Dans son témoignage rédigé après le conflit 1914-1918, le soldat Paul Portier, de la 1ère compagnie de mitrailleuse du 149e R.I., se souvient de son arrivée dans la Somme. Sa compagnie prend position dans le bois Étoilé en attendant son engagement dans la bataille.
Bois Étoilé
« Nous venons de quitter la Champagne, où nous avons eu la chance de passer quelque temps dans le calme.
Après un voyage comme beaucoup d’autres, sans confort et d’une lenteur désespérante, nous débarquons le 13 août à 9 h 00, à Crèvecœur-le-Grand dans l’Oise, pour prendre la route et nous rendre au Saulchoy où nous cantonnons.
Notre séjour ici ne paraît pas devoir durer très longtemps. Nous nous trouvons à l’arrière du front de la Somme. Certainement que nous allons être bientôt engagés dans la bataille, dans un délai relativement court.
Le 18 août, en effet, nous quittons Le Saulchoy à 2 h 45 pour embarquer en automobiles à 7 h 30 à la sortie ouest de Francastel. Le débarquement s’effectue à 11 h 30 à Harbonnières, où nous restons une partie de la journée.
Le soir, déjà tard dans la nuit, nous relevons, dans les positions du bois Étoilé, les mitrailleurs du 233e R.I.. La relève est faite dans le calme. Le secteur est peu agité, bien qu’à sa gauche, sur Péronne, règne une vive activité des artilleries.
Le 19, la journée est assez calme, mais toujours à notre gauche, l’artillerie demeure active.
Depuis notre arrivée ici, j’assure la liaison. C’est un dur métier, surtout dans un secteur dont nous ignorons encore tout.
Le 21, je descends chercher la relève du 166e R.I. à l’entrée du boyau Collet à Herville. L’artillerie allemande se réveille un peu et arrose nos boyaux de communication. Néanmoins, la relève s’effectue bien et nous descendons à Harbonnières où nous cantonnons la journée du 22.
Le 23 à 5 h 40, nous faisons mouvement sur Guillaucourt.
Dès notre arrivée, les Allemands envoient quelques obus dans les environs de la gare, sans d’ailleurs occasionner de pertes ni dégâts.
Le 24, à 16 h 00, nouveaux bombardements, sans plus de mal que la veille.
Le 26, à 16 h 00, nous nous mettons en route pour monter en ligne près du village de Soyécourt où nous devons relever, à la tranchée du Seigneur, la 3e C.M. du 149e R.I..
Nous passons par Harbonnières, Framerville, le ravin de Rainecourt, le ravin d’Herleville, le boyau C6 et la tranchée des Abris. Nous parvenons à la tranchée du Seigneur, laquelle est située au nord du village de Soyécourt. Notre artillerie est très active et les Allemands ripostent assez vivement sur nos tranchées.
La journée du 27 est relativement calme.
Le 28, de 6 h 00 à 10 h 00, notre artillerie effectue sur les positions adverses un tir assez violent dans tout le secteur. L’artillerie de tranchée s’en mêle aussi et bientôt la riposte arrive dans toute sa brutalité. Nos tranchées sont violemment prises à partie.
Le 29 août, la même activité continue. La 2e compagnie de mitrailleurs du lieutenant Auvert nous relève dans la nuit. Nous descendons cantonner dans les bivouacs, près d’Ignaucourt, où nous arrivons le 30 à 5 h 00. La relève est très pénible, il pleut.
Soyécourt
Les évènements vont se précipiter maintenant. Le secteur est en pleine activité et comme toujours, pendant ces périodes, les bruits les plus fantaisistes circulent. « Les tuyaux de la roulante », comme il est d’usage de les appeler, sont à l’ordre du jour.
Il est bien évident que nous ne sommes pas là pour enfiler des perles et l’exercice, que nous exécutons le 2 septembre dans une formation précise, n’est pas autre chose qu’une répétition générale. D’ailleurs, nous savons maintenant que notre mission sera d’enlever le village de Soyécourt et de progresser en avant, en direction d’Ablaincourt.
