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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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30 avril 2021

Martial Jacob Crémieux (1894-1958)

Martial Jacob Cremieux

 

Martial Jacob Crémieux naît le 30 mars 1894 dans le 3e arrondissement de la ville de Paris, au n° 2 de la rue Notre-Dame-de-Nazareth. Sa mère, Clarisse Esther Naxara, originaire de Bordeaux, est âgée de 25 ans lorsqu’elle le met au monde. Son père, Georges Maurice Fernand, est un parisien né la même année que son épouse. Il travaille comme employé de commerce.

 

En 1896, les Crémieux vivent au n° 22 de la rue Héliopolis, dans le 17e arrondissement. Clarisse donne vie à un second garçon.

 

Genealogie famille Cremieux

 

Martial quitte l’école communale avec un degré d’instruction de niveau 3. Il sait bien lire, écrire et compter. L’adolescent se fait embaucher comme coupeur d’habits avant de devenir employé de commerce.

 

Début 1911, la famille Crémieux occupe un appartement situé au n° 137 boulevard Perère. Le père meurt dans sa 42e année, le 16 février. Martial approche de son 17e anniversaire. Son frère a quatorze ans.

 

Une année avant sa majorité, Martial doit se présenter devant le conseil de révision, réuni à la mairie du XVIIe arrondissement. Le médecin qui l’examine décide de le classer dans la 5e partie de la liste en raison de sa fragilité.

 

En temps normal, il aurait dû bénéficier d’une année supplémentaire avant de se présenter à nouveau devant le conseil de révision, mais les événements internationaux vont changer la donne. Un conflit armé contre l’Allemagne débute en août 1914.

 

Les premières semaines de combat sont particulièrement meurtrières. Le nombre de blessés est très élevé. Tous les exemptés sont à nouveau convoqués devant le conseil de révision. Cette fois-ci, la médecine militaire est moins bienveillante avec Martial. Elle le classe directement dans la 1ère partie de la liste, ce qui veut dire qu’il est déclaré « bon pour le service armé ».

 

L’employé de commerce est incorporé à compter du 19 décembre 1914. Le lendemain, il rejoint le dépôt du 29e R.I., une unité du 8e C.A. qui se trouve à Autun, dans le département de la Saône-et-Loire.

 

Martial est affecté au 9e bataillon du 85e R.I. le 25 juin 1915. Il quitte la caserne Changarnier doté de sa formation militaire de 6 mois. Le soldat Crémieux est rapidement muté dans un des bataillons du 61e Régiment territorial, une unité qui dépend du 85e R.I. ; il va y travailler comme manutentionnaire.

 

Une telle affectation, pour un jeune de la classe 1914, s’explique probablement par la prise en compte de sa faiblesse physique. Cette fragilité le conduit peut-être à une évacuation. Ce qui est certain, c’est qu’il est amené à se présenter devant la commission de réforme de Compiègne le 8 décembre 1915.

 

Martial Crémieux apprend qu’il ne rentre pas dans les critères pour passer dans le service auxiliaire. La commission décide de le maintenir au service armé. Il sait qu’il va bientôt être muté dans une unité combattante.

 

Le 31 décembre 1915, le soldat Crémieux est affecté au 149e R.I..

 

Son régiment est envoyé à Verdun en mars 1916. Les Allemands ont lancé une grande offensive dans ce secteur. Martial fait partie des effectifs de la 1ère compagnie, sous les ordres du capitaine de Chomereau de Saint-André. Sa section est commandée par le sous-lieutenant Gaston Brosse.

 

La 1ère compagnie est une des deux compagnies du 149e R.I. qui fut engagée à deux reprises en 1ère ligne durant cette période.

 

Après la guerre, Martial laisse une trace écrite particulièrement poignante sur ce qu’il a vécu durant son passage à Verdun.

 

Il suffit de cliquer une fois sur le dessin suivant pour lire ce témoignage.

 

Verdun Martial Crémieux

 

Le 149e R.I. quitte le département de la Meuse à la mi-avril 1916. Après une courte période de repos à Landrecourt, Martial Crémieux se rend en Champagne avec l’ensemble du régiment. Le 149e R.I. prend position dans un secteur beaucoup plus calme, situé entre les buttes de Tahure et celles de Mesnil, près des Deux-Mamelles.

 

Les hommes du lieutenant-colonel Gothié combattent dans la Somme à partir du mois de septembre 1916. Martial participe à la prise des villages de Soyécourt et de Déniécourt, il y apprend la mort de son frère. Des problèmes de santé finissent par l’éloigner de la ligne de front.

