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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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14 janvier 2022

25 octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

25 octobre 1918 l'abbe Henry temoigne

 

Le 149e R.I., tout juste remis des attaques de septembre, se prépare à repartir au combat. Un bataillon reconstitué avec les effectifs réduits du régiment est mis sous l’autorité du commandant Froment.

 

Le lieutenant-colonel Vivier prend le commandement d’un groupe composé de 2 bataillons du 1er B.C.P. et du bataillon Froment. Les chasseurs seront les premiers à être engagés. Le bataillon Froment, plus en arrière, constituera la 3e vague d’assaut.

 

L’aumônier Henry quitte Lor pour rejoindre le P.C. du lieutenant-colonel Vivier installé à le Thour. Le P.C. est éloigné de la 1ère ligne. Les informations arrivent par téléphone. Elles sont souvent contradictoires.

 

De Lor à Le Thour

 

Messe à 6 h 30.

 

Le Boche est resté très nerveux jusqu’au déclenchement de notre artillerie à 6 h 30. Il est certain qu’il se doute de quelque chose. Il ne faut pas compter sur l’effet de surprise, il faudra que notre artillerie donne son plein.

 

Le tir boche est si ennuyeux que je ne peux commencer ma messe qu’à 6 h 30. Dès 5 h 30, le G.B.D. est venu se mettre à la disposition de M. Rouquier qui a expédié Papoz et ses hommes à M. Jourdan au 1er B.C.P.. Cela fait bien du monde dans la rue à un moment quelque peu dangereux. La voix claironnante de Clairac indique que M. Vignot est arrivé avec son état-major.

 

6 h 30. Au moment où je commence ma messe, le tir général se déclenche. Quelle musique ! Les 280, qui sont proches de nous, sont particulièrement désagréables. À chaque coup, les ardoises descendent des toits. Tout tremble dans les maisons déjà si peu solides.

 

7 h 30. Première nouvelle. Elles sont mauvaises. Cette nuit, le bataillon Froment a eu, par un seul obus, 5 tués et 6 blessés, sur la route de le Thour.

 

Mon Dieu, de grâce, épargnez-nous ! C’est la 6e compagnie qui a eu ce coup malheureux. L’obus est tombé en plein sur la section !

 

Visite de M. Vuillaume, de M. Vigneault. Ces M.M. ne savent rien de l’attaque.

 

9 h 00. Voici des blessés, une dizaine (158e, 1er B.C.P., un artilleur), deux Boches, utilisés comme brancardiers. On signale un officier boche prisonnier qui vient d’entrer à l’I.D., en face. Quelques ypérités. Les Boches ont envoyé des obus à ypérite surtout sur les batteries. Il est fort heureux que les Boches soient à court d’ypérite ; il nous ferait beaucoup de mal et nous gênerait considérablement.

 

10 h 00. Déjeuner de bonne heure, afin de pouvoir gagner le Thour le plus tôt possible. Il est vrai que rien ne presse encore.

 

C’est le 1er B.C.P. qui attaque ce matin ; le commandant Froment, avec son bataillon, est toujours en réserve, en avant du village de le Thour. L’objectif de la division à atteindre dans la journée est assez considérable et comporte pas mal de difficultés ; un simple coup d’œil sur la carte suffit pour s’en rendre compte.

 

Le 1er B.C.P., partagé en deux bataillons, forme les deux premières vagues d’assaut ; le bataillon Froment partira en troisième vague. L’objectif des chasseurs constitue le gros morceau à enlever.

 

Ils doivent prendre le système de tranchées connu sous le nom de « Hunding stellung ». C’est une véritable forteresse à enlever, constituée par plusieurs tranchées et je ne sais combien de réseaux de fil de fer.

 

La partie de la ligne la plus difficile à enlever est certainement le village de Banogne que les Boches ont organisé comme ils savent le faire. Le mouvement du 1er B.C.P. avec les différentes préparations d’artillerie doit occuper toute la matinée.