Le 3 septembre, à 6 h 30, nous faisons mouvement et campons dans le ravin de Guillaucourt où nous demeurons jusqu’à 17 h 00. Nous reprenons notre marche ensuite et parvenons près des premières lignes le 4, seulement à 1 h 00. Nous restons en attente dans les abris du bois Keman.
À 3 h 00, nous nous portons à la parallèle IV, d’où nous devons partir à l’assaut de Soyécourt à l’heure H que nous ne connaissons pas encore.
Notre artillerie est très active et l’ampleur du bombardement s’augmente au fur et à mesure que nous approchons du moment décisif.
À 13 h 40, on nous communique : H égale 14 h 00.
Nous nous plaçons de suite dans la formation prévue, entre la 9e compagnie et la 1ère (capitaine Canon).
Les réactions de l’artillerie allemande sont faibles et tout semble militer en faveur d’une action heureuse.
À 14 h 00, l’attaque se déclenche dans le calme. Notre artillerie allonge progressivement son tir.
Les premières vagues d’assaut avancent dans le village après avoir enlevé la 1ère ligne allemande qui est terriblement bouleversée. De nombreux prisonniers sont faits dans les abris, surpris par la soudaineté de notre avance.
Cependant, les Boches des lignes de soutien commencent à diriger sur nous une vive fusillade qui augmente encore aux abords du château. Des mitrailleuses nous fauchent de tous côtés, mais rien ne nous arrête. Nous progressons toujours. Nous passons les dernières maisons ou plutôt les ruines de Soyécourt vers 14 h 30.
Nous sommes maintenant en plein terrain découvert, par conséquent plus vulnérables encore et la fusillade continue, aussi violente. Nous subissons des pertes, mais nous avançons toujours en direction d’Ablaincourt.
À 15 h 00, nous nous trouvons à hauteur du boyau de la Reine que nous empruntons jusqu’au moulin détruit où nous nous organisons. Nous mettons nos deux pièces en batterie.
La progression sous les ailes tant sur notre gauche (Deniécourt) que sur notre droite (Vermandovillers) paraît arrêtée.
La situation est un peu confuse et nous ne savons pas si des éléments de chez nous sont en avant. Nous cherchons la liaison à droite et à gauche, de façon à pouvoir nous organiser avant la tombée de la nuit.
Je pars en reconnaissance en avant du moulin détruit. J’emprunte le boyau valet jusqu’à une première tranchée, mais là, j’hésite à m’aventurer trop loin, de peur d’être coupé. Vivement, je file jusqu’à un pare-éclats pour jeter un coup d’œil et tombe, nez à nez, avec cinq ou six grenadiers allemands.
Ma surprise est vive. Machinalement, et sans viser, je tire un coup de révolver. Je ne cherche pas à connaître le résultat, car je n’ai plus rien à faire ici, sinon me faire tuer inutilement. Il me faut donner l’alarme et avertir que les Boches occupent les tranchées et que les grenadiers s’avancent par le boyau.
Rapidement, je suis revenu auprès de la section et l’alerte est donnée.
Le 31e B.C.P., qui se trouve en liaison immédiate avec nous, à notre gauche, détache quelques grenadiers qui repoussent les grenadiers allemands. Quelques instants après, les Boches tentent encore un mouvement et progressent légèrement dans le boyau. Nos pièces semblent à ce moment menacées. Aussi, nous portons-nous plus à droite, dans une tranchée située entre le moulin et la ferme sans Nom.
Avant la tombée de la nuit, les chasseurs ont organisé un barrage dans le boyau et nous sommes maître de la situation.
À 17 h 00, je me rends à Soyécourt, pour y chercher le ravitaillement de ma section. Le boyau qui y conduit, ainsi que le village, sont très vivement bombardés par l’artillerie allemande. Tard dans la soirée, il pleut et nous avons de sérieuses difficultés de circulation. La liaison est très malaisée.
Enfin, dans la nuit, je trouve la corvée de ravitaillement, mais étant donné la violence du bombardement, nous demeurons immobilisés dans les abris, près de Soyécourt que nous ne quittons que le 5 à 10 h 00. Le marmitage des boyaux devient de plus en plus intense et nous nous demandons anxieusement si nous pourrons passer !
