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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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15 janvier 2021

26 septembre 1918 : l’aumônier Henry témoigne…

Aumonier Henry 26 septembre 1918

 

L’aumônier Henry développe longuement la journée du 26 septembre 1918 dans un de ses derniers carnets. Ses écrits offrent une approche beaucoup plus respectueuse de la réalité du terrain que l’étude « tactique appliquée d’infanterie » du commandant Fontaine, publiée dans la revue d’infanterie n° 350 du 15 novembre 1921.

 

Pendant les phases de combat, l’abbé Henry est au plus près des hommes. Il avance de manière « autonome » dans un dédale de boyaux et de tranchées. Il observe. Il raconte les tirs trop courts de l’artillerie française, les opportunités manquées, les problèmes de communication entre le lieutenant-colonel Vivier et ses chefs de bataillon. Il annonce la blessure ou la mort de personnes qu’il connaît.

 

Ce que l’auteur décrit dans ses carnets diffère des textes officiels qui évoquent une faible résistance de la part des Allemands. On comprend ce que signifie concrètement cette « faible résistance » pour les hommes qui sont sur le terrain. Cet exemple si bien décrit permet de mieux cerner l’ampleur des combats et la souffrance des soldats.

 

Malgré la préparation théorique extrêmement poussée réalisée avant l’offensive, ce récit rend bien compte que tout ne s’est pas passé comme prévu.

 

Témoignage de l’abbé Henry : de l’ouvrage III à la tranchée de Posdam

 

« Attaques à 5 h 30, précédées d’une préparation d’artillerie de 6 h 30. Cette nuit à 23 h 00, ça a commencé. Je dormais, j'ai continué de dormir puisque c'était la consigne.

 

Quelqu'un sert ! C'est la digne réplique du 15 juillet. Autant de bruit, mais cette fois ce sont les Boches qui prennent, chacun son tour ! Notes graves de la Lourde, notes sonores des 155, notes aiguës des 75, c'est à qui en mettra le plus.

 

P

 

À 5 h 00. Je n'y tiens plus ; un brin de toilette et me voilà prêt à partir. Je m'en vais, le docteur Rouquier étant moins pressé. Je le prévoyais, je n'ai pu gagner le boyau de l'Elbe qu'en faisant à droite un large détour. Je me trace à la hâte mon plan : premièrement, gagner l'ouvrage II, deuxièmement, chercher le P.S. et là me renseigner auprès des blessés sur la première phase de l'opération qui est en cours en ce moment.

 

 

 

À l'ouvrage II, plus personne. Pendant 1/4 d'heure, j'explore le terrain à droite du Tacot, personne ; je n'arrive même pas à retrouver le P.S..

 

Ah ! Voici un blessé : oh c’est peu grave ! Une plaie à la main. Je l'interroge, il ne sait rien ; il ne songe visiblement qu'à une chose, profiter de la bonne aubaine de sa blessure pour s'en aller à l'arrière le plus vite possible.

 

Donc, rien à faire ici ; il n'y a qu'à aller de l'avant ; le boyau du Rhône me sert de point de direction.

 

Bois du Togoland

 

Je regarde à droite et à gauche, personne ; pas de blessés dans le bois, pas de tués ; pas même trace de lutte ; ici on ne s'est pas battu ; le Boche s'attendait certainement à l'attaque et il a évacué toutes ses premières lignes.

 

Tranchée de Hambourg

 

 Rien ! Rien que des fils de fer qui sont bien gênants.

 

Trou Bricot, piste

 

Toujours pas de trace de lutte, mais enfin voici des sections qui vont de l'avant. Je les rejoins c'est le 1er bataillon qui suit le 3e, lequel suit de près le 2e. Échange rapide d’impressions : « Ça a l'air d'aller pas mal ! Il n'y a plus de Boches ! Ils ont foutu le camp. Pardi ! Ils s'attendaient à l'attaque ; ils ont voulu faire le coup du père Gouraud ! »

 

PC Grenay 

 

C’est la 2e poignée de main au capitaine Robinet, à Lepaux et à Cazain. Ils sont tous plein d'ardeur ! Saintot est en permission, le veinard ou le déveinard comme on voudra ! J'admire avec quel ordre la compagnie se déplace, les sections bien alignées.

