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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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19 décembre 2014

Carnet du lieutenant Marcel Michelin.

Dessin_S

Un chaleureux merci à la famille descendante de Marcel Michelin pour m’avoir donné l’autorisation de reproduire ici l’intégralité du témoignage laissé par cet officier.

Ma cordiale reconnaissance à M. Porcher pour m’avoir mis en relation avec eux.

Une amicale poignée de main à S. Agosto pour la réalisation de ce dessin illustrant une scène évoquée dans le témoignage de Marcel Michelin.

Un petit carnet retrouvé dans les effets personnels du lieutenant Michelin nous raconte le départ du 149e R.I. depuis la caserne Courcy, la montée des troupes dans les trains à la gare d’Épinal, les longues marches pour rejoindre la frontière allemande et les tout débuts du conflit.

31 juillet 1914

L’alerte attendue depuis le départ du Valdahon arrive enfin. À 2 heures du matin, mon ordonnance vient me réveiller. Le régiment se mobilise. Ma cantine est prête, il ne me reste qu’à me mettre en tenue de campagne et à monter. Un flot de pensées me traverse l’esprit, mes parents laissés à l’intérieur et qui resteront sans nouvelles. La revanche tant souhaitée, tant attendue et dont l’heure semblait enfin sonnée. Espérons que nous prendrons l’offensive et que bientôt, nous dévalerons les pentes alsaciennes, fiers de montrer à ces sympathiques populations, que la race française n’a pas guéri.

Au quartier, il y a une animation sans pareille. Néanmoins, toutes les opérations se passent dans le calme le plus absolu. On se croirait à un exercice qui finira quelques heures après.

Devant le quartier, les parents des soldats, les femmes et les enfants des sous-officiers viennent embrasser leur fils, leur mari ou leur père. Qui sait ? Ce sera peut-être la dernière fois.

À 9 heures, le colonel passe la revue, on se croirait à la parade. Le lieutenant-colonel Escallon est présenté aux troupes, puis les officiers descendent en ville par moitié. Ils ont deux heures pour déjeuner. Une grande gaieté règne à la table des lieutenants. C’est la dernière fois que nous sommes réunis, aussi débouchons-nous quelques bouteilles, puis rapidement nous remontons vers le quartier. Nous attendons toute la journée. À 7 heures du soir, le télégramme de couverture arrive. Nous allons partir !

1er août 1914

La 10e compagnie étant de jour, je suis désigné pour commander la garde de police. Je constate à la gare, le même calme qu’hier à la caserne. L’équipe d’embarquement fonctionne comme nous embarquerions pour une manœuvre. Le général de brigade monte dans notre train.

À 4 heures 30, le convoi s’ébranle. Cependant, nous nous arrêtons encore quelques instants dans la gare d’Épinal. Sur le quai, le lieutenant Ranger reconnait sa femme et sa petite fille, qui s’en vont elles aussi vers l’intérieur, n’attendant pas l’évacuation de la ville. J’admire cet homme qui a assez de sang froid pour cacher la vérité à sa femme, dont le visage ne trahit aucun sentiment et qui embrasse sa petite fille sans que personne ne puisse se douter que ce sera peut-être la dernière fois !

Gare_Epinal_carnet_Marcel_Michelin

Nous arrivons à Bruyères où nous débarquons. Tout le long de la route, les populations nous acclamèrent. On sentait vraiment que la guerre avait passé là, il y a quarante-quatre ans.

Carte_1_carnet_Marcel_Michelin

À 16 heures, la mobilisation est décrétée. Il faut admirer ces gens qui lisant l’affiche se retournaient tranquillement, embrassant leurs femmes et leurs enfants, puis obéissant immédiatement à leurs fascicules.

Je passe la nuit au corps de garde. À chaque instant, les sentinelles arrêtent des personnes que je dois interroger. Cela rend le service un peu moins monotone. Les nouvelles les plus fantaisistes commencent à circuler. Le 158e R.I. aurait, parait-il, déjà tiré. Cela me parait bien extraordinaire.

2 août 1914

Je suis relevé de garde à 5 heures par le lieutenant Bruzon. Je fais rentrer ma section dans son cantonnement. Le capitaine me permet de m’allonger sur son lit. J’en ai bien besoin. C’était la 3e nuit que pour ainsi dire je n’avais pas dormi. Nous passons la journée à Bruyères.

3 août 1914

À 3 heures 30, mon ordonnance vient me réveiller. Il faut se tenir prêt à partir. Le bataillon est bientôt rassemblé et nous attendons les nouvelles avec impatience.