 

Martial Crémieux entre à l’hôpital Rollin de Paris le 4 novembre 1916. Il en sort le 18 novembre. Souffrant de rhumatismes, il est envoyé au centre de réforme de Clignancourt. Il quitte cet établissement le 30 novembre. Martial bénéficie ensuite d’un mois de convalescence. Le 6 décembre 1916, il est de nouveau hospitalisé. Le soldat Crémieux se fait soigner à l’hôpital complémentaire de la Croix de Berny, à Fresnes, pendant une durée de 3 mois. Le 7 mars 1917, il rejoint le dépôt du 149e R.I.. La date exacte de son retour dans la zone des armées n’est pas connue.

 

Il est impossible de dire s’il a regagné les rangs de son ancienne compagnie après son long séjour dans les hôpitaux.

 

Son unique citation nous fait savoir qu’il a pris part à la bataille de la Malmaison et aux combats de septembre 1918.

 

Martial Crémieux est mis en congé illimité de démobilisation le 31 août 1919,  avec l’obtention de son certificat de bonne conduite.

 

De retour à la vie civile, il retrouve sa profession d’employé de commerce. Martial devient réserviste du 101e R.I. avant d’être rattaché au dépôt du 23e R.I.C.. Il fait ensuite partie des réservistes du C.M. colonial n° 17 puis de ceux du C.M. colonial n° 59. Martial Crémieux vit avec sa mère au 55 rue Laugier.

 

Le 5 février 1925, il épouse Germaine Mendel, une couturière parisienne âgée de 30 ans.

 

Le 1er mai 1930, sa situation militaire entraîne son rattachement à la 5e section de C.O.A..

 

Le 1er novembre 1934, l’ancien soldat du 149e R.I. devient réserviste du C.M. d’infanterie n° 212.

 

En 1938, il demeure avec son épouse au 253 rue Saint-Denis, dans un appartement anciennement occupé par sa belle-mère. La descendance du couple Crémieux n’est pas connue. Martial est devenu vendeur en confection.

 

Il est rappelé à l’activité militaire par ordre de mobilisation générale du 2 septembre 1939. Martial a 45 ans lorsqu’il rejoint le C.M. d’infanterie n° 212. L’ancien réserviste est muté au 3e B.D.R.. Le 1er octobre, il est envoyé à la 5e compagnie de travailleurs militaires, une unité dépendante du dépôt d’infanterie n° 131. 

 

La fiche matricule du soldat Crémieux n’est pas assez détaillée pour que nous puissions en dire davantage sur ce qu’il est advenu de lui durant et après le conflit 1939-1945. La date où il est définitivement libéré de l’impôt de sang n’est pas connue.

 

Martial Crémieux décède le 8 janvier 1958 dans le 10e arrondissement de Paris à l’âge de 64 ans.

 

Le soldat Crémieux a obtenu la citation suivante :

 

Citation à l’ordre du régiment n° 64 du 14 novembre 1918 :

 

« Très bon soldat, a pris une part très active aux durs combats de Verdun en 1916, de l’Aisne en 1917. S’est particulièrement distingué au cours des opérations du 26 juillet 1918 en Champagne. »

 

Sources :

 

Les informations qui ont permis la réalisation de cette biographie sont extraites de sa fiche signalétique et des services et des différents actes d’état civil consultés sur le site des archives de la ville de Paris.

 

Site « MémorialGenWeb »

 

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à I. Holgado, au Service Historique de la Défense de Vincennes et aux archives de la ville de Paris.  

23 avril 2021

Verdun 1916, Martial Crémieux témoigne…

Verdun Martial Crémieux

 

Dans le cadre d’un vaste projet d’écriture concernant un imposant volume de plus de 500 pages dédié aux batailles de Verdun, Martial Crémieux prend la plume pour évoquer ce qu’il a vécu durant son séjour dans la Meuse. Comme des centaines d’anciens combattants qui se sont attelés à la même tâche, il adresse le tout à Jacques Péricard, auteur du livre qui sera publié pour la première fois en 1933.

 

Jacques Péricard utilisera une partie du témoignage rédigé par Martial Crémieux. Ce passage se trouve à la page 353 de l’ouvrage.

 

Le soldat Crémieux est affecté au 149e R.I. le 31 décembre 1915. Il rejoint les rangs de la 1ère compagnie. Deux mois plus tard, il est à Verdun.

 

Son écrit est très précis. Il raconte des scènes de bombardement dignes de l’apocalypse. La mort rôde partout. La souffrance et la peur accompagnent chaque homme dans son quotidien. Lorsque c’est possible, l’entraide est de rigueur pour tenter de sauver la vie des camarades au péril de la sienne.

