Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.

Archives
29 janvier 2010

Témoignage de Louis Cretin : Champagne (juin-juillet 1918).

                        Carte_Souain

                  Legende_carte_Souain_1918

Nouvel extrait des souvenirs de Louis Cretin, soldat musicien au 149e R.I.

.

De  nouveau un très grand merci à D. Browarsky  pour le témoignage de Louis Cretin.

.

 

"Le 8 juin 1918, le régiment vient débarquer aux environs de Châlons-sur-Marne. Le 18, il montait en ligne en Champagne « au trou Bricot ». C’est là que je viens le retrouver après ma convalescence.

Le 17 juin, je quittais Saint-Maurice et partais pour me faire équiper au Bourget. De là, on me renvoie sur Connantre-en-Champagne. PC_HamonJe rejoins le centre d’instruction divisionnaire à Cuperly. Arrivé à la 4e compagnie du C.I.D., je fais ma demande de réintégration à la musique où ma place était demeurée vacante. En attentant, je fais de l’exercice, gymnastique Hébert, lancement de grenades, tirs, mouvements d’armes, avec lesquels je n’étais plus familiarisé. Je l’avoue, cela ne me sourit pas beaucoup. C’est avec une réelle satisfaction que le général Michel commandant la 43e D.I., me fait donner l’ordre de rentrer à la C.H.R. du 149e R.I.. Je rejoins les copains le 26 juin 1918. Le 27, je reprends possession de mon piston et abandonne mon fusil sans déplaisir. Le 28, je monte aux tranchées, la musique travaille de jour et de nuit, cela dépend des lieux. Nous posons des réseaux de fil de fer barbelés et nous aménageons la seconde ligne pourtant déjà fortement organisée. Ce travail dure jusqu’au 8 juillet. Ensuite, c’est aux pistes que nous sommes occupés, puis les dépôts de matériel sont complétés. Nous travaillons fiévreusement. Le secteur est très calme, tellement calme que cela nous surprend. Nous ne nous faisons pas d’illusions, c’est le calme avant la tempête, d’ailleurs nous sommes prévenus que prochainement nous allons avoir une grosse attaque à repousser. Tout le monde dans le régiment se prépare et nous attendons le moment avec confiance. Nous sommes sûrs qu’ils ne passeront pas. Un coup de main fait par nous le 12 juillet, et les deux prisonniers allemands amenés au P.C. Hamon où se trouve notre colonel confirment que sous peu, nous allons avoir à subir une attaque (la dernière, disent-ils) qui doit être décisive. Nous devons être écrasés, du moins ils l’affirment. Le 14 juillet arrive. Dans la soirée, notre artillerie commence un feu violent sur les tranchées et batteries allemandes. Rien ne riposte, mais subitement, vers minuit, alors que nous sommeillons dans nos abris, un vacarme effroyable nous réveille. Un marmitage pire qu’à Verdun, si on peut dire, nous fait tressauter dans nos cagnas, comme si nous étions en train de danser. Les obus tombent comme grêle, les gaz pénètrent dans nos abris, nous mettons la cagoule en attendant l’obus qui nous mettra en marmelade. Je suis avec un nommé Augustin Rémy (actuellement cultivateur à Pouxeux dans les Vosges) dans un abri très petit. Cet abri  de quelques mètres carrés, pas très solide, un 105 aurait pu crever la voûte de rondins et les quelques centimètres de terre au dessus. Impossible d’aller ailleurs tant le bombardement est violent… On recommande son âme à Dieu et nous attendons. Le marmitage dure toute la nuit. A l’aube du 15 le tir s’allonge pendant que les vagues d’assauts  déferlent sur nos premières lignes, mais ne trouve que quelques hommes. Les tranchées sont vides de défenseurs croyant nous avoir anéantis, ils avancent confiants dans leur victoire. Mais à la deuxième ligne, celle que nous avions aménagée depuis 3 semaines, nos mitrailleuses entrent en action. Nos canons contre tanks démolissent leurs chars d’assaut et piétinent sur place. Ils se font massacrer  pour finalement se jeter dans nos tranchées abandonnées et ne peuvent déboucher. Sitôt que le bombardement avait cessé, nous étions sortis de nos abris afin de former nos équipes. Mais un douloureux spectacle s’offrit à nos yeux. Partout le sol était labouré, retourné dans tous les sens. C’était un miracle, que où j’étais, je n’ai pas subi le même sort ; Tout autour, c’était la Trou_Bricotdévastation. Devant notre « cagna », deux corps étaient allongés, surpris comme nous, ils avaient voulu gagner un abri plus solide situé à quelques mètres de là, mais une rafale les avait fauchés dans leurs bonds. Nous nous rassemblons sous les ordres de notre sergent Arnould et nous nous comptons. Douze hommes manquent à l’appel. C’était la première fois depuis le début de la campagne que nous avions autant de pertes en si peu de temps. Plusieurs marmites avaient détruit les abris occupés par la musique. Sept étaient tués et cinq étaient grièvement blessés. Cela portait le total de nos pertes à 28 hommes sur 38 depuis le début. De plus, un autre (du nom de Villemin) qui était parti la veille pour conduire des matériaux en ligne n’était pas revenu, prisonnier des Allemands. Nous formons 8 équipes avec les hommes qui restent et immédiatement, nous nous remettons au travail. Nous nous dirigeons sur le P.C. Hamon où se trouvent le colonel et le médecin-chef. La distance qui nous sépare du poste de commandement est environ de 500 m. Elle est jalonnée de débris de toutes sortes. Après les instructions de notre major, nous allons dans les différents secteurs tenus par le régiment. Le jour est venu, les boyaux sont impraticables. Nous passons à découvert, souvent les mitrailleuses allemandes nous obligent à nous « planquer ». Après plusieurs trajets en lignes, nous retournions faire un autre voyage. Je faisais équipe avec Rèches, Rémy et Davillers quand au moment où nous longions un dépôt de matériel, le sifflement bien connu d’une arrivée d’obus se fait entendre. Je n’ai pas le temps de me jeter dans le boyau tout proche. L’éclatement de 4 marmites se produit au milieu du dépôt. Les piquets, les planches, les rouleaux de fil de fer voltigent de tous les côtés. Je reçois un morceau de bois qui me fait l’impression de me faucher la jambe en criant à mes camarades « touché ». Ceci se passa plus vite que je ne le raconte, quelques secondes. La souffrance que je ressens est grande. Immédiatement, mes camarades accourent, me palpent… Point de sang, mais j’ai la jambe droite fracturée à la partie moyenne (tibia et péroné) en me portant au poste de secours, nous sommes obligés de nous arrêter dans un bout de boyau. Des escadrilles d’avions survolent le terrain et mitraillent à faible hauteur. Si l’un ou l’autre avait été abattu, il nous serait tombé dessus ! Au poste de secours, ils arrangent ma jambe provisoirement  et une auto sanitaire m’amène peu de temps après. En route le brancard casse… Nouvelle souffrance, aussi cruelle qu’au moment de ma chute. L’auto s’arrête à l’H.O.E. d’Ove, près de Lacroix-en-Champagne."

 

Références bibliographiques :

 

Souvenirs de Louis Cretin.

Historique du 149e R.I. Editions imprimerie Klein 1919. Version illustrée.

« Les étapes de guerre d’une division d’infanterie, 13e division ». Lieutenant-colonel Laure. Editions Paris Berger-Levrault. 1928.

 

Un grand merci à M. Bordes, à  D. Browarsky, à A. Chaupin et à T. Cornet.

 

23 janvier 2010

Soldat Louis Meunier (1894-1915)

                  Louis_Meunier

 Louis Meunier est né à Chalon-sur-Saône le 11 mai 1894. Il est élève à l’école professionnelle de Chalon-sur-Saône.  Il entre ensuite à l’école normale d’instituteurs de Mâcon. Louis Meunier exerce sa profession à Lunéville. Soldat à  la 8e compagnie du 149e R.I.,  il décède à Aix-Noulette (Pas-de-Calais) le 10 mai 1915, à 9 h 00 par suite de coup de feu au combat.

Citation (Décernée lors de l’attribution de la médaille militaire) :

« Soldat plein de courage et d’entrain ; est tombé, le 10 mai 1915, devant Noulette.

Références bibliographiques :

Livre d’or de l’école professionnelle de Chalon-sur-Sâone. Editions Imprimerie Générale Administrative de Chalon-sur-Sâone.

17 janvier 2010

Avant-guerre... Le Maître d'armes et les prévôts d'escrime.

                Escrime_149e

Ce sport d’élite, pratiqué par tous, n’est plus obligatoire pour l’homme de troupe, depuis la tombée de la circulaire  ministérielle du 15 février 1894. A partir de cette date, l’escrime devient facultative pour le fantassin et perd de son  prestige dans les casernes. Mais il reste l’escrime à la baïonnette. Cette dernière permet au soldat  de se familiariser avec cet objet redoutable. Elle lui donne plus de force physique, plus de confiance et de sang-froid devant la menace terrifiante d’une charge de cavalerie. Il est vrai que la puissance sans cesse croissante des armes à feu et de l’artillerie modifie considérablement la forme du combat et que l’abordage et le corps-à-corps deviennent de plus en plus improbables. L’escrime à la baïonnette n’en conserve pas moins une grande importance. Dans les surprises, dans les combats de nuit, elle reste l’arme par excellence. A ces divers titres elle doit être préconisée et dans son emploi et dans les exercices qui permettent d’en tirer le meilleur parti possible.

Le personnel enseignant l’escrime dans l’armée.

Comment s’opère le recrutement ? Dans la plupart des régiments, le maître d’armes n’intervient que pour la forme dans le choix des moniteurs d’escrime. Il demande par voie hiérarchique les hommes qu’il a distingués et qui lui paraissent remplir les conditions physiques ; Mais il est rare qu’il obtienne satisfaction. L’un a été désigné pour un emploi de tailleur, de cordonnier…, l’autre a été réservé comme sapeur, ordonnance, garçon de cantine, etc., etc., de sorte que le maître d’arme ne peut choisir que parmi les hommes laissés par les compagnies. Admis à l’école normale de Joinville, sur concours, ils devront y apprendre en deux années leur métier d’exécutant et de professeur.

