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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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26 décembre 2014

Hippolyte Journoud, un talent foudroyé...

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Un livre vient de paraître, consacré à Hippolyte Journoud, jeune peintre lyonnais plein de promesses, mort au Chemin des Dames le 21 juin 1917.

 

« UN TALENT FOUDROYÉ » 

 Hippolyte Journoud peintre lyonnais, tué au Chemin des Dames.
Auteur : Henry Destour

Grâce à la riche documentation aimablement communiquée par sa famille, l’ouvrage présente une cinquantaine de dessins au fusain, des photos, des correspondances. On retrouve l’enfant, l’étudiant aux Beaux-Arts de Lyon, le jeune homme dans la bohème parisienne. En septembre 1914, il doit abandonner son chevalet et ses pinceaux pour le Lebel et l’as de carreau. Il est incorporé au 149e Régiment d’Infanterie auquel il appartiendra jusqu’à sa mort à Jouy. On partage ses craintes et ses espoirs de poilu à travers les lettres échangées avec ses cousins également mobilisés et sa marraine de guerre. On rencontre également sa famille, originaire de Saint-Genis-Terrrenoire aujourd’hui Genilac et dont la guerre et la mort vont briser les rêves.

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Pour celles et ceux qui souhaiteraient commander l’ouvrage, voici les coordonnées de l’auteur :

Bon_de_commande_livre_Hippolyte_Journoud

26 décembre 2014

Hippolyte Journoud (1894-1917).

Hippolyte_Journoud_1

Un très grand merci à la famille descendante d’Hippolyte Journoud et à Henry Destour sans qui cette notice biographique n’aurait pas pu voir le jour.

Enfance et adolescence

Hippolyte Jean Antoine Journoud voit le jour à Lyon, le 13 août 1894, dans un appartement situé au n° 6 de la rue d’Aguesseau. Il est le fils de Jean Claude Journoud et de Clémentine Perette Albert. À sa naissance, son père, âgé de 34 ans, est comptable indépendant. Sa mère, âgée de 26 ans, est ménagère. De l’union de Jean Claude et de Clémentine naît, en 1898, une petite fille qu’ils prénomment Germaine ; elle prononcera ses vœux de religieuse en 1932 et rejoindra la communauté de l’Oeuvre du Prado.

Dès son plus jeune âge, Hippolyte se passionne pour la représentation graphique. Il se met à lire avec avidité tous les livres d’images qui lui tombent entre les mains et commence très tôt à s’exercer au dessin. Ses parents, remarquant l’intérêt qu’il porte pour le 3e art, décident de l’inscrire en classe préparatoire à l’École nationale des Beaux-arts de Lyon où il entre en 1908. Il y a pour maîtres Castex-Dégrange et Auguste Morisot. Il suit également les cours du peintre Tony Tollet à l’école municipale de dessin du « Petit collège ».

Tout au long de sa formation, le jeune élève fait un excellent travail et reçoit, chaque année, de nouvelles récompenses. En 1912, il obtient une bourse de voyage qui lui est attribuée par la chambre de commerce de la ville de Lyon. Cette somme allouée lui offre l’opportunité de découvrir, pour la première fois de son existence, la Provence d’où il va ramener une multitude de dessins. Sa scolarité se termine en 1913.

Jeunesse

Une fois ses études terminées, le jeune Hippolyte décide de venir s’installer à Paris pour rejoindre son ami Raoul Servant, son « inséparable frère » qui partage la même passion pour la peinture. Ils logent tous les deux dans une toute petite pièce qui leur sert à la fois d’atelier et de lieu de vie. Au cours de cette période, le jeune artiste exerce ses talents en réalisant plusieurs œuvres ; « Le marché des fleurs », « Les deux sœurs », « Notre Dame-de-Paris », « Le port au sable du quai Malaquais » et « Romantisme » qui restera son dernier tableau réalisé avant le déclenchement du conflit.

Il est l’heure pour Hippolyte d’abandonner les pinceaux et de les remplacer par le lebel.

Groupe_149e_R

Au 149e R.I.

La fiche signalétique et des services d’Hippolyte nous donne quelques précieuses informations sur son parcours de soldat. Entre autres, celle-ci nous fait savoir que le futur fantassin de 2e classe Journoud est affecté au 149e R.I. et qu’il doit arriver au corps le 8 septembre 1914.

Le temps de son instruction, de septembre 1914 à son départ au front, il est à la 25e compagnie du dépôt du 149e R.I. La photographie de groupe visible ci-dessus a été prise à Jorquenay pendant cette période, soit à l’occasion d’un exercice (ce qui est peu probable, vu l’absence de toutes traces de salissure sur les uniformes), soit après l’équipement au lieu de cantonnement (d’où la présence d’une jeune fille ou d’une femme).

