Essayons ici de redonner un peu de « vie » à une vieille carte postale qui sommeillait dans le tiroir de l’oubli…
Deux chasseurs du 21e B.C.P. et un fantassin du 149e R.I. sont représentés sur la photographie.
Au dos de la carte, un certain Auguste Saetler déclare sa « flamme » à une dénommée Jeanne, habitante de la commune de Châtel-sur-Moselle.
Châtel le 6 septembre 1907
Ma chère Jeanne,
Je viens vous faire bien sincèrement l’aveu des sentiments que vous m’avez inspirés. Depuis le moment où j’ai eu le bonheur de vous rencontrer, je me suis senti attiré vers vous et j’ai compris que vous seule pouviez faire mon bonheur. À mesure que j’ai eu l’occasion de juger de votre caractère et d’apprécier vos charmantes qualités, mon affection pour vous s’est accrue. Aujourd’hui, ma chère Jeanne, je ne puis plus résister au sentiment impérieux qui me domine. Je vous aime et j’ai compris tout ce que vous pouviez offrir. Félicité à moi si vous daignez partager votre sort au mien. J’ose vous proposer d’être près de moi, je vous aime jusqu’à la mort. Si vous voulez bien agréer l’offre de ma cour, veuillez vous trouver à côté de la gendarmerie samedi soir à 7 heures et demie. Je m’y rendrai de mon côté. Croyez, ma chère Jeanne à mon plus profond respect.
Auguste Saetler.
Plusieurs questions se posent… Des trois soldats représentés sur la photo, lequel est Auguste Saetler ? Hélas, je ne connais pas la réponse. Est-ce que Jeanne est venue au rendez-vous fixé ?
Après de nombreuses recherches, voici quelques informations complémentaires qui pourraient bien confirmer la présence de Jeanne à ce rendez-vous…
Le 21 avril 1908, un certain Auguste Saetler épouse une dénommée Jeanne Renaud dans la commune de Châtel-sur-Moselle… Les signatures d’Auguste apposées sur l’acte de mariage et sur la carte postale sont vraiment très ressemblantes.
Auguste Saetler est né le 29 janvier 1883 à Kogenheim, petite ville du Bas-Rhin. Fils de Georges et de Catherine Zuber, il se retrouve orphelin de mère dès l’âge de 13 mois.
Engagé volontaire de la classe 1914, il est immatriculé sous le n° 2673 au recrutement d’Épinal. En 1918, Auguste est soldat sapeur pionnier au 149e R.I. dans la Compagnie Hors Rang. Il décède des suites de ses blessures le 22 juillet 1918 à l’hôpital d’évacuation d’Auves, commune qui se trouve dans le département de la Marne.
Il a été décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre avec palme.
Alsacien, Auguste Saetler utilise un nom d’emprunt durant tout son parcours de guerre. Optant pour le nom de famille de son épouse, il combattra sous le nom d’Auguste Renaud. Le nom d’emprunt était parfois utilisé comme mesure de protection en cas de capture par l’armée allemande. Voici quelques éléments d’informations concernant les Alsaciens-Lorrains qui proviennent du livre écrit par le lieutenant-colonel Albert Carré « Les engagés volontaires Alsaciens-Lorrains pendant la guerre » :
« Une loi relative à l’admission des Alsaciens-Lorrains dans l’armée française est votée le 5 août 1914. En voici l’énoncé :
Article premier : Les Alsaciens-Lorrains qui contractent pendant le cours de la guerre un engagement volontaire au titre d’un régiment étranger recouvrent sur leur demande et après la signature de leur acte d’engagement, la nationalité française. Ils peuvent en conséquence, être incorporés, après l’accomplissement de cette formalité, dans un corps quelconque de l’armée, s’ils remplissent les conditions d’aptitude exigées pour l’arme dont ce corps fait partie.
Article deux : Le bénéfice des dispositions de l’article précédent est également applicable aux Alsaciens-Lorrains servant dans les régiments étrangers, au moment de la déclaration de guerre, qui en feront la demande.
Dix-sept mille six cent cinquante Alsaciens-Lorrains se sont engagés volontairement pour porter l’uniforme français. Les uns (environ 16000), rejoignirent avant d’être mobilisés, les autres se rendirent sous l’uniforme allemand. Sur un nombre de 25580 prisonniers de guerre, 1650 demandèrent à combattre sous le drapeau français. »
Pour appuyer la thèse de la dangerosité pour les Alsaciens-Lorrains de combattre sous l’uniforme français en cas de capture par les Allemands, voici deux documents provenant du Service Historique de la Défense de Vincennes. Ils sont enregistrés sous les cotes 19 N 1157 et 19 N 15 (un grand merci à É. Mansuy).
MINISTERE DE LA GUERRE
Direction de l’infanterie
2e bureau
RECRUTEMENT
Nº 6677 2/1
Confidentiel
Paris, le 23 mars 1915
LE MINISTRE DE LA GUERRE
À Monsieur le Général Commandant en chef
Grand Quartier Général
Il m’a été rendu compte que certains commandants de recrutement croient devoir faire marquer A.L., les livrets militaires destinés aux Alsaciens-Lorrains engagés volontaires servant aux armées.
Cette façon de procéder, qui aurait pour effet de désigner les intéressés à l’attention des Allemands au cas où ils seraient faits prisonniers, va à l’encontre du but poursuivi par la dépêche du 24 février 1915 n° 4375 2/1. Or, il importe au plus haut point que l’Alsacien-Lorrain titulaire d’un livret, comportant un état civil d’emprunt, ne puisse d’aucune façon être signalé ou reconnu.