 .



Extraits du règlement d’escrime (fleuret-épée-sabre) approuvé par le ministre de la guerre du 6 mars 1908.

.



Escrime_essai_2Ce règlement diffère sensiblement dans l’esprit et dans la lettre, du manuel d’escrime de 1877. Ces différences résultent de l’évolution même, qui s’est produite dans l’art des armes comme dans toutes les manifestations de l’activité humaine…

Alors que le manuel de 1877, n’indiquait que des procédés d’exécution, le règlement nouveau s’attache à formuler des principes de combat, à indiquer la raison d’être tactique de chacun des coups, à réduire, par contre, au strict nécessaire la démonstration mécanique. Un texte, quelque complet qu’il soit, ne pouvant, à cet égard, remplacer l’enseignement pratique du professeur.

Il est divisé en trois parties : La première consacrée à l’escrime au fleuret, la deuxième à l’escrime à l’épée et la troisième à l’escrime au sabre.


Prescriptions relatives à la pratique de l’escrime dans l’armée.

L’enseignement de l’escrime de pointe est donné aux officiers de toutes armes. Il est obligatoire pour les lieutenants et sous-lieutenants.

.

EscrimeDans les troupes à pied, il est également obligatoire pour les sous-officiers rengagés et pour les sous-officiers candidats aux Ecoles militaires (Les élèves admis aux grandes écoles, qui accomplissent une année de service dans les corps de troupe, aux conditions ordinaires des art. 23 et 26 de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée,  sont autorisés à recevoir l’enseignement de l’escrime). Il est facultatif pour les autres sous-officiers. Dans chaque régiment, le lieutenant-colonel est chargé spécialement, sous la direction du chef de corps de la surveillance de l’enseignement de l’escrime. Dans les bataillons, escadrons et autres unités formant corps, cette surveillance est exercée par un officier désigné par le commandant de l’unité. Les commandants d’armes et les chefs de corps encourageront, par tous les moyens en leur pouvoir, la pratique des armes. Des assauts, ainsi que des poules à l’épée, seront donnés, tous les ans, dans chaque garnison. Les officiers de l’armée d’active, de la réserve et de la territoriale seront conviés à assister et à participer à ces réunions.

livre_escrimeDes récompenses pourront être décernées aux lauréats de ces concours. Un insigne spécial (brodé en or ou en argent sur la manche gauche) sera attribué chaque année aux sous-officiers, à raison de 2 insignes par régiment d’infanterie et de 1 par régiment de cavalerie, artillerie et bataillon ou escadron formant corps.

Les aptitudes aux différentes escrimes seront constatées par mention spéciale au dossier du personnel des officiers et au carnet de notes des sous-officiers rengagés.

Références bibliographiques :

« Fleurets rompus… » du  capitaine E. Coste. Editions Librairie R. Chapelot et cie.

« Règlement d’escrime (fleuret-épée-sabre), approuvé par le ministre de la guerre le 6 mars 1908. Editions Paris Imprimerie Nationale. 1912.

Pour en savoir plus…

« L’escrime et ses obligations nouvelles » du général Lewal. Editions P. Dentu. 1891

« Manuel d’escrime à la baïonnette » du capitaine Gaston. Editions Berger-Levrault. 80 pages. 1910.

« Escrime de combat à la baïonnette » du  capitaine Laur. Editions Paris Lavauzelle. 44 pages. 1912.« Petit traité d’escrime à la baïonnette » d’Adolphe Corthey. 1892.

A voir également sur le blog de Bernard Labarbe « 57e Régiment d’Infanterie en 1914 »,  quelques belles photos sur le sujet. (Elles se trouvent dans « la galerie photos du 57»).

23 décembre 2009

Témoignage de Louis Cretin : Alsace (1917).

                  Alsace_Sergent_Biehler

Nouvel extrait des souvenirs de Louis Cretin soldat musicien au 149e R.I.

En Alsace 1917…

Le 14 janvier 1917, je quitte l’H.O.E. de Bussang et je viens retrouver le régiment et les copains qui sont cantonnés à Arpenans, situé à une douzaine de kilomètres de Lure (Haute-Saône). La fin du mois se passe à cet endroit. Il fait très froid.  Le pain est gelé, le pinard aussi. Les pistons d’instruments également. Il faut constamment souffler dedans pour pouvoir jouer, surtout les matins au réveil en musique. Le 1er février  à 6 h 00, nous partons à pied pour aller cantonner à Ronchamp. Le lendemain matin, nous remettons le sac au dos et de nouveau en route. Il fait un froid de Sibérie,  - 21 degrés, les glaçons pendent à la moustache et la marche est pénible en raison de la route gelée. Les chevaux glissent, les voitures restent en panne, les bidons sont des morceaux de glace intérieurement. Vers midi, nous atteignons un faubourg de Belfort, c’est la grande Halte mais sans manger,  la roulante n’est pas arrivée. Ensuite nous défilons dans la ville. Le soir nous atteignons Chèvremont complètement éreintés (bon accueil des habitants).

.

 

Alsace_1917__1_

 

 

 

 


 

 

.Alsace_1917__2_

 

 

 

 

 


 

Alsace_1917__3_

 

 

 

 


 

 


 

Alsace_1917__4_

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 3 février, nouvelle marche. Nous traversons Suarce, et à 16 h 00, nous passons la frontière où nous faisons défiler le régiment à une cadence ralentie en raison du verglas. Le soir nous cantonnons à Friésen, un village de la Haute-Alsace occupé par nos troupes depuis le début de la guerre. Pendant ces trois jours de marche, nous avons fait environ 100 km. Du 4 au 24 février, les compagnies vont faire des travaux de seconde ligne à Largitzen et dans les environs de Seppois. Nous, nous faisons nos répétitions journalières. Le 25 février, un nouveau chef de musique arrive pour remplacer Monsieur Porte l’ancien évacué dans la Somme. Jusqu’au 18 mars, rien de particulier à signaler. Le 19 mars, nous partons à pied de Friésen. Nous passons l’ancienne frontière et le soir nous cantonnons à Jonchery. Le 21 mars, nouveau déplacement, mais de nuit. Nous traversons Delle, puis longeons la frontière Suisse. Garden_PartyLe matin du 22 mars, nous sommes en vue de Montbéliard et couchons à Sainte-Marie, 10 km plus loin. Cette étape fut longue de 40 km, en arrivant, nous étions fatigués, néanmoins nous faisons concert. Le lendemain, nous remettons cela, l’entrainement devient sérieux, nous sommes las de marcher, de plus la route est défoncée, il neige. Après une vingtaine de kilomètres, nous atteignons Villersexel où nous y demeurons jusqu’au 7 avril. Pendant que les compagnies sont à l’entrainement et « bouffent » de l’exercice sans arrêt, nous ne chômons pas non plus. Répétitions, concerts, défilés, théâtres. Les jours passent sans avoir le temps long. Le 7 avril, départ pour aller à Arcey. Le 8, départ d’Arcey pour Exincourt. Le 9, jour de Pâques, nous allons faire concert à Montbéliard (la foule nous fait un magnifique succès). Le 10 nous quittons Exincourt et nous arrivons à Granvillars, où nous restons le 11. Des bruits de départ circulent. Le 12, dans la nuit, des ordres d’embarquement arrivent. Nous prenons le train à Montbéliard. Nous passons à Belfort, Lure, Aillevillers, Epinal (où nous descendons pour exécuter deux pas redoublés sur le quai de la gare. C’était notre ville de garnison). Nous continuons le trajet par Darnieulles, Mirecourt, Neufchâteau, Gondrecourt, Bar-le-Duc, Vitry-le-François, Sézanne, Esternay. Montmirail pour débarquer à Artonges. Nous allons cantonner à Viffort, nous y restons le 15. Le 16, départ pour Chezy-sur-Marne. Le 17, repos.

Th_atre_du_149e_RLe  18 départ pour Viels-Maisons où nous y restons jusqu’au 23. Le 24 nous le quittons, nous traversons Nogent-l’Artaud et Charly (quatre kilomètres au pas cadencé en jouant sans arrêt et le soir nous sommes à Bourèches. Repos jusqu’au 27. Le 28, cantonnement à  Belleau, je vais demander au chef ma permission de détente à laquelle j’ai droit. Il me l’accorde non sans peine. Je veux arriver chez nous avant le départ de mon frère (classe 1918) qui doit quitter le 1er mai pour se rendre à son dépôt.

 J’arrive avant son départ, lui fait quelques recommandations, et les larmes aux yeux, je quitte à mon tour ma mère et ma sœur laissées seules. Le 12 mai pour aller retrouver le régiment demeuré à Belleau. Nous y restons jusqu’au 18 où nous allons à Oulchy-Breny. Le 19 à Murrey. Les 20 et 21, repos. Dans le lointain, le canon gronde sans arrêt. Le 22 on vient cantonner à  Ciry-Salsogne. Les bataillons montent successivement organiser le terrain conquis par notre offensive du mois d’avril.

Références bibliographiques :

 Souvenirs de Louis Cretin au 149e R.I..

 

Historique du 149e R.I. Editions imprimerie Klein 1919.

 

 Un grand merci à J. Baptiste, D. Browarsky, à A. Chaupin, à T. de Chomereau et T. Cornet.

 

10 décembre 2009

Hémorragie garance...

Paul Monne

Cinquante ans après les évènements le sergent Paul Monne témoigne…

 

Un très grand merci au Docteur Gilbert Monne qui m’autorise à reproduire ici les écrits de son père le sergent Paul Monne. Écrits qui parurent également dans le journal « Le Combattant Républicain Vosgien », à l’occasion du cinquantenaire des combats du mois d'août 1914.

 

Les premiers combats dans les Hautes-Vosges 
 

Wisembach, col de Sainte-Marie-aux-Mines, Renclos des Vaches.

 

                   Col_de_Sainte_Marie__Renclos_des_Vaches

  

Le samedi 8 août, dans l’après-midi, la 1ère compagnie du 31ebataillon de chasseurs à pied attaquait les Allemands au Renclos des Vaches, au-dessus de Sainte-Marie-aux-Mines, à gauche du col du même nom.