 

Martial Crémieux évoque la fin de son chef de section. Le sous-lieutenant Gaston Brosse meurt dans des conditions horribles malgré les risques pris par plusieurs de ses hommes pour l’emmener au poste de secours.

 

L’original de ce témoignage se trouve actuellement aux archives départementales de la Somme. Nicolas Bernard a fait don du fonds Péricard en 2018.

 

Bois des Hospices à l’entrée de la route qui descend du Faubourg Pavé 

 

Ce que j'ai vu le 7 mars au bois des Hospices. Le 1er bataillon du 149e R.I. se trouve en réserve à 17 h 00. Le bois est garni d’arbres de fortes dimensions. Le capitaine nous dit : « Creusez-vous des trous individuels, nous ignorons le temps que nous resterons ici ». Les obus tombent principalement vers la route. Défense de se déséquiper, simplement poser le sac à terre. Les uns mangent, les autres travaillent ou fument.

 

Le tir de l’artillerie boche change. Les obus commencent à tomber dans le secteur du bataillon. À chaque instant, on entend de grands fracas. Ce sont des arbres de grandes dimensions qui s’abattent et qui écrasent des escouades entières. On se précipite pour sauver les camarades ensevelis sous les branches.

 

La nuit est venue, ce ne sont que des appels au secours. Les arbres tombent sans arrêt. Coïncidence terrible, l’artillerie boche redouble son tir. Elle cherche la route pour empêcher le ravitaillement. Le fracas est infernal. Les blessés écrasés par les arbres sont nombreux. Mon trou est fini de creuser et je finis la nuit, côte à côte avec un camarade. Le lendemain après-midi, vers 17 h 00, nous quittons ce secteur.

 

La compagnie longe le bois des Hospices en colonne d’escouade par deux. Tout le long du chemin, nous rencontrons des petits bouts de tranchées. Vers 17 h 30, nous commençons à recevoir des obus toxiques. Nous ralentissons notre marche. Tout le monde a son mouchoir ou son masque sur la bouche.

 

Le lieutenant nous fait arrêter dans des petits bouts de tranchées. L’air devient irrespirable. À ce moment, une rafale de 210 (des percutants) éclate en plein dans la section. Le lieutenant s’abat, criblé d’éclats sur tout le corps. En compagnie de camarades, nous le mettons dans une toile de tente. Pendant que nous le transportons en courant au poste de secours, il a des soubresauts terribles.

 

Nous regagnons notre compagnie où nous attend un spectacle horrible. Un camarade est décapité. D’autres sont tués ou grièvement blessés. La section est durement éprouvée. Les obus tombent partout.

 

On nous donne l’ordre de traverser la route (côté gauche) pour prendre notre secteur (droite du tunnel de Tavannes). Je choisis un trou face à la route où un camarade me rejoint. Il fait presque nuit. Les autres sections se mettent dans des trous par trois ou quatre.

 

J’enlève mon sac. Par-dessus, je mets ma peau de mouton et de la terre et je m’allonge de tout mon long, ainsi que mon camarade. Au même instant, quatre 210 éclatent pour la deuxième fois en moins de vingt minutes, en plein dans la section. Un éclair, un feu brûlant, je suis happé par une déflagration formidable. Je retombe lourdement dans mon trou où une avalanche de branches et de terre s’abat sur moi. Je ne suis pas blessé, ni mon camarade, mais j’ai mal dans les reins. J’étouffe, je crie, on vient à mon secours, on nous délivre. La section est presque anéantie.

 

Devant mon trou individuel, l’emplacement des quatre obus éclatés. Mon sac et ma peau de mouton sont comme une passoire. Six camarades devant moi sont décapités. Un autre tient son œil pendant dans la main. Les autres, grièvement blessés, crient au secours.

 

Nous courons de l’un à l’autre pour les aider et chercher les brancardiers. Le sergent rassemble les rescapés et nous dit de descendre plus bas dans le bois.

 

En compagnie de mon camarade, je trouve un trou recouvert de branchage qui forme cagna. Nous nous installons pour terminer la nuit. Mais auparavant, nous voulons approfondir notre trou, pour mieux nous préserver des éclats possibles. Aux alentours, il y a des camarades. Nous leur demandons de nous prêter une pelle-bêche. Personne ne répond. Nous allons vers eux. Ils dorment sûrement. Nous les secouons, toujours rien. Je touche leurs mains, elles sont glacées. Ce sont des cadavres assis. Les uns tiennent la pipe à la bouche, les autres, un morceau de pain. Ils sont une dizaine.

 

Je regagne mon trou en compagnie de mon camarade sans dire un mot.

