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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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29 mai 2015

Du côté de Ciry-Salsogne en juillet 1917.

Le_tatoue_du_149e_R

La série de photographies suivante a été réalisée à Ciry-Salsogne, un petit village picard, situé à quelques kilomètres du front, à proximité du chemin des Dames. En 1917, cette commune est devenue une base arrière importante pour les soldats français.

Ciry_Salsogne_1

Juillet 1917, des hommes du 149e R.I. sont au repos dans ce village. Les distractions sont rares et il faut se divertir pour oublier la dure vie des premières lignes.

Un petit groupe s’est rassemblé dans la cour d’une grande bâtisse du village, mais ce n’est certainement pas pour effectuer une prise d’armes !

En effet, nous pouvons apercevoir, au milieu de l’attroupement, un homme qui est torse nu avec une large ceinture enroulée autour de l’abdomen. Ce qui est loin d’être une tenue réglementaire !

En fait, une séance récréative est en train de se préparer…

Ciry_Salsogne_2

L’athlète est Noël Bazola. Venant du monde forain, il se lance dans une série de démonstrations de force probablement répétée à de nombreuses reprises avant-guerre. Il vient de soulever un haltère de fortune qui a vraisemblablement été confectionné à partir d’un essieu de charrette. Son torse, ses bras et son dos sont couverts de dessins. Sa fiche matricule en mentionne quelques-uns, souvenirs d'une vie ayant déjà alterné passage devant le tribunal et devant le conseil de guerre.

Les muscles de l’homme sont tendus, son visage est crispé par l’effort, mais celui-ci a certainement l’habitude de faire ce type d’exercice, puisqu’il adopte une position qui lui permet de supporter plus facilement la charge importante à bout de bras.

Ciry_Salsogne_3

Maintenant, il faut se mettre en forme ! Un petit échauffement est nécessaire avant de passer à des choses plus sérieuses.

Ciry_Salsogne_4

Exercice d’équilibre…

Ciry_Salsogne_5

Encore plus fort, plus difficile et plus osé ! Pour complexifier l’exercice, la chaise est posée sur quatre bouteilles de vin !  Attention à ne pas tomber, il faut rester très concentré pour ne pas perdre sa stabilité !  

Le soldat qui se trouve juste un peu en arrière de l’artiste a adopté une attitude très décontractée. Mais ce n’est sûrement qu’une apparence, il est certainement là pour intervenir rapidement en cas de problème.

Assurément un peu gênés par « le protecteur du tatoué », les hommes qui se trouvent sur la partie gauche de l’image se sont tous inclinés pour mieux observer l’exploit réalisé par l’équilibriste. Ils ne veulent pas perdre une miette du spectacle !

Ciry_Salsogne_6

Comme à la fête foraine, le « colosse » du 149e R.I. a certainement proposé un défi à la cantonade pour mieux prouver sa force. Un autre homme du régiment a accepté de se mesurer à lui. Il se lance dans un combat à la régulière pour essayer de vaincre « le tatoué ».

Les spectateurs se prennent au jeu, certains « gueulent à tue-tête »  pour encourager leur favori. La lutte est acharnée… Le règlement doit être respecté à la lettre pour que le combat ne dérape pas. Pour assumer cette lourde charge, l’arbitrage a été confié à la vigilance du chien « Papillon », mascotte de la 1ère compagnie de mitrailleuses du 149e R.I. et qui est en train de vérifier si les deux épaules du « tatoué » touchent le sol, ce qui serait cause de défaite immédiate pour lui !

Ciry_Salsogne_7

Revirement de situation, le tatoué a réussi à se sortir d’une position délicate ! Les deux épaules de son adversaire touchent le sol. Le combat touche à sa fin.

Peut-être un dernier regard sur la photographie de Noël Bazola utilisée sur le montage initial. Il est essentiel pour moi de finir sur le visage et sur les tatouages de cet homme qui restent peu visibles sur l’ensemble des clichés. Voici deux photographies qui nous le montrent de plus près.

