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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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25 juin 2021

1er octobre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

1er octobre 1918

Les bataillons du 149e R.I. sont au repos dans les tranchées de Postdam et de Gratreuil pour le 2e jour consécutif. Loin d’être à l’abri, les hommes sont régulièrement harcelés par les tirs de l’artillerie allemande. 

L’abbé Henry décide d’aller rendre visite au 3e bataillon du régiment. Il quitte le poste de secours de la voie ferrée pour se rendre à la tranchée de Gratreuil.

Une fois sur place, il s’entretient avec les officiers du bataillon qui lui résument les évènements de la journée du 28 septembre. L’aumônier Henry relate également une situation peu banale en lien direct avec Ludendorff.

La période de repos est sur le point de s’achever pour le 149e R.I.. Il n’y a pas de troupes fraîches à disposition pour relever le 21e C.A.. Le 21e R.I. est à bout de force après ses attaques menées sur la tranchée d’Aure. Les hommes du lieutenant-colonel Vivier apprennent qu’ils vont bientôt reprendre l'offensive. La 43e D.I. est sur le point de relever la 13e D.I..

Témoignage de l’abbé Henry : poste de secours de la voie ferrée.

Messe à 7 heures.

La journée commence bien ! Canonnade violente de la part des Boches, non seulement sur nous, mais encore à droite et à gauche, sur un large front ; fusées demandant le barrage ! Notre artillerie qui est venue se masser en avant et derrière la ligne de chemin de fer donne tout ce qu'elle peut.

Du P.S., j'entends la voix du guetteur crier de toute sa force : « Barrage ! ». En ligne, la lutte doit être chaude et les Boches ont dû « remettre ça » à plusieurs reprises.

Dans la matinée, le général est venu remettre la Légion d'honneur au capitaine Lobstein et quelques médailles militaires (4). On a raison de ne pas faire attendre des récompenses certes bien méritées.

Le commandant Hassler est malade. Le docteur Rouquier ne croit pas qu'il puisse rester à la tête de son bataillon.

10 h 00.

Le 21e attaque la tranchée d'Aure. Notre artillerie semble décidée à y mettre le prix. La lutte doit être chaude, acharnée, car elle se prolonge.

Soirée ensoleillée. J'en profite pour rendre visite à la tranchée de Gratreuil, où le 3e bataillon se repose de ses fatigues. Vu le commandant Fontaine, le capitaine Prenez, le lieutenant Roncin, le capitaine Nold. Causé longuement avec Humes.

Devant la tranchée de Nassau, ce fut terrible. Les mitrailleuses balayaient tout ; les obus tombaient sans relâche. Les hommes s'étaient abrités dans les trous et n'en bougeaient plus ; et pourtant, il fallait avancer ! « J'ai dû aller, venir, me raconte Humes, d'un trou à l'autre pour les faire sortir ; je suis resté debout, je ne me suis pas couché ni baissé un seul instant ; ma capote est percée de balles et d'éclats d'obus comme une écumoire, et moi, je n'ai pas une égratignure, pas ça !… Je ne sais pas comment cela se fait ! ».

Le capitaine Nold, lui, a reçu une balle qui a traversé le haut de son casque, sans que la tête soit touchée !

Et voilà tous ces hommes qui, à peine sortis de la fournaise, pourront y être rejetés demain. Car le 21e est à bout de force et c'est encore le 149 qui va payer de sa personne !

C'est dur ! Et pourtant, je n'entends pas un murmure, pas une plainte ! Les hommes préparent leurs armes.

Je les trouve à la 9e, fort occupés à installer une mitrailleuse contre avions. Le sergent Charnotet revient de permission ; il a manqué pour la première fois la bataille. Mais il arrive à temps et avec lui un certain nombre de permissionnaires pour la dernière phase de la bataille : « Alors on va remettre ça ! me dit-il en passant, ce ne sera pas grand-chose ! ». Ainsi soit-il !

Alors, on remet ça ! Vraiment, je ne croyais pas qu'on pouvait demander à des hommes de tels efforts. Je n'attends pas grand-chose de bon de cette reprise par des gens qui sont déjà sur les dents !

C'est le 2e bataillon qui va partir en tête, soutenu par ce qui reste du 1er puis le 3e bataillon (pour la 3e fois) à nouveau se lancera en avant.

Le 21e R.I. a dû attaquer à 10 heures. Ses objectifs étaient : tranchée d'Aure, bois La Croix, Orfeuil, Pylône. Si j'en juge par la canonnade qui ne s'apaise pas, qui au contraire ne cesse de croître en intensité, l'affaire doit être extrêmement disputée.

P.S.. Il me tarde d'avoir des nouvelles. Au P.S., il est difficile d'avoir la vérité, les impressions de blessés sont si sujettes à caution ! Elles ont la valeur d'indices à retenir et à contrôler les uns par les autres.