 

Pour en savoir plus sur la journée du 7 mars 1916, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

Carte du 7 mars 1916

 

Pour en savoir plus sur la journée du 8 mars 1916, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

 

Attaque du village de Vaux 1er avril 1916

 

Le 31 mars 1916, le 1er bataillon du 149e R.I. se trouve dans le fort de Souville où nous passons la nuit.

 

Bombardement effroyable par l’artillerie lourde. Des blocs de béton du fort sont projetés en l’air.

 

Le 1er avril 1916, vers 7 h 00, nous quittons le fort pour prendre le secteur du ravin de la Caillette. Nous longeons un boyau éventré. Le soleil brille, pas un coup de canon pendant notre marche. Au bout d’une demi-heure de marche, nous arrivons à destination. Tout le bataillon prend position dans le ravin, à flanc de coteau.

 

La matinée se passe sans coup de canon. L’après-midi, de nombreux avions boches volent dans tous les sens. Le capitaine fait passer l’ordre de se cacher sous les arbres et de ne pas bouger et l’après-midi se passe sans casse. Vers 17 h 00, les cuistots viennent apporter la soupe et les lettres. Le capitaine nous apprend que nous attaquerons le village de Vaux, le lendemain matin, au petit jour. Tout le monde est silencieux et la nuit se passe calme, auprès des arbres, que nous n’avons pas quittés depuis le matin.

 

Pour en savoir plus sur la journée du 1er avril 1916, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Journee du 1er avril 1916

 

Le 2 avril, à 5 h 00, le bataillon part. Nous serrons à bloc les autres compagnies. À l’entrée du village, face aux étangs de Vaux, se trouve le cabaret rouge. On nous donne le jus et la gnôle et l’on commence par nous donner le matériel. Un rouleau de barbelé pour deux hommes, une pelle et une pioche de parc. Nous sommes chargés comme des ânes. Le capitaine crie : «  En avant, baïonnette au canon. Nous nous élançons dans le village. Les boches sont surpris, on les voit fuir sur la crête. Notre bataillon attaque le village. Le 1er B.C.P. attaque les tranchées qui se trouvent sur la crête. Les mitrailleuses boches crachent dur. Ils nous lancent des grenades à plus de 60 m de distance. Je suis en nage. Je laisse tomber dans un trou mon rouleau de barbelé. Le village est en ruine. Le terrain couvert de trou d’obus. Nous faisons des bonds très courts, mais très vite.

 

Les chasseurs que nous voyons escalader la crête progressent lentement. Quelle heure est-t-il ? Je n’en sais rien ! Notre progression ralentit.

 

Des dizaines de mitrailleuses tirent sans arrêt. Les boches ont l’avantage, se trouvant sur une crête et nous dans un ravin. Nous devons nous trouver au milieu du village. À ce moment, j’ai l’impression que l’attaque échoue.

 

Nous rampons sur le ventre. Les balles continuent à nous suivre pas à pas. Nos casques servent de cible aux boches. Je le recouvre de boue. De mon trou où je suis, je lève la tête. Je ne vois plus personne. Je prends une cartouche, enlève ma baïonnette qui brille terriblement au soleil et je commence à tirer sur les boches qui sont sur le parapet. Les heures s’écoulent, nous sommes toujours au même endroit.

 

L’après-midi arrive. L’artillerie boche bombarde l’entrée du village pour empêcher les renforts de monter. Je change de place, les éclats arrivant jusqu’à moi.

 

Je tombe dans un trou où il y a quatre camarades, dont un caporal. Un des camarades est grièvement blessé au bras. J’aperçois un trou énorme au bras gauche, à la hauteur du biceps. Personne ne s’occupe de lui. Je coupe la manche de sa capote et de sa vareuse et lui fais un pansement. Le sang coule toujours à flot. Ayant peur qu’il meure d’épuisement, je lui fais un garrot avec deux fusils et je serre fortement avec son pansement pour arrêter l’hémorragie. Il reste étendu, attendant la nuit dans ce trou, parmi nous. Il est là depuis 8 h 00.

 

Vers 15 h 00, les boches contre-attaquent en masse. Nos mitrailleuses qui se trouvent à 100 m derrière nous entrent en action. De notre trou, nous tirons dans le tas. Je remets ma baïonnette au canon.

 

La moitié au moins de mon bataillon a été tuée ou blessée.

