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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 juin 2018

Témoignage laissé par le sous-lieutenant Paul Douchez (4e partie) Patrouilles et reconnaissances.

149e_R

Les hommes du sous-lieutenant Douchez s’apprêtent à quitter le secteur de 2e ligne des Vervins pour gagner la ferme le Toty.

 22 juin 1917

Les Vervins à la ferme le Toty (1ère ligne) par P.C. Constantine et Jouy (moulin de Couvailles). Là, l’ennemi utilise de meurtrières torpillettes empennées dites « tourterelles ». Le lieutenant Claudin passe le commandement au sous-lieutenant Berteville avant de partir en permission. Ce dernier tombe malade. Je prends le commandement de la compagnie. Je reçois l’ordre ci-dessous, pour exécution de travaux d’amélioration dans la défense du secteur.

Parcours_approximatif_effectu__par_la_9e_compagnie_du_149e_R

Legende_carte_149e_R

Le général Michel commandant la 43e D.I. au colonel commandant l’infanterie divisionnaire.

Au sous-lieutenant Douchez

La liaison entre les quartiers B et C n’est pas encore suffisamment établie.

En première ligne, la tranchée la Madelon n’est pas reliée à la tranchée Bossue. Il reste 40 m de tranchée à creuser.

Il en résulte que, si les éléments de gauche du 158e R.I. sont relativement bien desservis par le boyau Ugène, la tranchée du Coq, la tranchée du Toty, les éléments de droite du 149e R.I. sont en l’air, uniquement desservis par le boyau Beaudron, trop excentrique, alors qu’ils devraient l’être par la tranchée du Toty.

Secteur_de_la_ferme_Toty_J

Cette dernière tranchée, soutien de la tranchée Bossue (149e R.I.) et cloisonnement à gauche du 158e R.I., n’est pas achevée. Son tracé, à partir de la tranchée du Coq, est à rectifier sur au moins 15 à 20 mètres. Il suit la ligne de plus grande pente et est pris d’enfilade par le blocus.

La réunion des tranchées Bossue et de la Madelon, l’achèvement et la rectification de la tranchée du Toty seront poussés activement dès maintenant. Ces travaux devront être terminés le plus tôt possible.

28 juin 1917

Ferme le Toty à Ciry-Salsogne par la route

2 juillet 1917

Ciry Salsogne à Billy-sur-Aisne

3 juillet 1917

Billy-sur-Aisne (camions-autos jusqu’à Celles) à éperon ouest de Jouy (par moulin Saint-Pierre) où je commande un peloton détaché. Le reste de la compagnie est aux Vervins.

La nuit, ouverture de boyaux, installation d’un P.C., changement d’orientation de nos abris, pris à l’ennemi, pose de réseaux barbelés, le tout sous un bombardement intermittent. La position, sorte de sablière, sous les vues directes de l’adversaire, est canonnée jour et nuit, avec redoublement dès qu’un homme paraît sur le bled pour l’observation ou pour la communication des ordres. Le ravitaillement n’est possible que la nuit.

8 juillet 1917

Éperon ouest de Jouy à la ferme le Toty

149e_R

Ce secteur est, parmi ceux que j’ai vu, l’un des plus durs, des plus fatigants, des plus dangereux. La compagnie a la garde de plusieurs centaines de mètres d’une tranchée de 1ère ligne (tranchée Bossue). Trois sections l’occupent, la 4e est en réserve autour de la grotte, servant de P.C. à la compagnie. Cette tranchée traverse :

 1. dans son tiers gauche : des marais boisés où la circulation est des plus pénibles. Deux petits postes avancés s’en détachent, occupés la nuit seulement.

2. dans son centre : un terrain plat et dénudé où la tranchée est taillée dans le roc dur à une profondeur insuffisante qui oblige à parcourir, à 160 mètres de l’ennemi, des zones où l’on n’est protégé que jusqu’aux genoux ou jusqu’à mi-corps. Rien ne sert de s’y baisser.

3 .dans son tiers de droite (celui dévolu à ma section) : deux routes et un ravin encaissé et boisé qui sont sous le feu continu et nourri de l’artillerie. Certains tronçons en sont si bouleversés qu’on renonce à les entretenir. 