En novembre 1914, dans une lettre rédigée à l’intention d’un de ses cousins, il annonce son départ imminent pour le front. Pour lui, la guerre va commencer en Belgique.

Début 1915, son régiment quitte la région d’Ypres pour venir s’installer en Artois, dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette. Hippolyte Journoud, soldat de la 5e compagnie du régiment, est blessé, tout comme son chef de compagnie, le lieutenant Paul Isler et 32 de ses compagnons d’infortune, le 10 mai 1915. Quelques éclats d’obus sont venus se loger dans son cuir chevelu. Cette blessure le fait évacuer vers l’arrière. Après avoir subi les premiers soins, il est envoyé en convalescence pour une courte période, près de Villedieu, une petite commune normande.

Un bref moment de repos à Épinal en mai juin 1915 lui permet de réaliser quelques croquis. La Moselle, les jardins, l’église Saint-Maurice lui fournissent l’occasion de sortir plusieurs fois les fusains… Puis, c’est le retour au front.

Au cours de l’hiver 1915, de graves problèmes de gelures aux mains le font à nouveau quitter la zone des combats. Hippolyte Journoud est soigné dans un premier temps à Ohlain, puis à Berk-Plage. Depuis ce lieu, il envoie à sa famille le petit courrier suivant :

« Je vais pouvoir me reposer tout à mon aise. Je n’en pouvais plus. Cette boue, la pluie, les fatigues m’avaient anéanti… »

Cette courte phrase en dit vraiment long sur l’état moral du jeune homme… Celui-ci quitte l’hôpital fin mars 1916 alors que ses camarades de régiment subissent l’enfer meusien dans le secteur du fort de Vaux…

Hippolyte rejoint le 149e R.I., après une brève convalescence qui lui permet de revoir la famille, les amis et certains de ses anciens professeurs.

Hippolyte_Journoud_posant_devant_son_dernier_tableau

Avril 1917, le 149e R.I. se trouve dans le secteur de Villersexel. L’artiste est sollicité par le lieutenant-colonel Paul Francis Pineau qui lui demande de réaliser un rideau de scène pour le théâtre de son régiment. Tout heureux de retrouver sa palette et ses pinceaux, c’est un véritable moment de bonheur pour le jeune peintre de pouvoir à nouveau s’adonner à son art.

Theatre_du_149e_R

Le soldat Journoud se trouve à la C.H.R. lorsqu’il décède le 21 juin 1917 par suite de plaie due à des éclats d’obus reçus dans la région des reins. Ce jour-là, il exerce ses fonctions de télégraphiste dans un petit poste avancé qui se trouve dans le secteur de Jouy, une commune située dans le département de l’Aisne. Plusieurs de ses camarades trouvent la mort en même temps que lui.

Les sergents Henri Edmond Arfeuille et Raoul Guillaume Florent Arnal, tous deux du 149e R.I. confirment sont décès.

Hippolyte partage le même terrible destin que son ami le peintre Raoul Servant, tué en septembre 1915, en Champagne.

Le jeune homme est, dans un premier temps, enterré dans le cimetière de Ciry-Salsogne sous une croix de bois qui porte le n° 29. Il repose actuellement dans le caveau familial du petit cimetière de Saint-Genis-Terrenoire, devenu Genilac en 1973.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la ville de Lyon, parc de la Tête d’or, et sur celui de Saint-Genis.

Citation à  l’ordre du régiment n° 53 en date du 27 juin 1917 :

« Soldat courageux et dévoué, tombé glorieusement à son poste de combat le 21 juin 1917. Mort pour la France »

La Médaille militaire lui est attribuée à titre posthume.

Hippolyte_Journoud_2

Tout au long du conflit, Hippolyte Journoud va réaliser de nombreux dessins. Ses croquis montrent des paysages, des destructions dues à la guerre, des scènes de vie quotidienne dans les tranchées qui laissent percevoir une grande sensibilité chez le jeune homme. Ses œuvres ont été exposées à Lyon, en 1919, à la Galerie des deux collines. Toujours en 1919, un certain nombre ont pu être rassemblées dans un ouvrage édité à l’initiative de son père et tiré à un nombre réduit d’exemplaires.

La_manille

Sources :

La fiche signalétique et des services d’Hippolyte Journoud a été consultée sur le site des archives départementales de la ville de Lyon.

L’acte de naissance d’Hippolyte Journoud a été trouvé sur le site des archives municipales de Lyon.