Après les premiers blessés, l'attaque est bien partie, la tranchée d'Aure a été prise, on a passé trois crêtes et on n'en était à peu près au village d'Orfeuil, mais les Boches ont contre-attaqué aussitôt avec des troupes fraîches, nombreuses, bien outillées, armées d'innombrables mitrailleuses. Elles ont reconduit le 21e en vitesse à son point de départ.

Le terrain conquis a été perdu plus vite qu'il n'avait été gagné. Eh quoi ! Le 21e n'a même pas gardé la tranchée d'Aure ? – Si ! C'est là que nous sommes en ce moment !

Mais voici un lieutenant du 21e. Il est fatigué, malade ; avec lui nous allons savoir de quoi il retourne.

Ses impressions sont celles d'un homme déprimé, qui est arrivé à l'extrême limite de ses forces. Tel Lemoine samedi, il fait mal à entendre.

La situation du 21e n'a cessé d'être dangereuse, du fait qu'il est depuis trois jours en pointe d'avant-garde par rapport au reste de la ligne. Les hommes malgré la fatigue de ces six jours sont partis magnifiquement, mais que sont-ils ? Une poignée ! Les rangs sont fort éclaircis.

Dans ces conditions, comment tenir le coup contre une division fraîche amenée à pied d'œuvre juste avant la contre-attaque ? Il fallait, ou reculer, ou se laisser prendre par enveloppement en même temps que massacrer sur place !

On s'imagine qu'il n'y a personne en face de nous ! C'est une erreur absolue ! Il y a des soldats et il y a de l'artillerie. « L'artillerie, j'estime, dit le lieutenant, qu'elle nous en envoie autant qu'à Verdun, comme nombre de projectiles. Il y a cette différence que ces obus ne sont pas d'aussi gros calibre et que ça ne tombe pas tout le temps comme à Verdun, mais enfin, quand ils nous prennent à partie, pendant une heure, deux heures, ça tombe aussi dru qu'à Verdun. Avec ça, les effectifs fondent ! C'est forcé ! ».

Quand on lui parle d'évacuation, le pauvre lieutenant est navré ! Il songe aux camarades restés à la peine. « Ce pauvre Legagneux, qu'est-ce qu'il va devenir ? Il reste… quoi !… 30 hommes dans sa compagnie. En voilà un ! Quel homme ! Comment n'est-il pas tué ! Toujours en avant ! Et modeste ! ».

Legagneux ! C'est le nom qu'au 21e on ne prononce qu'avec fierté, admiration et respect ! – Conclusion du lieutenant : « Je plains le 149, si c'est lui, comme on le dit, qui doit nous relever ! ». C'est réjouissant comme perspective.

Le 21e, malgré tout, a gagné le terrain qui sépare la tranchée de Nassau de la tranchée d'Aure ; c'est une avancée de 3 km. Il a fait aussi un certain nombre de prisonniers. On les utilise à porter les blessés. Le médecin du 21e, avec eux, est pour la manière forte.

Carte 1 journee du 1er octobre 1918

Les obus boches tombent à nouveau sur la voie ferrée. Rappel nécessaire à la prudence. Dans la plaine c'est un grouillement de monde. Les chariots de parc, les caissons, traversent maintenant la voie à la file indienne, sans souci des obus. Il le faut puisque maintenant une bonne partie des batteries s'est portée en avant. Le maréchal Foch aparaît-il, donné la consigne de ne pas s'arrêter : le succès doit être exploité à fond. La poche ouverte dans la ligne ennemie de doit pas se refermer.

Près de nous, sous la voie ferrée, le commandant Pougny,qui commande maintenant le 1er bataillon au lieu et place du commandant Hassler évacué, installe son P.C.. Le 149e décale d'un cran en avant et se porte jusqu'à la tranchée de Nassau en soutien et en liaison plus étroite avec le 21e.

Il n'est pas jusqu'aux T.C. qui ne se déplacent. Ordre aux T.C. de se porter au bois de la Fouine et bois voisins, c'est-à-dire près de la ligne de chemin de fer. J'ai l'impression qu'on va un peu vite en besogne. Pourvu que nous n'ayons pas de casse !

Barge cité à l'ordre Ludendorff. Ceci n'est point banal. Dans les papiers boches saisis, n’a-t-on pas trouvé une circulaire signée Ludendorff donnant aux Boches comme modèles les observateurs français. Dans leur attaque du 15 juillet, les Boches ont mis la main sur les cahiers où les observateurs de Barge notaient leurs observations. Ces cahiers ont, paraît-il, fait l'admiration de Ludendorff qui ne s'étonne plus que les Français aient été si bien renseignés, etc., etc.… C’est flatteur pour Barge et l'aveu boche doit lui faire plaisir.

Sources :

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

Le morceau de carte  est extrait du J.M.O. du 3e B.C.P. : Réf 26 N 816/5.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à J.L. Poisot et au S.H.D. de Vincennes. 

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