Ciry_Salsogne_8

Ciry_Salsogne_9

Un tatouage sur son ventre semble représenter un officier avec un bicorne et sur son dos, ne pourrait-il s'agir d'une représentation patriotique ? Ce serait étonnant, car si Noël Bazola se battait pour ses combats, il ne semblait guère enclin à se sacrifier pour la patrie. S'il mit un point d'honneur à impressionner les hommes du 149e R.I. présents ce jour-là, il fut loin d'être le camarade idéal, désertant à peine deux mois après ce spectacle. Il pose ici pour la photographie et ces clichés furent précieusement conservés dans un album photographique : cela marque le côté extraordinaire du personnage aux yeux du soldat qui conserva ces clichés. La seule autre image connue de lui pour l'instant, est celle qui fut publiée dans la presse, près de 20 ans plus tard, pour sa mort."

Le chien Papillon est évoqué dans un autre article qui est consultable sur le blog du 149e R.I.. Pour y avoir accès, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante.

Chien_1

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à D. Guénaff et à « Pouldhu » un intervenant du « forum pages 14-18 ».

22 mai 2015

Jean Louis Dumont (1892-1914).

Jean_Louis_Henri_Dumont

Jean Louis Henri Dumont est né le 10 octobre 1892 à Saint-Julien-lès-Russey, une petite commune située dans le département du Doubs, à quelque 70 km à l’est de Besançon. Son père se prénomme Ernest Augustin, sa mère se nomme Marie Anaïse Jannin.

Le jeune Dumont est inscrit sous le numéro 35 sur la liste des hommes du canton de Morteau qui doivent effectuer leur service militaire à la fin de l’année 1913. De bonne constitution physique, il est classé dans la 1ère partie de cette liste à la suite du passage devant le conseil de révision. Il vient d’être déclaré « bon pour le service ».

Début octobre 1913, Jean Louis Henri Dumont se prépare à quitter son domicile et son travail d’agriculteur pour rejoindre le 149e R.I.. Après avoir fait ses adieux à la famille, il laisse derrière lui le petit village des Fins pour gagner la ville d’Épinal.

Premier août 1914, le conflit contre l’Allemagne est sur le point de débuter. Le soldat Dumont qui va bientôt entamer son 10e mois de service militaire, s’apprête à abandonner sa chambrée de la caserne Courcy pour rejoindre le quai de la gare d’Épinal. Son régiment, qui fait partie des troupes de couverture, doit, au plus vite, s’approcher de la frontière.

Cet homme sert dans la 7e compagnie du 149e R.I. qui se trouve sous les ordres du capitaine Coussaud de Massignac.

Malheureusement pour lui, sa participation à la campagne contre l’Allemagne sera de courte durée… À peine entré en guerre, Jean Louis Henri Dubois est tué dans le secteur du Signal de Sainte-Marie.

Le soldat Dumont est inscrit dans la liste des disparus du J.M.O. du régiment à la date du 9 août 1914. Son corps à probablement été laissé sur le terrain. Cette situation conduisit sa famille à entamer des recherches, notamment en direction du C.I.C.R.. C’est ce qui explique l’existence d’une fiche dans leurs dossiers.

 

Dumont__fiche_C

 

 Ce n’est que le 19 mai 1920 que sa mort sera véritablement officialisée, à la suite d’un jugement rendu par le tribunal de Pontarlier. Cette décision met fin aux derniers espoirs de la famille de pouvoir le retrouver vivant.

Pas de sépulture connue.

Le portrait de Jean Louis Henri Dumont est fixé sur le monument aux morts des Fins qui se trouve sur la place du 8 mai juste en contrebas de l’église de ce village.

Pour en savoir plus sur la journée du 9 août 1914, il suffit de cliquer une fois sur l'image suivante.

Renclos_des_Vaches

Sources :

La fiche signalétique et des services du soldat Dumont a été consultée sur le site des archives départementales du Doubs

La fiche de Jean Louis Henri Dubois provient du site du Comité International de la Croix Rouge.

Les photographies du monument des Fins et du portrait du soldat Dubois ont été réalisées par G.Tisserand.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi et à G. Tisserand.

15 mai 2015

Jean Baptiste Albert Peuch (1880-1915).

