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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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21 juin 2017

21 juin 1917. Un drame au P.C. Constantine.

21_juin_1917

Le 21 juin 1917 est une journée de relève pour les 3 bataillons du 149e R.I.. Le 1er bataillon qui était à l’arrière vient remplacer le 3e bataillon placé en soutien à l’ouest de Jouy. Les compagnies du 3e bataillon doivent monter en 1ère ligne pour se substituer à celles du 2e  bataillon qui vont pouvoir partir au repos.

Cette date est marquée par un terrible événement qui va se dérouler au P.C. Constantine, poste de commandement du bataillon de soutien.

Ce lieu est occupé par la liaison du 3e bataillon du 149e R.I.. Le jeu des relèves est loin d’être terminé. Le commandant Desanti, responsable du bataillon, est en permission. Durant son absence, c’est le capitaine adjudant-major Houel qui assure le commandement des 9e, 10e et 11e compagnies du régiment. Il est, avec le sous-lieutenant Bloch et les hommes de la liaison du bataillon, à l’intérieur du P.C.. Le secteur est bombardé plusieurs fois par les Allemands. En fin d'après-midi, vers 17 h 00, un obus de 210, à fusée retard qui traverse un point faible du P.C, éclate à l’intérieur. Plusieurs victimes sont à déplorer.

PC_Constantine

Cet épisode tragique est évoqué dans un témoignage rédigé par le sous-lieutenant Doulcier. Voici ce qu’il écrit :

21 Juin 1917.

« Le P.C. de bataillon Constantine qui se trouve près de l’éperon à l’ouest de Jouy est un ancien P.C. allemand, très profond. Il est formidablement protégé par des revêtements et des murs de gros chênes fixés entre eux, par des crampons de fer. Ayant reçu sa protection pour le sud, il offre un côté faible au nord, c’est-à-dire en direction de la nouvelle ligne de l’ennemi. Ce dernier, qui a des vues dominantes, a constaté que nous utilisions ce P.C.. Les Allemands lancent un premier obus de 380, dont la plaque de culot, retrouvée entière, permet d’identifier le calibre. Il tombe à quelques dizaines de mètres, créant un entonnoir énorme.

Un deuxième obus ne réussit pas mieux. Mais un 210 à fusée retard traverse le point faible. Il éclate à l’intérieur. La liaison, avec son adjudant, ses sergents, caporaux et hommes a 17 tués et 6 blessés. Le capitaine adjudant-major Houel et le sous-lieutenant Bloch sont les seuls à s’en sortir indemnes. Le commandant était en permission. »

Le soldat Hippolyte Journoud fait partie des victimes.

Jean Jourgon, un ami de ce jeune soldat artiste peintre, décrit, dans une longue lettre adressée aux parents de ce dernier, les circonstances du drame. La cérémonie religieuse célébrée par l'aumônier du régiment, Stanislas Galloudec, est également évoquée.

27 juin 1917

Monsieur et Madame,

Je vous demande sincèrement pardon si je ne vous ai pas directement appris la terrible catastrophe qui vient de semer la douleur dans vos cœurs de parents.

Dans mon cœur d’ami de ce cher Polyte, j’ai trouvé trop cruelle une lettre. C'est pourquoi j’ai prié la famille Mignot d’aller vous avertir plus doucement que moi j’aurai fait. Maintenant, mon devoir m’ordonne de ne rien vous cacher et je vais vous donner tous les détails des tragiques évènements de ces derniers jours.

Quand mon ami Polyte est revenu de permission, mon bataillon était au repos à Ciry-Salsogne. Nous y sommes restés six jours, puis nous sommes remontés en 2e ligne. Polyte montait aussi tenir un poste téléphonique et il se trouvait justement avec moi, au poste de commandement du 2e bataillon. Pendant les jours que nous avons passés en réserve, nous étions ensemble, et le temps ne nous paraissait pas trop long. Comme toujours, Polyte, dans ses moments de loisirs, dessinait et moi je gravais une douille d’obus dont il m’avait fait le dessin.

