Un témoignage laissé par le lieutenant Paul Douchez (9e partie) Derniers préparatifs avant l’attaque de la Malmaison.
Les hommes de la 9e compagnie du 149e R.I. se préparent à remonter en 2e ligne dans le secteur nord-est de la ferme Volvreux. Cette fois-ci, ils vont devoir s’équiper lourdement.
La compagnie Claudin est installée avec la 10e dans une carrière aux Volvreux en attendant de rejoindre, quelques heures avant le déclenchement de l’attaque de la Malmaison, l’emplacement qui lui a été assigné.
20 octobre 1917
De Billy-sur-Aisne, nous allons en 2e ligne aux Volvreux. Les 9e et 10e compagnies, le petit E.M. la 3e compagnie de mitrailleuses, les brancardiers, etc… soit environ 400 hommes, sont entassés dans une carrière. La moitié dispose de « cadres ». Une cloison crée un dortoir-réfectoire pour les officiers de la compagnie. Une autre est réalisée pour l’E.M.. Des sacs, à terre, forment notre couche. Berteville dort sous la table, et moi-même à côté.
Dans cette atmosphère, lourde et viciée, les bougies s’éteignent. Les hommes sont pris de vomissements, je souffre de la tête. Deux ventilateurs sont là, mais il manque, paraît-il, des bouts de tuyaux pour pouvoir les mettre en action.
Le 2e jour, nous crevons la voûte. Par ce puit, il sort continuellement une épaisse colonne de vapeur, sans que nous trouvions un soulagement sensible. Notre respiration condensée retombe sur nous en gouttes d’eau. Les hommes s’obstinent à obstruer les deux entrées entre lesquelles pourrait s’établir un salutaire courant ; ils y restent groupés, à trois ou quatre.
Respirer dehors est dangereux. Les accès sont vus des chenilles et des P.O., auxquels nous aurions avantage à cacher notre présence. En dépit d’une consigne formelle, les abords sont constamment animés. Nous ne tardons pas à avoir plusieurs tués.
Derrière nous, il y a des 75. Notre aspirant, en séjour au C.I.D. y a été affecté, après une brève instruction, comme chef de pièce. Un obus éclate à l’intérieur du canon. Il est tué ainsi que deux autres servants.
Claudin et moi, nous allons nous découvrir devant son jeune corps mutilé. C’était notre meilleur gradé.
Des pièces lourdes sont en contrebas de ces batteries. Nous nous complaisons à suivre, à l’œil nu ou à la jumelle, la trajectoire de ces gros obus qui martèlent les premières lignes adverses. Le résultat de ce travail préparatoire est tel que nos soldats des 1ère lignes, hors de la tranchée jusqu’à mi-corps, le contemplent impunément, sans qu’un ennemi se risque à tirer.
Nous voyons exploser nos récents 400 sur le fort de la Malmaison.
Nos patrouilles nocturnes trouvent détruites et abandonnées les tranchées avancées. Mais en se retirant au petit jour, elles aperçoivent les détachements ennemis qui viennent les réoccuper !
Sous cet orage, contre lequel leur artillerie ne réagit que faiblement, soit par paralysie soit parce qu’elle se retire en prévoyance d’un recul, la valeur combative de notre adversaire reste forte. La nuit, les détachements ennemis parviennent, à deux endroits, à nous enlever des hommes pour se procurer des informations.
Des déserteurs vont aussi leur fournir des renseignements très précieux pour eux, grâce auxquels ils pourront nous rendre plus ardue et plus meurtrière l’action imminente.
La préparation d’artillerie s’étant révélée insuffisante, surtout à notre droite, au fort de la Malmaison, l’attaque est remise du 21 au 22 puis au 23 octobre.
21 octobre 1917
La 9e compagnie est commandée pour faire une patrouille. Il faut désigner un officier, un sous-officier et douze hommes, tous volontaires. La mission est de reconnaître, dans la tranchée du Blocus, face à notre front de départ, l’état de destruction de cette tranchée et son abandon présumé.
Le sous-lieutenant Berteville s’offre spontanément. Mais, sur ma demande, nous tirons à la courte paille. Le sort le désigne.
Berteville exécute sa mission sous la protection d’un barrage dit d’encagement.
Dans le même temps, je dirige le nettoyage des boyaux envasés que nous aurons à suivre pour gagner nos emplacements de départ.
