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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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23 février 2012

Petit carnet écrit par Pierre Mathieu (1ère partie).

                   carnet_Pierre_Mathieu     

Le caporal Pierre Mathieu a également laissé un petit carnet de notes qu’il a commencé à rédiger à partir du 17 février 1915. Le texte prend fin le 1er mai 1915, quelques jours avant la mort de son auteur. Ce carnet écrit sur une période très courte nous en apprend pourtant beaucoup sur ce que pouvaient vivre les hommes du 149e R.I. lorsque ceux-ci n’étaient pas sollicités pour participer à une attaque. Sans doute écrit à la hâte, la plupart du temps au hasard des lieux de cantonnement, Pierre Mathieu nous raconte ce qu’il vit au jour le jour. Les innombrables corvées, les longues marches durant les périodes d’exercices, les travaux de toutes sortes à réaliser dans les tranchées et à l’arrière sont le lot quotidien du modeste soldat.

Je viens de nouveau remercier très chaleureusement toute l’équipe de l’association « collectif Artois 1914-1915 » qui vient de me donner son accord pour que je puisse publier ici l’intégralité de ce carnet. 

Mercredi 17 février

À 6 h 00, nous venons occuper des abris dans le bois. Temps brumeux et froid. Je ne suis pas très bien portant. Amélioration de notre abri avec des claies. À 19 h 00, nous revenons cantonner dans nos cités. 

Jeudi 18 février

Nettoyage des effets. 

Vendredi 19 février

Revue par le lieutenant Thiriat. 

Samedi 20 février

À 18 h 00, départ pour Marqueffles par une pluie battante. On couche dans la mine. 

Dimanche 21 février

À 17 h 00, départ pour les tranchées. On suit la voie ferrée. L’escouade commence à fournir le service dans la sape. Construction de créneaux. 

 Lundi 22 février

Un abri s’écroule et ensevelit quelques hommes dont un est tué. À onze heures, je suis désigné pour aller aux pionniers. Je commence le service à midi. Construction d’abris.

À 18 h 00, on part en 2e ligne. Clayonnage. On revient à minuit. Je couche dans la cave, les souris me réveillent. 

Mardi 23 février

Consolidation des abris.  À 20 h 00, on monte en première ligne. Pose de hérisson devant les tranchées. 

Mercredi 24 février

On va encore en première ligne. On pose des gabions pour boucher la tranchée en cas d’attaque. Il neige. Jusqu’à minuit, amélioration d’un boyau. Transformation en tranchée. 

Jeudi 25 février

À midi, départ en 1ère ligne. Construction de feuillées. Neige. Boyaux remplis d’eau À 15 h 00, les Allemands bombardent. Pose de hérissons. 

Vendredi 26 février

Construction des abris de la haie G. Nombreux blessés à la compagnie. À 18 h 00, on part cantonner à Sains. Je couche dans un lit, la première fois depuis 6 mois. 

Samedi 27 février

Nous faisons nos repas. Trois caporaux, un sergent. Bonne petite cuisine. 

Dimanche 28 février

Je vais à la messe et aux vêpres. 

Lundi 1er mars

Je vais passer la visite. Je reste à la réserve du régiment. À 16 h 00, deux éclairs suivis d’un violent coup de tonnerre. La neige tombe. 

Mardi 2 mars

Je vais manger à la réserve. Le soir, nous changeons de cantonnements. Je vais me faire panser. On perce mon clou (furoncle)… Je souffre pendant un moment. Je vais  coucher dans mon bon lit. 

Mercredi 3 mars

Je suis réveillé par une forte canonnade. Les Allemands ont attaqué nos tranchées. Pendant une bonne heure, nos canons crachent. Je vais passer la visite. Bronchite en service. À 10 h 00, le sergent Sère revient blessé d’une balle au bras. Enterrement de 3 brancardiers. Deux cercueils recouverts d’un drap noir, un autre recouvert d’un drap blanc. À 15 h 00, notre artillerie bombarde avec une extrême violence. La fusillade suit. De nombreuses automobiles passent et repassent, comblées de blessés. Je vais me coucher avec le sergent Husson. 

Jeudi 4 mars

À 14 h 00, on reçoit l’ordre de partir renforcer le régiment. À 15 h 30, notre artillerie bombarde de nouveau. Je reçois un colis. À 17 h 00, rassemblement, nous sommes prêts à partir. Contre ordre, je fais le cantonnement de la 1ère section. La compagnie ne revient pas. Les 3e et 2e du 149e R.I. reviennent ainsi que deux compagnies du 158e R.I.. Je couche sur un matelas dans le coron où l’on mange avec le sergent-major.

