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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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9 octobre 2015

Octave Louis Henri Cadeau (1877-1914).

Henri_Cadeau

Octave Louis Henri Cadeau naît le 16 octobre 1877 à Château-Chinon, la capitale du Haut-Morvan. Le jour même, son père, procureur de la République, se rend à la mairie de cette sous-préfecture nivernaise, faire enregistrer la naissance du fils qu’il vient d’avoir avec son épouse, Jeanne Félicité Léontine Louise Gadoin.

Henri commence sa scolarité à l’Institution Saint-Joseph de Montluçon à l’âge de 10 ans. Il va faire toutes ses études dans cette école jusqu’à l’obtention de son baccalauréat lettres-mathématiques.

Attiré par une carrière militaire, il souhaite entrer à l’école spéciale militaire. Pour mettre toutes les chances de son côté, il sollicite le soutien des Jésuites lyonnais qui vont l’aider à préparer le concours d’entrée.

Henri Cadeau est admis à suivre les cours de l’école de Saint-Cyr à partir du 29 octobre 1898. Le jeune homme intègre la 83e promotion dite promotion Marchand.

Deux années plus tard, il en sort avec un bon rang, ce qui va lui donner la possibilité de choisir sa future garnison. Cent quatrième sur 552 élèves, Henri Cadeau accorde ses préférences à la ville de Châteauroux, certainement pour se rapprocher de ses parents qui ne sont pas très loin.

C’est comme sous-lieutenant qu’il intègre le 90e R.I., un régiment qui va devenir pour une longue période sa seconde famille. En effet, il va y demeurer pendant plus de 13 ans.

Ses supérieurs lui rédigeront des rapports extrêmement positifs tout au long de sa présence au sein de ce régiment. L’homme est décrit comme étant un officier intelligent, vigoureux, plein de bonne volonté et d’entrain. C’est également un cavalier de tout premier ordre qui s’acquitte des fonctions d’officier chargé des exercices physiques avec beaucoup de zèle.

Henri Cadeau est un instructeur qui a su obtenir de bons résultats avec les « signaleurs ». Il est parfois sollicité en dehors de sa compagnie avec des résultats très satisfaisants en raison de son sérieux et de son intelligence.

Ses chefs lui reprochent simplement de manquer parfois de réflexion. Il aura tout le temps de corriger ce défaut en prenant de la maturité !

12e_compagnie_du_90e_R

Le 1er octobre 1902, il peut ajouter une deuxième ficelle à son képi d’officier.

Cet officier va effectuer plusieurs stages qui vont lui permettre de se perfectionner dans son métier de soldat.

Dans un premier temps, Henri Cadeau suit les cours de l’école de gymnastique de Joinville-le-Pont du 1er février au 1er mai 1904.

En 1904, le lieutenant Cadeau souhaite épouser Renée Marie Joseph Briand, la fille unique d’Armand Briand et de Zoé Drouet. Mais pour cela, il lui faut obtenir l’autorisation du général commandant le 9e C.A..

Une fois cet accord obtenu, il peut conduire, le 3 août 1904, la jeune femme à la mairie et à l’église de Châteauneuf-sur-Sarthe, une petite commune du Maine-et-Loire.

De cette union naîtront 3 enfants, Louise, Pierre et Solange.

Henri Cadeau retourne en formation du 25 février au 30 mars 1907 pour suivre les cours de l’école régionale de tir du Ruchard.

H

Le 15 mai 1909, le lieutenant Cadeau écope de deux jours d’arrêts simples ! C’est le colonel du régiment qui lui inflige lui-même cette punition en lui portant le motif suivant :

« Ayant adressé une demande de stage dans une autre arme à son commandant de compagnie, n’ayant pas cru devoir lui communiquer son avis, s’est procuré ce renseignement d’une façon indiscrète au bureau de colonel. »

L’impatience ne paye pas ! Cette punition légère vient rappeler que la voie hiérarchique militaire, c’est vraiment du sérieux ! Ce sera le seul et unique manquement à la discipline de toute la carrière de cet officier.

H

Souhaitant affiner ses connaissances théoriques, il suit les cours de l’école des travaux de campagne du 24 avril au 13 mai 1911.

De retour à la caserne Bertrand pour quelques mois, il quitte à nouveau la ville de Châteauroux du 1er janvier au 31 juillet 1912, pour effectuer un stage de longue durée au 20e R.A.C.. Il se rend à Poitiers.