 

Ce n’est guère que vers midi que le 149 s’élancera à l’assaut en troisième vague. Son objectif est de presser le Boche quand celui-ci aura été bousculé par le 1er B.C.P. et chassé de son repaire « Banogne et Hunding » et de le poursuivre jusqu'à Hannogne. Objectif intéressant, a déclaré le colonel, car ce sera de la guerre en rase campagne, de la guerre de manœuvre.

 

La partie se joue en ce moment. Depuis deux heures, les chasseurs, appuyés par le 158, à qui revient le périlleux honneur d’enlever Banogne, à droite, sont partis de l’avant. Où en sont-ils en ce moment ? Ici, nul ne le sait ; c’est trop loin du P.C. du colonel.

 

Un officier de l’I.D. que j’interroge me déclare qu’à l’I.D. on ne sait rien encore. Je commence à savoir interpréter ces réponses évasives. Aux jours d’attaque, « Pas de nouvelles » veut dire « Mauvaises nouvelles », du moins, je le crains et c’est le cœur plein d’appréhensions que je prends le chemin de Le Thour.

 

Je m’en vais seul, le docteur Rouquier n’a pas les mêmes raisons que moi de se presser. Il est 11 h 00. En partant, j’aperçois le sergent Arnould, de la musique, qui marche en traînant le pied ; un éclat d’obus ou une pierre, je ne sais au juste, lui a contusionné le pied. Rien de grave, mais le voici hors de service pour quelques jours.

 

De Lor à le Thour, 2 km 500. À droite et à gauche, des canons, des caissons, des munitions. Les attelages sont alignés le long de la route. Les canons de 185 et de 75, tout fumants de l’effort qu’ils ont fait depuis 6 h 30, ne crachent plus leur mitraille que par intermittence. Et pourtant, si je me souviens bien du plan des opérations, ils devraient en ce moment donner leur plein pour l’attaque du 149.

 

Carte 1 temoignage aumonier Henry du 25 octobre 1918

 

Non vraiment, je n’augure rien de bon ! Le soleil a beau briller dans le ciel et jeter sur la campagne sa lumière réconfortante et joyeuse, je sens qu’il fait de plus en plus nuit dans mon cœur. Non, non, si brillant soit-il, ce soleil n’est pas celui d’Austerlitz. À gauche, à la sortie du village, un cimetière boche ; sur chaque tombe, une croix en pierre basse et massive, remarquable de mauvais goût.

 

Ce que je vois sur la route n’est pas fait pour dissiper ma tristesse : des cadavres de chevaux ; ce serait peu ; mais voici un soldat dont le corps est étendu sans mouvement sur le bord de la route ; plus loin un autre. Près d’un bois, un poste de G.B.D.. Ils ont vu passer un certain nombre de blessés, mais ils ont surtout évacué des ypérités.

 

Enfin, voici le village de le Thour : des maisons éventrées, des cratères de mines avec des amas de décombres, de plâtras de charpentes renversées. Le village est détruit, détruit comme Souain, comme Deniécourt. Mais ici ce ne sont pas les obus, ce sont les mines qui ont opéré. À l’entrée du village, encore un mort ; détail macabre, sa capote brûle, le feu doit être dans sa cartouchière ; j’essaie de la retirer ; je n’y réussis qu’en partie.

 

P.C. du colonel. C’est une cave, une de ces caves que les boches n’ont pas cru devoir faire sauter. Il en reste quelques-unes qui ont été épargnées ; le P.S. du 158 est dans la cave voisine. Le père Bruneau assiste là les blessés. La première nouvelle que j’apprends en arrivant, c’est que tout le P.S. du 31e, installé à la sortie est du village, a été ypérité. Le père Poirot, le médecin, eux-mêmes ont été évacués, très gazés.

 

Au P.S. du colonel, je n’ai pas besoin de demander où en est l’attaque, je vois la réponse sur les figures : « Ça n’a pas collé ? – Non ; c’est le bec ! – Alors ? – On va essayer de remettre ça ! »Le coup est manqué ; on va essayer d’y revenir ; je connais ça, c’est le coup d’Orfeuil. Gare à la casse ! À l’avance, je tremble.