 

Les soldats allemands étaient installés dans des tranchées construites et aménagées au flanc de la montagne dans les chaumes du côté alsacien. Ils avaient profité de la période de transition  pendant laquelle les soldats français devaient rester dès la mobilisation générale, éloignés de 10 km de la frontière.

 

La mobilisation n’étant pas la guerre. En toute quiétude, les soldats allemands ont donc pu creuser et aménager les tranchées comme ils le désiraient. Bien installés, bien abrités, ils attendaient les assaillants. Leur champ de tir était excellent et les chasseurs à pied offraient une bonne cible. Aussi, dès que nos « vitriers » sortirent de la forêt pour s’élancer à l’attaque dans les chaumes, ils furent  accueillis par une violente fusillade qui en coucha un grand nombre.

 

Aucun chasseur ne put arriver à proximité de la tranchée.

 

Bilan : 80 à 90 tués dont le capitaine Méry et de très nombreux blessés.Le lendemain, le 149e R.I. relève le 31e bataillon de chasseurs.

 

Dimanche 9 août 1914, le 149e R.I. était cantonné le 8 août à la croix-aux-Mines et dans les environs.

 

Le rassemblement se fit le 9 dès la  pointe du jour. À l’heure fixée, les soldats se mirent en route dans la direction de Ban-de-Laveline. La journée s’annonçait belle dans un ciel sans nuage et le soleil était déjà bien chaud, quand ils arrivèrent à Wisembach.  

 

                   Carte_4e_compagnie

 

                                        Legende_carte_4e_compagnie_

 

Plusieurs compagnies suivirent la route nationale qui conduit au col de Sainte-Marie-aux-Mines.

 

La 4ecompagnie obliqua à gauche, traversa le village et suivit un chemin longeant le fond de la vallée, en direction de la forêt. Sur ce chemin, un chasseur à pied, blessé, se dirigeait vers Wisembach, accompagné d’un jeune garçon qui portait son fusil. Il n’adressa pas un seul mot aux soldats qu’il croisait et paraissait extrêmement fatigué et déprimé. Les soldats comprirent le soir même le pourquoi de cette attitude. Il semblait si triste et abattu.

 

La troupe était bien entendu, en tenue de campagne ; les fantassins portaient un pantalon de gros drap rouge, une grande capote de drap bleu, 120 cartouches, un sac bien garni avec un outil portatif, un bidon et un fusil.

 

 À environ 1 km du village, la 4ecompagnie quitta le chemin et obliqua à droite en direction de la forêt. À ce moment, l’ordre fut donné aux quatre sections de mettre baïonnette au canon et de faire l’ascension de la montagne en direction de la frontière. La montée fut longue, rude et pénible surtout sous un soleil ardent. Les soldats étaient exténués et s’ils avaient dû charger à la baïonnette, aucun n’aurait pu le faire.

 

                   Wisembach_2

 

Après environ 1 h 30 à 2 heures de montée, la compagnie arriva à la frontière au but assigné et fit la sieste. La halte fut longue et par cette chaude journée, les soldats étaient heureux de se reposer, aussi presque tous se couchèrent sur le dos la tête sur le sac, qui leur servait d’oreiller. Ce lieu « le Renclos des Vaches», paraissait relativement calme. De temps en temps, cependant, des balles passaient en produisant un sifflement semblable à un petit miaulement. Dès que les soldats furent un peu remis de leur fatigue, quelques-uns se levèrent et essayèrent d’arracher les poteaux-frontière. Les sifflements devinrent plus fréquents mais n’impressionnaient nullement la troupe, car les balles passaient haut, bien au-dessus des hommes.

 

À un certain moment le commandant de Sury d’Apremont, chef du 1er bataillon, rassembla les officiers et sous-officiers de la 4ecompagnie. En utilisant au mieux le terrain, en se camouflant derrière les sapins, il les conduisit à flanc de coteau, face à celui occupé par les Allemands. Ils s’arrêtèrent et se cachèrent derrière des roches pour ne pas être vu de l’ennemi. Le commandant montra les tranchées occupées par les troupes allemandes, ainsi que les silhouettes en bois placées en avant, comme on se trouvait au champ de tir. De nouveau des balles passèrent au-dessus d’eux en produisant leur sifflement lugubre. Après quelques instants d’observation et de sages conseils de prudence de la part du chef de bataillon, les gradés rejoignirent la compagnie en prenant les mêmes précautions qu’à l’aller.

 

À ce moment, arrivait une patrouille d’une autre compagnie du 149e R.I., dont un soldat reconnut un gradé du même village ; ils parlèrent quelques instants puis rejoignirent leur poste.Le commandant rassembla à nouveau les gradés et leur dit, en indiquant la direction : « Un peu plus loin, vous allez trouverdes rochers, plus en avant, vous verrez à votre gauche, dans les chaumes, des chasseurs à pied qui ont été tués au combat. Le premier tué que vous verrez est un capitaine. Je compte sur vous pour les venger. » Et se fut tout. Le capitaine Altairac donna des ordres au lieutenant Genevoix. Celui-ci, commandant la première section, rassembla ses hommes et leur dit : « Dans dix minutes, un quart d’heure, nous les aurons, et en avant ! » Dès que les soldats allemands les aperçurent, ils déclenchèrent une violente fusillade. Cette fois on entendait plus les miaulements des balles, mais des claquements secs qu’elles produisaient en touchant et en traversant les sapins. Contrairement à ce qu’a dit le communiqué Joffre : " Devant nos charges à la  baïonnette, les Allemands ne s’enfuyaient pas à toutes jambes."

 

Quelques instants plus tard, le lieutenant était arrêté dans sa marche en avant et demanda du renfort. La 2e section partit aussitôt, puis la 3e, puis la 4e. Elles avancèrent par bonds successifs. Quand les soldats virent en passant sur leur gauche, les corps des chasseurs à pied tués, dispersés sur les chaumes, couchés la face contre terre, ils en furent très bouleversés.La fusillade devint de plus en plus vive et malgré cela, les sections avançaient toujours par petits bonds. À certain moment, au loin, une patrouille allemande se retira  et c’est alors que les Français redoublèrent d’activité par un feu bien nourri. Les allemands de leur côté, tiraient sans arrêt, aussi ce fut une terrible fusillade.

 

Comme le 31e bataillon de chasseurs à pied  la veille, la 4e compagnie du 149e R.I. s’était engagée dans la même souricière , prise sous les feux venant des trois directions, de l’avant, de la gauche et de la droite. Les soldats allemands, bien abrités dans leurs tranchées, avaient un champ de tir étendu et abattaient comme ils voulaient les pauvres pantalons rouges qui se trouvaient en rase campagne en terrain découvert sans le moindre abri.

 

La fusillade fut toujours très vive et ne ralentit pas un seul instant. Les pertes devenant de plus en plus lourdes, la compagnie dut stopper.

À ce moment un Saint-Cyrien donna l’ordre au sergent de la 4e section d’attaquer la tranchée allemande. Il devait s’élancer vers les chaumes, dans la direction indiquée.Ce sous-officier rassembla ses hommes, leur donna des ordres et leur dit : «  En avant ! suivez-moi ! » Le tir des fusils et des mitrailleuses devint plus violent. Après avoir fait un bond d’une vingtaine de mètres environ, ce gradé se coucha, se retourna pour voir arriver ses soldats. Aucun ne put le suivre. Il les vit debout, puis tomber atteints par les balles ennemies et les entendit appeler « maman, maman ». Que de cris, que d’appels désespérés lancés par les blessés ! Après cet essai de sortie, la fusillade crépitait encore avec plus d’intensité.

Ce sergent se trouva alors seul sur les chaumes, pas très loin de la tranchée allemande, n’osant bouger, craignant que l’ennemi ne tire sur lui. D’autre part,  il ne voulait pas rester à proximité de la tranchée, craignant d’être fait prisonnier. Il désirait rejoindre sa compagnie et ses camarades de combat.

Après quelques minutes de réflexions, il se déplaça en rampant. Il s’arrêta, puis de nouveau, avança  jusqu’au moment où, arrivé à proximité de la forêt, et malgré l’intensité du tir, il se mit debout, courut à toutes jambes et retrouva sa compagnie. Il n’avait pas été blessé et n’avait pas reçu la moindre égratignure. Mais que cet isolement lui parut long au milieu d’une fusillade aussi intense. Les quatre sections étaient stoppées et ne cherchaient plus à avancer car toutes avaient subi de lourdes pertes.

 

Le capitaine demanda du renfort. Les soldats qui sont venus pour dégager la compagnie se trouvèrent en pleine bataille ; ignorant, par manque de liaison que des soldats français se trouvaient en avant, ils ouvrirent le feu.

 

C’est alors que ceux de la 4e reçurent des balles de tous côtés, aussi bien de l’avant que de l’arrière et eurent des tués et des blessés par les balles françaises. Les chefs de section criaient de toutes leurs forces au capitaine qui se trouvait un peu en arrière avec ses agents de liaison : « Mais ne tirez donc pas sur nous ! » Après bien des efforts, la compagnie fut tout de même remplacée par une autre. Les rescapés purent alors se retirer en arrière sur le flanc de la montagne, à l’abri des balles, car la fusillade ne ralentissait pas. Il était peut-être 15 h 00, 16 h 00, aucune personne ne pensait au repas de midi, personne n’avait faim. Quand toutes les sections furent arrivées, le capitaine fit faire l’appel. Tous les présents constatèrent alors qu’il y avait de nombreux manquants, morts et blessés.

 

Le lieutenant Genevoix était blessé, ainsi que le saint-cyrien, plusieurs sous-officiers, les deux frères Daval, du Val-d’Ajol, tués, etc.

 

La fusillade était toujours très vive dans la direction des rochers. Aussi, après une bonne sieste, le capitaine reçut l’ordre de retourner au combat.

 

Les survivants de la compagnie furent placés en tirailleurs sur l’ancienne frontière, face à Sainte-Marie-aux-Mines.

