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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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3 janvier 2020

Louis Jean Baptiste Guers (1894-1915)

Louis Jean Baptiste Guers

 

Louis Jean Baptiste Guers naît le 22 février 1894 au 67 cours Lafayette, une des principales artères de la rive gauche lyonnaise.

 

Le père, Jean Marie, alors âgé de 36 ans, travaille comme grainetier dans son propre magasin qu’il a ouvert après son mariage. La mère, Julie Augustine Gired, originaire de Mollon, a 31 ans. Elle n’exerce pas de profession.

 

C’est la troisième naissance pour le couple Guers. Julie Augustine a perdu son aîné qui n’a pas survécu à sa 1ère année. Elle se consacre à l’éducation de Charles, son second fils.

 

Le marchand de vin Louis Brialton et le charcutier Victor Monnet accompagnent le père à la mairie pour y faire enregistrer le nouveau-né.

 

Les trois hommes sont attendus par l’adjoint au maire de Lyon, Léon Fabre, officier de l’état civil délégué au 6e arrondissement.

 

La famille Guers à Lyon

 

Pour des raisons inconnues, les Guers quittent la ville aux deux collines pour venir s’installer à Oullins, au tout début du XXe siècle. Jean Marie devient propriétaire d’une nouvelle graineterie. C’est dans cette commune que le frère cadet de Charles et de Louis voit le jour en octobre 1902.

 

Un drame familial se produit l’année suivante. Jean Marie Guers décède le 31 décembre 1903 à l’âge de 46 ans. Louis n’a pas encore fêté son dixième anniversaire.

 

il ne fait pas de doute qu’il fût un bon élève à l’école communale, comme le laisse supposer la qualité des lettres envoyées à sa mère. Mais il n’était pas question de poursuivre de longues études après la mort de son père. Son degré d’instruction restera au niveau 3 comme il est stipulé sur sa fiche signalétique et des services.

 

Julie Augustine doit maintenant assurer la gestion de la graineterie tout en s’occupant du petit Marius.

 

Oullins (Rhone) la grande rue

 

Louis devient garçon épicier. En 1911, il est à Saint-Étienne. Le jeune homme décide de revenir sur les lieux de sa jeunesse quelque temps avant son incorporation. Il a trouvé un emploi à l’épicerie Pellerin, située au 77 de la grande rue d’Oullins. Ce commerce est placé à deux pas de la graineterie tenue par sa mère.

 

Louis Guers devant l'epicerie Pellerin d'Oullins

 

L’année des 20 ans de Louis, les instances officielles du conseil de révision réuni à la mairie de Saint-Genis-Laval, le déclarent « bon pour le service armé ».

 

Pour immortaliser l’évènement, un cliché de groupe de la classe 14 d’Oullins est réalisé par un professionnel peu de temps après. La pause est solennelle. Coiffé du béret de conscrit, il faut bomber le torse !

 

Oullins, la classe 1914

 

Le 1er août 1914, la France décrète la mobilisation générale. Un nouveau conflit contre l’Allemagne est sur le point d’éclater. Toutes les classes de réservistes en âge de reprendre les armes sont rappelées à leurs dépôts d’affectation. Les classes 1912 et 1913 sont déjà sous les drapeaux.

 

La classe 1914 n’a pas encore été appelée. Louis peut continuer son travail à l’épicerie. Mais pour combien de temps ? La France en danger attendra-t-elle octobre pour appeler la classe 1914 comme cela était prévu ?

 

Louis Guers photographie devant l'epicerie Pellegrin

 

Louis finit par recevoir sa feuille de route dans les tout derniers jours du mois d’août. La nouvelle tombe, il est versé dans un régiment d’infanterie frontalier. Tout du moins, c’est ce qu’il croit puisque le dépôt du 149e R.I. est censé être à Épinal.

 

Le jeune homme est incorporé le 5 septembre 1914. Après avoir fait ses adieux à la famille et aux amis, Louis Guers quitte Oullins pour se rendre à Langres. Le dépôt de son régiment est installé à Jorquenay depuis peu. Trop exigu, le dépôt déménage à Rolampont rapidement.