Le lieutenant Cadeau est nommé capitaine le 9 janvier 1914. Il faut se préparer à quitter Châteauroux. L’officier vient d’être muté au 149e R.I., une unité qui se trouve à Épinal. Il arrive dans son nouveau régiment le 22 janvier 1914.

Le régiment participe à des manœuvres au camp du Valdahon à la fin du mois de juillet 1914.

Mess_des_officiers_le_Valdahon

Le capitaine Cadeau profite d’un petit moment de répit pour rédiger la lettre suivante à son épouse.

Valdahon dimanche 26 juillet 1914.

«  Ma chère Renée,

Tu as sans doute été surprise de ne pas recevoir de lettre de moi, mais nous avons été tellement pris qu’il ne m’a pas été possible d’écrire hier. Nous sommes installés au Valdahon (Doubs) depuis hier et nous avons déjà fait un tir sous la pluie torrentielle. Il fait horriblement froid. J’ai heureusement deux manteaux, de plus, j’ai déniché dans une chambre un poêle que j’ai fait monter dans la mienne et Margas m’a ramassé un petit fagot de bois mort bien humide avec lequel je tente de faire un peu sécher mes effets. Enfin, il n’y a personne sous la tente, sans cela, cela me rappellerait complètement mon séjour de l’année dernière au Ruchard.  

J’ai reçu les deux lettres dans lesquelles tu me parlais de la santé de tes parents et de celle des enfants. Comment va ton père ? Il n’y a que son état souffrant qui pourrait empêcher un voyage de tes parents à Épinal et certes à n’importe quelle période de l’hiver, ils y seraient aussi bien qu’en ce moment. Je ne sais pas s’il fait une température analogue en Maine-et-Loire, mais je ne me rappelle pas avoir vu un temps pareil à la fin de juillet. Quant aux enfants j’espère qu’ils sont remis maintenant de leurs fatigues.

On doit voir à ma lettre que le réveil est à 4 h 00 et qu’il en est 16 actuellement. Je n’ai pas fait la sieste cependant et les mots, sous ma plume, arrivent peu aisément.

Mika est arrivée au Valdahon sans boîter. Elle va voir demain un vétérinaire. Hier, elle a vu un bibi de 2e classe vétérinaire qui lui a mis une compresse. Dans quinze jours, je pense qu’elle sera retapée. Pourvu qu’elle n’en attrape pas autant quand nous reviendrons à Épinal.

En ce moment, toutes les permissions sont supprimées en raison de la tension politique. Les peuples des Balkans sont vraiment bien ennuyeux de créer toujours des causes de guerre à l’Europe ! Ils devraient cependant en avoir assez et avoir besoin d’un peu de repos pour se remettre de la guerre Turco-Balkanique ! Je sais bien que l’Autriche veut profiter du bon moment, mais c’est bien désagréable pour ceux qui y sont mêlés malgré eux.

Je penserai demain aux enfants, aujourd’hui, il est trop tard, j’ai une revue à passer et il faut que j’y aille de suite. S’il ne pleut pas, je leur achèterai des vues de campagnes. Je leur enverrai demain.

Ma chère Renée, je t’embrasse de tout cœur ainsi que toute la famille.  

Ton mari qui t’aime bien,

Henri Cadeau »

Les menaces de guerre contre l’Allemagne se confirment. Les manœuvres qui se déroulent au camp du Valdahon ont été interrompues. Le capitaine Cadeau qui vient tout juste de rentrer à Épinal doit maintenant tenir sa 12e compagnie prête à partir.

Tôt dans la nuit du samedi 1er août 1914, les 1er et 3e bataillons du 149e R.I. abandonnent les bâtiments de la caserne Courcy pour se rendre à la gare d’Épinal. Cette fois-ci, ce sera pour aller vers la frontière et pour une durée indéterminée !

Les quais sont déjà en pleine activité alors que le jour n’est pas encore levé. Les hommes les plus chanceux peuvent faire leurs adieux à la famille. Ce n’est pas le cas pour le capitaine Cadeau. Sa femme et ses enfants sont partis pour l’Anjou avant son retour des manœuvres du Valdahon. C’est donc sans une parole affectueuse qu’il s’apprête à monter dans le train. Des voisins racontent qu’il s’est approché de trois enfants inconnus pour les embrasser de tout son cœur. Sa pensée devait certainement se diriger vers ceux qu’il aimait…

Il est 4 h 30, le train qui a embarqué la 12e compagnie quitte la gare spinalienne à 4 h 30. Il prend la direction de Bruyère où les hommes du capitaine Cadeau arrivent à 6 h 30.