Enfin, l’ordre du corps d’armée arrive. Nous devons nous porter sur Corcieux et attendre l’artillerie de corps. Nous quittons Bruyères à 8 heures. La chaleur est torride. Les hommes peinent de façon extraordinaire. Les habitants mettent des seaux le long de la route. Ils feraient mieux de s’en abstenir ! Certains hommes boivent jusqu’à deux ou trois litres d’eau en peu de temps. Cela les exténue davantage. D’autres sont atteints de coups de chaleur. Le capitaine réquisitionne deux voitures pour porter les sacs des plus fatigués. Je ne puis m’empêcher de comparer cette marche à celle qu’effectua le 5e corps prussien, le 5 août 1870. Elle est en tous points semblable. Rassemblements prématurés, attente d’une longueur excessive, les hommes boivent parce qu’ils ne savent que faire. En route, ils ne sont pas assez raisonnables pour seulement se rincer la bouche.

Le soir, je vais reprendre la garde à la ferme des Echères.

Carte_2_carnet_Marcel_Michelin

4 août 1914

Ce matin, nous recevons nos réservistes, ce qui porte notre compagnie à 250 hommes. Vers huit heures, le commandant nous rejoint à la ferme des Echères et nous nous portons vers le village la Côte, où nous passons la journée.

À 15 heures, un télégramme officiel nous apprend la déclaration de la guerre.

5 août 1914

La compagnie est relevée de ses avant-postes par la 11e compagnie. Nous regagnons la réserve à Vanémont. Nous apprenons que l’Angleterre mobilise, que le 152e R.I. est déjà rentré en Alsace. Quand aurons-nous cet honneur ? Nous avons reçu le sous-lieutenant le Brigant, fraîchement promu de Saint-Maixent. Quel beau début de carrière !

6 août 1914

À 1 heure du matin, nous sommes réveillés. Nous partons pour Saulcy-sur-Meurthe. Une pluie diluvienne s’abat sur nous. Néanmoins, les hommes conservent leur gaieté. Je dois de nouveau prendre les avant-postes  près de la ferme Corneille. Mais la journée se passe aussi monotone que les autres. Le 10e bataillon de chasseurs a parait-il tués quelques uhlans. Le maire de Saales a été fusillé ainsi que celui de  Neuvillers-sur-Fave. Les Belges auraient, parait-il, repoussé les Allemands devant Liège. Telles sont les nouvelles. Quand marcherons-nous sur l’Alsace ?

Carte_3_carnet_Marcel_Michelin

7 août 1914

Nous restons sur les emplacements de la veille.

8 août 1914

Nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à partir. À midi, nous partons pour la Croix-aux-Mines. Vers 16 heures, nous repartons cette fois pour la frontière.

Nous passons la frontière près du col de la Grande Cude. Le bataillon s’arrête sur la crête. Comme l’on ne sait pas où est le 31e B.C.P., je suis envoyé en reconnaissance avec quatre hommes afin de le découvrir.

Après avoir fait 2 kilomètres en Alsace, nous arrivons près d’une ferme à l’est d’Hochbrück où se trouve une section de chasseurs. Je remets au lieutenant le pli dont j’étais chargé pour le commandant du 31e B.C.P., puis je retrouve la section du lieutenant le Brigant qui devait reconnaitre un éperon boisé dominant Sainte-Marie-aux-Mines. Nous restons ainsi jusqu’à onze heures du soir, heure à laquelle nous recevons l’ordre de rejoindre la compagnie. Il fait un froid terrible pendant cette nuit. Aussi, le matin, nous nous réveillons tout transis.

Carte_4_carnet_Marcel_Michelin

9 août 1914

Vers 4 heures du matin, nous nous réveillons pour aller occuper l’éperon boisé. J’étais déjà venu la veille avec le sous-lieutenant le Brigant. Nous restons sur cet éperon toute la journée sans recevoir de ravitaillement. On entame les vivres de réserve.

Toute la journée, le canon a tonné de part et d’autre. Ses obus sifflent et éclatent presque sans discontinuer.

Sur le mamelon qui nous fait face et qui domine la route du col à Sainte-Marie, une fusillade intense se poursuit toute la journée et ne cesse qu’à la nuit. Nous passons la nuit sur le même éperon, toujours le même froid, aucun ravitaillement.

10 août 1914

Vers 8 heures du matin, je suis appelé vers la lisière du bois. Quelques patrouilleurs prussiens montent la crête. Mes hommes tirent sur ces tirailleurs. Aussitôt, une batterie prussienne ouvre le feu sur nous.

Pendant quelques minutes, les obus pleuvent sur nous, les hommes baissent la tête. Enfin, le cercle de feu s’élargit. Nous n’avons eu qu’un blessé. Le soleil se met à darder, une chaleur torride s’abat sur nous et nous restons sur la position jusqu’à 13 heures.

A treize heures, nous sommes relevés. Nous laissons quelques patrouilles et nous attendons.