Ouvrage :

« Hippolyte Journoud » Imprimerie de la maison des deux collines. XXXII phototypies 1919.

Les deux dessins « Artois 1915 le départ pour la relève » et « Manille » proviennent de cet ouvrage.

Articles de revues :

Article de journal de Lyon « le salut public » Samedi 22 février 1919.

Hippolyte Journoud, peintre méconnu. Article de  A. Pouilloux, in « Aujourd’hui Genilac » n°31, avril 1993.

Genilac : Bulletin d’informations n° 91. Février 2014.

Le peintre lyonnais Hippolyte Journoud (1894-1917) un jeune talent victime de la Grande Guerre. Article de Jean Burdy.  Mémoire des pays du Gier.  A.R.R.H., numéro 23. Année 2012.

Un grand merci à M. Bordes, à la famille Aupetit, à A. Carobbi et à H. Destour.

19 décembre 2014

Carnet du lieutenant Marcel Michelin.

Dessin_S

Un chaleureux merci à la famille descendante de Marcel Michelin pour m’avoir donné l’autorisation de reproduire ici l’intégralité du témoignage laissé par cet officier.

Ma cordiale reconnaissance à M. Porcher pour m’avoir mis en relation avec eux.

Une amicale poignée de main à S. Agosto pour la réalisation de ce dessin illustrant une scène évoquée dans le témoignage de Marcel Michelin.

Un petit carnet retrouvé dans les effets personnels du lieutenant Michelin nous raconte le départ du 149e R.I. depuis la caserne Courcy, la montée des troupes dans les trains à la gare d’Épinal, les longues marches pour rejoindre la frontière allemande et les tout débuts du conflit.

31 juillet 1914

L’alerte attendue depuis le départ du Valdahon arrive enfin. À 2 heures du matin, mon ordonnance vient me réveiller. Le régiment se mobilise. Ma cantine est prête, il ne me reste qu’à me mettre en tenue de campagne et à monter. Un flot de pensées me traverse l’esprit, mes parents laissés à l’intérieur et qui resteront sans nouvelles. La revanche tant souhaitée, tant attendue et dont l’heure semblait enfin sonnée. Espérons que nous prendrons l’offensive et que bientôt, nous dévalerons les pentes alsaciennes, fiers de montrer à ces sympathiques populations, que la race française n’a pas guéri.

Au quartier, il y a une animation sans pareille. Néanmoins, toutes les opérations se passent dans le calme le plus absolu. On se croirait à un exercice qui finira quelques heures après.

Devant le quartier, les parents des soldats, les femmes et les enfants des sous-officiers viennent embrasser leur fils, leur mari ou leur père. Qui sait ? Ce sera peut-être la dernière fois.

À 9 heures, le colonel passe la revue, on se croirait à la parade. Le lieutenant-colonel Escallon est présenté aux troupes, puis les officiers descendent en ville par moitié. Ils ont deux heures pour déjeuner. Une grande gaieté règne à la table des lieutenants. C’est la dernière fois que nous sommes réunis, aussi débouchons-nous quelques bouteilles, puis rapidement nous remontons vers le quartier. Nous attendons toute la journée. À 7 heures du soir, le télégramme de couverture arrive. Nous allons partir !

1er août 1914

La 10e compagnie étant de jour, je suis désigné pour commander la garde de police. Je constate à la gare, le même calme qu’hier à la caserne. L’équipe d’embarquement fonctionne comme nous embarquerions pour une manœuvre. Le général de brigade monte dans notre train.

À 4 heures 30, le convoi s’ébranle. Cependant, nous nous arrêtons encore quelques instants dans la gare d’Épinal. Sur le quai, le lieutenant Ranger reconnait sa femme et sa petite fille, qui s’en vont elles aussi vers l’intérieur, n’attendant pas l’évacuation de la ville. J’admire cet homme qui a assez de sang froid pour cacher la vérité à sa femme, dont le visage ne trahit aucun sentiment et qui embrasse sa petite fille sans que personne ne puisse se douter que ce sera peut-être la dernière fois !

Gare_Epinal_carnet_Marcel_Michelin

Nous arrivons à Bruyères où nous débarquons. Tout le long de la route, les populations nous acclamèrent. On sentait vraiment que la guerre avait passé là, il y a quarante-quatre ans.

Carte_1_carnet_Marcel_Michelin

À 16 heures, la mobilisation est décrétée. Il faut admirer ces gens qui lisant l’affiche se retournaient tranquillement, embrassant leurs femmes et leurs enfants, puis obéissant immédiatement à leurs fascicules.