Vendredi 5 mars

 Je vais à l’ordinaire. Je vais voir des prisonniers Allemands empierrant une route. Je leur cause un peu allemand. 

Samedi 6 mars

Je vais entendre la messe et communier. À minuit, la compagnie revient des tranchées. 

Dimanche 7 mars

Je vais à la messe de 7 h 30. À midi, départ de la compagnie par une pluie battante. On passe à Boyeffles, Verdrel et on arrive à Rebreuve à 17 h 00. On cantonne dans une ferme dans un hangar. 

Lundi 8 mars

On endosse de nouvelles capotes. Travaux de propreté. 

Mardi 9 mars

Exercice après-midi. 

Mercredi 10 mars

On va reconnaitre un emplacement à Olhain, dans un bois pour faire des claies et des gabions. 

Jeudi 11 mars

Je reste à la compagnie  jusqu’à nouvel ordre. Repos. Je vais visiter l’église de Rebreuve. 

Vendredi 12 mars

À 10 h 00, départ pour les douches. On revient par le bois d’Olhain. À 11 h 30, je suis de garde au poste de police. Revue par le général de division. Patrouille dans le village. 

Samedi 13 mars

Je vais à la mairie de Ranchicourt pour les ordres à transmettre. Nous sommes relevés à midi. Le soir on monte nos sacs, prêts à partir. Contre ordre. 

Dimanche 14 mars

Je vais à la messe de 8 h 00. Cantonnement consigné. La musique joue sur place ainsi que devant la division. 

Lundi 15 mars

Revue en tenue de campagne par le commandant. 

Mardi 16 mars

Le matin, je vais au tir, pose des sentinelles. À midi, on prend la garde au poste de police avec le sac monté, car on doit partir. À 16 h 30, départ de la compagnie. Je suis de garde de police et nous marchons en queue de bataillon. On arrive à 21 h 00 à Boyeffles où l’on cantonne dans une ferme sur un grenier. 

Mercredi 17 mars

Même cantonnement.  À 12 h 00,  départ. La compagnie va occuper des abris de réserve dans le bois de Bouvigny. Nous sommes accroupis sous un abri. Il ne fait pas très chaud la nuit. 

Référence bibliographique :

Tome 2 du livre d’or des morts du front d’Artois. 

Pour en savoir plus sur le lieutenant Gaston Thiriat, il suffit de cliquer une fois sur l'image suivante.

Sous-lieutenant Thiriat

Un grand merci à M. Bordes, à A. Chaupin, à T. Cornet, à F. Videlaine, à l’association « collectif Artois 1914-1915, à l’association Notre-Dame-de-Lorette et à la garde d’honneur de l’ossuaire de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette. 

8 février 2012

Correspondance de Pierre Mathieu (2e partie).

                   Pierre_Mathieu

Un très grand merci à toute l’équipe de l’association « collectif Artois 1914-1915 ».

 Le 6 mars 1915 

Bien chers parents,

Hier j’ai reçu une lettre de maman datée du 24 février. Je ne reçois plus vos lettres régulièrement. Je serai heureux de recevoir les cartes postales et les insignes que maman a demandés. Je vous ai envoyé une lettre hier vous annonçant que j’avais reçu votre colis. Ce matin, j’ai vu le mari de la veuve Peltier, il m’a dit avoir remis aux pionniers une carte de maman. Je recevrai probablement cette carte quand les pionniers seront relevés. Ce matin, j’ai été me confesser et communier et j’ai entendu la messe. Je vais souvent à la chapelle, réciter mon chapelet, plus que jamais on a besoin de recevoir les grâces du bon Dieu. Je pourrais bien remercier la Sainte-Vierge de m’avoir ainsi protégé, car un bon nombre de mes camarades ont été blessés ou tués pendant l’attaque qu’ils ont eu à soutenir contre les Allemands. Plusieurs au 149 ont été faits prisonniers et beaucoup sont portés disparus.

