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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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16 novembre 2018

Témoignage laissé par le sous-lieutenant Paul Douchez (7e partie). Le quotidien d’un officier dans un secteur instable.

Paul_Vincent_Constantin_Douchez

La compagnie du sous-lieutenant Douchez est en première ligne depuis le 15 août 1917. Le secteur qu’elle occupe est compris entre l’extrémité opposée de la tranchée Rousseau, la tranchée du Cuivre et le boyau des Bovettes. L’endroit n’est vraiment pas de tout repos. Paul Douchet doit tenir encore quelques jours avec la poignée d’hommes qui lui reste avant de pouvoir être relevé par des éléments de la 2e compagnie du 149e R.I..

21 août 1917

L’ordre m’est donné de passer mon secteur à la section de Berteville, pour me porter dans la tranchée de soutien Peltier. Jamais je n’ai vécu une période de lignes aussi instable.

Chacune de ces mutations exige l’étude de la nouvelle position : appliquer les consignes qu’il faut souvent modifier ou qui, inexistantes, doivent être créées, telles que la répartition du service de jour et de nuit, l’adaptation aux nécessités de la défense de mon effectif, fortement diminué par les prélèvements continuels de toutes espèces (liaisons du bataillon et de la compagnie, hommes pigeons, hommes chiens, cuisiniers, bureaucrates, cours spéciaux, service des porteurs, blessés, intoxiqués, malades, permissionnaires, préventionnaires du conseil de guerre que l’on exempte du service des tranchées ! etc…)

Secteur_ou_se_trouve_la_tranchee_du_Cuivre

Il y a également les reconnaissances de liaison, l’étude de la position ennemie, les comptes-rendus d’installation et les événements de la journée et de la nuit. Il faut aussi faire les rapports, les topos, les demandes de matériel et les propositions de travaux.

Seul le sommeil n’est pas prévu pour l’officier en secteur agité.

Quant aux gradés et aux hommes, c’est, à chaque fois, le transfert du « barda », l’aménagement ou le creusement des cagnas, les travaux nouveaux, les consignes nouvelles, les cheminements à retenir.

Dès que le médecin-major Bernère connaît mon départ, il profite d’une de mes rondes pour faire porter, hors de mon P.C., la caisse de grenades, et hors du poste de secours, des fusées-signaux que j’ai dû y caser. À mon retour, je fais remettre le tout en place, en l’invitant à ne toucher à rien avant mon départ. Il montre son inquiétude avec ce que je laisse sur ma planchette concernant les consignes pour mon successeur !

Tranchee_Peltier_et_boyau_Lemire

Au cours de la nuit, je relève une section de la 10e compagnie à la tranchée Peltier, depuis le boyau Cibot jusqu’au boyau Lemire, nom donné en mémoire de notre jeune camarade tué avant-hier.

J’ai, pour ma section, deux bons abris qu’elle achève d’étayer. Près d’eux, j’ai un petit abri amorcé, un simple trou dans la terre. Je continue, avec mon ordonnance, de le creuser à la pelle-pic pour pouvoir m’y allonger. Des sacs de terre me servent de couchette.

La tranchée, bien repérée, est soumise à un bombardement intermittent par rafales rapides de quatre obus de 105, avec de temps à autre, des 88. Elle est presque rectiligne, peu pourvue de pare-éclats, ce qui accroît les dangers de son occupation.

Par contre, cette disposition permet de réduire le service de guet à deux postes de F.M. et un poste de grenadiers à effectifs restreints.

22 août 1917

Deux fois dans la journée, je parcours la tranchée en cours de bombardements prolongés. Je la trouve vide. Les guetteurs sont rentrés précipitamment dans les abris à l’exemple des caporaux et du sergent. Je leur inflige un tour de veille supplémentaire et quatre jours de prison avec menace de conseil de guerre en cas de récidive.

Je me ressens des gaz respirés le 19. Presque tous mes hommes éprouvent ces malaises. Je résiste pour ne pas provoquer de nouvelles évacuations. Mon dernier sergent se fait évacuer.

Privé de sommeil depuis plusieurs nuits, sans compensation diurne, je suis exténué.

Le sous-lieutenant David de la 2e compagnie vient reconnaître la position de relève. En lui passant les consignes, je m’affaisse dans la tranchée, pris d’un évanouissement. Il n’y a pas d’eau. Je reviens à moi assez vite, ce qui empêche qu’on me verse dans la bouche l’infecte « gnole » dont j’aurai refusé, durant toute la campagne, d’absorber la moindre goutte.

23 août 1917

Deux heures avant l’arrivée du bataillon de réserve, un brusque et vigoureux barrage, auquel répondent nos canons, s’établit sur toute la position, avec l'accompagnement ordinaire de la gamme des fusées. Tout le monde est alerté. Je reçois l’ordre, de me porter en contre-attaque au cas où la première ligne (ma position de l’avant-veille), que nous appuyons à une centaine de mètres, serait enlevée, afin de la reprendre ou en cas d’impossibilité, d'endiguer, coûte que coûte, la progression ennemie.

J’ai instruit ma poignée d’hommes, 8 ou 9 sur 42, si j’ai bonne mémoire, sur ce que j’attendais d’eux et de leur rôle respectif. Nous nous préparons à la seule solution qui est d’aller se faire tuer dans la tranchée Rousseau en le faisant payer le plus cher possible.

Deux hommes se coulent sur le parapet pour chercher un cheminement dans les réseaux. L’obscurité, l’enchevêtrement des « bruns », la nécessité que tous « se serrent les coudes », me décident, si nous devons exécuter cette contre-attaque, à suivre simplement les boyaux. Mes hommes et caporaux ont une attitude parfaite.

Par bonheur, l’attaque échoue, ce qui nous épargne un sacrifice inutile. En raison de la crânerie générale dans la tranchée bombardée, je lève les deux punitions de la veille.

La relève s’effectue dans d’excellentes conditions. Un calme inespéré, ce qui arrive souvent dans les secteurs mouvementés, succède au grand « raffut ». Nous retournons à Billy-sur-Aisne.

Le fait de donner le nom d’une personne à une tranchée ou un boyau n’est jamais le fruit du hasard. Loin d’être un simple surnom validé temporairement par une compagnie et qui pourrait être facilement débaptisé, ce surnom est inscrit sur les cartes officielles afin d’être conservé par les régiments qui assurent les relèves suivantes dans le secteur. À titre d’exemple, le boyau Lemire est nommé ainsi en mémoire d’un sous-lieutenant du 149e R.I  qui a été tué à proximité.

Pour en savoir plus sur cet officier, il suffit de cliquer une fois sur la photographie suivante.

Sous_Lieutenant_Lemire_

Sources 

Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

La photographie et le portrait peint du sous-lieutenant Douché utilisés sur les montages proviennent du même fond.

Le plan qui localise la tranchée Peltier et le boyau Lemire a été réalisé à partir d’une carte trouvée dans le J.M.O. du R.I.C.M. Réf : 26 N 868/2. Une partie de celle-ci est employée sur le dernier montage. La fiche du sous-lieutenant Lemire est extraite du site « mémoire des hommes ».

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

 

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