22 octobre 1917
Le lieutenant Claudin, le sous-lieutenant Berteville, moi et deux sergents de la 9e compagnie ainsi que le sous-lieutenant Reigneau de la 3e compagnie de mitrailleuses, nous allons reconnaître notre position de départ qui est établie entre la « tranchée des territoriaux » (derrière) et la « tranchée nouvelle » (devant). Elle est lamentable, à peine assez profonde, et si étroite, que, non seulement on ne peut s’y croiser, mais aussi, grâce au bagage d’assaut, on racle les parois boueuses d’un bout à l’autre. Il en est de même pour le boyau C2 qui y accède.
Le sous-lieutenant Reigneau est chargé de nous accompagner pendant l’assaut avec deux pièces, jusqu’au ravin des Vallons.
Il n’y a pas d’abris, nulle « place d’armes » pour les croisements, nul gradin de franchissement. Où sont les principes ressassés sur l’organisation d’un secteur d’attaque ?
L’officier supérieur chargé des travaux a sans doute jugé qu’ils ne valaient pas un dérangement personnel. Les officiers qui avaient reçu l’ordre d’exécuter les travaux s’en sont désintéressés. Les travailleurs, qui n’utiliseront pas ses parallèles, et ne se voyant pas surveillés, ont expédié la besogne au plus vite et au plus mal. Comme toujours, en pareil cas, peu leur importe le massacre de leurs camarades, pourvu que leur paresse soit satisfaite.
L’ennemi, inquiet, commence à faire tirer son artillerie sur ce fossé. Il est visible que son tir n’a pas pu être réglé. S’il en était autrement, notre compagnie aurait été anéantie dans cette soi-disant parallèle, avant que ne soit arrivée l’heure de l’assaut.
Par contre, le boyau C2, déjà ancien et pris d’enfilade, reçoit en plein coeur des projectiles. Au retour, nous trouvons des éboulements qu’il n’y avait pas à l’aller. Les parapets du boyau sont copieusement servis. Durant ce retour, il nous arrive des obus à gaz « moutarde », toxiques, tout récemment mis en usage, avec lesquels nous faisons connaissance.
Cela me vaut la perte d’un pince-nez que j’ai posé sur une berne avant de mettre mon masque. Je l’oublie en partant.
Disposition générale avant l’attaque
Front d’attaque : 12 kilomètres
Axe du 149e R.I. : Gauche du fort de la Malmaison, origine du chemin des Dames, le bois de la Belle-Croix, le bois des Hoinets, la route du Point du jour comme objectif extrême.
Dispositif du régiment :
1er bataillon : Départ de la « Tranchée Nouvelle »
Mission :
-
Enlever les premières lignes.
-
Se fixer et se retrancher à hauteur de la route Paris-Maubeuge, direction sud-nord.
3e bataillon :
Départ de la parallèle (cent mètres derrière la Tranchée Nouvelle).
Mission :
-
Arrêt dans les organisations de premières lignes ennemies après leur franchissement par le 1er bataillon.
-
Dépasser le 1er bataillon et conquérir le terrain jusqu’à la route du Point-du-Jour.
Soit une progression supérieure à 3, 5 kilomètres.
Tanks : Quatre Saint-Chamond précèdent le régiment.
Liaisons : À gauche : le 109e R.I.
À droite : le 158e R.I.
Répartition de ma compagnie (la 9e)
1ère et 4e sections (la mienne) : dans la parallèle de départ. À ma droite, une section de la 2e compagnie de C.M..
2e et 3e sections : dans la tranchée des Territoriaux.
1ère phase : (1er bond)
Départ général simultané à l’heure H.
Le 3e bataillon, à l’allure accélérée, ira se coller au 1er bataillon, après avoir franchi la zone où s’abattra le barrage ennemi, avant son déclenchement. Il reprendra alors sa distance (une centaine de mètres) en s’échelonnant comme suit :
pointe de ma section (4e) en ligne de demi-sections :
1er arrêt dans la tranchée allemande des Épreuves. Éventuellement, renforcer la 1ère vague, qui se trouverait avoir rencontré une forte résistance et l’aider à forcer l’obstacle.
Immédiatement derrière, à droite, la section de mitrailleuses. À gauche, la 1ère section. 1er arrêt dans la tranchée allemande des Lassitudes.
Derrière encore : 2e et 3e sections.
Le commandant de la compagnie et sa liaison au centre.