Nous filons le plus vite possible. Nous avons à peine dépassé le château que nous sommes pris sous une rafale de 105 fusants qui nous massacre (1 tué et 3 blessés). La corvée est anéantie. Je reste seul avec trois blessés qu’il faut évacuer.
Finalement, je n’arrive en ligne que le 6 à 5 h 00.
La matinée est relativement calme. Vers 15 h 00, notre artillerie effectue une vive préparation et à 16 h 00, une attaque se déclenche à notre gauche (Deniécourt) et à notre droite (Vermandovillers), dans le but de rectifier notre front et de supprimer les positions en flèche.
Les résultats obtenus sont minimes et les Boches, à la suite de ces attaques, redoublent la violence de leur bombardement sur nos lignes. Enfin, à la nuit le calme renaît.
Le 7, les Allemands lancent, à la tombée de la nuit, une attaque à notre gauche (parc du château de Deniécourt), mais ils se heurtent à nos barrages d’artillerie ou de mitrailleuses.
Les jours suivants, nous sommes soumis à un tir d’enfilade très pénible qui nous cause des pertes assez sérieuses. Les nuits sont essentiellement plus calmes et nous pouvons prendre un peu de repos.
Le 13, à 20 h 45, après une courte préparation à la torpille, les Boches attaquent à notre droite sur le 17e R.I. (13e D.I.) et réussissent à prendre pied dans une sape et une partie du boyau du Prunier. À notre demande par fusée, notre artillerie déclenche un violent tir de barrage qui entraîne une riposte de l’artillerie allemande.
Le repli du 17e R.I. nous place dans une position en flèche et nous devons nous méfier d’un mouvement de l’ennemi cherchant à nous déborder.
Le lendemain, à 3 h 00, le 17e R.I. contre-attaque à la grenade et réussit à reprendre le terrain perdu la veille.
Les journées du 15 et 16 septembre sont assez calmes. Les Boches ne tentent aucune action. Cependant, pendant la journée du 16, au cours d’un violent bombardement de notre artillerie, 16 Allemands du 38e I.R., viennent se rendre à notre 9e compagnie.
Pour en apprendre plus sur les journées des 15 et 16 septembre, il suffit de cliquer une fois sur la photographie suivante.
Je descends à Soyécourt à la tombée de la nuit, chercher la relève de la 2e compagnie de mitrailleuses du 149e R.I. Nous sommes relevés le 17, à 2 h 00. Nous descendons en réserve à Framerville.
Nous avons besoin de repos. La période du 4 au 16 septembre a été particulièrement difficile et nous avons dû vivre dans des conditions déplorables. Après les durs moments de l’attaque, il a fallu organiser le terrain, repousser les attaques, demeurer sans sommeil et résister moralement comme physiquement.
Le commandant Magagnosc, qui commande le 1er bataillon du 149e R.I., ne nous ménage pas ses félicitations et par la voix du rapport, les concrétise ainsi :
« Vous venez d’écrire une belle page d’histoire de France qui fera l’étonnement, plus tard encore de vos arrières petits-neveux.
Le 4 septembre, vous avez ajouté un nouveau fleuron à l’armorial du 149e R.I.. En quelques minutes, vous avez fait un bond de 2000 mètres, et, les jours suivants, avec une ténacité héroïque, vous avez conservé, organisé et consolidé le terrain conquis.
Quand on a eu l’honneur de vous commander, quand on vous a vu en de tels moments, irrésistibles dans l’attaque, ardents et opiniâtres dans la défense, on garde, au fond du cœur, une vision ineffaçable de gloire et d’espérance dans la victoire prochaine. Mais hélas ! ces succès, nous ne devons pas oublier que nous les avons payés de la perte de nombreux morts et blessés dont les noms sont présents à la mémoire de tous. Saluons-les et ne songeons qu’à les venger. »
Sources :
Témoignage inédit de Paul Portier
Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi et à la mairie de Vienne, sans qui l’auteur de ce témoignage n’aurait jamais pu être identifié.