 

Tacot 

 

Une compagnie du 21e. Que font-ils ici ? Ils accompagnent les chars d'assaut, préparent la voie, coupent les fils de fer. Il y a en effet des chars d'assaut ; mais ils ne doivent marcher que plus tard, ils soutiendront la 13e D.I.. Nous, nous devons nous en passer. Le terrain que nous devons conquérir est tellement bouleversé que les tanks ne pourraient en sortir.

 

Il me tarde de grimper au-dessus d'Elberfeld. De l’observatoire la vue porte loin en avant. Sur le plateau, voici quelques prisonniers, une demi-douzaine laissés au P.O.. Le capitaine Pougny les expédie à l'arrière. Un peu plus loin, en voici trois autres, dont un Feldwebel, observateur également.

 

Il s’arrête en face de moi, regarde ma soutane et non sans peine essaie de dire quelques mots. Il veut savoir si je suis prêtre. « Oui, aumônier – Ah ! moi, capucin ! – Vous êtes capucin et mobilisé ? – Oui, parce que pas encore prêtre ; étudiant, 4 semestres philosophie, 1 semestre théologie – Ah bien ! ». Et comme il me semble que c’est un devoir en ce moment de « faire mousser » le Français, je ne me retiens pas d’ajouter : « Moi, professeur de théologie ! ». Son regard devient admiratif et se nuance de respect ; l’effet voulu est produit. « Mon Dieu, pardonnez-moi cette parole, si je fus coupable de vanité ! »

 

Un peu de brouillard s’étend sur la plaine et la dérobe à la vue. Le brouillard va s’épaississant ; il devient une densité étrange, anormale, on ne voit plus à deux pas. « Qu’est-ce qui arrive ? C’est nous qui produisons cette fumée pour aveugler l’ennemi et masquer l’attaque de l’ennemi », me répond le capitaine Pougny. Pas mauvaise l’idée, mais on n’a pas marchandé la quantité. À mes pieds c’est une mer de nuages qui montent, se répandent, submergent tout.

 

C’est presque trop ! J’hésite à descendre seul dans le labyrinthe de tranchées qui constitue l’ouvrage Soury-Lavergne. Si je m’y égare, il me sera impossible d’en sortir. Je m’assois et j’attends. Voici le commandant Hassler et sa suite. Je me joins à eux. Carte en main, le commandant Hassler essaie de s’y reconnaître il y parvient, mais non sans peine, non sans avoir quelque peu tourné sur lui-même. Enfin, voici la route Souain-Tahure ; c’est ici que le 2e bataillon s’arrête ; déjà il est dépassé par le 3e bataillon.

 

Le 2e bataillon a atteint son objectif sans rencontrer la moindre résistance ; il n’a que 3 blessés et encore, non du fait de l’ennemi.  Le capitaine Chauffenne est radieux.

 

2e phase

 

Tranchée de Livet

 

La tâche sera moins facile au 3e bataillon. Il ne se fait pas d’illusion ; le commandant Fontaine me l’a dit hier : « C’est nous qui avons le gros morceau ! » Mon Dieu pourvu que cela marche bien !

 

Noir et blanc ! C’est le mot de la situation. Nous sommes tous passés au noir de fumée, le noir le dispute au blanc de la craie ; nous nous regardons et malgré le tragique de l’heure, nous ne pouvons nous empêcher de sourire.

 

Mais il n’y a pas de temps à perdre. Le commandant Hassler doit coller avec son bataillon au 3e qui est déjà devant nous, et, si j’en crois le tacata des mitrailleuses, est déjà aux prises avec l’ennemi.

 

Les compagnies du 1er guidées par leurs chefs, boussole et carte en main, se mettent chacune dans l’axe qui leur a été assigné. Sans y penser, je me retrouve avec la 2e compagnie. Robinet marche en tête suivant le boyau que je crois être « Albertini » ; deux hommes, fusil en main, marchent sur le parapet pour parer à toute surprise. J’admire le calme et la prévoyance du capitaine qui multiplie les recommandations dictées par une longue expérience. Ah ! Comme je comprends l’importance du chef et la confiance qu’il inspire à ses hommes !

 

Et le brouillard reste toujours aussi dense. « Avancez ! » crie le capitaine, « Il faut que nous soyons à l’heure si nous voulons coller au barrage ! ». Le 3e bataillon semble bien progresser. Est-il loin devant nous ?