Je passe la nuit au corps de garde. À chaque instant, les sentinelles arrêtent des personnes que je dois interroger. Cela rend le service un peu moins monotone. Les nouvelles les plus fantaisistes commencent à circuler. Le 158e R.I. aurait, parait-il, déjà tiré. Cela me parait bien extraordinaire.

2 août 1914

Je suis relevé de garde à 5 heures par le lieutenant Bruzon. Je fais rentrer ma section dans son cantonnement. Le capitaine me permet de m’allonger sur son lit. J’en ai bien besoin. C’était la 3e nuit que pour ainsi dire je n’avais pas dormi. Nous passons la journée à Bruyères.

3 août 1914

À 3 heures 30, mon ordonnance vient me réveiller. Il faut se tenir prêt à partir. Le bataillon est bientôt rassemblé et nous attendons les nouvelles avec impatience.

Enfin, l’ordre du corps d’armée arrive. Nous devons nous porter sur Corcieux et attendre l’artillerie de corps. Nous quittons Bruyères à 8 heures. La chaleur est torride. Les hommes peinent de façon extraordinaire. Les habitants mettent des seaux le long de la route. Ils feraient mieux de s’en abstenir ! Certains hommes boivent jusqu’à deux ou trois litres d’eau en peu de temps. Cela les exténue davantage. D’autres sont atteints de coups de chaleur. Le capitaine réquisitionne deux voitures pour porter les sacs des plus fatigués. Je ne puis m’empêcher de comparer cette marche à celle qu’effectua le 5e corps prussien, le 5 août 1870. Elle est en tous points semblable. Rassemblements prématurés, attente d’une longueur excessive, les hommes boivent parce qu’ils ne savent que faire. En route, ils ne sont pas assez raisonnables pour seulement se rincer la bouche.

Le soir, je vais reprendre la garde à la ferme des Echères.

Carte_2_carnet_Marcel_Michelin

4 août 1914

Ce matin, nous recevons nos réservistes, ce qui porte notre compagnie à 250 hommes. Vers huit heures, le commandant nous rejoint à la ferme des Echères et nous nous portons vers le village la Côte, où nous passons la journée.

À 15 heures, un télégramme officiel nous apprend la déclaration de la guerre.

5 août 1914

La compagnie est relevée de ses avant-postes par la 11e compagnie. Nous regagnons la réserve à Vanémont. Nous apprenons que l’Angleterre mobilise, que le 152e R.I. est déjà rentré en Alsace. Quand aurons-nous cet honneur ? Nous avons reçu le sous-lieutenant le Brigant, fraîchement promu de Saint-Maixent. Quel beau début de carrière !

6 août 1914

À 1 heure du matin, nous sommes réveillés. Nous partons pour Saulcy-sur-Meurthe. Une pluie diluvienne s’abat sur nous. Néanmoins, les hommes conservent leur gaieté. Je dois de nouveau prendre les avant-postes  près de la ferme Corneille. Mais la journée se passe aussi monotone que les autres. Le 10e bataillon de chasseurs a parait-il tués quelques uhlans. Le maire de Saales a été fusillé ainsi que celui de  Neuvillers-sur-Fave. Les Belges auraient, parait-il, repoussé les Allemands devant Liège. Telles sont les nouvelles. Quand marcherons-nous sur l’Alsace ?

Carte_3_carnet_Marcel_Michelin

7 août 1914

Nous restons sur les emplacements de la veille.

8 août 1914

Nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à partir. À midi, nous partons pour la Croix-aux-Mines. Vers 16 heures, nous repartons cette fois pour la frontière.

Nous passons la frontière près du col de la Grande Cude. Le bataillon s’arrête sur la crête. Comme l’on ne sait pas où est le 31e B.C.P., je suis envoyé en reconnaissance avec quatre hommes afin de le découvrir.

Après avoir fait 2 kilomètres en Alsace, nous arrivons près d’une ferme à l’est d’Hochbrück où se trouve une section de chasseurs. Je remets au lieutenant le pli dont j’étais chargé pour le commandant du 31e B.C.P., puis je retrouve la section du lieutenant le Brigant qui devait reconnaitre un éperon boisé dominant Sainte-Marie-aux-Mines. Nous restons ainsi jusqu’à onze heures du soir, heure à laquelle nous recevons l’ordre de rejoindre la compagnie. Il fait un froid terrible pendant cette nuit. Aussi, le matin, nous nous réveillons tout transis.

