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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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20 février 2015

Témoignage de Louis Cretin : du col de Saales à Val-et-Chatillon...

Louis_Cretin__Abreschviller_

Tous mes remerciements à D. Browarsky et à T. Cornet qui me permettent  de retranscrire sur ce blog le passage suivant du témoignage de Louis Cretin qui a été à la C.H.R. du 149e R.I. du début à la fin du conflit.

Le 14 août, réveil à deux heures du matin, et c’est la marche en avant. Nous traversons la frontière au col de Saales. Les Allemands avaient incendié le poste de douanes, la poste ainsi que les deux ou trois maisons qui forment le village de Saales français. Aussitôt la frontière passée, le jour s’étant levé, le combat s’engage. Les Allemands sont solidement retranchés et nous attendent. Leurs obus de 77 fusants éclatent sans discontinuer. Heureusement qu’ils font plus de bruit que de mal. Des chevaux ont peur des éclatements et versent leur convoi dans le fossé. Nous en remettons plusieurs sur la route en passant. Toute la journée, la bataille fait rage, mais, sur le soir, les Allemands battus abandonnent leurs positions et les nôtres les poursuivent. La nuit, nos avant-postes nous protègent, nous couchons au village de Saint-Blaise-la-Roche.

Le lendemain, à 15 h 00, défilent plusieurs centaines de prisonniers, des convois, des canons, des mitrailleuses et le drapeau du 99e régiment allemand, pris dans la bataille par le 1er B.C.P.. Notre victoire était belle.

Le 16, nous progressons et nous allons cantonner dans un hameau du champ du Feu. C’est là qu’étaient les positions d’artillerie allemande et leurs réserves. Nos 75 avaient fait merveille, les tranchées et les emplacements de leur batterie étaient jonchés de débris. En parcourant le champ de bataille, nous glanons toutes sortes de choses, cartouches, bidons, équipement. Nous sommes cantonnés chez un bon vieux qui cause très bien le français. Grisés par notre victoire, nous nous voyons déjà à Mutzig, à Strasbourg et au bord du Rhin. Mais il refroidit notre ardeur par des paroles plutôt graves. C’est ainsi qu’il nous dit : « Une bataille gagnée n’est pas toute une campagne. Méfiez-vous des Allemands. Ils sont très forts. En 1870, j’ai fait campagne dans l’armée française, nous avons été battus. Croyez-moi, ils sont encore plus à craindre. Ils sont nombreux, ils ont beaucoup d’hommes « Nous aussi ! », beaucoup de mitrailleuses et de canons « Peuh ! Ils ne font que du bruit ! » Ils ont surtout de grosses pièces « Nos 75 les démoliront ». La guerre durera plus longtemps que vous ne pensez «  Nous lui rions au nez. » Bref, un tas d’objections qui nous le faisait prendre pour un fou.

Le lendemain 18 août, nous quittons notre cantonnement de grand matin. Le vieux « dingo » vint nous serrer la main à tous. « Bonne chance mes enfants » nous dit-il. Puis, comme nous partions, il écrasa une larme sur sa joue parcheminée. Il s’adressa à sa digne compagne. « Ces pauvres enfants, combien reviendront-ils ? Dieu seul le sait, mais moi, jamais je ne les reverrais. » Ses mains se tendirent vers nous en signe d’adieu. Les premiers instants de notre marche, nous ne parlions que du vieux « Père la défaite ». Non mais ! Tu as entendu le grand-père avec ses boniments à la noix. Nous nous moquâmes de lui copieusement. Nous étions ignorants de ce qui se passait en Belgique et sur les autres parties du front. Nous pensions être vainqueurs partout. Hélas !

Plus tard, les paroles du soldat de 1870 devaient nous revenir à la mémoire. En conscience, nous devions reconnaitre qu’il avait été bon prophète.

Nous traversons les petites villes de Rothau et de Schirmeck au pas cadencé. Quelques drapeaux tricolores flottent sur les édifices. Puis nous quittons la vallée de la Bruche. Au lieu de continuer en direction de l’est, nous remontons franchement au nord et escaladons le massif du Donon.

Nous pénétrons en Lorraine. Le soir, épuisés par cette marche forcée de 40 kilomètres, nous bivouaquons dans un bois près du village de Saint-Quirin. Après quelques heures de repos (nous avons dormi le sac au dos), le 19 à l’aube, nous arrivons à Abreschviller où le régiment prend sa formation de combat. Des compagnies partent sur la verrerie de Vallerysthal. Le reste va prendre position sur la droite de Sarrebourg. Pour la première fois, nous voyons des aéroplanes allemands qui viennent nous survoler. Ils laissent tomber des fusées lumineuses. Quelques instants plus tard, les 105 fusants éclatent au-dessus de nous. La bataille s’engage, violente… Des coloniaux blessés, en position sur notre gauche, reviennent des lignes fort démoralisés… Ils racontent que les leurs se sont fait massacrer par les mitrailleuses allemandes, en chargeant à découvert, sur plus de 400 mètres. Un vrai carnage ! ajoutent-ils. Nous marchons un peu au hasard, à la recherche de nos blessés. Durant deux jours, nous bivouaquons dans des champs de blé.

Le 21, de grand matin, un bombardement intense tombe sur nos lignes. Des « marmites » font leur apparition. Des 105 et 130 fusants et percutants se succèdent par rafales sans interruption. Nous maintenons nos positions, une partie de la journée, mais nous sommes débordés sur la droite et la gauche. Nous sommes obligés de battre en retraite. En traversant la gare d’Abreschviller, les éclats d’obus résonnaient d’une façon lugubre sur les wagons. Le pont sur la rivière était très dangereux à franchir. Nous préférons traverser la rivière à pied. Pendant ce temps, nos batteries d’artillerie usent leurs munitions et débouchent à zéro, sur les vagues d’infanterie allemande, avant de se replier. Les artilleurs se joignent à nos arrière-gardes, ils font le coup de feu avec leur mousqueton. Peu de pièces furent sauvées ! Les attelages décimés par les balles ou la mitraille, tombaient en entrainant la perte de la pièce. Les Allemands nous poursuivent à marche forcée. Le Donon est déjà entre leurs mains, nous ne pouvons pas retraiter par là. C’est sur Cirey-sur-Vezouze que nous repassons la frontière. Le soir nous sommes à Val-et-Chatillon… Quelques heures de repos… Nous sommes exténués par notre marche avec les obus qui nous pourchassaient constamment.

Sources :

Témoignage de Louis Cretin.

Un grand merci à M. Bordes,  à D. Browarsky et à T. Cornet.

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