 

Je n’ai pas eu le temps de poser la question que devant nous, nous trouvons la 9e compagnie avec le lieutenant Ferry. La 9e est arrêtée, elle se remet en marche, lentement, lentement !

 

Le capitaine Robinet trépigne d’impatience. « Avancez ! Qu’est-ce que vous attendez ? – Nous sommes compagnie de nettoyage, répond le lieutenant Ferry, il faut le temps d’explorer les abris ! » C’est en effet un travail nécessaire, si on ne peut pas laisser derrière soi des nids de mitrailleuses et s’exposer à des surprises meurtrières funestes. Mais le capitaine tient sa montre en main ; coûte que coûte, il faut avancer, si on ne veut pas être en retard sur l’horaire prévu et l’on avance dans le brouillard.

 

Où sommes-nous au juste ? Je ne m’en rends pas compte. Nous sommes montés, c’est sans doute la cote 193, puis redescendus. Nous devons être au fond de Jourroie et le mont Muret doit être à notre droite.

 

Une éclaircie, les nuages se dissipent. On peut s’orienter et jeter un coup d’œil autour de soi. Nous sommes à la tranchée de Charlottenburg. Le 3e bataillon avec ses 10e et 11e compagnies est à 600 m en avant. Les chasseurs sont à notre droite et le 158e R.I. à droite des chasseurs. Nous voici sur les pentes sud-ouest du mont Muret. Un moment d’arrêt ; j’essaie de me rendre compte de la situation.

 

Le baromètre d’une attaque, ce sont les prisonniers. « Les Fritz ? Voici des Fritz prisonniers ! » crie un soldat à côté de moi. « Sont-ils nombreux ? – oh, mais oui ! En voilà un tas ! »

 

Je regarde ; en face de nous, marchant à terrain découvert un premier groupe. Combien sont-ils ? Une soixantaine. Il est bientôt suivi de plusieurs autres groupes. Allons ! Ça va ! Je commence à prendre confiance. « Mon Dieu ! Merci ! Continuez de nous aider et de nous protéger ! ».

 

Un à-coup regrettable. Sur les pentes du mont Muret où les chasseurs semblent maîtres de la situation, des obus tombent dru, serrés, implacables. Je vois les chasseurs flotter, se sauver. Hélas ! Ce sont nos propres obus, des 155, qui sèment la mort et le désordre dans nos rangs.

 

De tous côtés, on réclame des fusées vertes pour signaler : « Allongez le tir ! » On a peine à en trouver. Et d’ailleurs, comment dans le brouillard non complètement dissipé seraient-elles vues ? Minute tragique. Il me semble que mon sang s’arrête dans mes veines !

 

Un lieutenant des malheureux chasseurs arrive sur nous en criant : « Lancez des fusées vertes ! De grâce, prévenez l’artillerie !… C’est malheureux ! Ils tirent sur nous. J’ai lancé toutes mes fusées ! Dire qu’il va falloir lâcher le mont Muret à cause de nos obus !… Nous tenons tout ce versant… à côté le 158e  est accroché, il trouve de la résistance !…». Heureusement, le cauchemar prend fin, notre tir s’est allongé.

 

À ce moment, je vois arriver Aubry, le sergent fourrier de la 10e, une main enveloppée dans un pansement : « Vous êtes blessés ? – oh moi ce n’est rien ! Mais il y a au moins une dizaine de types qui viennent d’être amochés par nos obus ! Il y a des tués et des blessés ! » Et de la main, il me montre en arrière des corps étendus. Un blessé s’agite, se traîne vers la tranchée, appelle au secours ; une équipe de brancardiers se porte en hâte dans sa direction. « Adieu, crie Aubry, je rejoins ma compagnie ! »

 

Moi aussi, je vais de l'avant ! Pendant cette histoire, le 1er bataillon s’est remis en marche ; déjà je l’ai perdu de vue. La 10e et la 11e ont atteint leurs objectifs.

 

Elles sont maintenant dans la tranchée de Berlin et dans celle de Postdam. ; Le tacata des mitrailleuses s’éteint peu à peu.

