigent vers la zone des combats située à plus d'un kilomètre. On remarque qu'ils sont en général par groupes de quinze environ. Hélas, ils ne sont représentés que par quelques pixels. Ces soldats restent des formes fantomatiques difficiles à dénombrer.

 

Image 11

 

Les soldats rassemblés par petits groupes suivent des parcours identiques le plus souvent sans passer par le no man's land. C'est notable pour le groupe qui longe les maisons de Soyécourt en haut de la photographie.

 

Image 12

 

Comment faut-il interpréter les quelques isolés visibles ? Se pourrait-il que ce soit les victimes des combats ? Et ces volutes de fumée ? Marquent-elles l'emplacement d'obus qui viennent de tomber ? Si c'est le cas, ils sont arrivés à proximité des groupes d'hommes. Où alors s'agit-il des fumées de feux allumés une heure plus tôt, au cours des combats ?

 

Que se passe-t-il après 16 h 00 ?

 

En regardant cet instantané, il faut également imaginer les hommes avancés vers une zone beaucoup plus dangereuse. Ils subiront un peu plus tard les bombardements allemands et les violentes contre-attaques ennemies. Les pertes subies seront sensibles dans la nuit du 4 au 5 septembre 1916.

 

Que devient la tranchée des Gémeaux après les combats ? Si elle apparaît encore dans une carte du 1er décembre 1916, elle est en pointillés : elle n'est plus utilisée et se comble peu à peu.

 

Image 13

 

Après le conflit 1914-1918

 

Le village de Soyécourt fut reconstruit après guerre. Les traces du conflit ont été effacées pour rendre les terres à leur fonction première : l'agriculture.

 

Image 14

 

Sur une photographie aérienne de 1947, on ne perçoit plus rien mis à part dans le bois Trink voisin. Ce dernier n'a pas survécu au remembrement et aux nécessités de remettre en culture davantage de terres. Il a été rasé après les années 1960, ainsi que les traces qu'il conservait encore.

 

Image 15

 

En réalité, il reste encore quelques stigmates visibles lorsque les conditions météorologiques sont favorables, et le souvenir, dans cette série d'articles sur ces combats.

 

Sources :

 

(Il faut cliquer une fois sur les images suivantes pour accepter directement aux pages des J.M.O. concernant la journée du 4 septembre 1916).

 

- J.M.O. de la 43e D.I., 26N344/5. et- J.M.O. de la 85e Brigade, 26N520/12.

 

JJ

 

- J.M.O. de la 86e Brigade, 26N520/14. et J.M.O. du 31e B.C.P., 26N826/27.

 

J

 

J

 

- J.M.O. du 1er B.C.P., 26N/815/2 et J.M.O. du 158e R.I., 26N700/13.

 

J

 

J

 

- J.M.O. de la 5e batterie du 62e RAC, 26N1017/22.

 

J

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado

 

La photographie aérienne provient du fonds S. Robit

 

L’insigne de fuselage  de l’escadrille F 60 a été trouvé sur le site de Denis Albin.

 

Remerciements :

 

Alors qu'habituellement c'est lui qui adresse ses remerciements dans ses articles, à mon tour de le faire ! Un grand merci à Denis pour m'avoir laissé l’opportunité de travailler sur cette photographie. Merci à Sébastien Robit de lui avoir laissé la possibilité de publier des travaux à partir de clichés qu'il possède (A. Carobbi).

 

Un chaleureux merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à S. Robit et au S.H.D. de Vincennes

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