C’est pourquoi, outre les mesures déjà prescrites à ce sujet par la dépêche du 1er mars n° 4708 2/1, il est nécessaire dans ce sens de compléter toutes les pages du livret par des indications correspondant à l’âge des intéressés et à la situation au point de vue du recrutement qu’ils pourraient avoir s’ils avaient été soumis, avant leur engagement aux lois françaises, soit comme engagés, exemptés ou réformés.
En résumé, toutes les indications se rapportant à la situation militaire fictive des intéressés doivent être inscrites sur le livret afin de donner à ce document un aspect d’authenticité indéniable.
D’un autre côté, je suis informé que certains commandants de recrutement laissent entendre que l’Alsacien- Lorrain qui s’engage dans la Légion étrangère doit attendre, pour être versé dans un régiment français, le résultat de la procédure de naturalisation suivie au Ministère de la Justice.
Cette manière de voir est une interprétation erronée de la loi du 5 août 1914. En effet, l’article 1er de cette loi spécifie que, du fait de son engagement, l’Alsacien-Lorrain réintègre la qualité de français et peut être versé dans un corps français. Dès lors, l’engagé doit être immédiatement versé dans un corps du service ordinaire s’il en fait la demande aussitôt après la signature de son engagement. Comme conséquence de ces dispositions, les Alsaciens-Lorrains qui auraient été maintenus à la Légion étrangère, bien qu’ayant manifesté le désir d’être admis à servir dans des corps français lors de la signature de leur engagement, devront être versés sur leur demande dans ces corps conformément aux prescriptions du 4e alinéa de la dépêche du 24 février 1915 précitée.
J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien donner des instructions en ce sens.
Pour le ministre, et par son ordre,
Le Colonel directeur de l’Infanterie,
E. MARGOT.
…….
Le Président du Conseil, Ministre de la Guerre,
Monsieur le Général commandant la … ème Région.
La dépêche confidentielle n° 4375 2/1 du 24 février 1915 (8e alinéa), spécifie que le bureau de recrutement qui a immatriculé les engagés Alsaciens-Lorrains doit seul posséder leur véritable état civil.
D’un autre côté, la dépêche confidentielle n° 7870 2/1 du 8 avril suivant, rappelle cette disposition et indique que les unités, auxquelles les Alsaciens-Lorrains sont affectés, ne doivent connaître ni le vrai nom de ces derniers, ni leur véritable lieu d’origine, ni l’adresse de leurs parents restés en Alsace-Lorraine.
Or, il est rendu compte que, dans maintes circonstances, l’application de ces dispositions a donné lieu à des erreurs.
Pour remédier aux inconvénients signalés je décide que les livrets matricules véritables des Alsaciens-Lorrains servant dans l’armée française seront désormais confiés aux chefs de corps. Cette opération s’effectuera de la façon suivante :
Les commandants des dépôts et les commandants des corps en campagne feront rechercher discrètement, dans les unités sous leurs ordres, les Alsaciens-Lorrains qui servent sous un état civil d’emprunt.
Chaque chef de corps en campagne adressera la liste des Alsaciens-Lorrains au commandant du dépôt. Ce dernier établira une liste complète de tous les Alsaciens-Lorrains qui servent au régiment, soit au dépôt, soit aux armée, et au moyen de cette liste réclamera les livrets matricules des militaires dont il s’agit aux commandants des bureaux de recrutement intéressés qui leur fera parvenir.
Le commandant de dépôt enverra ensuite au chef de corps en campagne les livrets matricules qui devront être conservés par l’officier payeur du régiment, lequel ne devra en aucun cas s’en dessaisir.
Je vous prie de donner des instructions pour assurer l’exécution de cette décision.
Pour le président du Conseil, Ministre de la Guerre, et par son ordre,
Le Général directeur d’infanterie.
Signé : COTTEZ
Le 29 janvier 1918, le général Cottez précisait que dans le cas des régiments d’artillerie en campagne, lesquels n’avaient pas d’officier payeur, les régiments d’artillerie lourde, dont les diverses composantes étaient disséminées sur le front, et en général toutes les unités en campagne n’ayant pas d’officier payeur, les livrets matricules véritables des Alsaciens-Lorrains seraient conservés par les commandants des dépôts.
Sur la transcription de l’acte de décès d’Auguste Renaud datant du 17 décembre 1919, qui a été envoyée à la commune de Châtel-sur-Moselle, peut être lue la mention rectificative suivante :
Loi du 18 avril 1918 : L’acte ci-contre concernant un alsacien-lorrain a été établi sous un état civil d’emprunt. Le soldat Saetler, prénommé Auguste, né à Kogenheim (Bas-Rhin) le vingt-neuf janvier mille huit cent quatre-vingt-trois, domicilié en dernier lieu à Châtel-sur-Moselle, fils de Georges et de Catherine Zuber, était époux de Jeanne Félicité Paule Renaud domiciliée à Châtel. Paris, le trois novembre mille neuf cent dix-neuf.
Auguste Saetler n’est pas enterré dans le petit carré militaire du cimetière communal d’Auves, lieu de son décès. À ce jour, je ne suis pas parvenu à retrouver l’endroit où il repose.
Source :
« Les engagés volontaires Alsaciens-Lorrains pendant la guerre », du lieutenant-colonel Albert Carré, aux éditions E. Flammarion.
Les lettres du colonel E. Margot et du général Cottez proviennent du S.H.D.. Elles sont enregistrées sous les cotes 19 N 1157 et 19 N 15.
Un grand merci à M. Bordes, à J.M. Bolmont, à É. Mansuy et au Service Historique de la Défense de Vincennes.