 

La formation de Louis s’accélère. Celle-ci est pénible. Elle est difficile et violente pour l’organisme, mais il faut vite s’aguerrir pour rejoindre rapidement la ligne de front. Cela passe par des marches de 35 kilomètres à peine un mois après l’incorporation.

 

Le 18 octobre 1914, le soldat Guers écrit à sa mère et son frère cadet.

 

« Bien chère Maman et cher petit Marius

 

J’ai reçu ta carte du 12 octobre qui m’a trouvé en bonne santé.

 

Nous bardons toujours fort à l’exercice. Nous faisons, 2 fois par semaine, des marches de 30 à 35 kilomètres avec le sac complet et le fusil. Bien entendu, quand nous rentrons le soir, nous sommes esquintés.

 

Nous faisons des marches de nuit de 2 heures ainsi que des attaques de nuit. À part ça, rien de nouveau.

 

Le froid commence à se faire sentir. Aussi, j’attends avec impatience le linge que tu dois m’envoyer. Je n’ai toujours pas reçu le mandat que je t’ai demandé.

 

Comme je ne sais pas quand j’irai au feu, je voudrais bien que tu m’envoies de l’argent à nouveau, car les blessés qui arrivent du feu nous disent que ceux qui n’ont pas d’argent sont malheureux, soit pour acheter du vin ou du pain. Ici, à Rolampont, tout est cher.

 

Il ne me reste pas grand-chose, une pièce de deux francs. Alors, en plus des dix francs, tu pourrais m’envoyer 30 ou 40 francs. Ça sera ma réserve en cas d’un départ brusqué.

 

Et maintenant quoi de nouveau à Oullins ? Marius travaille-t-il toujours bien à l’école pour te faire plaisir et te réconforter dans la triste période que nous traversons ? C’est mon vœu le plus cher et je pense qu’il le réalisera.

 

Au revoir chère petite maman et à bientôt le plaisir de te lire.

 

Envoie l’argent dans une lettre recommandée.

 

Sois tranquille, je l’économiserai, je sais combien tu as de la peine pour le gagner.

 

J’ai été vacciné hier contre la typhoïde. Je ne peux plus bouger le bras gauche. Il y en encore pour un jour. Ci-joint la citation à l’ordre du jour du 149e R.I..

 

Gros mimis à Marius.

 

J’ai été heureux d’apprendre la nomination de Charles. Il la mérite bien. J’ai même idée qu’il ne s’arrêtera pas là.

 

J’ai engraissé de cinq kilos depuis que je suis parti. Je pèse 68 kilos à l’heure actuelle.

 

Un bonjour à Madame Marie, à Madame Thévenon, à Monsieur Pellerin, à Madame Brunet et à tous les parents et connaissances. »

 

Les besoins en hommes valides pour remplacer les pertes du régiment sont conséquents. La guerre perdure. Elle sera bien plus longue que prévu !

 

Pour Louis, il ne lui reste plus que quelques semaines pour développer ses acquisitions militaires.

 

Plusieurs renforts sont déjà partis depuis qu'il est au dépôt. Il finit par quitter Rolampont avec l’un d’entre eux. Si la date exacte de son arrivée en Artois n’est pas connue, nous savons que la plupart des hommes de la classe 14 durent quitter le dépôt dès la fin de l'année 1914.

 

Louis Guers fut affecté à la 5e compagnie du 149e R.I., une unité qui est sous les ordres du capitaine Dastouet.

 

Grâce à la lecture d’un courrier adressé à sa mère et à son frère Marius, nous apprenons qu’il a participé à une attaque qui a eu lieu au début du mois de février 1915. 

 

« Le 8 février 1915

 

Chère maman et cher Marius,

 

Deux mots pour te donner de mes nouvelles. Je suis toujours en bonne santé et pense que ma lettre te trouvera de même.