L’officier de « quart », une nuit sur deux (toutes les nuits quand son collègue est absent), a la garde de toute la tranchée et des petits postes. Il est secondé par l’adjudant ou l’aspirant, à tour de rôle. Il doit être en permanence dans ce parcours total depuis avant le coucher du soleil jusqu’après son lever. Un unique boyau étroit, profond d’un mètre, pris d’enfilade, conduit à la partie centrale d’où l’on rayonne à droite et à gauche.

Les tranchées adverses sont admirablement régulières, « confortables » et entièrement en ciment armé.

9 juillet 1917

Le sud du bois du Toty, situé entre les lignes, fait face à notre tranchée, à environ 60 mètres ; sa bordure lui fait angle droit. Chaque soir, on entreprend de renforcer ou de réparer le réseau que les obus ont abîmé. Cette nuit, en dirigeant ce travail, devant la lisière sud du bois, j’ai cru y percevoir un bruit. Nanti de deux grenades, le révolver en main, je me glisse sous le réseau et je m’approche en rampant. Une section de gauche, non avertie de notre travail, lance une fusée-parachute qui me met en pleine lumière durant une minute. Aussitôt, un bruit de branche me révèle que j’ai été vu. La fusée éteinte, je regagne le réseau à reculons, toujours sur le ventre.

Je fais en hâte un rapport demandant quelques coups de 75. Mon commandant de compagnie le transmet avec la mention : « ce renseignement n’a pas été contrôlé » et il reste sans effets.

Dans la journée, mes guetteurs d’extrême droite et le commandant de compagnie, en tournée à ce poste, tirent à trois reprises sur un groupe de trois hommes qui s’aventurent pour observer, hors de la lisière est. Sachant, par les photographies aériennes, que la corne nord-est est traversée par la tranchée du Blocus, on peut conclure que de ce point partent des patrouilles qui viennent, la nuit, surveiller nos travaux.

Cette supposition est renforcée par un court tir de tourterelles et de 88, chaque soir, sur la lisière sud, ayant pour but certain d’en chasser préalablement nos guetteurs éventuels.

Après reconnaissances d’un cheminement par un volontaire, je fais appel à trois autres. Au petit jour, nous allons, à cinq, explorer les abords des sous-bois. Nous y découvrons, moulées par la station prolongée du corps dans le gazon, des niches dont trois, côte à côte, viennent d’être vidées si fraîchement que la rosée n’en a pas encore humecté l’herbe aplatie. De plus, des foulées récentes indiquent le parcours des occupants.

Je fais un nouveau rapport demandant l’autorisation de tendre une embuscade dont je donne le plan.

13 juillet 1917

Comme usage, pour éviter une méprise et suspendre l’emploi des fusées, la consigne est passée aux compagnies voisines, avec les heures de départ et de rentrée probable de notre patrouille.

Dès la nuit venue, nous sortons, l’un après l’autre, de la tranchée, anxieux d’arriver avant eux. Nous cernons les niches et, parfaitement dissimulés, l’œil et l’oreille en éveil, le doigt sur la détente du pistolet, nous attendons.

Mais le tir habituel préparatoire, dont les traces nous entourent et que nous n’attendons pas sans appréhension, ne se produit pas.

Les heures passent. Les moustiques, encouragés par notre immobilité, nous piquent copieusement. Les mille bruits nocturnes d’un bois nous donnent de fausses joies. L’obscurité se fait d’un noir d’encre. Le froid est vif, malgré la saison, mais nous sommes décidés à rester là jusqu’au matin s’il le faut.

Minuit… Brusquement, un furieux tir de barrage s’abat derrière nous, sur notre tranchée. Il s’étend à droite, à gauche, sur 2 ou 3 km. Notre artillerie répond. Les premières lignes s’illuminent d’un rideau de fusées. Nous comprenons alors que l’ennemi avait, pour cette nuit, monté une attaque qui se déclenche sur notre droite. Exécutant des barrages d’interdiction sur les secteurs voisins du point attaqué, il n’y avait naturellement pas envoyé ses patrouilleurs.