Jean_Baptiste_Albert_Peuch

Lorsque leur fils,Jean Baptiste Albert, voit le jour le 4 septembre 1880, Pierre Peuch et Anne Agathe Leconet habitent un petit appartement situé au 1 rue Aubert de la ville d’Épinal . Ses sœurs ainées Alexandrine et Éléonore nées respectivement en 1868 et 1870 et son frère cadet, Jean Baptiste Ernest, né en 1877 et qui ne survivra pas à sa deuxième année, forment la fratrie. Les parents d’Albert sont tous deux originaires de la Corrèze. N’ayant pas trouvé de travail, Pierre Peuch quitte sa terre natale en 1860 pour rejoindre l’est de la France. En 1867, il fait venir sa future femme qu’il épousera à Épinal le 7 avril 1868.

Genealogie famille Peuch

Deux drames familiaux viennent marquer la vie du jeune Albert. Il perd sa sœur Alexandrine à l’âge de 11 ans et son père lorsqu’il a 14 ans.

La_rue_Aubert_Epinal

Soldat de la classe 1900, Albert Peuch se retrouve, dans un premier temps, dispensé par l’article 21 pour raisons familiales.

Il obtient un ajournement d’une année, tout en étant  classé dans la 2e partie de la liste du recrutement cantonal. C’est en grande partie la situation de sa mère qui lui permet de bénéficier de ce sursis. Il y a de fortes probabilités pour que cette femme, veuve depuis presque dix ans, vive dans des conditions économiques relativement précaires.

 Il ne fera qu'une année de service militaire du fait d'être classé dans la 2e partie de la liste.

Le 14 novembre 1901, son année de prorogation militaire touche à sa fin. Il est temps pour Albert de se diriger vers le 44e R.I. pour y accomplir son devoir de soldat. Il est renvoyé dans ses foyers le 20 août 1902 avec son certificat de bonne conduite dûment signé. Le 1er novembre 1904, il intègre la réserve.

Albert Peuch se marie le 1er mars 1906 à Nancy avec Victoire Élisa Lucie ; ce couple aura deux petites filles, Anna Georgette et Jeanne Albertine. 

Famille_Peuch_2

                               Georgette et Jeanne Peuch avec leur grand-mère  Anne Agathe Leconet

 Dégagé de ses obligations de soldat, ce n’est pas pour autant qu’il en est tout à fait quitte avec l’armée. Albert doit effectuer deux périodes d’exercices au 149e R.I.. La première se déroule du 19 août au 15 septembre 1907, la seconde du 9 au 25 novembre 1911.

L’homme est également un gymnaste de haut niveau. Il sera trésorier et moniteur de la société sportive « la Vosgienne » pendant plusieurs années.                                                                                                                               

Comite la societe la Vosgienne 1903

                                                      Comité de la société la Vosgienne en 1903

Il exerce, dans un premier temps, la profession de comptable dans une usine à gaz à Épinal, avant de devenir employé de banque dans la même ville.

La vie semble réussir à Albert Peuch…

Mais il est rattrapé par les évènements qui vont déchirer l’Europe. Albert est rappelé à l’activité militaire. La mobilisation générale vient d’être décrétée. Le 1er août 1914, le soldat Peuch doit se rendre à la caserne Courcy pour rejoindre son régiment.

Il participe à tous les combats du 149e R.I. qui eurent lieu durant les quatre premiers mois du conflit.

Noël 1914, Albert fait parvenir à sa femme et à ses deux filles une petite feuille de chêne sculptée.

Souvenir_1914_1915

Début janvier 1915, son régiment vient de quitter la Belgique, Albert Peuch se trouve maintenant près du petit village de Noulette en Artois, une région que les hommes connaissent bien puisqu’ils y ont déjà combattu en octobre 1914.

La lettre suivante a été rédigée quelque temps après que son unité ait quitté la région d’Ypres.

Les terribles souvenirs des combats sont encore bien vivaces dans son esprit même s’ils ne sont évoqués que très succinctement dans une lettre adressée à sa belle-sœur. 

6 janvier 1915,

Ma chère Jeanne

Je reçois en même temps vos lettres des 20 et 27 décembre. Je suis heureux de vous savoir en assez bonne santé et j’espère que le malaise de votre gorge et de vos oreilles ne sera que de courte durée. Surveillez-vous et soignez-vous bien, qu’à ma rentrée, je trouve tout le monde en bonne santé.