Puis mon bataillon est monté en 1ère ligne et j’ai quitté Polyte qui était resté avec le 3e bataillon qui nous relevait de 2e ligne. Pendant tous les jours qui ont suivi cette relève, les Allemands ont été très nerveux. Ils bombardaient violemment et ils attaquaient. Le 21, le bombardement redoubla de violence, particulièrement sur le point où se trouvait le P.C. du 3e bataillon. Ils tapaient avec du 150, mais nous, qui connaissions le P.C., nous n’étions pas inquiets, car nous savions l’abri très solide.

 Enfin, le bombardement cessa et quand les communications furent rétablies, avec stupeur, nous apprîmes qu’un obus de 150, à fusée retard, avait traversé l’épaisseur de terre de l’abri et était venu percuter à l’intérieur où se trouvait rassemblée toute la liaison du 3e bataillon, soit une vingtaine d’hommes.

Tous avaient été tués par l’engin meurtrier. Mais moi, dans ma confiance, je ne pensais pas que mon ami était du nombre et par un coup de téléphone, j’apprenais l’affreuse nouvelle. J’étais assommé et je tremblais comme une feuille.

Quand je me suis ressaisi, immédiatement j’ai demandé, comme nous étions relevés le soir, à partir tout de suite, pour rendre les derniers devoirs à mon troisième et regretté ami qui, comme Jean Meyrieux et Jean Mignot, était mort à son poste.

Quand j’arrivais au P.C., tout était bouleversé et des brancardiers commençaient à dégager les cadavres avec l’espoir qu’il y en avait peut-être encore des vivants, mais hélas, ils étaient tous morts. Tout de suite, je reconnus notre pauvre Polyte, je me suis agenouillé. J’ai pleuré comme un enfant sur ce cher ami que la mort arrachait à l’affection de ses amis, à l’amour de ses parents, et, sur son front, en votre nom, Monsieur et Madame, j’ai déposé un pieux baiser. Ensuite, j’ai examiné le corps de mon pauvre ami pour constater de quelle façon, il avait été tué.

Sur son corps, je n’ai vu que deux blessures. Un petit éclat à la cuisse et un autre au pied. C’était tout, et ce n’est pas ces deux blessures qui ont entraîné la mort. Mon ami avait été tué par la commotion et il n’avait pas souffert du tout. Sa figure était très calme et il semblait dormir. Je lui ai enlevé ses papiers, mais je n’ai pas pu retrouver ses carnets de dessins qu’il emportait toujours avec lui.

Je n’ai trouvé que son portefeuille contenant 35 francs en billets et divers papiers et photographies, son porte-monnaie qui contenait 2 francs 90, une petite glace, un crayon, une gomme, son calot et son mouchoir. C’était tout. Là-dessus, les brancardiers ont descendu les corps au village de Jouy. Moi, je suis descendu à Ciry-Salsogne avec la certitude que le corps de mon ami serait ramené et inhumé dans ce dernier village, car chez les téléphonistes, c’est un principe, un devoir, d’enterrer les morts dans le village où nous allons au repos.

Je ne me trompais pas. Le 23 au matin, les corps arrivaient à Ciry où ils étaient exposés dans l’église.

L’enterrement devait avoir lieu à 15 h 00. En attendant, je me suis occupé des affaires que Polyte aurait pu avoir laissées à l’arrière, mais, dans son sac, il n’y avait rien. L’officier qui s’occupe des décès m’a prié de lui remettre les papiers que j’avais recueillis, car il nous est défendu, à nous, d’envoyer les successions des soldats morts au champ d’honneur. Je lui ai donc remis le tout que vous recevrez par l’intermédiaire du ministère de la guerre.

À 14 h 30, j’ai été voir une dernière fois mon ami. J’ai assisté à la mise en bière et, avant de le quitter, je l’ai encore embrassé pour vous. Puis notre aumônier a célébré l’office religieux auquel assistaient un grand nombre de poilus, le colonel et de nombreux officiers. Pendant la messe, j’ai encore pleuré, car je pensais à vous, à votre douleur. Je pensais aussi à ma pauvre petite fille.

L’office a duré trois quarts d'heure et le cortège s’est formé. L’ancienne compagnie, la 6e de Polyte, rendait les honneurs à tous ses pauvres malheureux.

