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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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1 avril 2016

Souvenirs de la bataille de Verdun de Paul Portier (1ère partie).

Temoignage Paul Portier

Je me propose de retranscrire ici la partie du témoignage de Paul Portier consacrée à Verdun.

Je n’ai en ma possession que le volume dédié à l’année 1916. Je doute que son auteur se soit contenté de coucher sur le papier cette seule année de sa guerre.

Quoi qu’il en soit, le soin apporté à son travail montre toute l’importance et le poids qu’eurent pour lui ce conflit.

En mars 1916, le 149e R.I. va être engagé dans le secteur du fort de Vaux. Voici ce que cet homme raconte :

« Précipitamment, le 25 février 1916, nous faisons mouvement sur Auxi-le-Château où nous devons embarquer. Le temps est maussade et bientôt il neige. Nous ne connaissons rien sur la destination, mais celle-ci, d’après les bruits qui circulent, serait assez lointaine.

Le 26 février à 4 h 00, nous terminons les préparatifs d’embarquement et le train quitte la gare peu après. Le froid est devenu plus rigoureux et notre voyage devient, de ce fait, plus pénible. Enfin, le 27 à 8 h 00, nous débarquons dans la Marne à Saint-Eulien.

Carte_1_temoignage_Paul_Portier

Sans perdre de temps, nous nous mettons en marche pour Haironville, par la forêt des 3 Fontaines, Chancenay et Saudrupt. Nous cantonnons aux Forges d’Haironville.

Le 28 à 8 h 00, nous reprenons notre marche pour aller cantonner à Combles le 1er mars à Seigneulles.

Nous savons maintenant que les Allemands ont déclenché, sur Verdun, une attaque formidable et que notre corps d’armée est destiné à prendre contact assez rapidement. Nous restons en attente à Seigneulles jusqu’au 6 mars à 7 h 00, puis nous embarquons en autos pour nous rendre près de Verdun.

Le débarquement s’effectue sur la grande route, entre le fort du Regret et Verdun. Le régiment cantonne à Haudainville (E.M., C.H.R., 1er bataillon et 1ère C.M.R.) et dans les péniches amarrées sur le canal de l’est (2e et 3e bataillons et 2e et 3e C.M.R.).

Le 7 mars, conformément aux ordres reçus, la 85e brigade se porte, dans la soirée, en réserve de secteur, dans la zone « bois des Hospices et haie Houry ». Des emplacements de bivouac ont été retenus dans le bois des Hospices pour les unités du 149e R.I. qui s’y rendent dès 16 h 30. Elles empruntent la route d’Haudainville à Verdun, jusqu’au carrefour 800 m est des casernes Bevaux ; elles suivent ensuite les cotes 218 et 222, le cabaret ferme et la ferme Bellevue. Il fait très froid.

L’artillerie allemande déverse sur tout le secteur un déluge d’acier. Nous sentons que des heures douloureuses nous attendent. Les bruits qui circulent ne sont d’ailleurs guère de nature à relever le moral. Nous sommes las d’une attente prolongée où chaque minute ajoute encore à l’angoisse. Nous préférons, pour la plupart, entrer au plus vite dans cette danse macabre d’où, peut-être, nous ne reviendrons pas.

Malgré un barrage intense de l’artillerie lourde ennemie, sur la route et aux abords de la ferme Bellevue, nous parvenons sans trop de dégâts sur nos emplacements. Il n’existe ici aucun abri contre le bombardement qui continue d’être très violent.

Une certaine confusion semble régner et les ordres qui nous parviennent le reflètent bien. Il faut s’organiser. L’heure est grave et décisive. Les Allemands sont dans les parages du village de Vaux. Douaumont est tombé. L’artillerie qui fait rage risque de couper, ou, tout du moins, de rendre difficile les relations avec l’arrière.

En hâte, nous nous mettons au travail et nous creusons quelques tranchées sur nos emplacements.

Le 8 mars, le bombardement qui, le matin, avait quelque peu perdu de son intensité redouble dans la soirée.

Dans la nuit du 8 au 9, le 149e R.I. doit relever la 26e brigade sur les positions qu’elle occupe dans le secteur. En conséquence, dès 16 h 00, nous nous portons au bois de l’Hôpital, par la route Bellevue - fort de Souville.

Un avion allemand suit nos mouvements pour régler le tir de son artillerie. Nos pertes sont lourdes et nous sommes déprimés. Quel tableau d’horreur ! Des morts de tous les côtés, des blessés qui gémissent sans secours et les obus qui tombent toujours. Des sections sont complètement fauchées, quelle affreuse journée !

Au bois de l’Hôpital, un contre-ordre nous arrive. Les mouvements de relève sont suspendus. Nous devons rester à la disposition de la 26e brigade qui doit contre-attaquer sur Vaux-Douaumont. Nous restons toute la nuit en attente dans le bois. Ce n’est que le 9, vers 4 h 00, que nous nous mettons en marche dans la direction du fort de Souville. La route qui y conduit est très violemment bombardée. Les Allemands tirent des obus lacrymogènes, ce qui nous incommode très sérieusement.