Moi je vais bien, les légers malaises que l’on ressent par moment s’en vont comme ils sont venus, j’en suis content, car que voulez-vous, on a chaud ou froid, on est mouillé, et, ma foi, on ne peut pas se soigner comme chez soi et on prend le temps comme il vient. Jusqu’alors, je n’ai jamais été à la visite du major que pour soigner les autres, c’est vous dire que tout va bien. D’ailleurs, si j’ai le bonheur d’en revenir, je vous raconterai les diverses péripéties par lesquelles nous sommes passés, ce sont des choses qui nous ont trop touchés pour les oublier.

J’ai bien reçu votre billet de 20 francs. Vous êtes bien gentille et je vous en remercie infiniment. Je n’ai pas encore reçu votre colis, mais il ne va pas tarder. Je vous remercie encore de votre bonne intention.

Pour les colis expédiés par la gare, ils doivent passer par Langres, mais pour ceux expédiés par poste, c’est la nouvelle adresse que je vous ai donnée, secteur postal 116.

J’ai reçu des nouvelles d’Alfred du 27. Il donne le bonjour à tout le monde et il va bien. Je suis en correspondance suivie avec lui.

Il est vrai, Jeanne, que les fêtes sont bien tristes pour nous, mais que voulez-vous, il faut s’y faire et souvent, bien souvent, ma pensée voyage avec vous toutes. Quand le péril est là, le souvenir de notre famille est bien plus vivace,  car, que des fois, on se demande si on en reviendra.

Enfin, mon désir, comme d’ailleurs celui de mes camarades, est de faire mon devoir, et d’en revenir entier autant que possible.

C’est bien malheureux pour Prosper Reveillé C’est certainement du côté d’Ypres qu’il a dû être tué. Dans ces environs, j’ai été témoin de choses terribles, atroces et pénibles. J’ai pansé des blessures affreuses, et je dois le reconnaître, sans fausse modestie, avec beaucoup de sang-froid. Car vous savez, ça tapait dur là-bas. Pour vous donner une idée, des trous d’obus avaient 6 ou 7 m de diamètre sur 4 m de profondeur.

C’est par erreur que j’ai porté Épinal sur ma lettre. Nous sommes bien où Élisa croit. Nous déménageons à chaque instant et par tous temps. Nous avons rencontré le 37e, il y a un mois environ, mais je n’ai pas rencontré le capitaine Chasle. Il peut se faire que l’on se rencontre encore.

 Je vous remercie beaucoup des jouets que vous avez envoyés à mes chères petites gosses ; Georgette et surtout ma Jeannette s’en amusent beaucoup, parait-il. Qu’elles doivent être gentilles !

Pour la femme d’Alfred qui est a Paris, les communications avec Nancy, sont, paraît-il, très difficiles. Ce n’est pas drôle qu’elle n’ait pas été vous voir. Tant mieux qu’Épinal et Nancy soient tranquilles.

C’est drôle que Gaston ne soit pas encore rentré. Il est vrai que les Allemands tiennent peu compte de la convention de Genève. Une campagne a été faite à ce sujet, mais ils se moquent de tout. Enfin, espérons qu’il rentrera en bonne santé.

Je vous remercie beaucoup, Jeanne, de vos bons souhaits et espérons qu’ils se réaliseront bientôt.

Pour votre déménagement, faites ce que vous pourrez et, après la guerre, on fera le reste.

Votre situation s’améliorera et on s’arrangera en conséquence, car actuellement, tous les propriétaires en sont là. Pourvu que votre bonne marche et qu’elle vous seconde, car ce sont des oiseaux rares.

Au moment de fermer ma lettre, on m’appelle pour la distribution des colis. Je m’empresse d’y aller. J’ai donc reçu votre colis et le tout en bon état. Le jambon, le saucisson sont épatants. Comme goûter, c’est naturellement succulent. Les biscuits seuls sont brisés, mais on mange les miettes. Les conserves, les dattes, le chocolat, tout est très bien et je vous en remercie encore une fois.

Espérons que votre santé se conservera bonne.

Je termine en vous embrassant bien affectueusement et de tout cœur.