 

Le lieutenant Viard est tué ! Il a été tué hier, dans la nuit. Il fait partie des cinq signalés comme tués. Il paraît que son corps était tellement abîmé qu’il était complètement méconnaissable. Dieu l’accueille dans son saint Paradis ! J’aime à me rappeler que je l’ai vu à la messe le dimanche ; c’était un bon camarade et un chef sympathique. Je n’en ai entendu dire que du bien ; en plus, c’était un modeste.

 

L’attaque reprise ce soir n’a pas donné les résultats espérés ; mais, par contre, elle a été fertile en incidents. Au P.C. du colonel, je les ai vécus dans cette soirée, heure par heure, minute par minute. Chaque unité a sa manière, son genre.

 

Les façons des chasseurs ne sont pas celles des fantassins ; le 1er B.C.P. ne rend pas le même son, ne donne pas la même note que le 31e. Le 1er a son genre ; le 149 a le sien qui est autre.

 

L’idée de mettre en ménage deux unités de caractère, deux tendances aussi différentes, n’était certes point banale ; je n’ose dire qu’elle était heureuse.

 

Ces tendances particulières se sont affirmées ce soir par des manifestations répétées qui les ont mises en plein jour. Le soir arrive : où en sommes-nous de l’attaque ? On compte, on calcule au P.C. du colonel. Ici ce n’est pas tout à fait comme dans la vie normale : les mauvaises nouvelles vont moins vite que les bonnes.

 

Dans ces moments d’attente qui paraissent interminables, le P.C. prend une physionomie qui vaudrait la description. On sent l’angoisse au fond de toutes les âmes, mais une angoisse qui ne veut pas se laisser voir, que les attitudes s’appliquent à ne pas trahir.

 

Quelle fièvre, c’est le téléphone qui semble à ce moment le point vital du P.C.. Sur lui, tous les regards sont fixés : pauvre téléphone qui n’en peut plus, mais c’est à lui qu’on s’en prend, c’est sur lui que se déverse la mauvaise humeur. S’il se tait, on le secoue pour le faire parler. Allô ! Allô ! - S’il parle, on l’écoute avec humeur !

 

Il parle ! Il signale des fusées vertes sur la ligne Hunding. Vite on interroge le code : fusées vertes = objectif atteint. Quoi ! Ce serait trop beau ! Voilà qui demande confirmation. Allô ! Téléphone !… Mais parle donc ! Il parle.

 

C’est bien vrai : le commandant du 1er B.C.P. signale que ses intrépides chasseurs ont atteint leurs objectifs. Pourtant, le colonel du 149e reste soucieux. Est-ce que vraiment la joie fait peur ? Il me semble qu’il transmet à l’I.D. cette nouvelle en des termes qui manquent d’enthousiasme.

 

Il a sans doute ses raisons pour cela. Pour moi qui, à toutes ces histoires, ne connais rien de rien, je note simplement que les renseignements successifs qui arrivent coup sur coup ne semblent pas toujours faciles à concilier.

 

Je ne vois pas, par exemple, comment les chasseurs peuvent occuper les lisières ouest de Banogne (ce qui fait partie de leur objectif) tandis que le 158e continue de faire tirer à coups de 155 sur le village lui-même. Je ne vois pas comment… mais, après tout, de quoi vais-je me mêler ? Est-ce que je vais me donner le ridicule d’essayer de voir, de comprendre des choses qui ne sont pas de ma compétence !

 

Quoi qu'il en soit, voici des prisonniers ! J’en compte une vingtaine, dont un officier ; un petit lieutenant qui parle français et qu’on fait descendre au P.C. aux fins d’interrogatoire.

 

Avec une parole un peu sèche, quoique polie, il veut bien expliquer en quel endroit il a été fait prisonnier. C’est un point tellement en arrière de notre ligne, qu’on hésite à le croire. Mais il est formel : il était là avec sa compagnie réduite à 40 hommes ; son capitaine blessé s’était retiré, il a pris le commandement. Il s’est défendu tant qu’il a pu, bien qu’il ait manqué de munitions. Les soldats français étaient passés sans le voir. Par deux fois, il avait envoyé chercher des munitions ; ses hommes ne sont pas revenus. Alors se voyant cerné, sans moyen de défense, il s’est rendu.