Dès son arrivée à Bruyère, l’officier accomplit ses devoirs religieux. Il se prépare à la mort… Henri Cadeau écrit à sa femme : « La mobilisation vient d’être déclarée, prie bien pour moi… Depuis que nous sommes partis du Valdahon, j’ai un vague pressentiment qui m’étreint… Dans tous les cas, je ferai mon devoir… Je ne sais si je t’écrirai encore ! Adieu ! Pardon pour les ennuis que j’aurai pu te causer… Je n’écris pas à maman… C’est trop triste… Si tu apprends…, tu lui feras mes adieux. »

Quelques jours plus tard, il rédige un petit mot qui sera posté à Corcieux : « Je t’envoie un mot pour l’anniversaire de notre mariage… Rien de nouveau. Je me suis confessé. J’ai ma médaille du scapulaire. Si je tombe, j’espère que Dieu me prendra et que vous me rejoindrez plus tard. Je pense toujours beaucoup à toi, aux enfants, à nos parents. Priez bien pour nous. L’année dernière, à pareille époque, nous ne prévoyions guère l’éloignement qui nous sépare en ce moment ! »

La dernière lettre du capitaine Cadeau est datée du 20 août 1914. Quand celle-ci parvient à destination, cela fait déjà 10 jours qu’il a perdu la vie.

La famille va rester sans nouvelles pendant plusieurs semaines. Ce n’est qu’à la fin du mois de septembre 1914 que madame Cadeau reçoit une lettre rédigée de la main du capitaine Laure, le commandant du 3e bataillon du 149e R.I..

« Votre mari, après mon départ pour cause de blessure, a tenu sur la ligne jusqu’au dernier moment. Il a reçu une balle à l’aine à droite et s’est affaissé. Son sergent-major et un homme l’ont relevé et transporté d’une trentaine de mètres en arrière. Il avait toute sa connaissance. À ce moment, notre ligne a été bousculée, les Allemands se sont précipités à la charge. Le sergent-major est tombé à côté de Cadeau qui a donné l’ordre au soldat de l’abandonner pour éviter d’être fait prisonnier. Cet homme a obéi… »

Henri_Cadeau

Pendant des mois, toutes les recherches qui auraient pu permettre d’obtenir une certitude sur le sort du capitaine n’aboutissent qu’à des espoirs suivis de déception. La famille passe par de bien cruelles alternatives.

En janvier 1915, l’officier qui avait annoncé la blessure de son mari, écrit à madame Cadeau une nouvelle lettre dont voici les principales lignes :

« Madame,

… Malheureusement, je ne puis rien vous dire de plus sur les circonstances où notre ami Cadeau a eu l’héroïsme de renvoyer à sa compagnie l’homme qui l’accompagnait, pour rester seul avec son sergent-major, tous deux grièvement blessés sur le champ de bataille qui allait être occupé par l’ennemi quelques instants après.

Tout au moins, j’aurai le plaisir d’insister sur le mot héroïsme, en vous assurant que notre ami l’a justifié dans son intégralité, depuis le début de la campagne, se signalant par l’intelligence de la situation… Cela n’était pas qu’un mince mérite, à un moment où nous étions presque tous ignorants des méthodes de combat que devait nous imposer cette étrange guerre… Le 20 et le 21 août, la 12e compagnie a été placée en soutien d’artillerie au bois de Worfer. C’est la date où ont commencé nos épreuves, et je ne me rappelle pas sans émotion le courage avec lequel Cadeau a pris son rôle périlleux, retenant sa compagnie, sous un bombardement des plus violents ; réussissant à conserver ses positions dans le bois jusqu'à une heure très avancée de la matinée du 21, alors que tout le reste de la ligne avait déjà cédé. Il conduit ensuite, avec un merveilleux sang-froid, la retraite de sa compagnie dont les rangs ordonnés se grossissaient par l’appoint de nombre d’isolés, attirés par sa bonne tenue, tant et si bien que c’est lui qui a ramené à Saint-Quirin une bonne partie de la retraite du régiment.