Carte_4_carnet_Marcel_Michelin

9 août 1914

Vers 4 heures du matin, nous nous réveillons pour aller occuper l’éperon boisé. J’étais déjà venu la veille avec le sous-lieutenant le Brigant. Nous restons sur cet éperon toute la journée sans recevoir de ravitaillement. On entame les vivres de réserve.

Toute la journée, le canon a tonné de part et d’autre. Ses obus sifflent et éclatent presque sans discontinuer.

Sur le mamelon qui nous fait face et qui domine la route du col à Sainte-Marie, une fusillade intense se poursuit toute la journée et ne cesse qu’à la nuit. Nous passons la nuit sur le même éperon, toujours le même froid, aucun ravitaillement.

10 août 1914

Vers 8 heures du matin, je suis appelé vers la lisière du bois. Quelques patrouilleurs prussiens montent la crête. Mes hommes tirent sur ces tirailleurs. Aussitôt, une batterie prussienne ouvre le feu sur nous.

Pendant quelques minutes, les obus pleuvent sur nous, les hommes baissent la tête. Enfin, le cercle de feu s’élargit. Nous n’avons eu qu’un blessé. Le soleil se met à darder, une chaleur torride s’abat sur nous et nous restons sur la position jusqu’à 13 heures.

A treize heures, nous sommes relevés. Nous laissons quelques patrouilles et nous attendons.

Un moment, nous avons eu l’espoir d’être relevés sur notre position. Mais il a fallu bientôt laisser cette espérance s’envoler. Ce soir, nous nous attendions à réentendre le canon allemand, mais nous nous couchons sans avoir à l’écouter. À minuit, nous sommes réveillés, il parait que nous allons être relevés par un bataillon du 75e R.I..

En effet, nous partons et nous allons bivouaquer à quelques centaines de mètres du col et nous attendons.

11 août 1914

Au réveil, de nouvelles rafales éclatent et pendant une demi-heure, il faut rester tapis. Nous sommes tranquilles jusqu’à midi, heure à laquelle la danse recommence.

Cependant, notre artillerie semble avoir pris une large supériorité. Vers le soir, de nouvelles rafales éclatent sur nous, les hommes se glissent sous les maigres branchages qui leur servent d’abri. De nouveau les obus cessent de pleuvoir. Nous nous portons alors à la lisière et nous organisons une tranchée. Nous rentrons à minuit.

12 août 1914

 Nous partons pour Bertrimoutier où nous restons une partie de la journée. Beaucoup d’officiers et d’hommes ont été perdus dans le combat de dimanche dernier près du Renclos-des-Vaches. Les lieutenants Bedos, Dezitter, Camus, le commandant de Sury et bien d’autres manquent à l’appel. Ce sera peut-être notre tour demain. Le soir, nous repartons et nous allons cantonner à Colroy-la-Grande après une marche de nuit. Nous avons appris que le quartier général était à Saales. Il est donc probable que nous allons repasser la frontière.

Carte_5_carnet_Marcel_Michelin

13 août 1914

Nous allons cantonner à Provenchères.

14 août 1914

Nous nous portons de Provenchères sur le col de Saales que nous franchissons. Chacun respirait de la fraîcheur en Alsace.

Les hommes en oubliaient presque le chargement. Le 3e bataillon est désigné pour se porter de Bourg Bruche vers les Hauts-de-Steige. Il doit servir de liaison entre le 21e et le 14e C.A.. Arrivés près de Steige, le commandant tombe blessé mortellement.

Carte_6_carnet_Marcel_Michelin

15 août 1914

Nous restons sur notre position des Hauts-de-Steige. Le bataillon est placé sous les ordres du général Vittel ( ?). Vers 11 heures du matin, le village est bombardé, une de ses maisons prend feu. Le soir, nouveau bombardement.

Quelques Allemands quittent leurs tranchées et s’enfuient.

À la nuit, une pluie diluvienne s’abat sur nous. Les modestes abris de branches et de feuilles construits par les hommes sont vite traversés. Le matin, nous nous levons absolument transis et mouillés.

16 août 1914

Nous restons sur notre position de Hauts-de-Steige, la pluie continue à tomber. Nous n’avons plus un fil de sec. Le soir nous allons cantonner à la Salcée pour servir de soutien à l’artillerie qui se retire dans le pays.

Le capitaine Laure prend le commandement du bataillon. Provisoirement, je dois commander la compagnie, devoir dont malgré ma grande inexpérience j’essayerai d’accomplir du mieux possible. Ce matin en passant Saales, j’étais assez violemment ému, d’abord pour les souvenirs historiques et aussi parce que je suis déjà passé là aux dernières permissions de la Pentecôte à la suite de notre excursion à Sainte-Odile et Barr. Ce n’était plus en fugitifs que les officiers passaient la frontière. Nous sommes renforcés vers le soir, par un bataillon du 158e  R.I.. La nuit se passe sans incident.