Notre compagnie n’a pas été trop éprouvée. Il y a eu 4 tués et seize blessés, quant à la troisième et deuxième compagnie, ils ne sont revenus qu’une quarantaine sur cent cinquante. Lorsque la quatrième compagnie reviendra des tranchées, j’irai voir Alphonse Villemard, car à présent, je ne sais pas encore ce qu’il est devenu. Hier, nous avons enterré ici, un capitaine et trois sous- lieutenants dont le sous-lieutenant Jannel de Martinvelle, tués pendant le combat. Le capitaine Baril a été enterré civilement, c’est lui, parait-il qui l’avait demandé avant de mourir. Vous verrez probablement cette attaque sur les communiqués, on en parle déjà aujourd’hui au nord d’Arras, près de Notre-Dame-de-Lorette. Les Allemands se sont emparés d’une tranchée construite par nous.

Je crois que le bataillon rentrera demain soir et qu’après nous irions un peu en repos. Aujourd’hui, il pleut très fort.

Je suis toujours en bonne santé et dans l’espoir de vous revenir bientôt. Je vous embrasse tous très fort.

Pierre

 Le 31 mars 1915

 Bien chers parents,

Je viens de recevoir aujourd’hui deux cartes de maman datées du 25. Depuis quelque temps je n’avais plus reçu de vos nouvelles. Les dernières dataient du 14 mars et je suis certain qu’entre le 14 et le 25 vous m’avez écrit. J’espère donc recevoir prochainement d’autres lettres. J’ai reçu la carte du Sacré-Cœur, nous sommes actuellement en repos près de la ligne de feu, mais je crois que d’ici quelques jours nous irons un peu plus en arrière en repos. Dans les tranchées, nous avons eu aussi froid qu’en hiver. Il faisait une bise glaciale, mais par contre, nous n’avons eu aucun blessé. Notre compagnie est encore privilégiée, car voilà déjà quelque temps que les Allemands attaquent sur le plateau de Notre-Dame-de-Lorette et il se trouve que ce n’est pas la compagnie qui s’y trouve au moment des attaques.

Si nous passons des jours tristes, nous avons aussi d’agréables moments. Tous les soirs, il y a le salut, dans la petite église de Bouvigny, trop petite pour contenir tous les soldats. On y chante des cantiques, l’aumônier fait de beaux sermons. Il invite surtout les soldats à faire leurs Pâques, après il y a la bénédiction du Saint-Sacrement.

Je vous ai annoncé dernièrement que j’avais été faire mes Pâques le jour de l’annonciation. J’y ai été avec deux de mes camarades, il y en avait un qui n’y avait plus été depuis plusieurs années. Le 24 au soir, il me dit qu’il avait l’intention de faire ses Pâques lorsqu’on rentrerait des tranchées, car on devait y remonter le 25 au soir. Je lui dis qu’il ne fallait pas remettre et qu’il viendrait avec moi le lendemain matin. Il vint en effet avec moi, j’étais heureux de l’avoir entraîné. Au sortir de la messe, il me faisait rire, « Récitez votre acte de contrition » lui avait dit l’aumônier « C’est que, lui avait-il répondu franchement, je ne me le rappelle plus». «Eh ! bien lui avait répondu l’aumônier, nous allons le réciter ensemble ». Beaucoup d’autres de mes camarades qui n’étaient pas pratiquants avant la guerre se proposent d’aller faire leurs Pâques, c’est vraiment un renouveau de la vie religieuse. Après le salut, on distribue quelquefois des drapeaux du Sacré-Cœur et des médailles. Les premiers jours que nous étions en cantonnement, il nous était défendu de sortir. Un séminariste qui me connait me disait bien de faire de la propagande pour que les soldats assistent au salut, mais je ne pouvais entrainer mes camarades. J’y ai été une fois que la compagnie était consignée. On a fait au moins trois appels pendant mon absence. Voilà ce qui existe au régiment. En ce moment, on peut sortir après cinq heures du soir et nous pouvons y aller en toute tranquillité.

Chaque fois que je vais au salut, j’y vois Alphonse Villemard. Il a beaucoup changé en fait de religion, il a été faire les Pâques lui aussi. Hier, j’ai vu Marchal Charles, il parait aussi que le mari de Joséphine Laurent est aussi au 149.

Romarie m’a dit qu’on ne savait pas encore à Dommartin que le pauvre Louis Petitjean avait été tué. Marchal Charles m’a dit hier, qu’il avait l’intention de demander une permission pour aller battre le blé, mais l’homme propose et Dieu dispose.