 

Nous sommes allongés de toute notre longueur dans un trou rempli de vase. Les boches arrivent au pas de gymnastique sur nous. Nous ne bougeons plus. Ils passent… Ils nous ont cru morts. Les derniers boches passés, je lève la tête. Je vois un grand gaillard qui se déséquipe avec rapidité et qui me crie « camarade franzouse prisonnière » ce qui signifie qu’il se rend à nous. Je lui fais signe de se coucher parmi nous. Il obéit. J’attends que les boches regagnent leurs tranchées amies ; ils ne remontent pas tous. Quelques-uns restent en sentinelles en bas de la crête. Notre boche prisonnier a peur d’être repris par les siens. Il veut partir. À ses risques et périls, je le laisse aller dans nos lignes. Nous le suivons des yeux. Nos mitrailleuses se sont tues, mais les leurs tirent toujours.

 

Nous attendons la nuit avec impatience, car maintenant, nous avons deux blessés parmi nous.

 

Enfin, nous voyons arriver, en rampant, un sergent d’une autre compagnie. Il rassemble dans un trou d’obus tous les rescapés. Nous sommes une dizaine. Nous commençons immédiatement à creuser un bout de tranchée.

 

Deux hommes se mettent en sentinelle pour nous couvrir. Le mot de passe est « Y’à bon ». La nuit se passe assez calme. On entend de nombreux blessés crier : « Au secours les brancardiers». Nous ne pouvons nous déranger car il faut travailler dur. Je suis rompu de fatigue. J’aperçois des ombres qui rampent, ce sont les brancardiers boches qui ramassent les blessés. Nous ne tirons pas. Des fusées s’élèvent. J’aperçois de nombreux cadavres. Notre tranchée s’avance.

 

Pour en savoir plus sur la journée du 2  avril 1916, il suffit de cliquer une fois sur la carte suivante.

 

 

Vers 23 h 00, on vient nous chercher pour nous conduire à l’entrée du village où nous passerons toute la journée du lendemain, dans une tranchée à peine creusée. Les rescapés des autres compagnies sont là. La matinée et l’après-midi, nous recommençons à subir le bombardement. Vers 16 h 00,  nous sommes relevés définitivement pour descendre à Verdun.

 

Martial Crémieux

 

253 rue Saint-Denis Paris 2e arrondissement

 

Pour en savoir plus sur le sous-lieutenant Gaston Brosse il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Sous-lieutenant Gaston Brosse

 

Sources :

 

Témoignage inédit rédigé par Martial Crémieux. Archives départementales de la Somme. Fonds Péricard. Cote 179 J 78.

 

Archives departementales de la Somme

Le dessin a été réalisé par I. Holgado.

 

Un grand merci à M. Bordes, à F. Charpentier, à A. Carrobi, à X. Daugy, à I. Holgado, à L. Klawinski et aux archives départementales de la Somme.

16 avril 2021

29 septembre 1918

Journee du 29 septembre 1918

 

Le 149e R.I. est en 1ère ligne depuis le 26 septembre 1918. La fatigue est présente. Heureusement, la relève est proche. Dans la nuit du 28 au 29, un mouvement de rotation s’exécute entre les unités de la 43e D.I. et celles de la 13e D.I.. Les hommes du lieutenant-colonel Vivier sont relayés par ceux du 21e R.I..

 

L’opération se déroule en deux temps. Les 1er et 3e bataillons du 21e R.I. remplacent les 1er et 2e bataillons du 149e R.I.. Le bataillon Fontaine demeure sur sa position.

 

Carte 1 journee du 29 septembre 1918

 

Les 1er et 2e bataillons du 149e R.I. font mouvement arrière pour aller occuper la tranchée de Postdam.

 

À la fin de la nuit, les 9e, 10e et 11e compagnies du 149e R.I. sont dépassées par le bataillon restant du 21e R.I.. Elles partent s’installer dans la tranchée de Grateuil.

 

Le temps du véritable repos n’est pas encore d’actualité. Le régiment spinalien reste sur le qui-vive, prêt à intervenir en fonction de la réaction allemande.

 

Tranchee de Grateuil et tranchee de Postdam

 

Les bataillons du lieutenant-colonel Vivier ne restent pas très longtemps sur leurs nouvelles positions.

 

Ils ont ordre de prendre un dispositif de marche d’approche, ce qui veut dire qu’ils devront progresser derrière le régiment qui vient de les relayer.

 

Le 149e R.I. et les autres éléments de la 43e D.I. se tiennent également prêts à assurer la couverture des flancs de la 13e D.I.. En cas de nécessité, ils pourraient être retirés du secteur, en totalité ou en partie, en fonction des ordres donnés par le général commandant d’armée.

 

Le 2e bataillon du 21e R.I., soutenu par les chars, est aux prises avec l’ennemi. Les combats font rages.

 

                                           Tableau des tués pour la journée du 29 septembre 1918

 

Sources :

 

J.M.O. de la 43e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 334/14.

 

J.M.O. de la 13e D.I.. S.H.D. de Vincennes. Réf : 26 N 292/8.