17 août 1914

Nous revenons vers les Hauts-de-Steige. Nous attendons avec impatience d’être relevés de cette position. Le soir, l’ordre arrive et nous allons cantonner à Ranrupt.

18 août 1914

Nous quittons Ranrupt vers 3 heures du matin et prenons la route de Schirmeck puis celle de Donon. La montée du Donon est très dure. Beaucoup d’hommes restent en route avant d’arriver dans le haut où nous faisons la grand’ halte. Spectacle lamentable d’une colonne s’égrenant tout le long d’une route sans qu’aucune force humaine puisse y remédier.

Nous bivouaquons près de l’hôtel Velleda. Le soir, tous les officiers du bataillon se réunissent. Il y a bien longtemps que pareille joie nous avait été réservée…

Hotel_Velleda

Tels sont les derniers mots écrits par le lieutenant Marcel Michelin. Il fut tué le 21 août 1914, près de la Valette, un petit hameau situé au nord d’Abreschviller, sans avoir pu écrire une nouvelle fois dans son carnet.

Un grand merci à M. Bordes, à S. Agosto, à A. Carobbi, à M. Porcher, et à la famille descendante de Marcel Michelin. 

12 décembre 2014

Lettres de Marcel Michelin à sa mère.

Marcel_Michelin_2

La campagne contre l’Allemagne effectuée par le lieutenant Marcel Michelin est brève. Au cours de cette courte période, qui a duré un peu plus de trois semaines, il rédige trois lettres qui sont toutes adressées à sa mère. La dernière a été écrite la veille de sa mort.

Tous mes remerciements à la famille descendante du lieutenant Michelin pour leur autorisation de publier ici ces quelques lettres.

Lettre du 13 août 1914

Ma chère maman,

Je ne sais pas exactement où tu te trouves. En tout cas, j’envoie cette carte à Sens. Vous n’avez pas encore reçu de mes nouvelles parce que nous n’avons pas arrêté depuis notre départ d’Épinal. Nous avons été engagés pendant trois jours consécutifs. Enfin, la poste ne fonctionnant pas très bien, il est probable que même cette carte arrivera avec beaucoup de retard.

Pour m’écrire, il faut adresser les lettres de la façon suivante :

Lieutenant Michelin – 10e compagnie du 149e R.I. par Langres.

Jusqu’à présent, je me porte à ravir. Espérons que cela continuera. Surtout, ne te fais pas trop de mauvais sang, surtout si tu ne reçois pas de nouvelles, car cela n’a rien d’extraordinaire.

Je vous embrasse bien fort tous les trois.

Marcel Michelin

Lettre du 18 août 1914

Ma bonne maman,

Depuis ma dernière lettre, pas mal de pérégrinations. Nous sommes de nouveau rentrés en Alsace par le col de Saales et pendant 4 jours nous avons tenu une position près du Haut-de-Steige. Notre brave commandant a trouvé la mort dans ces escarmouches. Mon capitaine a pris le commandement du bataillon et moi celui de la compagnie. C’est un commandement un peu lourd pour un jeune officier, mais enfin, je ferai mon possible pour m’en tirer avec honneur.

La vie de campagne, comme tu t’en doutes, est totalement différente de celle du temps de paix. Non seulement à cause des balles ou des obus, mais aussi à cause des privations que l’on endure.

Depuis mon départ d’Épinal, je n’ai couché qu’une seule fois dans un lit et 3 ou 4 fois dans le foin, le reste du temps sur l’herbe ou la terre. On ne mange plus aux heures régulières, mais quand on peut, un mauvais morceau de viande avec du pain dur. Je suis privé de légumes. Une chose me frappe encore, c’est la facilité avec laquelle on s’habitue à toutes ces misères, à tel point qu’un verre de vin, de loin en loin, nous semble un délice digne des rois.

Surtout après ces descriptions, ne te mets pas martel en tête, ne t’imagine pas que je suis malheureux. Une seule chose me manque, c’est vous. Il me semble qu’il y  a une éternité que nous nous sommes quittés.

Dans le cas où vous n’auriez pas reçu ma dernière lettre, pour m’écrire, il faut m’adresser les lettres de la façon suivante :

Lieutenant Michelin – 10e compagnie du 149e R.I. par Langres.

Je te quitte, ma bonne maman et t’embrasse bien sur les deux joues ainsi que Maurice et Suzanne.