 

Le commandant du bataillon, malgré l’intense fusillade, circulait debout auprès des soldats comme à la manœuvre. Le pauvre ne circula pas longtemps. Il reçut une balle au ventre et fut hospitalisé à Saint-Dié où il mourut, le lendemain 10 août.

 

La fusillade était toujours très vive, et la troupe était stationnaire, elle n’avançait plus et ne reculait plus. A un moment, où les soldats s’y attendaient le moins, ils entendirent les clairons allemands sonner la charge (ce sont les soldats alsaciens qui servaient dans l’armée française qui firent connaître la signification de cette sonnerie).

 

                    Photo_Marius_Dubiez_1914

 

Sans recevoir d’ordre les français tirèrent avec plus de rapidité, les mitrailleuses entrèrent en action et la fusillade avait atteint une telle intensité que les Allemands ne purent arriverjusqu’à nous et se retirèrent après avoir eux aussi subi de lourdes pertes. Ceci se passait déjà tard dans la soirée. Le capitaine fit déposer les sacs pour contre-attaquer.

 

Les clairons français sonnèrent le rassemblement puis la charge. Avec le tir des fusils et le tac-tac des mitrailleuses on entendait à peine les commandements. Les soldats des différentes compagnies étaient mélangés et beaucoup étaient complètement affolés, perdus et tiraient dans toutes les directions, aussi bien du côté ennemi que dans la direction des troupes françaises.

 

Les gradés furent obligés d’intervenir auprès des soldats, pour leur crier de tirer dans la direction de l’ennemi. Certains ne réagissaient pas et n’avaient pas l’air de comprendre.

À un moment donné, la situation fut critique ; heureusement que la nuit approchait. Le colonel Menvielle, commandant le régiment craignant sans doute une nouvelle charge de l’infanterie allemande, fit former le carré sautour du drapeau. Il fit sonner « Au drapeau » puis le rassemblement pour rappelerles égarés. Après cette formation en carré, la nuit vint et comme s’il y avait eu une entente avec les Allemands, la fusillade cessa brusquement.

Nous étions restés sur l’ancienne frontière, à l’endroit même où nous arrivions le matin. Chacun chercha son sac, mais comme il faisait nuit, personne ne put le trouver. Le combat ayant cessé, les soldats cherchèrent à redescendre vers Wisembach, mais comme il faisait nuit, il était impossible de faire un pas sans toucher un blessé qui criait de douleur ou un mort qui nous faisait tomber.

                   Wisembach_1

Beaucoup essayèrent de secourir des blessés, mais sans brancard, il fut impossible d’en transporter. Quel massacre ! Que de tués et de blessés ! Les pertes furent énormes et très supérieures à celle des chasseurs à pied ; on parlait de plusieurs centaines de tués. Pendant toute la nuit, les combattants errèrent dans la montagne, à la recherche du village de Wisembach. Ils craignaient de se tromper de direction et de descendre vers le versant alsacien pour être surpris par les Allemands.

Le lundi 10 août, les survivants se retrouvèrent à Wisembach. Ils parlèrent entre eux de ce qui s’était passé la veille et tous étaient stupéfaits d’avoir vécu une journée aussi terrible et de se retrouver vivants. « C’est cela la guerre ? S’il y a autant de pertes dans les prochains combats, la guerre ne durera pas longtemps. C’est impensable qu’il y ait eu autant de tués et de blessés ! Quelle journée et quel massacre ! »

 

Au cours de la matinée, le général Dubail est venu saluer le 149e R.I.et le féliciter pour son attitude courageuse au combat lors de son baptême du feu.

 

Comme le chasseur à pied blessé l’avant-veille, rencontré près du village, les rescapés de cette bataille étaient bien déprimés. Ils restèrent là quelques jours avant de partir vers Lubine, le col d’Urbès, le Climont, vers de nouveaux combats.

 

Bataille de Saint-Blaise.

 

                    Groupe_149e_R

 

Le 14 août 1914, le 149eR.I. venant de Provenchères-sur-Fave se dirigea sur Saales. Au cours de la traversée de cette ville, il fut très applaudi par la population qui avait abondamment pavoisé de drapeaux tricolores (Saales était avant 1870 un chef-lieu de canton du département des Vosges. Il a été annexé à l’Allemagne au traité de Francfort). La troupe suivit la route nationale en direction de Schirmeck.

 

Après avoir parcouru plusieurs kilomètres, le 2e bataillon changea de direction et obliqua à droite. La 4e compagnie qui marchait en tête du 1erbataillon, suivit la route nationale.

À un certain moment, le général Pillot qui se tenait debout sur le côté de la route, donna l’ordre aux soldats de s’arrêter. Il les fit descendre dans le fossé en leur demandant de s’appuyer contre le talus qui était d’ailleurs très haut à cet endroit. Tous se posèrent la question. Pourquoi cet arrêt ? Cette halte ? Après une demi-heure, trois quarts d’heure d’attente, des obus de gros calibre passèrent au-dessus d’eux en produisant un sifflement grave et saccadé pour allertomber beaucoup plus loin, à plusieurs kilomètres vers Plaine.

Parallèlement au 149e R.I., le 109eR.I. descendait la vallée de la Bruche, mais sur la rive gauche. La journée était ensoleillée, aussi l’artillerie allemande placée sur les hauteurs des environs de Saint-Blaise en direction de Saales à Diespach exactement, l’aperçut et ouvrit aussitôt le feu.

 

Les obus de 77 éclatèrent juste au-dessus des soldats du 109eR.I., mais à une grande hauteur, ce qui rendait les fusants moins meurtriers. C’est la première fois que nous entendions le canon, et apercevions dans le ciel des petits nuages blancs, ronds, produit par l’éclatement des obus. Néanmoins, beaucoup de soldats tombèrent et les pantalons rouges s’apercevaient de loin.

 

Les soldats de la 4e compagnie observaient ce qui se passait sans pouvoir porter le moindre secours.

 

L’artillerie française à son tour riposta et ouvrit le feu. Les soldats du 109eR.I. couchés que l’on croyait ou blessés ou tués, commencèrent à se relever l’un après l’autre, si bien qu’au bout de quelques instants on n’en apercevait plus sur le sol, ce qui laissa supposer que les pertes furent minimes. L’artillerie allemande ayant repéré une batterie de 75 vers Plaine, la bombarda et la mit hors de combat ce qui nous causa une grande émotion.

 

Plus tard, les autres batteries françaises placées dans les environs ouvrirent de nouveau le feu avec tir rapide qui dura peut-être une demi-heure. Nous avons appris le lendemain qu’elles avaient repéré les batteries allemandes et les avaient mis hors de combat. Le général Pillot, ayant jugé d’après les renseignements recueillis par l’état major que nous pouvions poursuivre notre marche en avant sans risque d’être bombardé, fit avancer la compagnie.

 

Le capitaine Altairac en tête suivit la route nationale, puis pénétra dans une forêt à droite de la route et fit faire la sieste aux hommes. Un capitaine d’artillerie arriva et lia conversation avec le capitaine Altairac. L’exécution de l’ordre se fit exactement comme il avait été prévu. Les hommes de la patrouille avancèrent par signaux du chef de section. Ils se seraient cru en manœuvre et non à la guerre, car ils ne reçurent pas un seul coup de feu. Les officiers la suivaient à la jumelle. Au bout d’un certain temps, tous les soldats arrivèrent à quelques mètres du taillis. Ce fut le moment pathétique.

 

Qu’allait-il arriver ? Le chef de section cria « Debout ! En avant à la baïonnette ! » Tous pénétrèrent et constatèrent qu’il n’y avait pas d’Allemands. Quelle chance et quel soulagement ! Sa mission terminée, la patrouille rejoignit le capitaine et la compagnie.

 

Dans la direction de Saint-Blaise la fusillade était très vive. Après quelques moments de repos, le capitaine indiqua que nous devions nous rendre dans la direction d’un petit bois de jeunes sapins qui se trouvait sur l’autre rive de la Bruche. Après avoir reconnu l’endroit où nous devions nous rendre, la troupe traversa la route nationale, les prairies et traversèrent la Bruche à gué avec environ 60 cm d’eau, puis peu après arrivèrent au bosquet de sapins où la fusillade était très intense.

 

La 4e compagnie arriva juste après le commandant Tabouis, chef du 1er bataillon de chasseurs à pied. Il était couché, appuyé sur le côté, et abrité contre le talus, derrière les sapins avec les agents de liaison parmi lesquels se trouvait un nommé Launois de Senones, classe 1910, qui avait accompli son service militaire à la 4e compagnie du 149eR.I..

 

Le commandant Tabouis, devenu plus tard général, nous recommanda à tous de nous coucher, de nous abriter et surtout de ne pas chercher à avancer « Restez là et attendez », ajouta t-il.

 

La fusillade était toujours très vive et comme au   Renclos des Vaches et à Sainte-Marie-aux-Mines, les balles claquèrent en touchant et en pénétrant dans les sapins. Au moment donné, un agent de liaison vint trouverle commandant et lui dit : « Mon commandant, les Allemands se rendent. Ils ont placé des drapeaux blancs aux fenêtres des maisons. Dès que les chasseurs s’approchent pour les capturer une mitrailleuse placée dans le cloche rentre en action ». Le commandant le remercia et ne dit plus rien. Il communiqua certainement ces renseignements à l’état major et l’ordre fut donné à l’artillerie d’intervenir. C’est alors que les 75 tirèrent sur le clocher et la mitrailleuse fut bientôt hors de combat.

 

Cette fois la troupe put avancer et capturer 1800 à 2000 prisonniers. Ils furent gardés par les chasseurs à pied.

 

Comme il commençait à faire nuit, la 4e compagnie avait comme cantonnement une usine de textile, et les soldats couchèrent sur les balles de coton déliées.

 

Le 15 août, dès la pointe du jour les soldats sortirent de leur dortoir passager, avec des capotes parsemées de coton. Que de mal ils eurent pour l’enlever. Les soldats avançaient lentement et s’arrêtaient fréquemment, il ne fallait progresser que prudemment pour éviter des attaques surprises. Malgré l’heure matinale, le soleil était déjà bien chaud, et les soldats se déplaçaient bien lentement, quand arriva un arrêt prolongé. On donna ensuite l’ordre d’avancer, la marche devint normale et tous étaient surpris d’une telle accalmie.