Du 21 au 25, se sont encore affirmées, chez lui, les mêmes qualités de sang froid et d’énergie. Le 25 au matin, alors que nous nous portions sur Bazien, au moment où les premières compagnies du bataillon menaçaient de fléchir, c’est la 12e qui a mis baïonnette au canon, entrainée par le capitaine Cadeau, qui a permis à notre ligne d’attaque de recevoir les Allemands. Quelques instants après, votre mari, resté parmi les derniers de ceux qui résistaient, a reçu sa blessure. Vous savez le reste…

Veuillez, Madame, agréer les vœux que je forme pour que vous receviez enfin des nouvelles de votre mari…, et aussi pour que, si Dieu a décidé de sa vie, vous puissiez avoir le noble courage d’accepter un aussi cruel sacrifice pour la France, avec cette fierté de porter et de voir porter par vos enfants un nom magnifiquement héroïque…»

Cet officier n’est pas le seul à faire son éloge. Un soldat écrit : « Il fut beaucoup regretté, car c’était un brave et il savait commander.» Un autre raconte « Blessé le 25 août, au début de l’action, j’ai voulu, avant de quitter le champ de bataille, regarder où était mon capitaine. Je l’ai vu, sur la ligne, révolver au poing, au milieu de la mitraille, encourager les hommes comme d’habitude. Je n’ai pas pu lui dire adieu. Je l’aimais et je le respectais comme nul autre.»

Le matin du 25 août 1914, le capitaine Cadeau a conscience des forces supérieures contre lesquelles le 149e R.I. va devoir se heurter. Il dit à son lieutenant « Nous marchons au sacrifice certain, mais c’est le devoir ! »  Il donne son dernier ordre à ce même lieutenant : « Prenez l’arrière, je prends l’avant.» Paroles de chef dont les conséquences ont certainement été pesées par celui qui les prononçait.

En mai 1915, Renée Cadeau, l’épouse du capitaine, trouve la force de faire elle-même des recherches sur le terrain où est tombé son mari.

Elle retourne à Épinal pour tenter d’en apprendre le plus possible sur les circonstances de la disparition de son époux.

Moins d’un an après les évènements, cette femme réussit à obtenir un laissez-passer auprès des autorités militaires. Avec ce précieux document en main, elle peut maintenant se rendre sur les lieux où le capitaine Cadeau a trouvé la mort le 25 août 1914.

Le décès de cet officier n’a pas encore été officialisé. Renée Cadeau a encore de minces espoirs avant de commencer son périple, mais, très vite, il va lui falloir accepter l’évidence…

Elle fait tout son possible pour rencontrer le lieutenant Jeannin, un officier qui a été un des tout derniers à avoir vu son époux vivant.

À la suite de son voyage, elle rédige une longue et très émouvante lettre à l’attention de sa belle-mère.  Elle lui raconte toutes les rencontres faites sur le terrain et tous les lieux sur lesquels elle a pu se rendre.

Renee_Cadeau

Jeudi 13 mai 1915

Chère mère,

Je vous écris de Paris en ce jour de l’ascension. Mon voyage n’a apporté aucune preuve matérielle. Mais nous ne devons pas pour cela conserver un espoir qui, hélas, ne ferait que d’engourdir notre douleur. Bien souvent, vous avez pensé que le grand sacrifice nous avait été demandé, j’en ai la conviction absolue. Dieu a pris votre fils comme un holocauste et il nous demande de participer au sacrifice.

Voici tout ce que je sais…

En arrivant à  Épinal, Margas, l’ordonnance, me dit que le lieutenant Jeannin, lieutenant à la 12e compagnie lors du départ, avait demandé mon adresse et qu’il était actuellement en traitement à Bourbonne.

 J’écris à cet officier, en lui donnant mon adresse à Épinal et en lui demandant de me communiquer par retour de courrier ce qu’il pourrait savoir. La réponse demande quelques jours. Nous allons au dépôt où le capitaine me dit : « J’ai la conviction que votre mari est mort, mais la certitude me manque. ».

Nous nous rendons à Bazien, par une journée de pluie affreuse. Nous voyons les gens du pays, visiblement énervés par leurs souffrances. Le résultat de notre voyage est que nous emportons la preuve de la mort de Populus, que nous assistons à sa mise dans un cercueil, que pour nous, cette tombe semble marquer l’endroit de la blessure d’Henri, mais que là n’est point la tombe de votre cher enfant.