Marcel Michelin

Lettre du 20 août 1914

Ma bonne maman,

Je reçois ce matin une lettre de Suzanne. Je ne suis pas étonné, outre mesure, de voir que vous n’avez encore rien reçu. En questionnant les autres officiers, je m’aperçois qu’ils sont à la même enseigne. Les lettres ont énormément de retard. Ne vous inquiétez donc pas.

Je voudrais bien vous donner quelques détails sur nos propres opérations, mais c’est formellement interdit, car le courrier peut être saisi et il ne faut donner aucun renseignement à l’ennemi.

Nous avons la chance de faire la guerre en pays ennemi, ce qui n’appauvrit pas le nôtre, au contraire. Il faut souhaiter que le beau temps continue,car coucher dehors, sans abri, ce n’est pas drôle sous la pluie.

Les canons tonnent toujours, les fusils aussi. Les hommes n’ont presque plus rien de réglementaire et l’on emploie largement ce que l’on trouve sur les Allemands (Sacs, sceaux, couvertures, marmites…)

Jusqu’à présent, je n’ai pas eu la moindre indisposition. Je pense que vous vous portez bien et que vous ne souffrez pas beaucoup de la crise.

Bons baisers à vous trois.

Marcel Michelin

Sources :

Les lettres et la carte d’identité du lieutenant Marcel Michelin ont été communiquées par les descendants de cet officier.

Un grand merci à M. Bordes, à A.M. et G. Lalau et à M. Porcher.

5 décembre 2014

Marcel Michelin (1888-1914).

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Marcel Michelin voit le jour le 25 octobre 1888 au 38e bis du boulevard Saint-Marcel à Paris. Son acte de naissance est enregistré à la mairie du Panthéon située dans le 5e arrondissement de la capitale. À cette époque, son père, Antoine Henri, âgé de 45 ans, travaille comme chef de bureau aux chemins de fer de Lyon. Sa mère, Jeanne Charlotte Meillier a 32 ans. Elle n’exerce pas de profession.

Après avoir obtenu son baccalauréat ès sciences, langues vivantes et mathématiques, le jeune Marcel souhaite faire une carrière militaire. Il quitte le domicile de sa mère, pour venir signer un engagement volontaire d’une durée de quatre ans à la mairie du 12e arrondissement de Paris, le 7 octobre 1909. Il n’a pas encore fêté ses 20 ans. Il doit maintenant se mettre en route pour rejoindre la ville d’Auxonne. Trois jours plus tard, il intègre le 10e R.I. comme simple soldat.       

Admis à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr par décision ministérielle du 19 septembre 1909, il quitte la caserne Chambure pour commencer sa formation d’officier à la mi-octobre 1910. Marcel Michelin intègre la promotion de Fez avec le grade d’aspirant.

Au cours de ses deux années d’études, le jeune homme sera sanctionné à quatre reprises. Toutes ces punitions lui seront infligées par son capitaine de groupe. Celles-ci nous donnent une idée assez précise de ce que pouvaient vivre au quotidien des élèves de Saint-Cyr. Les notions de responsabilité et de sécurité sont vraiment prises très au sérieux par l’ensemble des encadrants. Elles font parties intégrantes de la formation des futurs officiers.

Le 5 janvier 1911, son supérieur lui impose une punition de 4 jours d’arrêts simples. L’aspirant Michelin ne s’est pas conformé aux instructions données par son capitaine pour l’exécution du tir à la cible.

Le 2 mai de la même année, Marcel Michelin reçoit un avertissement. Cette fois-ci,  il lui est reproché de ne pas avoir signalé les dégradations survenues dans la salle des jeux, alors qu’il en était le fonctionnaire fourrier responsable.

Le 25 octobre 1912, une sanction un peu plus sévère lui vaut 8 jours d’arrêts simples. Son capitaine fait savoir que son subordonné n’a pas pu rendre compte des circonstances dans lesquelles avait disparu la clef servant, en cas d’incendie, à ouvrir la porte qui sépare la salle Magenta des locaux disciplinaires.

Le 10 novembre 1912, il est puni d’un jour d’arrêts simples pour avoir placé,sur la case, une paire de chaussures insuffisamment nettoyées.

Nommé sous-lieutenant au 149e R.I. dès sa sortie de l’école, le jeune homme doit rejoindre son nouveau régiment le 1er octobre 1912. Un an plus tard, jour pour jour, il peut coudre sur sa  vareuse ses galons de lieutenant.

Marcel Michelin est décrit par ses supérieurs comme étant un officier intelligent et cultivé. Une timidité due à son jeune âge et à son manque d’assurance le gêne encore un peu dans l’art du commandement. Il doit acquérir de l’expérience… seul le temps pourra le permettre.