 

La nuit du 1er au 2 février, nous avons fait une attaque la plus terrible depuis que je suis en campagne. Il s’agissait d’enlever une sape aux Allemands. Cette sape avait 100 mètres de long et se trouvait à 40 mètres de nos tranchées. À 2 h 30, ordre nous est donné d’enlever la sape aux Prussiens, mais le capitaine trouve le moment peu propice pour attaquer, car les obus allemands tombaient comme la grêle.

 

À 5 h 45, profitant d’une accalmie, nous mettons baïonnette au canon et nous nous élançons sur leurs tranchées. Auparavant, le capitaine nous avait dit : « Surtout, les gars, pas de pitié et pas de quartier. »

 

L’attaque fut terrible, mais le 149e tint bon. Juge de notre stupéfaction quand nous arrivâmes dans la sape, nous avions devant nous la garde impériale allemande. Le 1er régiment de France face à face avec le 1er régiment d’Allemagne.

 

Revenu à notre surprise, nous nous précipitons sur eux à la baïonnette et nous en tuons 30, tandis que nous, nous n’avions que 2 tués et 8 blessés, et la sape était à nous. Le colonel nous a félicité de notre belle conduite en nous disant qu’il n’aurait jamais cru que la classe 14 se conduirait aussi bien.

 

Tu regarderas d’ailleurs sur le journal, dans les citations à l’ordre du jour de ces jours derniers et des jours qui suivront, si tu ne vois pas la citation à l’ordre du jour du sergent Bergerie et ces soldats Demas et Maitre de la 5e compagnie du 149e R.I..

 

C’est ces trois qui nous ont menés à l’attaque et comme on ne pouvait citer tout le monde, on a cité les trois premiers qui sont arrivés à la sape. Tu me diras si tu les vois et tu m’enverras dans une lettre, le bout de journal où ce sera marqué.

 

Ce n’était pas tout le régiment qui a attaqué, c’est seulement la 5e compagnie.

 

C’est tout ce qu’il y a eu de nouveau ces derniers jours.

 

Tache de toujours te maintenir en bonne santé et d’avoir du courage et de l’espoir à l’avenir qui je l’espère te rendra tes deux enfants sains et saufs.

 

Ces jours derniers, le froid s’est moins fait sentir, mais, à la place, nous avons eu la pluie. Tu vois d’ici, dans les tranchées, la gabouille qu’il y a, mais que veux-tu, il faut s’y faire, car à la guerre comme à la guerre.

 

Gros mimis à Marius. Tu donneras bien le bonjour à la tante Louise, Madame Reure, la maison Pellerin, Madame Marie, Madame Thevenon, Madame Flachet, Madame Morand et à tous les amis et connaissances.

 

Ton fils et ton frère qui vous embrasse bien fort. »

 

Petites précisions sur l’attaque de la 5e compagnie du 2 février 1915 :

 

Louis écrit dans son courrier que sa compagnie est la seule à avoir participé à l’attaque. Il semblerait que non, d'autres compagnies du 2e bataillon du 149e R.I. furent concernées. L’état des pertes du régiment indique, pour cette journée, des tués et des blessés qui proviennent des 6e, 7e et 8e compagnies, mais pas de victimes à la 5e compagnie.

 

Le 24 mai 1915, le soldat Guers est nommé caporal.

 

Le 5 août 1915, Louis écrit de nouveau à sa mère. Dans sa correspondance, il dit sa fierté d’avoir été décoré suite à un évènement qui s’est déroulé au mois de mai.

 

Bien chère Maman,

 

Une nouvelle qui va te faire sûrement plaisir. Je suis décoré. Hier, le général de division m’a remis la croix de guerre ainsi qu’à plusieurs de mes camarades.

 

Cela a été émouvant. On nous a décoré une quarantaine. Nous étions tout d’abord 6 cités à l’ordre de la division, 10 à l’ordre de la brigade et 19 à l’ordre du régiment.

 

Quand c’est arrivé à mon tour, il m’a adressé quelques mots comme à chacun de mes camarades. Il m’a dit : « Quand avez-vous gagné cette croix que je vous remets aujourd’hui ? »  « Le 10 mai mon général», lui ai-je répondu. Alors, il m’a dit : «  Ah ! Mon cher 149e R.I. s’est distingué en effet en ces jours terribles, du 9 au 15 mai », puis, il m’a serré la main et donné l’accolade.