 

Nous arrivons alors à Diespach et passons devant l’école transformée en infirmerie et occupée par des infirmiers de l’armée allemande.

 

Nous nous arrêtons longtemps pendant plusieurs heures. C’est alors que le sergent Baudoin de la 4e compagnie dit à un autre sous-officier : « Les chasseurs à pied viennent de trouver un drapeau allemand, si j’étais arrivé quelques minutes plus tôt, c’est moi qui l’aurais eu ».

 

Une patrouille du 1erbataillon de chasseurs s’assurait que les ennemis n’étaient pas cachés derrière les maisons ou dans les environs, lorsqu’une dame les appela et leur dit : « Ils (les soldats allemands) ont caché quelque-chose dans le foin ». Aussitôt ceux-ci montèrent sur le tas de foin, cherchèrent et trouvèrent le drapeau allemand.

 

Voilà les précisions exactes qui indiquent comment fut trouvé le drapeau bavarois (En fait ce drapeau n'était pas Bavarois).

 

Très probablement dans la ferme Niargoutte celle-ci portant une plaque commémorative concernant la prise de l’emblème en question.

 

Les soldats du 149e R.I. visitèrent ensuite le champ de bataille et se rendirent auprès d’une batterie dont les pièces avaient été abandonnées. Ils s’approchèrent ensuite des tranchées, mais les blessés allemands tirèrent sur eux. Les soldats se retirèrent alors et les abandonnèrent aux infirmiers allemands. Dans ces mêmes moments, un « taube» passa au-dessus d’eux mais à une très haute altitude. C’est alors que les soldats se demandèrent s’il allait laisser tomber des fléchettes qui pouvaient traverser le corps d’un homme de haut en bas. Tous avaient entendu parler des fléchettes mais tous ignoraient si celle-ci lancées par les avions français ou les avions allemands.

 

Les canons pris (une vingtaine) furent exposés le lendemain Saint-Blaise et ensuite emmenés dans la direction de Saales. Ces journées mémorables ont joué un grand rôle sur le moral de la troupe. Chaque année, les bataillons de chasseurs à pied fêtent la « prise » de ce drapeau.Cette année à l’occasion du cinquantenaire cet anniversaire sera fêté avec un éclat tout particulier paraît-il !

 

La bataille de la Chipotte.

 

La commémoration du cinquantenaire de la bataille de la Chipotte aura lieu officiellement le dimanche 30 août à 15 h 00. La préparation de cette cérémonie a déjà été ébauchée, étudiée. Certainement le comité d’organisation fera appel aux survivants de la Grande Guerre qui ont participé à cette bataille dans le même esprit que les résistants qui ont participé au 30eanniversaire de la Libération.

 

Il sera soucieux d’honorer la mémoire des disparus et de rendre un juste hommage aux combattants rescapés. Il est inutile de rappeler les péripéties de cette bataille, celles-ci ayant été développées avec précision par le colonel Leboubé. Je crois néanmoins  qu’il est nécessaire de rappeler dans quelles conditions et avec quelle endurance les troupes épuisées de fatigue ont dû lutter avec tant d’ardeur.

 

Le 21eCorps d’Armée qui comptait beaucoup de Vosgiens et de nombreux Parisiens, était de la partie. Après la bataille de Saint-Blaise-la-Roche le 14 août où les Allemands subirent une sanglante défaite, les soldats du 149e R.I. cantonnèrent à flanc de coteau dans les villages de la rive droite de la Bruche.

 

Après deux jours d’accalmie, le 149e R.I.quitta ce dernier cantonnement avant le lever du jour pour se rendre à proximité de Saint-Quirin en passant par Schirmeck, le col du Donon.

 

Les soldats porteurs de tout leur chargement, sac, cartouches, fusil et toujours vêtus de leur grosse capote de drap, parcoururent à pieds cette distance d’environ 65 km. Beaucoup ne purent suivre que très difficilement et arrivés en pleine nuit dans une forêt de sapins, tous se couchèrent exténués de fatigue sans manger, car le ravitaillement ne suivait pas.

 

Le lendemain matin ces soldats marchèrent vers Saint-Quirin puis vers Abreschviller. Dès que le soleil apparut, la première compagnie partit faire toilette dans la Sarre, la deuxième prit ensuite sa place, puis la troisième. Les hommes de cette compagnie étaient à peine déshabillés qu’un ordre arriva demandant de se tenir prêt à combattre car les Allemands avançaient.

 

L’artillerie se mit alors en batterie et la 4e compagnie du 149e R.I. fut placée comme soutien d’artillerie à 200 – 250 m des pièces et dans leur prolongement. Les 75 tirèrent, puis les 77 allemands ripostèrent, les fantassins se trouvèrent alors entre deux feux. Une saucisse d’observation fit son apparition à droite de Sarrebourg et le duel d’artillerie devint alors plus violent.

 

À un certain moment, la fusillade crépita avec intensité et ce bruit mêlé au départ et à l’éclatement d’obus produisit un grondement infernal. C’est alors qu’un officier, sabre au clair fit  sonner la charge à ses clairons et nous entraîna avec lui à l’assaut de la colline. Arrivés en haut, le capitaine commanda un feu de salve. Par manque de liaison nos balles allaient frapper les soldats français de l’infanterie coloniale. Aussi, après avoir tiré 3 cartouches le capitaine ordonna le « Cessez le feu ».

Au cours de cette charge et du combat qui suivit, il y eut de nombreux tués et blessés dont de nombreux spinaliens. Quelques-uns furent même prisonniers car il fallut ensuite battre en retraite en combattant à travers la forêt même la nuit et sans ravitaillement. Le sac et l’armement étaient bien lourds, aussi tous les soldats étaient extrêmement fatigués puisqu’ils n’avaient pas de repos. Ils marchaient comme des automates dans une direction imprécise un peu à l’aventure. La troupe passa à Saussenrupt, près de Cirey, Val-et-Chatillon, Raon-l’Etape, Etival et le 23 août arriva au col de la Chipotte toujours en combattant.

Après un arrêt assez long, une patrouille se dirigea sur le chemin de Thiaville, fouilla une ferme et fit prisonnier un médecin major allemand. Celui-ci fut ramené au col pour être conduit à l’état-major. Il parlait un français très correct avec les capitaines Altairac de la 4e compagnie et Crepet de la 2e compagnie.

Le 1er bataillon s’installa au col et y passa la nuit. Le matin du 24 août, dès la pointe du jour, la 4e compagnie reprit la direction de Thiaville et suivit le chemin utilisé la veille. Le capitaine installa la grande garde et envoya une dizaine de soldats commandés par un sous-officier en petit poste plus en avant avec défense de livrer combat. Dès l’arrivée de la patrouille allemande le petit poste devait se retirer sur la grande garde. Des habitants de Ménil fuyaient en direction des troupes allemandes malgré les conseils donnés par le chef du petit poste.

Un chasseur à cheval du 4e régiment vint jusqu’à nous, puis repartit au galop en direction du col sans avoir voulu s’engager plus en avant.

La patrouille allemande fut aperçue par une de nos sentinelles qui malgré l’ordre tira sur elle. Aussitôt la fusillade s’étendit partout et la bataille commença.

Le chef de poste de la 4e compagnie rassembla ses hommes pour rejoindre le capitaine et la grande garde mais ne trouva plus personne. C’est alors qu’après bien des péripéties, qu’après bien des heurts, les soldats arrivèrent à rejoindre leurs camarades de combat et purent alors à plusieurs reprises attaquer les Allemands à la baïonnette.

Il fallait les voir ces soldats s’élancer courageusement à l’attaque malgré les grandes fatigues des journées précédentes et réussir d’arrêter l’avance ennemie. Ce courage exemplaire méritait d’être rappelé et signalé aux jeunes générations et j’ajouterai que ces braves soldats n’ont pas obtenu de citation ni de décoration pour leur magnifique attitude au feu.

Le 21eC.A. remplacé par un autre corps d’armée fut dirigé vers le camp de Mailly pour participer à la bataille de la Marne. Les fantassins de la Chipotte ont dû à nouveau effectuer de longues et pénibles marches de jour et de nuit et livrer de durs combats.

C’est pourquoi comme je le proposais au début de ce récit par reconnaissance, les rescapés de cette bataille de col de la Chipotte devraient avoir une plaque d’honneur au cimetière, même ce jour là, 30 août et proposer un ruban tricolore épinglé à leur boutonnière pour les distinguer. Ils devraient être présents le 30 août comme les résistants sont présents à la fête commémorative des combats des maquis. Le conseil général ayant voté des crédits pour commémorer dignement ce cinquantième anniversaire, il faut espérer que le comité d’organisation pourra mettre gratuitement un car à la disposition des survivants qui désirent assister à la cérémonie de la Chipotte le 30 août 1964.

 P. Monne

Ancien combattant à la Chipotte.

Sergent.

Chef de section, 4e compagnie du 149e R.I..

Président de la fédération des Vosges des combattants républicains, vice-président de l’U.F.A.C..

 

Un très grand merci à  G. Monne et à P. Blateyron.

 

Référence bibliographique :

 

"La guerre 1914-1918 à l'est de Saint-Dié" de Jean Foussereau, Janine Foussereau et Jean-Paul Baradel aux éditions Jérôme Do Bentzinger Editeur. 2007.

9 décembre 2009

Sergent Paul Monne (1891-1981).

                   Paul_Monne_

Paul est né le 13 février 1891 à Gruey-les-Surange, une petite commune vosgienne. À sa naissance, son père Jules était manœuvre et sa mère Denise Bouvinet exerçait la profession de brodeuse. 

Après avoir fait ses études à l’école communale de son village natal, puis à l’E.P.S. de Charmes, il est nommé instituteur à la verrerie de Portreux jusqu’au 30 septembre 1912. 

Paul Monne est incorporé le 12 octobre 1912 dans la 2e compagnie du 149e R.I.. Il en profite pour organiser des cours d’instruction générale aux illettrés de sa compagnie. Il suit en même temps, les cours des élèves caporaux. 