En 1913, des soucis de santé viennent interrompre momentanément sa carrière. Il doit prendre un congé de convalescence d’une durée de deux mois, après avoir fait un séjour à l’hôpital. Remis sur pieds, il retrouve son régiment à temps pour participer aux manœuvres d’automne. Au cours de ces exercices, il s’applique à remplir toutes les missions qui lui sont assignées avec zèle et conscience. Le commandant du régiment dit de lui qu’il a tout ce qu’il faut pour devenir un excellent officier.

Mais le cours de l’histoire va en décider autrement ! Fin juillet 1914, la guerre contre l’Allemagne se profile. Le 149e R.I. doit se mettre en route pour rejoindre la frontière. Après plusieurs jours de marche, le régiment engage son premier combat. Celui-ci se déroule le 9 août 1914, près du village de Wisembach.

 À ce moment-là, le lieutenant Michelin encadre une section de la 10e compagnie, qui se trouve sous les ordres du capitaine Laure. Cette compagnie ne participera pas à ce combat.

Le 21 août 1914, Marcel Michelin dirige la 10e compagnie, il en a pris le commandement depuis que le capitaine Laure est parti remplacer le commandant Didierjean à la tête du 3e bataillon du 149e R.I..

Ce jour-là, il reçoit l’ordre de couvrir, avec ses hommes, les mouvements de repli des 2e et 3e bataillons du régiment. Ceux-ci se trouvent en grande difficulté dans le secteur du bois de Voyer.

Le lieutenant Michelin est tué près de la Valette, un petit hameau situé au nord d’Abrechviller, en assumant sa mission, il allait avoir 26 ans.

Dans un premier temps, Marcel Michelin est enterré à proximité du sanatorium avec onze soldats français. En 1920, sa mère est informée du transfert du corps du lieutenant dans le petit cimetière militaire d’Abreschviller. En avril 1921, la famille obtient l’autorisation de faire inhumer Marcel Michelin dans le caveau familial du cimetière d’Ahuy, petite ville située dans le département de la Côte-d’Or.

Sepulture_Marcel_Michelin

Le 14 février 1915, le lieutenant-colonel Gothié écrit ceci à son sujet : « Cet homme de devoir et d’action a dirigé sa compagnie avec une rare énergie. Il a préféré se faire tuer sur place plutôt que de céder  un pouce de terrain à l’ennemi. »

Citation à l’ordre de l’armée n° 44 de la Xe armée du 11 janvier 1915 :

«  A été tué à la tête de la compagnie dont il avait le commandement, en résistant le 21 août 1914 devant Abreschviller, sur une position de repli qu’il avait reçu l’ordre de tenir à tout prix et où il s’est trouvé attaqué par des forces très supérieures en nombre, a réussi par son sacrifice et par le magnifique exemple de son énergie à remplir complètement la mission qui avait été donnée à la compagnie. »

Chevalier de la Légion d’honneur par arrêté ministériel du 18 octobre 1920.

Salle_Michelin

En 1998, deux plaques commémoratives sont retrouvées dans le grenier du lycée de la ville de Sens ; l’une d’entre elles porte le nom de Marcel Michelin. Celle-ci avait été initialement posée dans une des sept salles d’honneur inaugurées le 13 juillet 1923 par le général Émile Belin, président d’honneur de l'association amicale des anciens élèves du lycée de Sens.

Cette plaque commémorative se trouve, depuis novembre 2000, dans la salle 219.

Le nom du lieutenant Marcel Michelin figure également sur la plaque 1914 du monument aux morts de l'établissement de la ville de Sens qui rappelle le sacrifice des anciens élèves depuis les guerres du Second Empire.

Sources :

Dossier individuel consulté au Service Historique de la Défense de Vincennes.

Le portrait du lieutenant Michelin provient du livre d’or des anciens élèves du lycée de Sens publié aux  éditions : « Sens, société générale d’imprimerie et d’édition ».1925.

La photographie de la sépulture a été réalisée par les descendants lieutenant Michelin.

Certaines informations concernant Marcel Michelin ont été communiquées par la famille de cet officier.

La photographie et les informations concernant  la plaque commémorative  du lieutenant Michelin ont été fournies par D. P. Lobreau, professeur agrégé d’histoire. Pour en savoir plus, il suffit de cliquer une fois sur l'mage suivante :

Lyc_e_de_Sens

Un grand merci à M. Bordes, à  A.M. et G. Lalau, à D.P. Lobreau à É. Mansuy, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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