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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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14 septembre 2018

Témoignage de Louis Cretin : le chemin des Dames et la bataille de la Malmaison.

Louis_Cretin

Tous mes remerciements à D. Browarsky et à T. Cornet qui me permettent de retranscrire sur ce blog le passage suivant du témoignage de Louis Cretin qui a été à la C.H.R. du 149e R.I. du début à la fin du conflit.

Dans son récit, Louis Cretin évoque très succinctement la bataille de la Malmaison. S’il résume brièvement les événements qui se sont déroulés le 23 octobre 1917, il y est tout de même question des pertes françaises dues à sa propre artillerie.

Juin 1917, du côté du chemin des Dames

Un bataillon se trouve en ligne, un autre fait des travaux et le troisième est au repos. Relève tous les 8 jours. Jusqu’à la fin juin, la musique demeure à Ciry-Salsogne avec la C.H.R.. Répétitions et concerts.

Le 21 juin 1917, nous montons jalonner puis faire une piste partant de l’entrée du village de Vailly-sur-Aisne, passant par le bois Vervins et aboutissant à Aizy et à Jouy. Cela nous occupe jusqu’au 26. Le 27 juin, repos à Ciry-Salsogne. Le 28, nous montons occuper des abris d’artillerie abandonnés au bois Vervins, et tous les jours nous faisons des travaux avec les compagnies, construction du long boyau du Sourd et des tranchées. Ceci s’effectue en plein jour, à 500 m des premières lignes, à la vue des Allemands qui occupent le fort de la Malmaison.

Aizy_Jouy_1917

Chaque jour, nous sommes bombardés, parfois, nous sommes même obligés d’abandonner le « boulot ». Le 3 juillet, nous descendons passer 8 jours de repos à Billy-sur-Aisne. Nous lâchons la pelle et reprenons l’instrument.

La C

 Le 10, nous remontons à nouveau, même travail qu’au précédent séjour ; seulement, cette fois-ci, le travail se fait de nuit. La raison en est la proximité des lignes, trop visibles pour travailler de jour.

De plus, il existe un avion allemand qui ne nous laisse aucun répit. Une fois le jour venu et à la tombée de la nuit, rasant les boyaux, les tranchées, les pistes, il mitraille quiconque se fait voir. On l’appelle Fantômas, du fait qu’il a beau être pourchassé canonné et fusillé, il a l’air de ne pas s’en apercevoir. Il continue toujours ses exploits, paraissant invulnérable…

Le 15 juillet, relève et repos à Billy-sur-Aisne. Le 20, nous remontons, toujours en équipes de terrassiers. Le travail se fait de nuit. Le 22, nous avons beaucoup de blessés étant sérieusement bombardés pendant les travaux. Nous dormons de jour et de 22 h 00 au matin, « au boulot ». Le 28 juillet, repos à Billy-sur-Aisne. Le 29, je pars en permission.

Je rentre le 12 août ; le même jour, nous allons faire un concert à Soissons. Nous demeurons à Billy-sur-Aisne jusqu’au 20 août. À cette date, 12 musiciens montent comme brancardiers, deux jours à la ferme le Panthéon, et deux jours en première ligne avec une compagnie qui doit donner un coup de main. Je suis du nombre. Tout se passe bien.

Le Pantheon et les Bovettes

Dans la nuit du 27 au 28, des coloniaux nous relèvent et nous allons à l’arrière. Départ en camions, cantonnement à Chouy à 12 km de Villers-Cotterêts. Le service musical reprend pendant les 12 jours que nous passons là. (Vacciné T.A.B., je suis malade pendant 3 jours).

Le 11 août, je remonte en ligne. Les camions nous débarquent de nuit à Condé-sur-Aisne et nous montons aux carrières Chantereine. Le soir, nous recommençons le travail d’aménagement du secteur. Mais cette fois nous travaillons avec le génie, à la construction de sapes et du P.C. « Conflans » au nord de Jouy. Nous allons chercher nos matériaux à Aizy. Nous sommes souvent obligés de nous jeter à terre, car à la lueur des fusées, les mitrailleuses allemandes balayent le terrain.