Le cercueil de Polyte était couvert de fleurs, car ce regretté camarade n’avait que des amis. Les téléphonistes et les officiers ont déposé une couronne de perles et, au cimetière, le colonel a fait un petit discours sur la mort de tous ces braves. Jusqu’au dernier moment, je suis resté. Maintenant, mon pauvre ami repose en paix, au cimetière de Ciry-Salsogne. Quand la bière a été recouverte, moi et quelques copains, nous avons planté un rosier dont je vous envoie quelques fleurs en même temps qu’un livre qui restait dans son sac.

Je vous demande, Monsieur et Madame, encore bien pardon de la peine que je vous cause. Mais, soyez assuré que ma douleur très grande s’associe à la vôtre et à celle de Mademoiselle votre fille. Ayez du courage dans le malheur qui vous frappe. Prions Dieu pour ce pauvre Polyte qui est tombé en brave. Recevez, Monsieur, Madame et Mademoiselle, les témoignages de ma grande douleur et une chaleureuse poignée de main. »

Pour en savoir plus sur Hippolyte Journoud, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Hippolyte_Journoud_1

La liste des pertes qui se trouve à la fin de l’historique du 149e R.I. et le site «Mémorialgenweb » ont permis de retrouver une partie des hommes qui ont été tués ce jour-là. Les noms qui apparaissent en bleu foncé sont ceux des soldats qui ne sont pas sûrs de figurer à 100 % parmi les victimes de cet évènement (date de décès plus tardive).

Tableau_des_tues_pour_la_journee_du_21_juin_1917

Plusieurs d’entre eux reposent dans la nécropole nationale de Vauxbuin.

Sepultures_Vauxbuin_

Le capitaine adjudant-major Houël et le sous-lieutenant Bloch ont été cités à l’ordre de la division quelques semaines après cet évènement.

Citation du capitaine adjudant-major Houël à l’ordre de la 43e D.I. n° 229 en date du 3 juillet 1917 :

« Officier très courageux et très énergique, a montré beaucoup de courage et de dévouement, en assurant, malgré un bombardement violent, le sauvetage de sa liaison ensevelie dans les abris.»

Citation du sous-lieutenant Bloch à l’ordre de la 43e D.I. n° 229 en date du 3 juillet 1917 :

« À peine dégagé d’un abri effondré par éclatement d’un obus de gros calibre tuant 16 hommes et en blessant 5 grièvement, à montré le plus bel exemple d’énergie et de mépris du danger en donnant les premiers soins aux blessés et en aidant à leur transport sous un intense bombardement. Officier grenadier, au front depuis le début de la campagne, blessé une fois, déjà 3 fois cité. »

Il est à noter que le nombre des pertes indiquées dans cette citation n’est pas tout à fait identique à celui qui est donné dans le témoignage du sous-lieutenant Doulcier.

Sources :

J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 344/7.

Les archives du Service Historique de la Défense de Vincennes ont été consultées.

Historique du 149e  Régiment d’Infanterie. Épinal. Imprimerie Klein, 1919.

Témoignage du lieutenant Paul Douchez en trois volumes, déposé par le fils de cet officier, aux archives du Service Historique de la Défense de Vincennes en 1983.  Fonds Douchez ref : 1K 338.

« Un talent foudroyé », Hippolyte Journoud peintre lyonnais, tué au chemin des dames. Ouvrage écrit par Henry Destour. 2014.

Serge et « Pouldhu », intervenants du forum « Pages 14-18 » ont permis de localiser le P.C. Constantine sur le terrain.

La photographie qui se trouve sur le 1er montage, réalisée par Serge, montre le lieu où se trouvait l’ancien P.C. Constantine obstrué par un arbre, d’après le positionnement donné par le J.M.O. de la 43e D.I.. 

Le portrait du soldat Hippolyte Journoud provient de la collection de la famille Aupetit.

Le portrait du sergent Augustin Honorat m’a été envoyé par A. Orrière.

site « Mémorialgenweb »

Un grand merci à la famille Aupetit, à M. Bordes, à A. Carobbi, à H. Destour, à A. Orrière, à M. Porcher et à Serge et « Pouldhu », du forum « Pages 14-18 ».

 

Commentaires
S
Triste affaire... Qui m'en rappelle une autre très semblable dans laquelle un obus, passé par le soupirail d'une cave, a également dévasté la liaison d'un bataillon du 74e... C'était dans les Flandres en octobre 1918... Il faudrait que je fasse un papier comme le tiens là-dessus... Amitiés.
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