En janvier 1913, ce jeune homme effectue un stage à l’école normale de gymnastique de Joinville-le-Pont pour devenir titulaire du diplôme délivré par cette école. À la fin de ce stage, au début du mois d’avril 1913, il réintègre la 2e compagnie du 149e R.I. pour donner des leçons d’éducation physique. 

Il est nommé caporal en mai 1913, puis, il passe à la 4e compagnie du 149e R.I. avec le grade de sergent en septembre 1913. 

Durant le conflit, le sergent Monne a été blessé deux fois. La première blessure est reçue le 12 septembre 1914 dans le petit village de Souain, la seconde dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette le 9 mai 1915.

Cet homme ne retournera pas au front après cette deuxième blessure. Après avoir été soigné dans un hôpital de Rennes, il se consacre aussitôt à l’enseignement dans le lycée de cette ville durant sa convalescence Par la suite, il reprend son métier d’instituteur à l’école de Badménil-aux-Bois puis à celle de Gigney. Dans ce village Paul Monne fait la connaissance d’une institutrice, Marie Marthe Gabrielle Munier qui deviendra sa future femme. Il termine sa carrière d’enseignant à l’école de la bibliothèque d’Épinal. 

Monsieur Monne décède le 24 juin 1981 à Vandoeuvre. 

Citation obtenue : 

Citation à l’ordre du régiment n° 33 : 

« Excellent sous-officier, courageux et dévoué, blessé grièvement le 9 mai 1915, au moment où, en tête de sa section, il s’élançait à l’assaut des tranchées ennemies. Déjà blessé le 14 septembre 1914. »

Extrait certifié conforme. Aux armées, le 17 mai 1917. Le lieutenant-colonel Boigues commandant le 149e R.I.. 

Médaille militaire : Le 7 mars 1940. 

Chevalier de la Légion d’honneur : Le 21 juillet 1955. 

Chevalier du Mérite combattant. 

Officier des Palmes académiques. 

La plupart des informations concernant le sergent Paul Monne ont été données par son fils Gilbert Monne. 

Un grand merci à M. Bordes et à G. Monne.

27 novembre 2009

Témoignage de Louis Cretin : la bouffarde de M’sieur Drouot.

                 La_bouffarde_de_M_sieur_Drouot_

Un immense merci à D. Browarski qui nous offre ici la possibilité de  lire un passage du témoignage de Louis Cretin soldat musicien de la C.H.R. du 149e R.I.

Un autre très grand merci à la famille de Jean Archenoul qui me propose d’illustrer ce texte avec une photo de groupe prise le 26 juin 1917 à Ciry-Salsogne venant de sa collection. Toute ma reconnaissance à ces personnes. Une chaleureuse poignée de main à Thierry Cornet sans qui ce qui suit n’aurait jamais été possible.

Verdun…

Le 25 février, nous embarquons à Auxi-le-Château sous une tempête de neige. Nous touchons deux jours de vivres de réserve et le soir à 16 h 00, nous démarrons. Nous traversons Abbeville. Dans la nuit du 26, nous sommes dans la banlieue de Paris. Nous continuons par Verneuil, Coulommiers… On aperçoit tout le long de ce trajet les cimetières des poilus tombés dans la bataille de la Marne en 1914. La Ferté-Gaucher, la Fère-Champenoise… Sommesous et Somme-Py. Le soir, nous débarquons à Saint-Eulien à 8 kilomètres de Saint-Dizier. Trois jours de suite, nous marchons. Mais dès maintenant nous devinons où nous allons. Du 1er au 5 mars, nous demeurons à Seigneulles. Le 5 mars au matin, nous embarquons en camions automobiles. Nous traversons Souilly (siège du G.Q.G.) et à 13 h 00, nous débarquons à Regret tout près de Verdun. La canonnade est terrible. Nous passons à pied par petits paquets près de la citadelle et nous allons nous reformer le long du canal aux abords d’Haudainville. Nous passons la nuit dans des péniches abandonnées, couché sur du minerai de fer. C’était dur !!! Le 6 mars dans l’après-midi nous montons en ligne. Colonel à cheval, musique en tête. Nous longeons le Faubourg Pavé vers 17 h 00, nous atteignons le cabaret de la Cible et touchons à la zone dangereuse. La route que nous suivons est marmitée continuellement. On est obligé de s’arrêter à quelques mètres du barrage d’obus qui tombent sans arrêt. Par paquets de 20 hommes, on attend que la rafale ait éclatée. Nous faisons un bond au pas de gymnastique et l’on se retrouve à plat ventre, trente mètres plus loin, au moment où une nouvelle série d’obus de gros calibre éclatent à nouveau 15 mètres environ derrière nous. C’est ainsi que la montée en ligne s’opère. Au bois des Hospices, la C.H.R. s’arrête pendant que les compagnies continuent dans la direction du fort de Souville, la chapelle Sainte-Fine, le bois de Vaux-Chapitre. Finalement elles prennent position entre l’étang, le village de Vaux et le fort du même nom. Les pertes sont déjà élevées quand les compagnies relèvent l’unité qui occupe ce secteur. La musique, avec la C.H.R. et le bataillon de réserve bivouaque dans le bois des Hospices. C’est effrayant ce qui tombe comme obus, à droite, à gauche, en avant, en arrière, partout ça dégringole sans arrêt.  A tout moment, ils en éclatent dans nos rangs. Sans aucun abri, nous passons la nuit à cet emplacement. A l’aube, on cherche à s’égarer de cette avalanche, avec un camarade, mon meilleur copain, un poilu Vosgien des régions envahies de Saulcy, près de Senones. Je creuse avec lui un trou, quand un gros noir arrive et qui nous enterre sous les débris de la cagna en construction. Je suis  commotionné par l’éclatement. Je descends retrouver nos cuisiniers au cabaret de la Cible, pendant que les autres montent par équipes au poste de secours installé dans le fort de Vaux. Je monte la « croûte » toutes les nuits, et c’est une besogne des plus périlleuses, combien d’arrêts imprévus, de culbutes et d’acrobaties nous faisons chaque fois. Quand nous arrivons à trouver les copains, ce qui reste dans les marmites de campement est souvent immangeable. D’ailleurs on ne se charge que du pain enfilé par boule dans un bâton, les bidons de pinard et la gniole. Pour la nourriture, c’est toujours en salade que nous accommodons les légumes. Les repas chauds sont inconnus dans ce secteur. Heureux, quand après trois heures de marche, dans des conditions impossible à décrire, nous arrivons, saufs, avec moitié de ce que nous avons emporté. Plusieurs fois, nous trouvons bouteillons et bidons troués par des éclats. Au retour, même danger qu’à l’aller…

Le 9 mars des obus atteignent la ferme Bellevue, dans la soirée et mettent le feu au dépôt de grenades et de fusées qui se trouvait à cet endroit. Pendant plusieurs heures, vu d’un peu loin, ce fut un spectacle impressionnant. Des centaines de fusées de toutes sortes et de différentes couleurs firent un vrai feu d’artifice. La corvée de soupe dure jusqu’au 17 mars où le régiment est relevé. Pendant cette période, les Allemands ont attaqué chaque jour les différentes compagnies du régiment. Presque à chaque assaut, ils  sont repoussés avec des pertes énormes. Nos pertes sont grandes également, certaines unités descendent réduites à une vingtaine d’hommes. Et encore, sur ce nombre pas beaucoup sont indemnes. Les habits sont déchiquetés, couverts de sang. Ce sont de vrais fantômes, hébétés, meurtris. Ils n’ont plus souvenir de ce qu’ils ont vu, ont fait, et pourtant ils ont tenu et combattu sans arrêt pendant dix jours et autant de nuits. Ecrasés, asphyxiés, l’enfer de Verdun les a retourner et briser de toutes parts. Les journées les plus dures furent les 8, 9 et 10 mars où, sous un marmitage effroyable nos poilus ne bronchèrent pas et repoussèrent les assauts allemands. Leurs attaques furent brisées par la magnifique résistance des poilus du 1er bataillon dans le village et aux abords du fort de Vaux. Pendant ces trois jours, le village fut pris et repris huit fois de suite, pour finalement rester aux mains des Allemands. Nous tenions quelques maisons et la lisière est. Les Allemands ne purent en sortir. Le régiment descend prendre quelques repos à Dugny et aux environs. Nous recevons des renforts et le 1er avril nous remontons dans le même secteur. Pendant les journées passées à Dugny, presque journellement les avions allemands viennent nous jeter des bombes. Le 30 mars, une torpille tombe au milieu d’un rassemblement sur la route. Plus de cinquante personnes furent tuées par cet engin. Au repos, le spectacle paraissait plus terrible que sur le champ de bataille. Des corps déchiquetés, mêmes des civils, femmes et enfants périrent, victimes de ce bombardement aérien. Le 31 mars nous quittons ce pays et nous venons cantonner aux casernes du quartier d’Anthouard avant de continuer le lendemain sur Vaux.