P

Le 23, l’autre moitié de la musique qui est restée à Sept-Monts nous relève et nous prenons leur place. Le 28 août, le régiment descend et nous partons au repos à Norroy à 30 km. Nous y demeurons tout le mois de septembre.

Au début d’octobre, une préparation d’artillerie est commencée en vue d’une attaque prochaine à laquelle le 21e C.A. doit participer. Mais le temps est mauvais, on dirait que c’est une fatalité. Chaque fois que nous montons une attaque, les éléments ont l’air de se liguer contre nous. Il pleut, il pleut ! Chaque jour nous attendons l’ordre de monter. Mais l’artillerie ne s’arrête pas et continue d’arroser le front d’attaque sous un marmitage terrible. Vrai, il ne doit pas faire bon être en ligne de l’autre côté. Qu'est-ce que les Allemands prennent comme dragées ! Le 17 octobre, l’ordre arrive enfin de monter. Le régiment doit attendre jusqu’au 23 octobre pour enfin s’élancer à l’attaque.

La bataille de la Malmaison

Carte 1 emplacements des 3 bataillons du 149e R

Le 1er bataillon en première ligne, les deux autres suivent. Les brancardiers en seconde vague. Cette offensive fut un brillant succès et nos pertes légères à côté de Lorette en 1915 ; encore faut-il dire que plus d’une fois, nos hommes subirent des pertes du fait qu’ils se trouvaient sur le tir de notre propre artillerie. La progression se faisant trop vite d’après le plan établi.

Le front allemand fut enlevé sur un front de 12 km sur 6 de profondeur. Nos troupes s’arrêtèrent à l’Ailette parce que tels étaient les ordres.

Cette victoire rendit la confiance à nos poilus. Les tanks qui nous accompagnaient pour la première fois firent du beau travail en réduisant les nids de mitrailleuses allemandes cachées dans les trous d’obus.

La route de Maubeuge atteinte, le 1er bataillon passe en réserve et le 3e le remplace en première vague. Le deuxième objectif est atteint. Un des nôtres, un courageux brancardier Charles Fénoglio, reçoit un éclat d’obus en plein cœur.

Carte 2 journee du 23 octobre 1917 (2e objectif)

Le 2e bataillon s’occupe du nettoyage du terrain conquis et capture de nombreux prisonniers, du matériel en abondance et plusieurs batteries d’artillerie.

Relève le 31 octobre, après avoir consolidé le terrain. Le régiment vient au repos aux environs de Montmirail.

Après l’attaque

En récompense de notre brillante attaque au chemin des Dames, les hommes partent en permission de 12 jours en deux périodes. J’arrive chez moi le 7 novembre et trouve mon frère venu également en permission. Je quitte chez moi le 19 et je viens retrouver les camarades à leur cantonnement de la Celle, près de Montmirail, où nous restons jusqu’au 5 décembre, date à laquelle nous embarquons à Artonges dans la nuit.

Nous passons à Château-Thierry, Langres et nous débarquons le 6 au soir à Génevreuil, près de Lure, dans la Haute-Saône. Nous cantonnons à Mollans pour y rester jusqu’au 10. Le 11, départ à pied, le soir nous sommes à Abbenans. Le 12, nouvelle marche, dans l’après-midi nous arrivons à Isle-sur-le-Doubs. Le 13, à nouveau sac au dos, nous couchons à Mandeure où on nous fait bon accueil. Le 14 en route, nous arrivons à Hérimoncourt fatigués, mais l’accueil que nous recevons fait oublier notre peine. Tous les hommes logent chez l’habitant et couchent dans des lits. Nous reprenons nos concerts bien écoutés des civils. Nous sommes dans la région des usines Peugeot et Japy où beaucoup d’hommes sont mobilisés en usines.

Nous passons une période de repos exceptionnelle, rien ne nous manque. Les compagnies vont faire des travaux de seconde ligne à la frontière suisse. Le 26, nous changeons de cantonnement et venons à Seloncourt où nous sommes aussi bien et dans les mêmes conditions qu’à Hérimoncourt. À part le service de musique, nous ne faisons rien de pénible. L’entrainement des troupes et les travaux durent jusqu’au 17 janvier 1918, jour où nous quittons à regret notre logement. Nous étions chez de braves gens, soignés, couchés comme jamais nous n’avions été depuis le début de la guerre.