Au premier arrêt, je devrai reconnaître, en avant du 1er bataillon, un emplacement pour le départ de ma section pour le 2e bond et le faire jalonner par quelques hommes. Je devrai ensuite y porter ma section, derrière laquelle, viendront se placer les autres sections de la compagnie, qui prend ainsi la tête de l’attaque.
J’ai obtenu spontanément du commandant de compagnie l’honneur de conduire cette affaire en ce qui concerne le front de notre régiment et plus difficilement du sous-lieutenant Berteville qu’il m’en abandonnât les risques d’abord revendiqués par lui.
2e phase : (2e bond)
À l’heure H : Départ du 3e bataillon, ma compagnie est en « losange ».
1ère vague : ma section qui devra briser toutes les premières résistances, sur un front d’un peu plus de 200 mètres (avec 32 hommes, gradés compris, non prévues les pertes subies à ce moment) disposition en tirailleurs à 7 m.
Échelon droite : section Berteville (1ère)
Échelon gauche : l’une des deux autres sections en lignes de demi-sections
Queue : la section restante
La section de mitrailleuses utilisant au milieu le terrain.
Tenue d’assaut :
Le bagage est énorme. D'abord, les armes : F.M., tromblons, fusils, baïonnettes, pistolets, cartouches, chargeurs de FM..
En plus, tout le monde porte :
des grenades offensives et défensives,
1 outil portatif,
2 masques : un en boîte de métal, l’autre pendu au cou,
2 grandes boîtes en métal protégeant les deux jours de vivres contre les gaz « moutarde »,
2 litres d’eau, de vin, ou de café,
2 petits sachets à délayer dans ¼ d’eau en cas d’absorption de gaz !!! (3 grammes de bicarbonate de soude),
2 musettes, non comprises les musettes spéciales des F.M.,
2 paquets de pansements,
1 couvre-pied en sautoir contenant la toile de tente et la vareuse,
L’attaque a lieu en capote.
Il y a d’autres matériels à porter, il faut répartir dans chaque section :
205 fusées, bengales, cartouches-signaux de toutes couleurs pour tromblon et pistolets spéciaux,
2 pistolets lance-fusées et un tromblon,
12 panneaux de signalisation pour avions,
Je renonce à contraindre mes hommes à emporter :
des grenades incendiaires, dont une sur douze en moyenne fonctionne ! (Combien touchent donc sur ces grenades les contrôleurs aux munitions ?)
Les sacs à terre prescrits,
La cuirasse ventrière, etc…
Pour moi, je n’ai pas d’outil, mais j’ai en plus mon caoutchouc, un porte-carte contenant les multiples cartes et plans, distribués jusque dans la « creute », un dossier pour C.R. et topos.
J’ai une canne à la main droite, la boussole lumineuse dans la gauche, le révolver dans sa gaine.
Sous un tel attirail, qui nous fait ressembler à des toupies hollandaises, tout se complique. Laisser pendre les bras, plonger une main dans une poche, atteindre ses paquets de pansements, circuler dans les boyaux sont autant de problèmes complexes. S’y croiser est impossible. Cependant, il faudra ainsi franchir le parapet, courir, sauter tranchées et entonnoirs, tomber et se relever, se coucher, monter, descendre, se battre enfin… Tous ces accessoires sont utiles, tous peuvent devenir indispensables, non seulement au succès de l’opération, mais aussi à la conservation individuelle.
La « préparation »
L’intensité de la préparation d’artillerie n’a jamais encore atteint ce degré au cours de la guerre. Dans une conférence faite aux officiers, elle a été donnée comme une préparation type. Placés en ligne, le nombre des canons serait d’un par 5 m. Que l’on s’imagine, si l’on peut, environ 2400 pièces d’artillerie, allant du 75 au 400, tonnant jour et nuit, sans parler de la réplique et des engins de tranchée.
À la destruction des positions, à la neutralisation des batteries adverses, doit succéder, pendant une minute, un tir de roulement redoublé, suivi du départ des vagues.
Ces dernières règleront leur allure sur un « barrage roulant » qui les précédera, à raison de 100 m toutes les 3 minutes, accompagné d’un barrage aérien de shrapnells destinés à atteindre les trous d’obus organisés.
Le prochain extrait des notes de Paul Douchez vont nous plonger au cœur de l’action de sa compagnie qui attend ses ordres pour gagner ses emplacements de départ.
Sources
Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.