 

La remise de décorations terminée, le régiment, colonel en tête, a défilé devant nous, en présentant les armes, baïonnette au canon. Tandis que la musique, placée devant le drapeau jouait notre vieille et toujours vibrante Marseillaise.

 

Maintenant, j’aurai un grand service à te demander. J’ai, dans ma section, un caporal de mes amis qui est aussi de la classe 1914 qui est venu sur le front en même temps que moi, mais qui est hélas orphelin. C’est tout te dire. Je lui ai offert, donc du grand cœur dont tu me connais, de venir passer 3 ou 4 jours avec moi quand j’irai en permission. Les 2 ou 3 jours suivants, il les passera chez son ancien patron à Collonges.

 

Si tu acceptes, écris-moi de suite pour qu’on puisse s’arranger à partir au même détachement. Pour coucher, il prendra la place de Marius. C'est-à-dire, nous coucherons dans le grand lit en fer qui a place pour deux. Comme cela, tu n’auras pas de dérangement. Ton fils qui t’embrasse bien fort.

 

Ci-joint l’épreuve des photos que j’ai fait faire. Je les aurai dans une quinzaine.

 

Le caporal se nomme Joseph Longchamp .»

 

Il est impossible de savoir si Louis et son camarade purent obtenir la permission espérée.

 

Le 25 septembre 1915, la 5e compagnie du 149e R.I. est engagée dans une contre-attaque qui doit soutenir le 1er B.C.P.. Le caporal Guers est tué au cours de cette opération.

 

Pour en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés au cours de cette journée, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Compagnie de mitrailleuses 1915

 

Le 18 novembre 1915, le maire d’Oullins reçoit, du dépôt du 149e R.I., un document administratif signé du chef de bureau de comptabilité, qui lui apprend la mort du caporal Guers.

 

 

Son acte de décès fut transcrit à la mairie d’Oullins le 11 février 1916.

 

Le caporal Guers a obtenu les décorations suivantes :

 

Les decorations de Louis Guers

 

Citation à l’ordre de la division n° 56 en date du 25 mai 1915.

 

« Le 10 mai, étant en 2e ligne et entendant sonner la charge, est parti à l’assaut d’une position ennemie avec le 31e Bataillon de chasseurs. L’attaque terminée a rejoint sa compagnie en rapportant un blessé sous un feu intense d’artillerie. »

 

La Médaille militaire lui est attribuée à titre posthume (publication dans le J.O. du 7 juin 1921).

 

« Excellent caporal, s’est montré très courageux dans toutes les actions difficiles, particulièrement le 25 septembre 1915 aux combats d’Aix-Noulette, au cours desquels il a trouvé une mort glorieuse. »

 

Cette distinction lui permet d’obtenir une étoile de vermeil sur sa croix de guerre.

 

Le caporal Guers ne s’est pas marié. Il est mort à l’âge de 21 ans sans laisser de descendance. Son frère aîné a survécu à la guerre, il a fait une carrière militaire. Marius, le cadet de la fratrie, fut banquier avant de devenir agriculteur. Il est décédé à l’âge de 87 ans. Des trois frères, il est le seul avoir eu une descendance. Leur mère, Julie Augustine, ne s’est jamais remariée.

 

La généalogie de Louis Jean Baptiste Guers se trouve sur le site « Généanet ». Pour y avoir accès, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

 

Geneanet

 

Le nom du caporal Guers est inscrit sur le monument aux morts de la commune d’Oullins. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il repose peut-être dans un des ossuaires de la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette.

 

Sources :

 

La fiche signalétique et des services de Louis Jean-Baptiste Guers a été consultée sur le site des archives départementales du Doubs.

 

Les photographies et les documents présentés ici proviennent tous des collections de la famille descendante de Marius Guers.

 

Un grand merci à M. Bordes, à C. Lacoste, à A. Carobbi, aux archives départementales du Rhône et au Service Historique de la Défense de Vincennes

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