La C

Le 17, dans la soirée, nous embarquons en chemin de fer à Voujeaucourt près de Montbéliard. Le 18, nous passons à Belfort, Lure, Épinal où nous faisons un arrêt et jouons la « Madelon » sur le quai de la gare. Nous débarquons à la Chapelle-devant-Bruyères dans la soirée et nous allons cantonner à Corcieux dans les casernements du 31e B.C.P..

Notes sur l’année 1917

L’année écoulée fut pour tout le régiment la période la plus calme de toute la guerre.

Les premiers mois occupés à l’instruction des hommes et du repos abondamment. On devait être l’armée de poursuite après la grande offensive printanière… Mais les évènements ne nous le permirent pas. Néanmoins, nous montons en secteur au chemin des Dames à la fin d’avril. Ce point du front pourtant assez agité ne paraît pas trop dur, habitué que nous étions à trouver plus mauvais.

Longtemps nous demeurons dans ces parages, nous travaillons, nous organisons le terrain conquis pendant l’offensive d’avril. Finalement, le 23 octobre, notre attaque du 21e C.A., parfaitement préparée, valut au régiment un brillant succès facilement acquis ! Nous pouvons dire sans exagération que cette offensive fut la première que nous réussissions aussi bien depuis le début de la guerre, avec le minimum de perte. Seulement l’année s’était écoulée et les espoirs que nous possédions au début ne s’étaient pas réalisés.

Après la magnifique résistance de l’armée française devant Verdun en 1916 et l’échec allemand, puis l’offensive franco-britannique sur la Somme qui nous valut des succès appréciables et qui entrainera le repli volontaire des Allemands en mars 1917 (Les Allemands n’étaient plus à Noyon), nous étions en droit d’espérer que 1917 verrait la fin de la tourmente.

Les troupes entrainées pendant la période d’hiver étaient impatientes de rejeter l’ennemi en dehors de notre sol. Tous comptaient sur la G.O.P. pour nous donner la victoire. Cette attaque eut lieu… mais n’aboutit pas. Pourtant, la valeur et le courage de nos troupes n’avaient pas failli. Nous comprîmes que la faute devait venir du haut lieu… gouvernement où haut commandement, on ne savait au juste. Mais nous sentions qu’il y avait quelque chose de faussé dans la conduite des opérations.

Les attaques partielles qui suivirent n’eurent d’autres résultats que d’augmenter nos pertes. Allions-nous revoir la période des attaques meurtrières et stériles de l’année 1915 en Artois, en Alsace et en Argonne ? Des murmures commencèrent à courir parmi les combattants. On faisait bon marché du sang des poilus. Le moral des troupes s’affaiblit. Les hommes voulaient bien tenir, mais ne plus faire d’attaques dans ces conditions. Cet état d’esprit était certainement connu des Allemands. On parlait de « paix blanche », sans vainqueurs ni vaincus et les propagateurs de ces nouvelles trouvaient des recrues parmi la population civile autant que parmi nous. Les empires centraux triomphaient, l’effondrement du front russe, la révolution à Petrograd et comme suite, les troupes roumaines obligées de capituler. Vraiment cela allait mal pour nous. Alors que nous espérions la victoire, c’était la défaite entrevue.

Les Italiens n’étaient pas plus heureux, et à leur tour, faillirent être écrasés. Heureusement que par des repos fréquents et des permissions largement distribuées, on réussit à rendre confiance aux troupes du front. La campagne défaitiste n’avait pas réussi à prendre chez nous. Le « tigre » Clemenceau inspirait confiance. Aussi notre victoire de la Malmaison vint à point pour remonter le moral des poilus. Ils reprirent courage et l’on se prépara à passer un nouvel hiver de guerre.

Références bibliographiques :

Souvenirs de Louis Crétin.

Un grand merci à M. Bordes, à  D. Browarsky, à A. Chaupin et à T. Cornet.

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