 

Historique du 21e R.I. Langres, Imprimerie moderne. 1920.

 

« Tactique appliquée d’infanterie » article écrit par Ulysse Fontaine publié dans la revue d’infanterie n° 350 du 15 novembre 1921.

 

La 1ère carte a été réalisée à partir des lectures des documents consultés. Elle n’a donc qu’une valeur indicative.

 

Le morceau de carte utilisé est extrait de l’article « Tactique appliquée d’infanterie » rédigé par Ulysse Fontaine.

 

Le J.M.O. du 21e R.I. ne figure pas sur le site « mémoire des hommes » pour cette période.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à É. Mansuy et au S.H.D. de Vincennes.

9 avril 2021

28 septembre 1918, l’aumônier Henry témoigne…

28 septembre 1918 l'abbe Henry temoigne

 

Le 149e R.I. en est à son troisième jour d’attaque. L’abbé Henry, toujours au plus près des combats,  évoque l’intervention des chars qui sont utilisés pour la 1ère fois dans l’offensive.

 

Ceux-ci sont vivement critiqués. Leur trop grande visibilité attire les tirs de l’artillerie allemande. Aux dires de certains, tout est prétexte pour justifier un abandon des combats et repartir vers l’arrière. Le lieutenant Lemoine donne son avis sur le sujet.

 

Les Allemands se battent avec fureur. Un grand nombre d’entre eux préfèrent mourir sur place plutôt que de se rendre. Les combats aériens sont nombreux. L’aviation française semble être maîtresse du ciel.

 

Témoignage de l’abbé Henry : du poste de secours de Gratreuil au poste de commandement du 149e R.I.

 

P.S. Gratreuil. P.S. Chemin de fer.

 

Pas de messe.

 

La nuit a été à peu près calme. En silence, chacun prend ses dispositions pour une nouvelle attaque. Il s’agit pour nous d’enlever la tranchée de Nassau, d’où le 1er bataillon a été rejeté par la contre-attaque du 9e grenadiers.

 

Cette fois, c’est le 3e bataillon qui à nouveau va mener la bataille. De la tranchée de Gratreuil, j’assiste aux marches d’approche des tanks qui, cette fois, doivent donner. Ils ont commencé leur mouvement à 5 h 00, c’est-à-dire au jour.

 

Premier sujet d’étonnement pour moi, profane, ils avancent sans essayer de se couvrir par les nuages de fumée artificielle qui ont donné de si bons résultats lors de l’attaque du premier jour.

 

Autre sujet d’étonnement, il est entendu que je n’y connais rien, mais je me demande comment ces véhicules vont échapper au bombardement. Il semble inévitable qu’ils soient repérés et, sitôt repérés, qu’ils soient amochés. Sur la grande piste qui longe le bois de la Chèvre, j’en vois trois qui avancent péniblement à travers un barrage impressionnant d’obus. Puis bientôt je les vois s’arrêter, s’immobiliser ; ils sont sûrement touchés dans leurs œuvres vives et mis hors de combat.

 

Tranchee de Grateuil

 

À Somme Py, la bataille fait rage ; on veut enlever le morceau ; il le faut si on veut pouvoir faire avancer la 43e. Dans le courant de la matinée, il semble bien que nous ayons fait des progrès et que le village est à nous. Nous obus tombent au-delà et le tacata des mitrailleuses s’est éloigné.

 

Par les blessés, on commence à avoir des nouvelles de l’attaque. Les nôtres ont souffert du marmitage boche attiré surtout par les tanks dans le bois de la Chèvre et les environs. On signale des morts à la 10e compagnie, le caporal Regnier (des Loges) est étendu au coin du bois. Encore un ami, un compatriote qui disparaît. Nous étions ensemble en permission il y a un mois !

 

Bois de la Chèvre

 

Le bataillon d’attaque s’est porté en avant ; il aurait atteint, dit-on, les premiers éléments de la tranchée de Nassau qui est au-delà du bois de la Chèvre. Mais là ils se sont heurtés à un tel feu de mitrailleuses qu’ils n’ont pu se maintenir et ont dû reculer, non sans pertes. Un blessé en parle avec effroi : « Ce n’est pas le moment de se coucher, leurs balles rasent la terre. Autant qui se couchent, autant de fauchés, en plein dans le citron ! ». Je ne comprends pas d’abord ce qu’il veut dire, mais son geste précise sa pensée, les malheureux sont frappés à la tête ! « Il y en a », ajoute-t-il. Je sais qu’il faut mettre au point ces propos de blessés, néanmoins, il est permis de conclure que là-bas la situation n’est pas brillante.