Albert                        

Famille_Peuch_1

                                                             Jeanne et Georgette Peuch

Le 2e bataillon du 149e R.I. est installé à Noulette. Albert en profite pour rédiger une lettre à sa belle-sœur Jeanne.

24 février 1915

Ma chère Jeanne,

Je vous avais annoncé une lettre sous cinq ou six jours. Je profite d’un moment assez calme pour vous donner de mes nouvelles. Je vais relativement bien et j’espère que votre santé est bonne aussi.

J’ai reçu des nouvelles d’Épinal et d’Alfred. Tout le monde va bien. C’est l’essentiel, que cela continue.

J’ai reçu une lettre d’Élisa, qui, je crois, aura le record de vitesse. Pour venir ici, tout au nord de la France, elle a mis quatre jours.

Comme je vous l’ai dit, j’ai reçu un colis de votre part, contenant sardines, jambon, saucisson délicieux, biscuits et même des morceaux d’étoffes pour faire probablement des chaussettes russes. J’ai souri à ce sujet et je vois que comme toujours, vous pensez à tout. Je ne mets pas de chaussettes russes, mais l’étoffe qui entourait le paquet, ainsi que les deux morceaux en question, ont déjà leur usage. Je m’en suis fait des mouchoirs. Quand ils auront servi, je les jetterai.

Que voulez-vous, à la guerre comme à la guerre, on en fait bien d’autres. Si vous pouviez voir notre cuisine, c'est-à-dire notre façon de procéder pour tout, ce serait à votre tour de rire.

Avant d’aller plus loin, je vous remercie infiniment de votre aimable envoi qui est arrivé à bon port. Tout y était excellent.

Je vous écris à peu de distance des Allemands, les marmites tombent, quelques balles sifflent, mais l’habitude est prise.

On a froid aux doigts, mais c’est supportable. Enfin, espérons une fin proche. C’est ennuyeux que votre argent ne rentre pas. La situation ne durera pas, car je crois qu’on s’occupe à la Chambre de la question des loyers.

Vivement que tous ces évènements pénibles finissent et que je puisse vous donner la main pour que vous soyez un peu tranquille.

Bientôt les évènements vont se précipiter, ce sera certes meurtrier, mais j’ai bon espoir. Enfin, attendons.

Voilà le vaguemestre qui va partir aux tranchées, il ne fait qu’entrer et sortir, aussi je vous quitte, et, tout en vous remerciant encore, je vous souhaite bonne santé et bon courage. Pour terminer, je vous embrasse bien affectueusement.

Je suis heureux que tout le monde soit bien portant. Georgette et Jeannette doivent être changées, Jeannette surtout.

On commence à trouver le temps long après tout le monde. Enfin, il faut se résigner.

Nous recevons depuis quelques jours très peu de lettres pour le régiment.  On nous informe que les trains sont pris par les troupes.

Albert

C’est certainement une des toutes dernières lettres qu’il écrit puisque il va mourir quelques jours plus tard.

Albert Peuch est infirmier brancardier dans la 6e compagnie du 149e R.I.. Son bataillon doit remonter en 1ère ligne dans la soirée du 26 février 1915.

Le 1er mars, le soldat Peuch est grièvement blessé au thorax. Celui-ci est rapidement évacué vers l’arrière en direction de Sains-en-Gohelle par ses camarades brancardiers. Malgré les soins prodigués par les médecins de l’ambulance n° 3/21, il ne peut pas être sauvé. Albert Peuch décède en fin de journée à 19 h 30.

Il y a de fortes probabilités pour que cet homme ait reçu un éclat d’obus durant le violent bombardement qui a eu lieu au cours de cette journée en portant secours à un camarade blessé.

L’homme est enterré dans un premier temps dans le cimetière communal de Sains-en-Gohelle. Son corps a, par la suite, été restitué à la famille.