 

Les groupes de prisonniers continuent de passer, dirigés vers l’arrière. Je renonce à compter. Il y en a certainement plusieurs centaines. Déjà le commandant Fontaine et sa suite sont installés à Postdam où les abris sont nombreux.

 

Tranchées de Berlin et de Postdam

 

Le commandant est très satisfait, l’objectif a été atteint à la minute précise qui avait été prévue et assignée et le 1er bataillon a pu entrer à son tour en scène à l’instant voulu. Il est 11 h 00 environ.

 

3e phase

 

1er bataillon : son objectif est la Pince. Arrivé là, il doit pousser une reconnaissance jusqu’à la tranchée de Nassau et au cas où elle serait inoccupée, s’y établir ; sinon, il faudra revenir à la Pince.

 

Le 1er bataillon sera soutenu dans son mouvement par le 2e bataillon. Le 149e  a vraiment une lourde tâche. Pour ne pas manquer les blessés, je décide de rester ici à Postdam près du médecin du 3e bataillon.

 

L’opération de ce matin a été extrêmement brillante ; souhaitons que celle de ce soir ne le soit pas moins !

 

Pourtant, comme rien n’est parfait dans les choses humaines, dans ce brillant tableau de chasse de ce matin il y a une ombre. La  liaison avec le colonel n’a pas fonctionné, mais là, pas du tout !

 

À qui la faute ? Le commandant Fontaine très préoccupé de ce cornard regrettable a épuisé tous les moyens de communication ; par une malchance inouïe, aucun n’a abouti : les signaux lumineux n’ont pu percer le brouillard, les coureurs envoyés successivement se sont perdus et sont revenus sans avoir pu joindre le colonel. Chiens, pigeons ont été blessés en cours de route et n’ont point rempli leur office. La T.S.F. n’a donné aucun résultat. « La liaison a été nulle, déclare le commandant, non par la faute de l’avant, mais par la faute de l’arrière ».

 

Dans le plan d’attaque, il était prévu que le colonel se transporterait à 8 h 00 à l’ouvrage Soury-Lavergne. Ne recevant rien de l’avant, il a attendu dans une impatience que je devine et ce n’est qu’à midi qu’il a quitté l’ouvrage III pour se rendre au P.S. Soury-Lavergne, confondu à tort avec l’ouvrage Soury-Lavergne. Ce qui a encore retardé la liaison.

 

Les conséquences de ce défaut absolu de liaison, nous les voyons sous nos yeux. Le colonel non prévenu de la marche de l’attaque n’a pu renseigner la division ; l’artillerie au lieu d’allonger son tir, maintient son barrage devant le 1er bataillon et arrête net toute progression.

 

Tous ceux qui reviennent de l’avant en ont les larmes aux yeux et la rage dans le cœur : « Il n’y a plus rien devant nous ; les Boches foutent le camp, impossible de les poursuivre ! »

 

Le plus navrant c’est que ce retard permet à l’artillerie boche de s’en aller. On voit les attelages venir chercher les pièces et les enlever à notre barbe, sous la protection de notre propre artillerie qui s’interpose entre eux et nous !

 

Ah si notre barrage d’artillerie s’était allongé à temps ! Nos obus auraient pu démolir attelages et canons et nos fantassins seraient arrivés à point pour faire la cueillette de tout ce matériel.

 

Quand enfin, la liaison ayant été établie, le barrage s’est déplacé en avant, il était trop tard ; les canons boches étaient partis. Ils avaient eu le temps de se reporter en arrière et maintenant ils nous prouvent à leur manière qu’ils sont toujours là ! Et voilà à quoi tient le sort d’une bataille ! La plus belle occasion qui soit a été manquée ! La réaction boche a le temps de s’organiser.

 

Que se passe-t-il à droite et à gauche ? À gauche, l’attaque n’a pas dû progresser aussi vite qu’il aurait fallu ; la 167e Division a trouvé de la résistance. Nous le voyons à la fumée des obus ; nous l’entendons au tacata des mitrailleuses.

 

À droite, l’avance ne semble pas au point. Nous avons l’impression que la division est très en flèche. Nous attendons, non sans anxiété, les décisions du haut commandement. Derrière nous, la 13e attend l’ordre de se porter en avant ; l’ordre ne vient pas. Le capitaine Bourgeois du 21e R.I. se tient près de nous pour établir la liaison. Il y a du flottement dans l’air. Le plan primitif ne se poursuit pas intégralement. Il y a quelque chose qui n’a pas dû coller ! À cette heure, la 167e D.I.devrait être à Somme Py ; elle en semble loin encore.