Nous partons donc à la nuit. Adrienne à la même impression que moi. Il est trop douloureux pour moi de me débattre là, dans l’incertitude, au milieu de gens énervés. Nous couchons à Rambervillers.

Nous reprenons un train du matin, en entendant le son du canon. Adrienne, tout en dissimulant de son mieux, a ses impressions qui m’apportent une lueur d’espoir.

Nous sommes rentrées à Épinal où nous reprenons le déménagement. À quatorze heures arrive une lettre de Jeannin, lettre que je vous adresserai dans un prochain courrier.

« À 8 h 30, le capitaine donne à son lieutenant son dernier ordre, il faut se replier. La 12e compagnie tient encore environ 3/4 heure. Le lieutenant Drouët meurt dans les bras de Souchard et dans ceux de Jeannin. Un soldat vient dire à celui-ci que le capitaine Cadeau est blessé. Populus et trois soldats le rapportent. Il perd beaucoup de sang. J’ai voulu aller chercher le capitaine avec quelques hommes. J’ai poussé de l’avant jusqu’à ce que nous nous trouvions face à face avec les Allemands, force fut de nous retirer, il était 9 h 30 environ.

À 14 h 00, Jeannin apprend que Populus a été blessé en portant le capitaine et qu’Henri a dit à l’homme de se replier. »

Jeannin ajoute :

« Depuis que je suis rentré à l’hôpital il y a quinze jours, j’ai pu obtenir le renseignement suivant : Sage, soldat au 149e R.I. aujourd’hui sergent au même régiment a trouvé monsieur Cadeau mort (combien ce mot me coûte à écrire) ;  aidés de Jean Michel, ils l’ont transporté aussi loin que possible et l’ont déposé à côté du lieutenant Drouët dont je vous ai parlé précédemment ».

Après ces nouvelles indications, j’ai voulu repartir à Bazien. Avant, j’ai fait venir monsieur l’abbé Ecker, vicaire de monsieur le curé Lœuillet. Celui-ci est arrivé immédiatement. Il ne savait rien sur la tombe du lieutenant Drouët, ni sur son emplacement présent. Cet abbé me dit : « j’ai une motocyclette, je vais passer mon service à un camarade. Dans trois heures, je serai ici ».

Il est donc revenu dimanche soir à 8 h 30. Le lieutenant Drouët est inhumé à Nossoncourt. Une équipe a retrouvé son corps et la famille l’a fait mettre dans le cimetière. Il me détermine exactement l’endroit de la première sépulture du lieutenant Drouët.

Il  me dit : « Autour, il y a des tombes inconnues. Si vous voulez retourner, il faudra y passer de deux à trois jours et faire ouvrir dix tombes au moins ;monsieur le maire le fera sans vous, si vous le désirez »

Notre permis était expiré. Adrienne me dit qu’elle veut bien y retourner seule, mais je m’y oppose. J’hésite, j’hésite ; enfin voyant la possibilité de faire l’identification sans moi, nous partons mardi matin, mais je dis à Adrienne : « Il me faut absolument voir Jeannin à Bourbonne. »

Nous partons d’Épinal à 8 h 50 pour arriver à Bourbonne à 16 h 00. La providence permet que Jeannin, non prévenu de notre passage, soit sur le quai. Je parle une heure avec lui.

Gare_de_Bourbonne_les_Bains

Il me précise exactement sur la carte la place de la sépulture de Drouët. Elle correspond à l’endroit indiqué par l’abbé Ecker. Il résulte de là qu’Henri a été porté un kilomètre au moins par les soldats, mort d’après eux. Mais comment n’ont-ils rien pris… ou ont-ils tout pris ? Henri avait 3000 francs sur lui. Deux mille à la compagnie, 1000 au moins, si ce n’est plus, à lui.

Les soldats ont mis le corps près de celui de Drouët. L’équipe a identifié l’un, pas l’autre qui devait avoir sur lui bien des preuves. Mais peut-être que ces équipes n’ont même pas ouvert le sol que recouvrait un pauvre corps.

Sage a dit : « Il y avait tellement de sang sur les pantalons que je n’ai pas pu me rendre compte de l’endroit de la blessure, l’artère à dû être coupée. Henri a dû mourir rapidement et tranquillement.