Le 29 mars 1915, Élisa, l’épouse d’Albert Peuch, écrit une lettre à sa sœur Jeanne. Voici le passage où elle évoque son mari décédé :

«… Pour Albert, j’ai eu de nouveau une lettre de l’abbé Marchal. Il me dit que le cercueil actuel est en très bon bois et qu’il peut aller plusieurs mois. Il ne me conseille donc pas de faire les frais tout de suite. Il vaut mieux, dit-il, quand j’irai chercher le corps de mon pauvre Albert, faire seulement le nécessaire. J’attendrai donc et j’aurai peut-être la chance de le voir une dernière fois. Il m’a envoyé la photographie de la tombe de mon pauvre grand et tous les renseignements possibles. Il est à côté de quatre officiers. Je pourrai donc facilement le retrouver. Il a une jolie couronne et le directeur à écrit à un de ses amis qui est là-bas, qu’il fasse une plaque en cuivre très épaisse et profondément gravée et bien vissée après la croix. Tu vois, toutes les précautions sont prises…»

Albert Peuch repose actuellement dans le cimetière Saint-Michel à ’Épinal.

Plaque_Albert_Peuch

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la préfecture vosgienne.

Le soldat Albert Peuch est décoré de la Médaille militaire et de la croix de guerre avec une étoile de bronze à titre posthume. L’attribution de ces décorations est publiée dans le J.O. du 28 décembre 1920 :

« Brancardier d’un grand dévouement. S’est fait remarquer tout particulièrement le 1er mars 1915, à Notre-Dame-de-Lorette en portant secours à un camarade mortellement blessé. »

Sources :

L’intégralité des informations et l’ensemble des photographies concernant la famille d’Albert Peuch ont été fournies par A. Bouvet,son arrière-petite-fille.

La citation attribuant les décorations obtenues par Albert Peuch peut-être consultée sur le site de la bibliothèque numérique Gallica.

Gallica

La photographie de la plaque ovale a été réalisée par A. Bouvet.

Le cliché représentant le comité de l’année 1903 de « la société de gymnastique la Vosgienne » d’Épinal a été envoyé à Madame Bouvet par le président actuel N. Aubert. Cette photographie a été trouvée dans les archives de l’association.

Pour en savoir plus sur la journée du 1er mars 1915, il suffit de cliquer une fois sur l’image suivante :

Groupe_de_soldats_149e_R

Un grand merci à M. Bordes, à A. Bouvet, à A. Carobbi, à T. Cornet et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

8 mai 2015

Les brancardiers du 149e R.I..

Groupe_de_brancardiers_149e_R

La photographie ci-dessus a été réalisée en juin 1915. Celle-ci représente les « infirmiers-brancardiers » du 3e bataillon du 149e R.I.. Outre la bonne qualité du cliché qui a su traverser le temps, un petit bonus accompagne l’image. Quelques lignes rédigées au verso permettent d’en savoir un petit peu plus sur ce groupe d’hommes. En voici la retranscription…

Souvenir de campagne 1914-15

Le 18 juin 1915

« Mes biens chers,

Je vous adresse une photo du groupe infirmiers-brancardiers du 3e bataillon du 149e de ligne. Vous pouvez juger par ma binette que je suis en bonne santé. Cette photo a été prise le 13 de ce mois dans le Pas-de-Calais.

Couché au premier plan, Folzer de Xertigny. À gauche du major Duplessis, Christian mine rangée, par la gauche, le 1er fils Ignace d’Épinal. À droite, debout, près de votre Louis, Julien.

De tous ces camarades, amicaux bonjours et de votre Louis, les meilleurs baisers. »

Ce petit texte nous donne quelques noms et prénoms, mais cela reste malheureusement insuffisant pour essayer de les identifier. Nous pouvons également regretter une absence de signature en bas du texte. Celle-ci aurait certainement pu nous aider à en savoir un petit plus sur son auteur ou  tout du moins nous aiguiller dans les recherches.

Essayons maintenant de mieux comprendre l’organisation des groupes « infirmiers-brancardiers » d’un régiment…

Le travail réalisé par ces hommes reste avant tout une tâche « noble et généreuse ». Il faut tenter de sauver le plus de vies possible, parfois au péril de la sienne, souvent dans des conditions extrêmes…

Comment sont constitués ces groupes ?

Si les brancardiers et les infirmiers du régiment sont rattachés administrativement à la C.H.R., c’est avant tout, à l’intérieur des compagnies qu’ils exercent véritablement leur fonction. En effet, ces compagnies disposent en permanence de brancardiers et d’infirmiers, ce qui facilite leurs interventions qui sont ainsi plus rapides et plus efficaces en cas de nécessité.