 

Les tanks ne sont pas encore entrés en scène. Ils se réservent sans doute. Nous n’avons vu encore que le capitaine commandant la compagnie qui vient se documenter sur place.

 

Cependant, on annonce que le 1er bataillon soutenu par le 2e a pris la marche en avant dès que le tir de notre artillerie le lui a permis. Ils se sont emparés de la tranchée de Gratreuil. Ils avancent sur la ligne de chemin de fer. Ils ont même poussé au-delà, jusqu’à la Pince. Leur objectif serait atteint, mais à quel prix ?

 

On dit que le lieutenant Cadoux serait blessé, mais légèrement. Le capitaine Kolb de la 6e est blessé également. Voici qu’on l’apporte tout sanglant sur un brancard. Une balle lui a traversé le cou. Il a l’air d’un moribond et gémit faiblement. Mon Dieu ! Pourvu que la blessure ne soit pas mortelle ! Le capitaine Kolb est une des figures les plus sympathiques du régiment. Parti d’en bas, il s’est élevé au grade de capitaine par son seul mérite !

 

Les avions boches ! Ils sont une cinquantaine au moins à nous survoler, lentement, posément. J’en conclus qu’en face ce n’est pas la pagaille comme on aurait pu supposer. Cette reconnaissance est un prélude, les Boches vont réagir. Bientôt leur artillerie donne de la voix ; tout à l’heure ils se taisaient, faisant leurs déplacements ; les voici qui se sont remis en position et qui réagissent vivement.

 

Il fallait s’y attendre ! Les Boches ont, je crois, contre-attaqué avec une division fraîche. Nos troupes avancées sur la Pince ont dû revenir à la ligne de chemin de fer et même à la tranchée de Gratreuil. C’est là qu’ils tiennent.

 

Il est environ 16 h 00. À ce moment arrive un papier, un ordre. Ô ironie du sort ! C’est au moment où une division boche toute fraîche, une division de la garde prussienne (la 3e) est signalée et nous menace d’une contre-attaque, qu’un papier arrive, signé du général, pour dire ceci ou à peu près : « L’ennemi est en fuite devant nous, il n’y a plus personne ! Que tout le monde se lance en avant ! » Pardi ! La division retarde de 4 h 00 sur les événements ! Ceci était vrai (peut-être ?) à midi, mais est complètement faux à 16 h 00 !

 

Défaut de liaison, renseignements erronés, données fausses ! Nous commençons avec cela à faire des sottises !

 

Quelles troupes avons-nous exactement en face de nous ?

 

Ce matin nous avons trouvé en ligne et à peu près anéantie une division Ersatz Bavaroise comprenant le 1er, le 13e, le 15e régiment, plus le 1er régiment d’artillerie de campagne. Cette division, en somme, s’est fort mal défendue et s’est montrée, heureusement pour nous, fort médiocre. Aux dires des prisonniers, cette division venait de Russie. Peu habituée à la guerre terrible de ce front, elle s’est affolée.

 

Quelques prisonniers arrivent qui nous permettent d’identifier la division qui vient de nous contre-attaquer sur la ligne de chemin de fer. C’est la 3e division de la garde prussienne qui comprend trois régiments : Le 9e Grenadiers (KolbachStasdts Rég.) – le Lehr Rég et le Leib Rég.

 

Ce matin, cette division était ce matin au repos à Semide. Elle venait déjà de se battre. Son effectif assez réduit n’était guère que de 60 hommes par compagnie.

 

Il y a également de la 15e division allemande, on en a identifié un, le 31e.

 

Assurément quand on voit défiler ces unités diverses, on trouve un peu amer d’entendre dire qu’il n’y a personne devant nous.

 

P.C. du colonel

 

Ayant quitté l’ouvrage III à midi, le colonel a transporté son P.C. à Soury-Lavergne. Là, il ne fait que passer. À 18 h 00, il est à quelques pas de nous à la tranchée de Berlin, où il va passer la nuit, attendant les évènements.