Cette journée du 1er avril, je suis planton au poste de police. A chaque instant, je vais porter les notes de service dans les différentes compagnies du régiment. C’est sous un marmitage presque aussi serré qu’en ligne que mes déplacements se font. Le 1er avril au soir, le régiment est de nouveau engagé. Le 2, nos équipes montent à Vaux et à Souville. Mais moi, je reste comme agent de liaison à Verdun. Les lignes téléphoniques étant toujours coupées, c’est par coureur que se font et se transmettent les ordres. Je suis désigné pour faire le service du tunnel de Tavannes à la citadelle. Les obus à gaz lacrymogènes tombent sans arrêt dans la vallée et le long de la route, ainsi que sur le chemin de fer. On souffre, on pleure, on crache. C’est pénible la marche dans ces conditions. Le 3 avril dans l’après-midi, je suis surpris dans le quartier d’Anthouard où je venais d’aller porter des ordres, sous un bombardement terrible. Je me refugie au poste de police où une marmite éclate dans le caniveau. La fenêtre vole en éclats. A 200 m de là, sur les bords de la Meuse, un bâtiment occupé par des territoriaux a son escalier broyé par un obus. Le feu prend à l’immeuble et les hommes occupant le premier étage périssent asphyxiés ou brulés. Le bombardement est si violent que le quartier est évacué. Les différents services  occupant ce cantonnement viennent s’installer en dehors de la ville. Au café du « Clair de Lune » et ses environs, où je continue le même service avec la place, la division et la citadelle. J’y reste jusqu’au 9 avril, date où le régiment descend des lignes. Que dire de cette nouvelle période ? Ce fût encore plus terrible si on ose dire et surtout plus meurtrier. Les premiers jours d’avril furent aux dires des rescapés quelque chose d’impossible à raconter. Relevé le 9 nous passons deux jours à Dugny. Le 12 nous partons à pied pour aller embarquer à Lempire. Mais en cours de route, un contre-ordre nous fait revenir sur nos pas. Nous revenons  de nouveau à Dugny et Belleray. Les hommes acceptent sans murmurer. Allons-nous encore remettre çà ? Mais non heureusement ! Dans la soirée, nous partons à Lemmes et Lempire, embarquer en camions-automobiles, et vers minuit, nous arrivons à Bar-le-Duc. Nous descendons et allons cantonner 2 km plus loin, dans un faubourg de Bar-le-Duc appelé la Savonnière.

.

                 Sous_chef_Drouot


 

Copie__2__de_sous_chef_de_musiqueIci se place une histoire dont fut « le héros », notre sous-chef de musique. C’était un très fort fumeur. En permanence une énorme bouffarde était suspendue à ses lèvres. Il était connu dans le régiment entier, mais surtout à la compagnie hors rang, à laquelle nous appartenions. Les hommes de train de combat, signaleurs, téléphonistes, éclaireurs montés et train régimentaire étaient très familiers avec lui. C’était un brave homme. Mais bien que n’étant pas de Marseille, il eut enfoncé Tartarin et rendu des points à Marius et Olive. Or, il advint que dans le camion qui nous descendait de Verdun pour aller au repos à la Savonnière, il laissa échapper sa pipe qui tomba sur la route. Impossible de s’arrêter pour la ramasser. Arrivé au cantonnement on le vit le lendemain errer à l’aventure, tout marri et l’air ennuyé. Les premiers qui l’aperçurent  sans son ornement habituel, lui demandèrent le motif de l’absente.

- Ma pipe ? leur dit-il, je l’ai laissée là-haut !!! Oui la dernière fois que je suis allé visiter mes hommes au fort de Vaux, une balle me l’a brisée en deux.

Vous pensez si l’histoire fut vite ébruitée. Peu d’instant après un signaleur, un « pince-sans-rire » lui dit :

- Je ne crois pas qu’une balle vous ai attrapé là, car il n’en sifflait pas beaucoup à cet endroit, ça ne serait pas plutôt un obus ?

- Il est bien probable, reprend-il je n’ai pas pu me rendre compte, il faisait nuit. En effet, je crois me rappeler maintenant. C’était un 77 ou un 88 autrichien. Il en tombait tellement !!

C’est le premier pas qui coûte. Il ne devait pas s’arrêter en si bon chemin. Dans la journée, les hommes qui l’entendirent raconter son aventure, s’aperçurent que le calibre de l’obus avait considérablement augmenté. Le soir, on le retrouva dans un café du cantonnement, une pipe encore plus volumineuse que la précédente, avait repris sa place habituelle. Il avait été en acheter une nouvelle à Bar-le-Duc. Il expliquait avec force gestes à la tenancière ébahie, entouré d’un cercle de poilus qui se tordaient, qu’une batterie allemande de 305 avait pris son briquet comme point de repère et pulvériser sa pipe au moment où il s’apprêtait à l’allumer. A un auditoire plus naïf il eut affirmé sans sourcilier que les 420 allemands furent construits pour lui casser ses pipes.

L’histoire devient populaire dans le régiment. Aussi, chaque fois après une halte, quand on reprenait la marche et que notre « clique » sonnait le refrain du régiment suivi de la « Casquette », les poilus fredonnaient la dernière strophe avec une variante : « As-tu vu la pipe à Monsieur Drouot ?»

 

Merci monsieur Cretin, merci monsieur Drouot pour cette belle anecdote.

14 novembre 2009

Sergent Marcel Weber (1891-1914).

                   Marcel_WEBER

 Medaille_militaire_de_Marcel_WeberLe sergent Marcel Weber est né le 24 juin 1891 à Mulhouse. Il servait dans la 9e compagnie sous les ordres du capitaine Henri Souchard.

Citation à l’ordre du régiment :

« Sous officier brave et dévoué. Tombé au champ d’honneur le 25 août 1914, à Ménil-sur-Belvitte » : Croix de guerre avec étoile de bronze.

Il obtient la médaille militaire à titre posthume le 17 février 1922. Il repose dans la Nécropole Nationale Française de Rambervillers. (Voir dans l’album-photo de la Grande-Nécropole)

Je remercie Mme D.J.L. Fargues pour m’avoir autorisé à reproduire les documents concernant Marcel Weber, ainsi que Guy Watbled.

 

 

 

9 septembre 2009

Un grand merci et une chaleureuse poignée de main

Un grand merci et une chaleureuse poignée de main à Stéphan Agosto pour avoir bien voulu réaliser ce dessin. Ce dernier illustrera et servira de page de présentation à l'album photo des sépultures des hommes de ce régiment.          

                   Dessin_Stephan_Agosto

Et maintenant poussons les  lourdes grilles de la porte d'entrée et pénétrons dans la Grande Nécropole virtuelle du 149e R.I….                  

http://amphitrite33.canalblog.com/albums/la_grande_necropole/index.html

 

28 août 2009

Premiers pas en Artois (2e partie).

                  Les_t_l_phonistes

9 octobre 1914

Le gros du régiment doit se porter au nord du bois du château de Noulette pour se mettre à la disposition de la 26e brigade. Une compagnie qui était restée dans le secteur d’Aubigny, reçoit, en fin de matinée, l’ordre de rejoindre une autre compagnie du 149e R.I. qui se trouve avec une batterie d’artillerie au moulin du signal de Bouvigny. Le détachement Laure doit attaquer la position de Notre-Dame-de-Lorette et empêcher l’ennemi de déboucher à l’ouest du bois de Bouvigny Dans la soirée,  Le 2e bataillon du 149e R.I. commandé par le capitaine Pretet, relève le 3e bataillon du régiment (détachement Laure) dans le bois de Bouvigny.       

Extraits de l’ouvrage « les combats de Notre-Dame-de-Lorette » du capitaine J. Joubert aux éditions Payot.

« Le commandant Michaud du 20e B.C.P. recherche lui-même la liaison avec le bataillon Laure du 149e R.I., à l’intérieur du bois de Bouvigny, pour que le 149e R.I. lie son mouvement au 20e B.C.P.. Le 3e bataillon du 149e R I. est, lui aussi, parti en avant à la première heure du matin. Les taillis touffus, les ronceraies et le brouillard épais ralentirent sa marche. Quelques balles de patrouilleurs ennemis qui s’enfuyaient l’ont obligé à balayer tout le bois. Arrivées à la lisière les sections de droite sont prises sous le feu d’écharpe de mitrailleuses qui vient de la direction d’Ablain-Saint-Nazaire, mais à gauche la progression s’avère plus facile. L’artillerie qui n’a pas pu tirer dans la matinée, vers midi, entre en action au bois de la Haie, et pousse une section du 12e R.A.C., sous les ordres du lieutenant Robert, dans le bois même de Bouvigny et jusqu’à la lisière est, à hauteur des premiers éléments de l’infanterie, assurant ainsi une liaison particulièrement intime avec les deux armes. La 5e compagnie et le peloton de la 2e du 1er B.C.P., qui ont été placés sous les ordres du capitaine Laure, sont bloqués par les tirs ennemis, tandis que le reste du bataillon organise le point d'appui de l'ancien moulin Topart.

16 h 00, le bataillon Laure et le bataillon Michaud se sont mis en liaison. À 21 h 00, le capitaine Laure envoie au général commandant la 43e D.I. le compte rendu suivant : « Situation en fin de journée : à la nuit ma 1ère ligne avait pu atteindre une grande haie traversant du nord au sud l’arête de Notre-Dame-de-Lorette, à environ 300 m à l’ouest de Notre-Dame-de-Lorette. Haie sur laquelle je me trouvais en liaison à gauche avec le 20e B.C.P.. Deux de mes sections environ ont pu sauter sur des tranchées allemandes situées à mi-chemin entre la haie et Notre-Dame-de-Lorette, et les occuper.

À la faveur de la nuit, une compagnie fraîche du 149e R.I. (5e compagnie) prélevée sur celles amenées par le lieutenant-colonel Escallon, a pris sous son commandement mes deux sections occupant un peu en avant la tranchée allemande. Cette 5e compagnie se trouve en liaison à gauche avec une compagnie du 20e B.C.P. qui occupe la partie gauche (nord) de la haie.

Il y a quelques Allemands qui se trouvent encore réfugiés dans la chapelle crénelée et ses abords, mais vraisemblablement très peu. Le point critique pour le maintien de l’occupation du terrain conquis est le rebord sud du plateau, face à Ablain-Saint-Nazaire. De ce village sont partis toute la journée des feux nourris et ajustés d’infanterie et surtout d’artillerie. Sur ma demande, 2 compagnies fraîches (8e et 6e compagnies) s’occupent cette nuit de l’organisation défensive de ce rebord.

Mes 4 compagnies se reconstituent à la lisière est du bois de Bouvigny, moins une demie de la 12e compagnie que j’envoie à la garde des tranchées faites par le génie au moulin de Bouvigny (avec ordre de les occuper surtout face au nord puisque je tiens maintenant assez fortement le plateau pour que le repli face au bois de Bouvigny ne soit pas d’une grande importance) et moins une demie de la 10e compagnie (peloton d’Estrée-Gauchie). 

