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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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24 février 2014

La guerre des mulots, des taupes et des rats.

Georges_Sabiron__2_

 

Georges Sabiron rédige le poème qui suit quelque temps après son arrivée au 149e R.I.. Ce poème est adressé au lieutenant-colonel Gothié, l’officier qui commande le régiment. Le général Guillemot responsable de la 85e brigade a lu ce panégyrique et voici ce qu’il écrit :

 

 

« La poésie du jeune soldat Sabiron est tout simplement admirable, je vous prie de vouloir bien transmettre mes chaleureuses félicitations à son auteur. Vous avez certainement pensé comme moi qu’il y aurait un grand intérêt à la vulgariser dans votre régiment en profitant de la période actuelle… Elle est de nature à maintenir très élevé le moral de votre troupe… Le soldat Sabiron est vraiment digne de ses ainés du 149e R.I.. Il me sera présenté à la première occasion, je tiens à lui exprimer moi-même les sentiments qui m’ont été inspirés par la lecture de son œuvre. »

Guillemot

                            

Salut des Bleus aux Anciens du 149

 

12-13 juin 1915

 

Au lieutenant-colonel Gothié

 

Hommage respectueux d’un soldat du 1er Bataillon. Georges Sabiron

 

Des hommes sont tombés, le Régiment demeure.

Nous sommes parmi vous tels que des arbres neuf

Dans les bois éternels qui naissent comme ils meurent.

Salut à vous, anciens du cent-quarante-neuf.

 

Salut. Nous apportons la tiédeur des familles,

Et les derniers baisers des dernières amours,

Et le sourire en pleurs des garçons et des filles

Parmi vous qui luttez depuis trois cent vingt jours.

 

Salut. Nous sommes fiers d’entrer dans votre gloire

Nous connaissons vos cœurs. Nous savons vos vertus ;

Quels furent vos travaux dans les batailles noires

Quels aspects de la mort vous avez combattus,

 

Nous savons qu’au mois d’août, quand les clairons de guerre

Jetaient leurs premiers cris, marchant avec succès,

Vous franchissiez les cols et portiez nos frontières

Vers le pays rhénan qui fut un champ français.

 

Les forêts de sapins, Sainte-Marie-aux-Mines,

Saint-Blaise où votre sort fut si noble et si beau,

Tous les monts vosgiens ont vu les fières mines

Des vainqueurs avançant sur les morts sans tombeau.

 

Mais enfin, refoulés par la vague du nombre,

Vous êtes revenus jusqu’en nos horizons

Où les forts d’Épinal eurent des abois sombres

Comme des chiens dressés au seuil de la maison.

 

L’Allemand s’arrêta sans forcer cette porte,

Tandis qu’un rauque appel vous a fait accourir

Vers la Marne où gisant, la France presque morte

Se releva plus grande et pour ne plus mourir

 

Nous savons que Souain a vu dans deux batailles

Votre triomphe enfin contre un destin méchant

Hélas ! Combien de vous couchés par la mitraille,

Combien de soldats bleus sont restés dans ces champs.

 

Alors a commencé la guerre âpre et tenace

Dans la terre qu’on fouille avec des pics ingrats

Et que vous appelez en de drôles grimaces

« La guerre des mulots, des taupes et des rats. »

 

Alors a commencé votre ardeur calme et lente

Comme Octobre empourprait et dépouillait les bois

Pied à pied, en luttant dans les sapes sanglantes

Vous avez reconquis les coteaux de l’Artois.

 

Mais celui qui tient en ses deux mains tragiques

Et qui sait où risquer le sang de ses soldats

Vous a jeté soudain dans les champs de Belgique

Pour un nouveau triomphe en  de nouveaux combats.

 

Ypres vous admira dans ses plaines voisines

Quand le flot allemand, heurtant sans émouvoir

Sous un suprême assaut, le mur de vos poitrines,

Se brisa comme la mer aux pieds des rochers noirs.

 

Vainqueurs, mais harassés, par les nuits de Décembre

Ployant sous votre sac comme sous un fardeau

Dans la pluie et le vent qui raidissaient vos membres,

Trébuchant sur la route aux pavés inégaux

 

Vous êtes revenus vers la terre française,

Et, puisant dans son sol la vigueur et la foi,

Vous avez triomphé de la horde mauvaise

Et vous avez marché sur le mont Saint-Éloi.