 

On essaie d’obtenir d’autres renseignements, peine perdue. Avec une candeur trop polie pour être honnête, il coupe court à toutes les questions : « Écoutez, Monsieur, je ne sais pas, je suis arrivé hier soir d’Allemagne sur le front ! » Ah ! Mon vieux, si tu crois que je te crois ! Tu ne veux rien dire ! Suffit ! À une question du lieutenant Barge qui lui demande s’il a des cartes sur lui, il répond froidement qu’il les a déchirées. Il est temps de renvoyer ce bonhomme ; avec son air de ne pas y toucher, il deviendrait impertinent.

 

Catastrophe au G.B.D.. Une nouvelle épouvantable arrive de Lor. Deux obus sont arrivés coup sur coup dans la cour où stationnait le G.B.D. et ont fait dans le personnel, dans les blessés qui attendaient, un véritable massacre. Tués : MM. Guillaumont, Dessagne, Goix, Luyton et plusieurs autres ; Morise mourant. M. Vuillaume blessé gravement, MM. Vignot, Clairac … etc, blessés. C’est la grosse, très grosse catastrophe ! Nous sommes tous atterrés. Jamais le G.B.D. n’a été éprouvé aussi gravement !

 

Message rectificatif du commandant Lebleu. Les chasseurs n’ont pas du tout atteint leur objectif ; ils n’ont pas du tout pris la ligne Hunding. Ils sont arrêtés à la route Saint-Quentin, Banogne…

 

Mais les fusées vertes lancées ? … lancées par les Boches ? … mais les comptes-rendus ? … à éclaircir…

 

Stupéfaction générale ! Mais stupéfaction dans laquelle il n’entre pas ou presque pas d’étonnement. Alors maintenant, il faut démentir tous les renseignements envoyés précédemment. Allons ! Pauvre téléphone ! Marche ! Transmet ! Et les exclamations se devinent à l’autre bout du fil ! …... Inouï… Incroyable ! … ça vous étonne !

 

Le général n’est pas content ! Il le fait savoir ! Docile, le téléphone transmet toujours ! Protestations ! « Ah, mais non ! Je n’accepte pas ! Je n’encaisse pas ! » Tout le monde est furieux.

 

Le pire c’est que les chasseurs se sont épuisés dans l’effort. Ils ont eu de la casse en hommes, en officiers. Le commandant demande à passer en deuxième ligne pour pouvoir reformer le bataillon désorganisé par les violences du coup.

 

Il demande. Mais c’est déjà fait. Le 149 est passé en première ligne. Le commandant Froment s’est porté en avant afin de parer au danger. Dans ces mouvements opérés d’urgence, la liaison n’a pas pu s’établir assez vite avec l’arrière. Le téléphone reste muet ! Tout n’est pas rose pour les officiers de liaison. Et ce qui complique tout, c’est que la nuit est venue, une nuit d’encre, où on ne voit pas à deux pas devant soi ! Que Dieu guide les agents de liaison.

 

Voilà donc le 149 en première ligne ! À lui maintenant de marcher ! L’officier boche prisonnier a déclaré que non seulement les Boches n’avaient pas l’intention de se replier, mais qu’ils avaient, au contraire, ordre formel de tenir coûte que coûte jusqu’au dernier !

 

Mon Dieu, que nous réservez-vous pour demain ? Allons-nous revivre les mauvais jours d’Orfeuil ? Il fait nuit ! Nuit sur la nature ! Nuit dans les cœurs.

 

Dans l’attente des évènements, je n’ose revenir à Lor. Ici pas de place ! N’importe, on peut dormir sur une chaise !

 

Et les tanks ? Ils étaient partis une quinzaine avec les chasseurs. Il en reste trois ! Le même canon anti-tank en aurait démoli onze à lui seul, dont quatre ont pris feu.

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes.

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