Il a bien dû se sentir touché lorsqu’il a dit qu’il fallait le laisser.

Mais espérons qu’il s’est endormi avant la mort. Dieu ne lui aura pas refusé une grâce suprême.

Pardonnez-moi de vous parler avec une telle brutalité. J’ai été moi-même si malmenée. J’ai dû si souvent m’entendre dire « Votre mari est mort » que je finis par avoir une certaine rudesse dans les sentiments.

J’ai fait parler un peu Jeannin sur les impressions d’Henri pendant sa campagne. Il m’a dit qu’Henri avait bien dit à Bruyère qu’avec Souchard et un autre,certainement, ils ne survivraient pas à la campagne. Tous les trois sont morts. Après, quand la campagne a été sérieusement commencée, Henri n’a plus pensé qu’à son devoir. Le 25 août au matin, il a dit à Jeannin : « Aujourd’hui, c’est mon tour. Il n’y a eu que moi d’indemne à la compagnie. Je ne puis y échapper. » Il a ajouté : « Nous allons boire notre dernière bouteille de champagne. » Au ton de Jeannin, j’ai senti que celui d’Henri n’était pas triste.

Le 149e était, le 24,  arrivé vers minuit à Ménil. Jeannin et Henri se sont endormis, l’un près de l’autre, sur la paille. Jeannin a vu, au cou de son capitaine, une médaille en or. Ce qui certainement était sa plaque d’identité que j’avais vue autrefois, mais qui était en cuivre.

À 5 h 00, les deux officiers se réveillent en se disant : «  Bonne journée, nous allons toucher du tabac, recevoir des lettres. »

Dix minutes après, l’ordre d’attaquer arrive.  Henri et Laure en comprennent tout le danger. Mais il faut marcher.

Parfois Jeannin dit à Henri de se coucher. Lui qui est très bon tireur au révolver lui dit « Je ne crains rien »

Margas m’a dit l’avoir vu couché, mais dit que les balles sifflaient un peu moins. Il était à genoux, son révolver d’une main, ses lorgnettes dans l’autre. Le combat fut des plus horribles et ne dura pas une heure. Nos fantassins avaient des canons allemands de gros calibres devant eux. Ces pièces qui étaient sur une crête balayaient tout. Nous, nous n’avions pas d’artillerie. Celle-ci n’est arrivée que vers 16 h 00.

Le combat fut donc une de ces déplorables journées où tomba le meilleur sang de France, sans raison, sinon de servir de sacrifice à Dieu. Cinq officiers du 149e furent tués ce jour-là. Cinq régiments furent anéantis et dans chaque régiment, beaucoup d’officiers tombèrent. Deux seulement ne sont pas encore identifiés. Un du 139 et Henri.  Le capitaine mort sur la route n’est pas Henri, qui n’est jamais allé jusqu’à ce point. Aurais-je souffert, mon Dieu, par ce renseignement.

Henri a dû être déposé au milieu des prairies, non en lisière de chemin. J’ai bien vu à peu près l’endroit, mais je ne cherchais pas là.

Renee_et_Henri_Cadeau

Dans la nuit qui a suivi mon voyage, j’ai rêvé à Henri. Je lui montrai la carte d’état-major, en lui disant avec orgueil : « Vois comme je connais bien le champ de bataille. »

J’hésite à faire partir cette lettre. Pourtant, vous devez l’attendre…

Je sais que votre force morale résistera, mais votre force physique…Dieu ne permettra peut-être pas que vous en deveniez malade.

Moi, je résiste, mais tous les membres, toutes les articulations sont douloureuses.

Je pars dès demain vendredi à Châteauneuf pour retrouver ma petite Louise qui avait tant confiance dans la vie de son papa.

Avec imprudence, je vous ai demandé de venir, à ce moment-là, malgré ma douleur, j’avais encore une lueur d’espoir. Sans doute qu’un voyage serait trop douloureux pour vous, restez avec mon beau-père. Envoyez-moi un long questionnaire sur ce que vous désirez savoir. J’y répondrai en conscience. Je puis vous dire que je suis allée aussi loin et aussi péniblement que possible rechercher votre fils. Et ces régions sont d’un réel danger.