 

Anciens, on nous a dit vos mornes aventures,

Janvier et Février patiemment souffert

Et vos nuits sans sommeil, vos maigres nourritures,

Les brûlures du froid dans le farouche hiver,

 

La mitraille sautant comme la grêle tombe

Les balles qu’accompagne un sifflement hideux

Le reploiement des corps dans les trous où la bombe

Éclabousse de boue un groupe hasardeux,

 

Et l’appel des blessés qui déchire et qui navre

Les adieux d’un ami qui râle doucement

L’angoisse et la bravoure et l’odeur des cadavres,

La monotone horreur d’immobiles tourments.

 

Si bien que la bataille est par vous saluée

Lorsqu’en Mars furieux, terrible et plein de cris

L’Allemand a tenté sous de vastes ruées

De vous gagner des champs que vous avez repris.

 

Puis ce furent encore le guet morne et l’attente

Tandis qu’avril frileux naissait autour de vous

Et richement paraît de ses fleurs éclatantes

La terre où les obus ont creusé de grands trous.

 

Mai vînt, et vous grisa d’une ardeur printanière,

Il vous a réveillés comme les arbrisseaux

Les Allemands tapis au fond de leurs tanières

Vous les avez chassés dans un joyeux assaut.

 

Souvenez-vous de Notre-Dame de Lorette

Faites sonner en vous la date du neuf mai

C’est sur ce jour qu’il faut que votre esprit s’arrête

Pour d’autres souvenirs tenez vos cœurs fermés.

 

Rappelez-vous les jours luisant de claires flammes

Où le sort inégal n’a pas trompé vos cœurs

Et pour l’effort prochain unissez-vous dans vos âmes

La volonté de vaincre à l’orgueil des vainqueurs.

 

Anciens, j’ai rappelé vos luttes enflammées

J’ai chanté votre gloire au pur rayonnement

Et j’ai dit en quels lieux le maître des armées

A fixé le devoir de votre régiment.

 

Hélas, bien peu de vous ont franchi ces étapes

Et de tant de périls écartés avec soin,

Ont pu marcher toujours parmi la mort qui frappe

Depuis le soleil d’Août jusqu’au soleil de Juin.

 

Les uns saignant soudain et mordus de blessures

Au pays maternel ont connu le repos

Et plus tard frais des yeux et roses de figures

Sont rentrés dans vos rangs sous les plis du drapeau

 

Mais d’autres, soit tordus par de lentes souffrances,

Soit surpris sur un mot qu’ils n’achèvent pas,

Ont mélangé leur chair à la terre de France

Et des chefs sont tombés ainsi que leurs soldats.

 

Des hommes ont passé, le régiment demeure,

Il s’épuise toujours mais toujours rajeuni,

Il faut que des vaillants remplacent ceux qui meurent

Et reforment les rangs qui s’étaient désunis.

 

Il faut que jour et nuit, soit debout aux frontières

Avançant avec peine  en luttant pas à pas,

Sans cesse ruinée et cependant entière

La muraille de chair qui ne se brise pas

 

Soyez donc indulgents pour les bleus que nous sommes

Nous venons partager vos terribles travaux

Anciens, et recevez ces jeunes groupes d’hommes

Comme un malade accueille un sang riche et nouveau.

 

Nous venons avec vous défendre notre terre

Déjà nous partageons votre gloire avec vous

Mais si nous acquérons votre honneur militaire

Nous espérons  qu’aussi vous serez fiers de nous

 

Heureux si, dégageant la douce France humaine

Des talons ennemis qui l’oppressent encor

Nous pouvons refouler sur la terre germaine

Les épouvantements et les jeux de la mort.

 

Heureux si cet hiver, dispersés en nos villes,

Au creux de nos maisons chaudement abrités

Nous pouvons achever  tous nos travaux tranquilles

Dans un pays plus grand qu’il n’a jamais été.

 

Signé Georges Sabiron

 

Jeune soldat de la 1ère compagnie du 149e R.I.

 

12-13 juin 1915

 

Sources :

 

Le portrait de Georges Sabiron dans le médaillon du montage est extrait de la photo de groupe qui provient du fonds Jean Paulhan, une collection  conservée à l’I.M.E.C. de Caen. Cette photo m’a été envoyée par la petite-fille de Jean Paulhan.

 

Le poème écrit par Georges Sabiron provient de la collection personnelle de D. Gothié, le petit-fils du lieutenant-colonel Gothié.

 

Un grand merci à M. Bordes, à C. Paulhan et à D. Gothié.

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