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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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8 février 2012

Correspondance de Pierre Mathieu (2e partie).

                   Pierre_Mathieu

Un très grand merci à toute l’équipe de l’association « collectif Artois 1914-1915 ».

 Le 6 mars 1915 

Bien chers parents,

Hier j’ai reçu une lettre de maman datée du 24 février. Je ne reçois plus vos lettres régulièrement. Je serai heureux de recevoir les cartes postales et les insignes que maman a demandés. Je vous ai envoyé une lettre hier vous annonçant que j’avais reçu votre colis. Ce matin, j’ai vu le mari de la veuve Peltier, il m’a dit avoir remis aux pionniers une carte de maman. Je recevrai probablement cette carte quand les pionniers seront relevés. Ce matin, j’ai été me confesser et communier et j’ai entendu la messe. Je vais souvent à la chapelle, réciter mon chapelet, plus que jamais on a besoin de recevoir les grâces du bon Dieu. Je pourrais bien remercier la Sainte-Vierge de m’avoir ainsi protégé, car un bon nombre de mes camarades ont été blessés ou tués pendant l’attaque qu’ils ont eu à soutenir contre les Allemands. Plusieurs au 149 ont été faits prisonniers et beaucoup sont portés disparus.

Notre compagnie n’a pas été trop éprouvée. Il y a eu 4 tués et seize blessés, quant à la troisième et deuxième compagnie, ils ne sont revenus qu’une quarantaine sur cent cinquante. Lorsque la quatrième compagnie reviendra des tranchées, j’irai voir Alphonse Villemard, car à présent, je ne sais pas encore ce qu’il est devenu. Hier, nous avons enterré ici, un capitaine et trois sous- lieutenants dont le sous-lieutenant Jannel de Martinvelle, tués pendant le combat. Le capitaine Baril a été enterré civilement, c’est lui, parait-il qui l’avait demandé avant de mourir. Vous verrez probablement cette attaque sur les communiqués, on en parle déjà aujourd’hui au nord d’Arras, près de Notre-Dame-de-Lorette. Les Allemands se sont emparés d’une tranchée construite par nous.

Je crois que le bataillon rentrera demain soir et qu’après nous irions un peu en repos. Aujourd’hui, il pleut très fort.

Je suis toujours en bonne santé et dans l’espoir de vous revenir bientôt. Je vous embrasse tous très fort.

Pierre

 Le 31 mars 1915

 Bien chers parents,

Je viens de recevoir aujourd’hui deux cartes de maman datées du 25. Depuis quelque temps je n’avais plus reçu de vos nouvelles. Les dernières dataient du 14 mars et je suis certain qu’entre le 14 et le 25 vous m’avez écrit. J’espère donc recevoir prochainement d’autres lettres. J’ai reçu la carte du Sacré-Cœur, nous sommes actuellement en repos près de la ligne de feu, mais je crois que d’ici quelques jours nous irons un peu plus en arrière en repos. Dans les tranchées, nous avons eu aussi froid qu’en hiver. Il faisait une bise glaciale, mais par contre, nous n’avons eu aucun blessé. Notre compagnie est encore privilégiée, car voilà déjà quelque temps que les Allemands attaquent sur le plateau de Notre-Dame-de-Lorette et il se trouve que ce n’est pas la compagnie qui s’y trouve au moment des attaques.

Si nous passons des jours tristes, nous avons aussi d’agréables moments. Tous les soirs, il y a le salut, dans la petite église de Bouvigny, trop petite pour contenir tous les soldats. On y chante des cantiques, l’aumônier fait de beaux sermons. Il invite surtout les soldats à faire leurs Pâques, après il y a la bénédiction du Saint-Sacrement.