Nous devons à Adrienne une bien réelle reconnaissance, et là, à Paris, c’est dans sa famille que je trouve encore le plus d’apaisement à ma douleur. Il y a 11 ans, j’étais à Paris aussi. Henri m’avait offert un bouquet. Je me souviens fort bien que dans le grand nœud blanc, il y avait une grande tache de sang, résultant sans doute d’une piqûre de l’ouvrière. Cette tâche m’avait cependant frappée. Dites à Marie Louise et à Élisabeth que je ne leur écrirai pas d’ici quelque temps. Je vais suivre tous les exercices de la retraite de mes petits enfants qui commencent dimanche.

Ma tante Dubois me demande d’aller à une messe pour mon cousin, dont l’avis de décès m’est parvenu il y a quelques jours déjà.

Mon mobilier est prêt. Je vais essayer de louer ma maison à Angers et de l’y mettre. Combien de fois j’avais pensé qu’il devait être horrible de toucher aux objets d’un pauvre disparu. J’ai connu aussi cette souffrance, toutes les lettres adressées à Henri depuis notre arrivée à Épinal venaient toutes d’officiers actuellement morts. Ceux-ci qui sont partis jouissent de la gloire éternelle. Notre souffrance à nous est plus vive. Elle sera plus longue que la leur. Dites-moi que vous résistez à votre souffrance. Surtout que mon beau-père pense à son petit fils, cet enfant qui fut, je crois, la joie suprême de son fils. Qu’il se dise aussi qu’Henri fut heureux. Je n’ai pas eu, en 10 ans de mariage, une pensée que je ne lui ai dite. Je n’ai écrit aucune ligne qu’il n’ait lue ou pu lire. Mon ménage fut des plus réussis. Voilà ceux qui nous ont désunis.

Dieu me donnera la grâce pour nous faire vivre, sans cela je ne pourrai rien faire. Je vous embrasse avec ma douleur et ma tendresse.

 Renée

Le corps de l’officier ne sera retrouvé qu’au mois de mars 1916, à la place même où les soldats l’avaient déposé.

L’abbé Collé, curé de la paroisse de Ménil-sur-Belvitte, rédige un courrier à la famille. Il leur fait savoir que la dépouille du capitaine était dans un parfait état de conservation, mais que son alliance et sa médaille du scapulaire avaient disparu.

Le numéro de régiment, les galons de capitaine et des lettres encore lisibles ont permis de l’identifier à coup sûr.

Le capitaine Cadeau est enseveli dans un cimetière qui va porter son nom.

Cimetiere_militaire_capitaine_Cadeau

Le 20 janvier 1915, Henri cadeau obtient la citation à l’ordre de l’armée suivante :

« Est tombé très grièvement blessé, le 25 août, en entraînant sa compagnie à l’assaut et en la maintenant sous le feu d’une ligne de tirailleurs et de mitrailleuses ennemies, très supérieurs numériquement. Transporté de quelques mètres en arrière par son sergent-major et un autre homme, a eu son sergent-major grièvement blessé à ses côtés, a exigé que l’homme valide se repliât en même temps que la ligne de tirailleurs contrainte à un recul momentané et est ainsi resté, de son plein gré, avec une blessure presque certainement mortelle, sur un terrain cédé à l’ennemi. »

Diplome_hommage_de_la_nation_capitaine_Cadeau

Le corps du capitaine Cadeau a été restitué à la famille en 1924. Il repose actuellement dans le cimetière communal de la petite ville de Chateauneuf-sur-Sarthe.

Sepulture_capitaine_Cadeau

Pour en savoir plus sur les évènements qui se sont déroulés au cours de la journée du 25 août 1914, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

149e_groupe

Sources :

L’intégralité des documents et des photographies qui illustrent la notice biographique du capitaine Cadeau  provient de la collection personnelle de sa petite fille.

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

Livre d’or « Pour la patrie, Institution Saint-Joseph Montluçon, « Nos morts de la Grande Guerre » notices biographiques. Saint-Amand. Imprimerie Clerc Daniel. 1921.

Le dessin a été réalisé par B. Bordes.

La photographie de la sépulture du capitaine Henri Cadeau a été réalisée par A. Carobbi.

La photographie de groupe représentant les officiers du 90e R.I. est extraite de l’album du régiment de l’année 1904. Elle provient de la collection de J. Charreau.

Un grand merci à M. Bordes, à B. Dattin, à B. Bordes, à A. Carrobi, à J. Charreau, à É Mansuy, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

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