À 5 h 00, nous sommes au fort de Souville dont l’entrée et les abords sont écrasés sous les obus. Nous reprenons haleine à l’abri sous les voûtes du fort, tandis qu’au-dehors, grondent sans cesse les pièces des batteries en position à proximité.

Nous attendons des ordres et de plus en plus nous devenons fiévreux. Nos nerfs sont tendus ; néanmoins, la journée s’achève dans les casemates du fort, au milieu des blessés. Nous devons monter au village de Vaux dans la nuit.

Le 10 mars, vers 3 h 00, nous quittons le fort et nous nous dirigeons par la route dans la direction du village de Vaux. La route n’est pas trop battue par l’artillerie, sauf au bois Chapitre et vers la voie ferrée où nous sommes accueillis par des rafales. Nous arrivons à Vaux en plein jour. Une mitrailleuse allemande balaye la route et il nous faut passer un à un en courant.

Carte 2 temoignage Paul Portier

Legende carte 2 temoignage Paul Portier

Nous nous arrêtons dans une maison en partie détruite où se trouvait installé le poste téléphonique de liaison. Les deux téléphonistes tués sont là, figés dans l’attitude où la mort les a surpris.

La première section place, dans un trou d’obus, à droite de la route et au sud du village, ses deux pièces. La 2e section met ses pièces en batterie, à droite de la route et à l’ouest de Vaux. Les 3e et 4e sections se tiennent en réserve dans une maison.

Le marmitage devient de plus en plus violent. Les pentes et le plateau de Vaux sont harcelés. Il faut s’attendre à une attaque à bref délai.

En effet, à la tombée de la nuit, elle se déclenche sur le plateau de Vaux. Elle cherche à nous déborder à notre droite. Nos pièces, qui étaient en batterie, ouvrent immédiatement un feu violent pendant que les deux sections de réserve viennent se joindre à nous.

L’artillerie française effectue un tir de barrage. Il est précis et dense, il décime les vagues d’assaut ennemies. Ajoutant encore au carnage, les artilleurs allemands tirent trop court. Ils massacrent leurs propres troupes.

À 20 h 00, la 4e section et une pièce de la 3e vont relever, à la barricade établie au milieu du village, les mitrailleurs du 409e R.I..

Pendant la nuit du 10 au 11, les Allemands lancent plusieurs attaques en essayant de progresser dans le village. Nous les repoussons vigoureusement, à la grenade et à la mitrailleuse.

Au cours d’une de ces attaques, l’ennemi a mis le feu à une maison à 40 mètres en avant de la barricade. À l’intérieur, des blessés français du 409e R.I., je crois non évacués, s’y trouvaient encore.

Quelques-uns ont pu rentrer dans nos lignes. Nous entendrons, pendant le restant de la nuit, les appels et les gémissements de ceux qui n’ont pu, en raison de leurs blessures, se traîner jusqu’à nous.

Le 11, à 2 h 00, les 1ère et 2e sections sont relevées par la C.M.B. du 158e R.I.. Elles se rendent en réserve au fort de Souville. Pendant la journée, les Allemands continuent de bombarder la région de Vaux.

Nous devons à notre tour être relevés dans la nuit du 11 au 12 par le 158e R.I.. Mais la compagnie de relève, en arrivant à Vaux, subit des pertes tellement lourdes qu’elle est obligée de se reconstituer, ce qui retarde d’autant cette relève.

Enfin, le 12 à 4 h 00, nous nous établissons dans les ébauches de tranchées et d’abris au bois des Hospices. Nous nous mettons immédiatement au travail pour améliorer ces positions. Les 1ère et 2e sections viennent dans la matinée se joindre à nous.

La journée du 12 s’écoule assez calme ainsi que celles allant du 13 au 16 mars. Quelques obus tombent de temps en temps dans nos parages. En ligne, le bombardement continue avec autant d’intensité.

Le 17 au matin, nous descendons aux casernes Bevaux où nous devons prendre quelques jours de repos dont nous avons d’ailleurs bien besoin.

Le 26 mars, le régiment se rend dans la région de Dugny et du fort de Landrécourt… »

Une seconde information trouvée sur l’acte de décès de Joseph Poulet nous apprend que Paul Portier appartient à la 1ère compagnie de mitrailleuses du 149e R.I..

Cette compagnie de mitrailleuses accompagne les 1ère et 4e compagnies du bataillon Magagnosc qui ont été engagées dans les attaques du village de Vaux-devant-Damloup.

Pour en savoir plus les déplacements et les positions occupées par ces éléments du 149e R.I. durant les journées évoquées dans le témoignage de Paul Portier, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Vaux-devant-Damloup 2

Sources :

Témoignage de Paul Portier, soldat du 149e R.I., inédit, collection personnelle.

La roulante qui se trouve sur le montage fait partie de la collection du musée du fort de Seclin.

Pour en savoir plus sur le musée du fort de Seclin, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Fort_de_Seclin

Site « Mémoire des Hommes ».

Copie de l’acte de décès de Joseph Poulet.

Un grand merci à M. Bordes, à S. Agosto, à A. Carobbi, à la famille Boniface, au musée du fort de Seclin et à la mairie de Vienne, sans qui l’auteur de ce témoignage n’aurait pas pu être identifié.

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