Un moment, nous avons eu l’espoir d’être relevés sur notre position. Mais il a fallu bientôt laisser cette espérance s’envoler. Ce soir, nous nous attendions à réentendre le canon allemand, mais nous nous couchons sans avoir à l’écouter. À minuit, nous sommes réveillés, il parait que nous allons être relevés par un bataillon du 75e R.I..

En effet, nous partons et nous allons bivouaquer à quelques centaines de mètres du col et nous attendons.

11 août 1914

Au réveil, de nouvelles rafales éclatent et pendant une demi-heure, il faut rester tapis. Nous sommes tranquilles jusqu’à midi, heure à laquelle la danse recommence.

Cependant, notre artillerie semble avoir pris une large supériorité. Vers le soir, de nouvelles rafales éclatent sur nous, les hommes se glissent sous les maigres branchages qui leur servent d’abri. De nouveau les obus cessent de pleuvoir. Nous nous portons alors à la lisière et nous organisons une tranchée. Nous rentrons à minuit.

12 août 1914

 Nous partons pour Bertrimoutier où nous restons une partie de la journée. Beaucoup d’officiers et d’hommes ont été perdus dans le combat de dimanche dernier près du Renclos-des-Vaches. Les lieutenants Bedos, Dezitter, Camus, le commandant de Sury et bien d’autres manquent à l’appel. Ce sera peut-être notre tour demain. Le soir, nous repartons et nous allons cantonner à Colroy-la-Grande après une marche de nuit. Nous avons appris que le quartier général était à Saales. Il est donc probable que nous allons repasser la frontière.

Carte_5_carnet_Marcel_Michelin

13 août 1914

Nous allons cantonner à Provenchères.

14 août 1914

Nous nous portons de Provenchères sur le col de Saales que nous franchissons. Chacun respirait de la fraîcheur en Alsace.

Les hommes en oubliaient presque le chargement. Le 3e bataillon est désigné pour se porter de Bourg Bruche vers les Hauts-de-Steige. Il doit servir de liaison entre le 21e et le 14e C.A.. Arrivés près de Steige, le commandant tombe blessé mortellement.

Carte_6_carnet_Marcel_Michelin

15 août 1914

Nous restons sur notre position des Hauts-de-Steige. Le bataillon est placé sous les ordres du général Vittel ( ?). Vers 11 heures du matin, le village est bombardé, une de ses maisons prend feu. Le soir, nouveau bombardement.

Quelques Allemands quittent leurs tranchées et s’enfuient.

À la nuit, une pluie diluvienne s’abat sur nous. Les modestes abris de branches et de feuilles construits par les hommes sont vite traversés. Le matin, nous nous levons absolument transis et mouillés.

16 août 1914

Nous restons sur notre position de Hauts-de-Steige, la pluie continue à tomber. Nous n’avons plus un fil de sec. Le soir nous allons cantonner à la Salcée pour servir de soutien à l’artillerie qui se retire dans le pays.

Le capitaine Laure prend le commandement du bataillon. Provisoirement, je dois commander la compagnie, devoir dont malgré ma grande inexpérience j’essayerai d’accomplir du mieux possible. Ce matin en passant Saales, j’étais assez violemment ému, d’abord pour les souvenirs historiques et aussi parce que je suis déjà passé là aux dernières permissions de la Pentecôte à la suite de notre excursion à Sainte-Odile et Barr. Ce n’était plus en fugitifs que les officiers passaient la frontière. Nous sommes renforcés vers le soir, par un bataillon du 158e  R.I.. La nuit se passe sans incident.

17 août 1914

Nous revenons vers les Hauts-de-Steige. Nous attendons avec impatience d’être relevés de cette position. Le soir, l’ordre arrive et nous allons cantonner à Ranrupt.

18 août 1914

Nous quittons Ranrupt vers 3 heures du matin et prenons la route de Schirmeck puis celle de Donon. La montée du Donon est très dure. Beaucoup d’hommes restent en route avant d’arriver dans le haut où nous faisons la grand’ halte. Spectacle lamentable d’une colonne s’égrenant tout le long d’une route sans qu’aucune force humaine puisse y remédier.

Nous bivouaquons près de l’hôtel Velleda. Le soir, tous les officiers du bataillon se réunissent. Il y a bien longtemps que pareille joie nous avait été réservée…

Hotel_Velleda

Tels sont les derniers mots écrits par le lieutenant Marcel Michelin. Il fut tué le 21 août 1914, près de la Valette, un petit hameau situé au nord d’Abreschviller, sans avoir pu écrire une nouvelle fois dans son carnet.

Un grand merci à M. Bordes, à S. Agosto, à A. Carobbi, à M. Porcher, et à la famille descendante de Marcel Michelin. 

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