 

« Et les tanks ? », C’est la question qui vient naturellement sur toutes les lèvres. Les réponses sont diverses. Quelques chars sans doute ont bien marché. Le plus grand n’a pas rendu les services qu’à tort ou à raison on en attendait. Au moment critique, quand leur intervention semblait devoir décider du succès, ils déclarèrent froidement qu’ils n’avaient plus de munitions ou bien qu’ils n’avaient plus d’essence ! Et ils sont repartis à l’arrière, abandonnant sans plus les pauvres fantassins à leur malheureux sort. C’est, il faut en convenir, une désillusion générale.

 

Deux blessés des tanks. Leur char a reçu un obus dans le capot. L’un a un bras blessé, l’autre a la figure criblée de petites parcelles de métal détachées sans doute par l’explosion. L’un et l’autre entendent difficilement. Leur char est l’un des trois abandonnés sur la piste en bordure du bois de la Chèvre, les deux autres ont une chenille coupée. Ils semblent avoir une grande crainte des énormes fusils anti tanks que nous avons trouvé un peu partout. Il faut croire que c’est la première fois qu’ils en expérimentent l’efficacité, car leur capitaine avant-hier semblait les ignorer.

 

Deux avions tombent en feu dans le lointain. Français, Boches ? Hélas ! Nous apprendrons plus tard que ce sont deux Français entrés en collision.

 

Au P.C. du colonel

 

 La bataille se ralentit dans la matinée sur notre front ; elle s’éloigne sur la gauche. Les Boches ne tirent plus à gauche ; preuve manifeste que nous avons avancé et que notre avance les a obligés à reculer leurs batteries ; cela donne à nouveau quelques heures de répit. Cela suffit pour faire perdre à tous les notions premières de la plus élémentaire prudence. Tout à l’heure, il tombait des obus, tout le monde se taisait. Et maintenant tout le monde est dehors ; tout le monde prend l’air sans souci d’être vu. Je condamne absolument cette manière de faire et je fais comme tout le monde.

 

Dans la tranchée de Gratreuil, le 21e R.I. a pris la place du 3e bataillon du 149, le major Ruffin se prépare à descendre la voie ferrée ; je passe de 10 h 00 à 12 h 30 au P.C. du colonel.

 

Là, j’apprends que notre progression continue ; on avance péniblement, mais on avance tout de même. Tant et si bien que le colonel va déplacer son P.C. et s’installer à la Pince. Le docteur Rouquier s’installe, lui, sur le chemin de fer avec le docteur Ruffin. Je les suivrai dans ce nouveau P.S. où, paraît-il, il y a place pour tous.

 

Fonck, le célèbre aviateur, est signalé dans le secteur. Il a abattu hier, paraît-il, six avions boches. La bataille de l’air va de pair avec la bataille de terre. Nos avions ont bombardé les positions boches avec une profusion de projectiles vraiment inédites pour moi. J’ai vu tomber en flammes un avion boche à la suite d’un combat rapide. J’ai admiré sans réserve le travail des avions des deux divisions, ils ont été superbes d’audace, de sang-froid et d’endurance.

 

L’avion boche abattu est tombé en flammes ; le pilote a eu le temps de sauter de l’appareil avec un parachute. Le parachute a-t-il mal fonctionné ? Il descendait bien vite. Nous avons su, depuis, que le Boche s’était tué en atterrissant.

 

12 h 30. Le colonel quitte la tranchée de Gratreuil pour s’installer à la Pince. Sa suite s’en va par petits groupes. Partout on ne voit que gens qui circulent, qui vont, viennent. Que de monde ! Que de monde dehors !

 

P.S. voie ferrée

 

C’est à 150 m d’ici. Vu en chemin le cadavre d’un sergent, Aubry. C’est un Haut-Marnais. Il est de Fresnoy.

 

Très bien le P.S. de la voie ferrée. J’y trouve M. Rouquier et M. Ruffin. C’était, paraît-il, un P.C. d’artillerie boche et en même temps P.S. d’artillerie. Ici logeaient le colonel d’artillerie et le médecin-chef du régiment (4 galons), ainsi qu’en font foi les nombreux papiers abandonnés par ces MM.

 

M. Rouquier s’est hâté de recueillir les plus intéressants pour les envoyer à l’Armée. Il y a, en particulier, un dossier médical très précieux avec renseignements sur les effets de nos gaz, sur des épidémies de typhus dont on n’avait pas eu connaissance. Il y a aussi, paraît-il, des richesses au point de vue appareils téléphoniques.

 

Quelques blessés, dont deux du 31e B.C.P.. La tranchée de Nassau serait prise et même dépassée. On essaie d’avancer dans les bois ; mais on se heurte à des mitrailleuses innombrables. Il y en a des nids partout. L’impression générale est qu’on ne peut avancer que si les tanks s’en mêlent vraiment !