Je vous ai annoncé dernièrement que j’avais été faire mes Pâques le jour de l’annonciation. J’y ai été avec deux de mes camarades, il y en avait un qui n’y avait plus été depuis plusieurs années. Le 24 au soir, il me dit qu’il avait l’intention de faire ses Pâques lorsqu’on rentrerait des tranchées, car on devait y remonter le 25 au soir. Je lui dis qu’il ne fallait pas remettre et qu’il viendrait avec moi le lendemain matin. Il vint en effet avec moi, j’étais heureux de l’avoir entraîné. Au sortir de la messe, il me faisait rire, « Récitez votre acte de contrition » lui avait dit l’aumônier « C’est que, lui avait-il répondu franchement, je ne me le rappelle plus». «Eh ! bien lui avait répondu l’aumônier, nous allons le réciter ensemble ». Beaucoup d’autres de mes camarades qui n’étaient pas pratiquants avant la guerre se proposent d’aller faire leurs Pâques, c’est vraiment un renouveau de la vie religieuse. Après le salut, on distribue quelquefois des drapeaux du Sacré-Cœur et des médailles. Les premiers jours que nous étions en cantonnement, il nous était défendu de sortir. Un séminariste qui me connait me disait bien de faire de la propagande pour que les soldats assistent au salut, mais je ne pouvais entrainer mes camarades. J’y ai été une fois que la compagnie était consignée. On a fait au moins trois appels pendant mon absence. Voilà ce qui existe au régiment. En ce moment, on peut sortir après cinq heures du soir et nous pouvons y aller en toute tranquillité.

Chaque fois que je vais au salut, j’y vois Alphonse Villemard. Il a beaucoup changé en fait de religion, il a été faire les Pâques lui aussi. Hier, j’ai vu Marchal Charles, il parait aussi que le mari de Joséphine Laurent est aussi au 149.

Romarie m’a dit qu’on ne savait pas encore à Dommartin que le pauvre Louis Petitjean avait été tué. Marchal Charles m’a dit hier, qu’il avait l’intention de demander une permission pour aller battre le blé, mais l’homme propose et Dieu dispose.

Vous me dites que le frère de Maria Daval est près d’Arras, mais ce doit être au 4e chasseur à cheval et non au 12e qu’il doit être. Il se pourrait qu’il soit à l’escadron divisionnaire où est Charles Rosaye.

Vous avez acheté un bœuf, je vois qu’ils ne sont pas bon marché. Vous serez quitte d’aller à l’emprunt ce qui est ennuyeux, j’ai été surpris de voir que le bois valait 20 francs le stère.

Je crois que nous allons aller au repos pour une dizaine de jours. Il serait temps que la guerre cesse bientôt, car je serais obligé de faire du rabiot. Je crois que c’est du 17 demain matin, c’est égal, si l’on était à la caserne, on serait bientôt de la classe.

Au repos, c’est à peu près la vie de caserne, on passe et repasse continuellement des revues et on fait aussi quelques petites marches. Dernièrement, on nous a donné de nouvelles capotes grises, on aurait mieux fait de nous donner des pantalons, j’ai toujours le même depuis le début de la campagne. Si on ne nous en donne pas bientôt, je serai obligé de vous en demander un, car il commence à devenir mauvais. Mais je pense que l’on remédiera  à cet état de choses, car nous sommes à peu près tous dans le même cas.

Actuellement, il fait beau soleil, mais la bise souffle et il gèle les nuits, vous allez bientôt commencer à planter les pommes de terre.

Alphonse Villemard m’a emprunté dernièrement 1 franc 50 pour le lavage de son linge. Vous pouvez m’en envoyer un peu prochainement, car si je n’avais pas reçu celui de l’oncle, j’aurai été court, un billet de cinq francs ne va pas loin. Je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire pour le moment, sinon que je suis toujours en bonne santé. J’espère aussi que vous allez tous bien. En vous souhaitant de Joyeuses Pâques à tous, je vous embrasse tous bien fort.

Votre fils,

Pierre 

Référence bibliographique :

Tome 2 du livre d’or des morts du front d’Artois. 

Pour en savoir plus sur le capitaine Baril, il suffit de cliquer une fois sur l'image suivante.

Leon Baril

Un grand merci à M. Bordes, à A. Chaupin, à T. Cornet, à J. Huret, à F. Videlaine, à l’association « collectif Artois 1914-1918 », à l’association Notre-Dame-de-Lorette et à la garde d’honneur de l’ossuaire de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

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