J'ignore la destination donnée à ce dernier élément, et je demande que ces deux sections me soient rendues si possible. À ma droite, les 6 sections du 1er bataillon (capitaine Delporte) me couvrent en tenant les lisières sud-est du bois de Bouvigny, face au saillant ouest d’Ablain-Saint-Nazaire. Si cette compagnie est rendue demain à son bataillon, il faudra assurer la couverture du 149e R.I. face à Ablain-Saint-Nazaire. Le lieutenant-colonel Escallon a repris ce soir le commandement de l’ensemble ; 2 bataillons du 269e R.I. sont venus, je crois, se mettre à sa disposition un peu avant la nuit ».

Pour soutenir, en effet, l’action des unités qui attaquaient le plateau de Lorette, le commandement avait pris diverses dispositions. Les 2 bataillons disponibles du 149e R.I. avaient été portés dans le bois de Bouvigny, et au nord, près de la ferme Marqueffles, 2 bataillons du 10e C.A., un du 41e R.I. et un du 70e R.I., envoyés à Mazingarbe à la fin de la matinée, les remplaçaient en réserve. Le 269e R.I. transporté d’Arq en autocars et envoyé en renfort du 149e R.I, sous les ordres du commandant Wurmster, se trouvait au soir à Aix-Noulette ; là il était employé pendant la nuit à transporter des outils destinés aux troupes qui occupaient le plateau de Lorette.» 

                  la_maison_foresti_re

Extraits du livre "Lorette une bataille de 12 mois" d'Henri René aux éditions Perrin et cie.

« Quel brouillard ! On n’y voit pas à dix pas…Les ordres brefs de notre chef, nous actionnant hardiment vers l’avant, accroissent notre confiance. Tout le monde en ligne, en tirailleurs et à grands intervalles, pour les compagnies de tête. Les compagnies de queue suivront en colonnes minces. Des patrouilles, bien commandées couvriront ce dispositif. On avance résolument, quoique lentement, car le taillis est épais et à gauche il y a encore des coups de fusil : il faut pourtant balayer tout le bois et ne laisser derrière soi aucun traquenard. Vers la lisière nord, on rencontre nos tués de l’échauffourée d’hier soir…De temps en temps, dans le brouillard épais, des formes se détachent : l’ennemi ? Non, des faisans, dont le brouillard, amplifie les mouvements. Voici d’ailleurs «la Faisanderie», rendez-vous de chasse gracieusement niché dans le bois. On fouille rapidement, et on passe l’orée du bois. À droite du chemin central, nos sections de pointe nous attendent et respirent en nous voyant. Elles n’ont pas été attaquées dans leur solitude, mais, pendant la deuxième partie de la nuit, elles ont entendu des va-et-vient de troupes et de voitures tout près d’elles, là, sur la gauche, entre la Faisanderie et la lisière nord du bois… Elles ont fait le gros dos, sans bouger, heureuses de se sentir au point du jour redevenues maîtresses de la situation.

9 h 00 : Les ailes reçoivent des balles, partant des patrouilles ennemies qui se retirent devant elles. Le centre est gratifié par de violentes rafales de 77 au moment où il se déploie en lisière. Bon gré mal gré, le combat commence. Le 77 est cuisant, ses obus tombent dru et juste… Satanées pièces, elles ne doivent pas être loin : probablement aux abords de la chapelle qu’on ne voit pas encore. Quelques tués, de vingt à trente blessés. Le rassemblement de départ s’élargit sans qu’il soit besoin de donner des ordres dans ce sens, et le gros du bataillon appuie vers la pointe du bois se prolongeant au nord. La pointe du sud est moins hospitalière : on y reçoit des balles qui vous prennent de travers et semblent venir de la plaine, vers Ablain-Saint-Nazaire et Carency. Allons-y par la gauche, puisque la porte paraît céder de ce côté. Au centre et à droite, la ligne de tirailleurs élargit encore ses intervalles, et peut ainsi venir s’accrocher à la petite crête qui relie transversalement les deux pointes.

Les données de l’engagement se précisent. De cette crête que nous occupons maintenant et où nos tirailleurs se terrent en attendant que le dispositif de combat ait pris sa forme définitive, on aperçoit à l’est, en fond de tableau, une haie qui coupe le plateau. Derrière la haie, un clocheton émerge, à 1500 ou1800 m. C’est de là que partent les 77 ; de là aussi, des balles qui, maintenant que nous sommes vus, sont beaucoup plus ajustées.

Vengeance : nous entendons l’aboiement caractéristique du 75, sans doute nos quatre canons du bois de la Haie, qui viennent frapper dans les jambes des Allemands, autour de la chapelle. L’intervention de notre artillerie « donne du cœur au ventre ». Et puis, les gars, il faut marcher, coûte que coûte ; car voyez ce commandant de chasseurs à pied, qui arrive auprès de votre chef, écoutez son appel. Ses chasseurs, avant-garde de la première division descendue de Lille et dela Bassée, ont attaqué cette nuit les pentes de la chapelle par le nord. L’abordage à la baïonnette, plusieurs fois renouvelé, a été sanglant. Plus de cent des nôtres y sont restés, et au moins autant d’Allemands. Nous n’avons pas pu tenir aux abords immédiats de la chapelle, mais nous sommes accrochés au haut des pentes, sur le rebord du plateau. Notre situation, des plus critiques, redevient bonne avec vous. A tantôt : nous vous attendons. Nous tiendrons jusqu’à votre arrivée.

Tout s’agence et s’arrange. Un grand lieutenant d’artillerie nous annonce en même temps qu’il est à la Faisanderie avec deux pièces. On va pouvoir les utiliser pour appuyer directement notre action, pendant que celles d’en bas, du bois de la Haie, continueront leur tir d’écharpe.

Le grand lieutenant joyeux de prendre sa part de si près à un combat d’infanterie, fait plaisir à voir. Il donne ses ordres :

Une pièce en batterie sur le chemin, entre la Faisanderie et la lisière. Les téléphonistes, déroulez le fil jusqu’ici. Allô…pièce prête ? 2400…

Les trajectoires rasantes de ce tir tendu frôlent nos dos, dans nos trous de tirailleurs, mais leur effet moral nous fait bondir. Et nous sommes décidément, résolument, sans esprit de retour, lancés sur le  « tapis de billard », bien convaincus désormais que tout mouvement de recul nous coûtera plus cher que l’assaut. Les bonds : à allure extrarapide. Les arrêts : en manœuvre mieux qu’au terrain d’exercice !

Cette progression, pied à pied, commencée à 11 h 00, nous a fait gagner encore 1000 m, quand arrive 17 h 00.

Les 77 ont taillé dans la chaîne d’attaque, et aussi une certaine mitrailleuse qui « crache » on ne sait trop d’où, part là-bas, en avant et à gauche, croisant ses feux avec celle d’Ablain. Mais ces Allemands travaillent mal, on voit que les chasseurs de la 1ère division les ont déjà « sonnés », et ils ne nous font même pas peur ! Ils nous offrent inutilement le spectacle de quelques 105 qui s’en vont, mi-fusants, mi-percutants, couper des branches du bois où nous ne sommes plus.

Tout le monde n’est pas de fer. À preuve, cet homme, pourtant point blessé, qui s’en va hurlant et ricanant, les yeux hors de la tête, les bras ballants, les jambes flasques... Il est fou. On n’y fait pas attention, ce spectacle étant assez courant pendant les « marmitages ».

Le capitaine commandant sort, avec sa dernière vague de renfort : le 77 a vu et reconnu un groupe de commandement ; ils sont « salués de première », trois agents de liaison sur quatre sont fauchés, la vague dispersée. Par bonheur, le gros du régiment arrive à ce moment dans le bois : on l’a transporté en autos, et, à la nuit tombante, une compagnie de renfort, la 5e compagnie est mise à notre disposition. Son débouché est plus heureux que celui de notre derrière vague, et bientôt, elle vient, à la faveur de l’obscurité, talonner la chaîne, qui n’avait plus beaucoup de vitalité, pour l’entraîner d’un bond jusqu’à la haie.

Il fait nuit. On se « rameute » derrière la haie : une fraction la dépasse et se jette dans une tranchée allemande dont les derniers défenseurs se retirent précipitamment vers la chapelle.

À gauche, on donne la main aux chasseurs de la 1ère division qui garnissent toute la partie nord de la haie et vont pouvoir ensevelir quelques-uns de leurs morts…

À droite, il s’agit de se rabattre face à Ablain, car si l’ennemi s’avisait de remonter par là, les résultats du combat seraient bien compromis.

Appel à voix basse. Échange de poignées de main. Les patrouilles d’officiers circulent pour reconnaître le terrain et en préparer l’occupation. Nous tenons bien le plateau, tout le plateau. L’ennemi a laissé une arrière-garde à la chapelle, mais son gros semble se replier au-delà.

On n’en peut plus, ce soir. On va s’accrocher à la haie et investir la chapelle à très courte distance. On y entrera demain d’un coup de main résolu, avec une unité fraîche. Des groupes d’officiers de 2e bataillon viennent à nous… On se passe les consignes de combat. Nous laissons sur place nos unités au contact immédiat, notamment celle qui occupe la tranchée allemande à mi-chemin entre la haie et la chapelle. Nos remplaçants garnissent la haie avec une compagnie, échelonnent une 2e compagnie face à Ablain, placent les autres en réserve à la lisière nord-est du bois. Et nous allons, près de la Faisanderie, nous compter, nous reconstituer... et nous reposer. »

 Sources :

« Journal des marches et opérations de la 85e brigade ». S.H.D de Vincennes. Réf : 26 N 20/10.

Les archives du S.H.D. de Vincennes ont été consultées.

« Lorette, une bataille de douze mois ». Henri René, aux éditions Paris, Perrin et Cie – 1929.

« Les combats de Notre-Dame-de-Lorette ». Capitaine J. Joubert, aux éditions Payot – 1939.

La photographie de groupe du 149e R.I. est antérieure à août 1914.

 Un grand merci à M. Yassai, à A. Carobbi, à M. Porcher, à l’association « collectif Artois 1914-1915 » et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

<< < 10 20 30 40 50 60 70 71 72 73 74 75 > >>
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
Visiteurs
Depuis la création 840 684
Newsletter
41 abonnés
149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.