Vous me dites que le frère de Maria Daval est près d’Arras, mais ce doit être au 4e chasseur à cheval et non au 12e qu’il doit être. Il se pourrait qu’il soit à l’escadron divisionnaire où est Charles Rosaye.

Vous avez acheté un bœuf, je vois qu’ils ne sont pas bon marché. Vous serez quitte d’aller à l’emprunt ce qui est ennuyeux, j’ai été surpris de voir que le bois valait 20 francs le stère.

Je crois que nous allons aller au repos pour une dizaine de jours. Il serait temps que la guerre cesse bientôt, car je serais obligé de faire du rabiot. Je crois que c’est du 17 demain matin, c’est égal, si l’on était à la caserne, on serait bientôt de la classe.

Au repos, c’est à peu près la vie de caserne, on passe et repasse continuellement des revues et on fait aussi quelques petites marches. Dernièrement, on nous a donné de nouvelles capotes grises, on aurait mieux fait de nous donner des pantalons, j’ai toujours le même depuis le début de la campagne. Si on ne nous en donne pas bientôt, je serai obligé de vous en demander un, car il commence à devenir mauvais. Mais je pense que l’on remédiera  à cet état de choses, car nous sommes à peu près tous dans le même cas.

Actuellement, il fait beau soleil, mais la bise souffle et il gèle les nuits, vous allez bientôt commencer à planter les pommes de terre.

Alphonse Villemard m’a emprunté dernièrement 1 franc 50 pour le lavage de son linge. Vous pouvez m’en envoyer un peu prochainement, car si je n’avais pas reçu celui de l’oncle, j’aurai été court, un billet de cinq francs ne va pas loin. Je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire pour le moment, sinon que je suis toujours en bonne santé. J’espère aussi que vous allez tous bien. En vous souhaitant de Joyeuses Pâques à tous, je vous embrasse tous bien fort.

Votre fils,

Pierre 

Référence bibliographique :

Tome 2 du livre d’or des morts du front d’Artois. 

Pour en savoir plus sur le capitaine Baril, il suffit de cliquer une fois sur l'image suivante.

Leon Baril

Un grand merci à M. Bordes, à A. Chaupin, à T. Cornet, à J. Huret, à F. Videlaine, à l’association « collectif Artois 1914-1918 », à l’association Notre-Dame-de-Lorette et à la garde d’honneur de l’ossuaire de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

1 février 2012

À tout jamais le grand silence...

Voici maintenant en guise de conclusion quelques remarques sur les pertes du régiment durant son passage dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette en octobre 1914. 

                                   Tableau des tués dans le secteur du bois de Bouvigny

                  Tableau des blessés et des disparus dans le secteur du bois de Bouvigny

Les trois graphiques suivants, accompagnés de quelques observations, ont été réalisés à partir des listes précédentes.

                 Tableau_des_pertes_generales_octobre_1914

Ce premier tableau donne une vue d’ensemble des pertes globales du régiment durant son 1er séjour en Artois. Les tués et les décédés des suites de leurs blessures sont représentés en rouge, les blessés en vert et les disparus en orange. Les journées du 9 et du 19 octobre restent les plus meurtrières pour le 149e R.I..En additionnant tous les chiffres, nous obtenons un total de  80 tués, de 100 blessés et de 14 disparus. 

Les hommes décédés dans les hôpitaux français de l’arrière sont, pour la plupart, comptabilisés dans la colonne « 01/11/14 au 16/12/14 ».

Les deux graphiques suivants nous indiquent l’état des pertes par compagnie. Le premier, concerne les tués et les décédés des suites de leurs blessures dans les hôpitaux, le second concerne les blessés.

                  Tableau_des_tu_s_octobre_1915

                  Tableau_des_bless_s_secteur_Lorette_1914

À la lecture de ces deux tableaux, nous pouvons constater que les 3e, 5e et 11e compagnies sont les plus éprouvées. Seule la 5e compagnie a participé réellement à une attaque partielle en collaboration avec un bataillon de chasseurs le 19 octobre 1914, ce qui explique son nombre élevé de victimes pour cette journée.

 Quelques hommes possèdent une sépulture individuelle dans les Nécropoles nationales françaises et dans les carrés militaires suivants :

                              Tableau des sépultures dans le Pas-de-Calais (année 1914)

Je rappelle que toutes ces données doivent être lues comme des résultats approximatifs.

Un grand merci à M. Bordes, à A. Carobbi, à M. Porcher et au Service Historique de la Défense de Vincennes.

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