 

D’après ce que je vois, c’est nous, nous toujours qui restons en ligne ; c’est nous qui poussons de l’avant. La 13e D.I. reste en arrière. Nous aimerions bien cependant lui céder la place d’honneur. Mais non ! On fait rendre à chaque division son maximum au risque de les user jusqu’à la corde.

 

Quelques renseignements sur les évènements de la soirée. À l’activité de l’aviation et de l’artillerie boches, j’avais cru à une contre-attaque boche, laquelle nous avait contraints à reculer. Il paraît que ce n’est pas tout à fait cela !

 

Trompé par un rapport inexact des chasseurs rendant compte qu’ils étaient à la Pince – ce qui était faux puisqu’ils n’avaient pas encore traversé la voie ferrée – le commandement ordonne au 149e d’aller de l’avant.

 

Ceux qui étaient à l’arrière pouvaient s’y tromper ; les nôtres qui voyaient les Boches à droite, qui surtout recevaient de flanc leurs balles de mitrailleuses, ne pouvaient se faire aucune illusion.

 

Par trois fois, le capitaine Robinet rend compte de la situation ; par trois fois, on lui répond qu’il voit mal, que les balles et les mitrailleuses qu’il signale n’existent que dans son imagination et qu’il doit avancer.

 

Quelle humiliation pour un chef de voir sa parole mise en doute – et quelle angoisse d’être obligé de conduire des troupes à un désastre certain ! L’ordre est l’ordre ; il faut marcher et l’on marche jusqu’à la Pince. De droite, de gauche, les mitrailleuses boches prennent la petite troupe d’enfilade ; c’est la mort certaine et pour tous si on persiste dans cette manœuvre. Le plus sage est de revenir à l’alignement et d’attendre. C’est ce que l’on fit !

 

Lepaux est tué ! Tué aujourd’hui à midi, en traversant la voie ferrée ! Première mauvaise nouvelle qui m’accable ! Pauvre enfant, si fier de ses nouveaux galons de sous-lieutenant conquis de haute lutte ! Je vois les siens dont il était l’orgueil, apprenant cette nouvelle. Pauvres parents ! Il a été tué précisément par une de ces mitrailleuses qui prenait de flanc à gauche sa compagnie. Il venait de descendre deux Boches à coups de fusil, en disant : « En voilà deux qui ne feront plus de mal ! » quand il reçut lui-même une balle en plein front et s’écroula comme une masse ! Non ! Non ! Les chasseurs n’étaient pas à la Pince ! Hélas !

 

À chacun son dû ! Le colonel ayant dit ce qu’il avait à dire au sujet des liaisons défectueuses a rendu hommage aux troupes qui ont mené l’assaut. Il envoie ses félicitations les plus vives et exprime à ses soldats toute sa satisfaction. Jamais félicitations ne furent plus méritées.

 

La journée s’achève dans un calme relatif. Chacun a pris position pour la nuit et demain la bataille recommencera. Dans l’abri, PC du commandant Fontaine, nous nous entassons au petit bonheur.

 

À côté de nous, la 9e et le 3e C.M. ont trouvé des abris. La 9e, paraît-il, est installée dans les locaux d’une coopérative boche où il reste quelques petites choses, en particulier de la bière excellente. Dans la journée, on a cueilli quelques canons, quatre chevaux, des crapouillots, des mitrailleuses en quantité. J’ai même aperçu une bicyclette qui paraissait en bon état.

 

Pendant la nuit, les avions prennent possession du ciel ; projecteurs boches et français ; ils ne se trahissent pas comme les nôtres ; ils envoient dans le ciel une surface lumineuse qui semble sans attache avec le sol. »

 

Sources :

 

Témoignage inédit de l’abbé Henry.

 

Le portrait de l’aumônier Pierre Henry provient de la collection personnelle de J.L. Poisot.

 

Deux des morceaux de cartes utilisées sont extraits de l’article « Tactique appliquée d’infanterie » rédigé par Ulysse Fontaine publié dans la revue d’infanterie n° 350 du 15 novembre 1921, l’autre provient du J.M.O. du 3e B.C.P. : Réf 26 N 816/5.

 

Le dessin est tiré de l'ouvrage allemand Reichsarchiv band 35.

 

 Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, et à J.L. Poisot.

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