La C.H.R., quant à elle, gère les soldes et l’emploi. Il en est de même pour les perceptions d’effets et pour la discipline.

Il y a de nombreux musiciens dans cette compagnie, mais pas seulement… Il peut y avoir également des cordonniers, des architectes, des mineurs ou bien encore des cultivateurs…

Généralement, il y a une moyenne de quatre infirmiers et seize brancardiers par bataillon. Au cours des attaques, ces hommes sont souvent soutenus par leurs homologues divisionnaires.

Comment fonctionnent ces groupes ?

La plupart du temps, les postes de secours du régiment ou du bataillon ne peuvent pas être installés à proximité de la zone de feu.

Les équipes de brancardiers doivent alors accomplir un trajet qui est souvent long de plusieurs centaines de mètres. Elles ont à traverser des terrains accidentés, à sillonner des terres labourées par les obus et à se déplacer dans des tranchées étroites qui sont parfois très endommagées par les bombardements. Tout cela accroît fortement les difficultés du transport.

Le métier de brancardiers régimentaires est particulièrement pénible et dangereux. Dès l’instant où ces hommes interviennent, en plus des risques directement liés aux attaques et aux bombardements, qui sont le lot de tout homme qui se trouve en première ligne, ceux-ci peuvent être rapidement exténués par la charge de travail qui leur incombe. Les nombreux allers-retours qu’il faut effectuer entre le moment où le blessé est récupéré sur le terrain et l’instant où il est déposé au poste de secours du régiment ou du bataillon imposent une dépense d’énergie colossale.

Le travail de relève des blessés est tout aussi difficile... Dans un premier temps, les brancardiers doivent panser rapidement et sommairement les hommes sur place. Ensuite, il faut tenter au maximum de ne pas trop faire souffrir le camarade allongé sur la civière au cours du déplacement. Les secousses trop vives dans les mouvements de portages doivent être évitées le plus possible. Il faut se dire que les infirmiers et les brancardiers ne disposent pas de morphine pour soulager les souffrances dues aux blessures qui sont souvent terribles.

L’évacuation du blessé n’est possible que durant les périodes d’accalmies, car, à moins de se trouver dans des conditions exceptionnelles de « protections naturelles », les brancardiers seraient obligés de marcher debout sous la mitraille. Les difficultés peuvent être encore accentuées par d’autres facteurs. La nuit, il ne faut,sous aucun prétexte, faire usage d’un éclairage quelconque, sous peine d’être salué par un feu de salve. Souvent, il faut se guider exclusivement sur les gémissements et les cris des blessés qui sont tombés entre les deux lignes et au retour, il ne faut surtout pas s’égarer dans le no man’s land…

Toutes les précautions nécessaires doivent être prises pour éviter de devenir visibles à l’ennemi. Au cours des recherches sur le terrain, les brancardiers repérés peuvent aisément devenir la cible d’un tireur zélé. Il serait puéril et bien naïf de croire que la croix de Genève portée sur le bras assure une protection totale !

Sources :

« Études sur l’organisation et le fonctionnement des groupes de brancardiers pendant la guerre actuelle » Thèse pour le doctorat en médecine présentée et soutenue publiquement le 15 mai 1915 par Antoine Célestin Étienne Fabry. Bordeaux Imprimerie de l’université Y. Cadoret. 1915. 51 pages.

Pour en savoir plus sur les brancardiers :

« Considérations sur l’organisation d’un groupe de brancardiers divisionnaires pendant les premiers mois de la guerre (1914) » Thèse pour le doctorat en médecine présentée et soutenue publiquement le lundi 19 février 1917 par Gabriel Jean-Baptiste Joseph Bayle. Bordeaux Imprimerie de l’université Y. Cadoret. 1917. 33 pages.

« La Grande Guerre des soignants, médecins, infirmières et brancardiers de 1914-1918 » de Patrick Loodts et d’Isabelle Masson-Loodts aux éditions de la mémoire. 414 pages. 2014.

Un grand merci à M. Bordes, à A. carobbi et  à « Achache » et  « Laurent 59 » qui interviennent tous deux sur le forum « pages 14-18 ».

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