 

Impression de l’avant ; a-t-on la même impression à l’arrière ? Croit-on encore à la légende du boche qui fiche le camp en pagaille ? Il est des erreurs et des partis pris qui coûtent cher. Quoiqu’il en soit de la progression de la bataille sur laquelle les renseignements de blessés sont bien contradictoires, il est un fait qu’il faut constater ; les Boches reculent peut-être, se font tuer, mais ne se rendent pas.

 

On ne voit plus passer de prisonniers. C’est la lutte à mort. Il est vrai que s’ils ont tué les nôtres prisonniers, il ne peut plus être question de faire quartier ; c’est la mort sans phrases pour quiconque est pris. Et nous sommes des gens civilisés ! Et voilà comment le Boche comprend et fait la guerre et nous oblige à la faire ! où est donc notre supériorité sur les sauvages !

 

On se demande ce qu’a donné l’attaque des Américains à droite de l’Argonne. Pas de nouvelles ; pas de journaux !

 

15 h 30. L’artillerie des deux côtés se réveille. Les obus boches commencent à tomber un peu partout. La circulation va redevenir dangereuse. De notre côté, nos canons donnent fortement.

 

16 h 30. Le lieutenant Lemoine arrive au P.S., blessé légèrement à la figure, mais fatigué, brisé, épuisé, dans un état tel que le docteur Rouquier n’hésite pas à l’évacuer. Il en est navré le pauvre lieutenant, il songe à ses hommes qu’il a laissés dans une situation terrible ; il songe à ceux qu’il a perdus déjà ; son cœur s’émeut, il le laisse déborder et vraiment, je ne sais rien de plus pénible à entendre. Ah la guerre, la voilà ! C’est ici qu’il faut la voir pour en sentir toute l’horreur et aussi toute la beauté.

 

Son impression sur les tanks, loin d’être bonne : « Quand le moment pour eux est venu d’agir, ils ont mille prétextes pour ne pas avancer. Ces messieurs ne peuvent pas avancer parce qu’il y a des fusils anti tanks, parce qu’ils ne doivent marcher que derrière l’infanterie, parce qu’ils n’ont plus d’essence, parce qu’ils n’ont plus d’obus… ! Ils tournent sur place, ils avancent, reculent, à croire qu’ils ne cherchent qu’un prétexte pour se sauver. Ils ont commencé par tirer à tort et à travers, par gaspiller leurs munitions et quand il a fallu marcher, plus rien, ni plus personne ! Plus de munitions ! Je crois bien ; ils ne cherchent que cela pour pouvoir s’en aller ! » – Impressions de combattant fatigué, déçu et qui doivent être mises au point, impressions qui seraient injustes si on généralisait.

 

17 h 00. Il pleut. Le docteur Rouquier désire visiter ses P.S. avancés, celui de Bernère en particulier, à la tranchée de Nassau. Je l’accompagne. Il pleut doublement de la vraie pluie et des obus ! N’importe, nous avançons à travers le bled. Par-ci, par-là, quelques cadavres, français et boches, sont mêlés.

 

P.C. du colonel.

 

Ici il faut s’arrêter. Il pleut trop fort ! Un métro se trouve à point pour nous garantir de l’eau, mais non des obus qui commencent à tomber très fort. Je ne m’en étonne plus ! Des tanks débouchent du bois de la Chèvre se dirigeant vers l'arrière. Décidément, il ne fait pas bon évoluer dans leur sillage. Le temps passe, la nuit vient ; je crois qu'il faut renoncer à aller plus loin. Tout ce que nous pourrons faire ce soir sera de nous arrêter un instant au P.C. du colonel. Installation loin d'être parfaite, mais qu'on est bien heureux de trouver à cet endroit. Tout le monde est fatigué ; c'est le 3e jour de combat. Que doivent dire, en quel état doivent être les pauvres poilus qui sont en ligne ?

 

Bonne nouvelle ! On annonce la relève. La 13e division passe enfin en avant. La 43e aura, je crois, fait largement sa part.

 

Vu le sergent fourrier Aubry de la 10e qui me confirme la mort du caporal Régnier.

 

Après un instant de repos au P.C., nous revenons sans aller plus loin au P.S. où nous sommes plus au large pour nous installer.

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

Les deux morceaux de cartes utilisés sont extraits de l’article « Tactique appliquée d’infanterie » rédigé par Ulysse Fontaine et publié dans la revue d’infanterie n° 350 du 15 novembre 1921.

 

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi et à J.L. Poisot. 

149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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