Lettres de Marcel Michelin à sa mère.
La campagne contre l’Allemagne effectuée par le lieutenant Marcel Michelin est brève. Au cours de cette courte période, qui a duré un peu plus de trois semaines, il rédige trois lettres qui sont toutes adressées à sa mère. La dernière a été écrite la veille de sa mort.
Tous mes remerciements à la famille descendante du lieutenant Michelin pour leur autorisation de publier ici ces quelques lettres.
Lettre du 13 août 1914
Ma chère maman,
Je ne sais pas exactement où tu te trouves. En tout cas, j’envoie cette carte à Sens. Vous n’avez pas encore reçu de mes nouvelles parce que nous n’avons pas arrêté depuis notre départ d’Épinal. Nous avons été engagés pendant trois jours consécutifs. Enfin, la poste ne fonctionnant pas très bien, il est probable que même cette carte arrivera avec beaucoup de retard.
Pour m’écrire, il faut adresser les lettres de la façon suivante :
Lieutenant Michelin – 10e compagnie du 149e R.I. par Langres.
Jusqu’à présent, je me porte à ravir. Espérons que cela continuera. Surtout, ne te fais pas trop de mauvais sang, surtout si tu ne reçois pas de nouvelles, car cela n’a rien d’extraordinaire.
Je vous embrasse bien fort tous les trois.
Marcel Michelin
Lettre du 18 août 1914
Ma bonne maman,
Depuis ma dernière lettre, pas mal de pérégrinations. Nous sommes de nouveau rentrés en Alsace par le col de Saales et pendant 4 jours nous avons tenu une position près du Haut-de-Steige. Notre brave commandant a trouvé la mort dans ces escarmouches. Mon capitaine a pris le commandement du bataillon et moi celui de la compagnie. C’est un commandement un peu lourd pour un jeune officier, mais enfin, je ferai mon possible pour m’en tirer avec honneur.
La vie de campagne, comme tu t’en doutes, est totalement différente de celle du temps de paix. Non seulement à cause des balles ou des obus, mais aussi à cause des privations que l’on endure.
Depuis mon départ d’Épinal, je n’ai couché qu’une seule fois dans un lit et 3 ou 4 fois dans le foin, le reste du temps sur l’herbe ou la terre. On ne mange plus aux heures régulières, mais quand on peut, un mauvais morceau de viande avec du pain dur. Je suis privé de légumes. Une chose me frappe encore, c’est la facilité avec laquelle on s’habitue à toutes ces misères, à tel point qu’un verre de vin, de loin en loin, nous semble un délice digne des rois.
Surtout après ces descriptions, ne te mets pas martel en tête, ne t’imagine pas que je suis malheureux. Une seule chose me manque, c’est vous. Il me semble qu’il y a une éternité que nous nous sommes quittés.
Dans le cas où vous n’auriez pas reçu ma dernière lettre, pour m’écrire, il faut m’adresser les lettres de la façon suivante :
Lieutenant Michelin – 10e compagnie du 149e R.I. par Langres.
Je te quitte, ma bonne maman et t’embrasse bien sur les deux joues ainsi que Maurice et Suzanne.
Marcel Michelin
Lettre du 20 août 1914
Ma bonne maman,
Je reçois ce matin une lettre de Suzanne. Je ne suis pas étonné, outre mesure, de voir que vous n’avez encore rien reçu. En questionnant les autres officiers, je m’aperçois qu’ils sont à la même enseigne. Les lettres ont énormément de retard. Ne vous inquiétez donc pas.
Je voudrais bien vous donner quelques détails sur nos propres opérations, mais c’est formellement interdit, car le courrier peut être saisi et il ne faut donner aucun renseignement à l’ennemi.
Nous avons la chance de faire la guerre en pays ennemi, ce qui n’appauvrit pas le nôtre, au contraire. Il faut souhaiter que le beau temps continue,car coucher dehors, sans abri, ce n’est pas drôle sous la pluie.
Les canons tonnent toujours, les fusils aussi. Les hommes n’ont presque plus rien de réglementaire et l’on emploie largement ce que l’on trouve sur les Allemands (Sacs, sceaux, couvertures, marmites…)
Jusqu’à présent, je n’ai pas eu la moindre indisposition. Je pense que vous vous portez bien et que vous ne souffrez pas beaucoup de la crise.
Bons baisers à vous trois.
Marcel Michelin
Sources :
Les lettres et la carte d’identité du lieutenant Marcel Michelin ont été communiquées par les descendants de cet officier.
Un grand merci à M. Bordes, à A.M. et G. Lalau et à M. Porcher.