Ignorant, à cet instant, si ce n’est pas notre propre position qui va être attaquée, mon devoir est d’y rentrer au plus tôt, coûte que coûte. Ce que nous parvenons à faire.

Au procès-verbal, je joins une demande de récompenses pour mes quatre braves (Poirot, Viant, Lechat et Deleval), qui, en somme, se sont exposés, deux fois, à tous les risques que comporte ce genre d’expéditions.

La présence de l’ennemi dans le bois de Toty (ou du blocus) étant restée, jusque-là, un point à élucider, la division déclare utiles les renseignements rapportés.

En transmettant mes propositions de citation à l’ordre du régiment et en les approuvant, le capitaine adjudant-major Houel, commandant le bataillon en l’absence du commandant, établit pour moi une demande de citation à l’ordre de la division.

Le nouveau colonel (Boigues) qui, peu de jours avant, a octroyé cette distinction à un collègue ayant occupé sans accident un P.C. soumis à un tir d’obus toxiques, reçoit ces propositions le 19, jour de sa rentrée de permission où il est de méchante humeur.

Il les rejette avec emportement : « Si une patrouille est nécessaire, on la commande !, s’il s’offre des volontaires, ils ne font que leur devoir. Si personne n’accepte, on fait fusiller ! » Et il fait insérer au rapport la note ci-dessous :

Colonel à chefs de bataillon et commandants de compagnie.

« Le colonel partage l’admiration des chefs de bataillon et des commandants de compagnie pour tous les braves sous les ordres et est prêt à accueillir en leur faveur toutes les propositions de récompenses dont ils seront l’objet.

Mais la croix de guerre, pour ne pas perdre son prix aux yeux de nos soldats, ne doit être décernée que pour un fait en valant la peine, ayant entraîné un acte d’initiative, de courage ou de dévouement, en un mot, un mérite militaire actif.

C’est ainsi que le chef de corps n’a pas jugé utile d’attribuer cet insigne à des militaires ayant fait des patrouilles volontaires sans rencontrer l’ennemi ou ayant tenu leur poste sous des bombardements journaliers, etc…  Aux armées, le 19 juillet 1917, colonel Boigues ».

Décidément, mes propositions à l’ordre de la division n’ont pas de chance !

14 juillet 1917

Ferme le Toty à Billy-sur-Aisne. Itinéraire : Piste de la D.I. jusqu’au moulin de Couvailles, Celles, Condé-sur-Aisne, Missy-sur-Aisne, rivage de l’Aisne, moulin des Roches, route de Soissons, Billy-sur-Aisne.

De_la_ferme_le_Toty___Billy_sur_Aisne_14_juillet_1917

Legende_carte_149e_R

Mon logement est dans une épicerie avec Berteville. Les hommes sont chez l’habitant.

Je n’ai jamais vu tant de lampyres et de lucioles que dans les bois derrière nos lignes. La piste de la D.I. semble drôlement jalonnée à dessein par des postes de ces petites bestioles.

17 juillet 1917

Sixième permission de sept jours à Calais. Départ en voiture de compagnie de Billy-sur-Aisne à Saint-Christophe (train passé) et à Berzy-le-Sec.

29 juillet 1917

Billy-sur-Aisne à P.C. Cahors (Ouest de Jouy : bois du Coteau).2e ligne

1er août 1917

P.C. Cahors à Billy-sur-Aisne (rivage de l’Aisne de Condé-sur-Aisne à Venizel)

La chambre que j’occupais dans une épicerie, avec Berteville, lors de notre premier cantonnement à Billy, est occupée par un officier du premier bataillon qui s’est dit malade au moment de partir en secteur. Je vais loger avec le lieutenant Claudin. Les sections sont dans des baraques Adrian.

7 août 1917

Billy-sur-Aisne aux Vervins (2e ligne) par le même itinéraire que le précédent.

15 août 1917

Sources :

Fonds Douchez composé de 3 volumes. Déposé au S.H.D. de Vincennes en 1983. Réf : 1 K 338.

Le morceau de carte qui accompagne le texte du sous-lieutenant Douchez provient du J.M.O. du 3e B.C.P. Réf : 26 N 816/4.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

 

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