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149e R.I., un régiment spinalien dans la Grande Guerre.
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17 mai 2011

Printemps 1915, du courrier en partance pour le Manitoba.

                   Corinne_et_Lucien_Kern

De nouveau je viens remercier Suzanne Martel et toute sa famille pour leurs autorisations de publier ici de larges passages de deux lettres qui ont été écrites par Lucien Kern juste après les combats du 9 mai 1915 et des jours suivants.

 Extrait d’une lettre de Lucien Kern écrite le 15 mai 1915.

 

Ma chère bonne maman, chère sœur et beau-frère,

Je m’empresse de vous donner de mes nouvelles, sachant que si vous avez reçu ma dernière lettre vous devez être très inquiets. Je suis en bonne santé, mais fatigué et hébété par les terribles assauts livrés par nous depuis dimanche matin 9 mai à 10 h 00. Les  combats furent acharnés, continus et épouvantables… La bataille, vous ne pourrez jamais vous en faire une idée, il faut l’entendre et la voir, pour la comprendre. Après 6 jours de luttes terribles, sans sommeil, avec des attaques à la baïonnette sous un feu d’artillerie et de mitrailleuses intense, nous avons subi beaucoup de pertes, c’est forcé. Pauvres soldats tués, massacrés par les obus. Quelle boucherie et quelle horreur sans nom.

La bataille a commencé dimanche à 10 h 00… Il faut assister à des tueries, foncer sur l’ennemi sous le feu. Il faut se cacher, se terrer comme des taupes dans des trous pratiqués dans la terre. Il faut se protéger contre les gros obus qui ne cessent de tomber avec un fracas assourdissant, tuant et blessant…

 Pendant le bombardement, nous restons terrés. Défense de sortir et malheur à celui qui sort, car les obus ne pardonnent pas. Nous les entendons venir en sifflant, nous nous serrons contre le talus…

Depuis dimanche matin jusqu’à vendredi soir, nous avons fait 4500 prisonniers, pris 12 canons, 50 mitrailleuses et d’autres butins. Les Allemands fichaient le camp à notre approche. Après des bombardements pareils, nous devenions presque fous, toc, toc. Si vous voyiez et entendiez cela, ma bonne maman, c’est horrible…

Avant-hier, j’étais dans une petite cachette en terre, creusée sous un hêtre. Un gros obus vint tomber sur elle avec un bruit terrible, me soulevant et me jetant à terre violemment, par le déplacement d’air. Je fus assourdi, couvert de terre sous des débris de bois. Ah ! J’eus peur, car à ce moment-là, l’on ne rit pas du tout…

Votre fils et votre frère qui pense constamment à vous,

Lucien Kern.

 

Extrait d’une lettre de Lucien Kern écrite le 5 juin 1915.

 

Chers sœurs et beaux-frères,

C’est avec plaisir que j’ai reçu votre lettre, datée du 13 mai. Je suis heureux de constater que tout va bien là-bas. Je suis en bonne santé quoique fatigué par les durs combats que nous avons livrés du 9 au 15 mai…

Nous avons subi des pertes assez élevées, malheureusement. C’est dur et meurtrier, une charge à la baïonnette, contre un ennemi caché sous terre comme des taupes…

 C’est la guerre la plus fatigante et la plus déprimante qui n’ait jamais existé sur terre. C’est trop long et trop sanglant avec des armes pareilles. Les Allemands se servent de gaz asphyxiants…

 Il fait une terrible chaleur, pas de pluie, l’odeur est atroce, les morts sont horribles à regarder et nous voyons ceci à chaque pas, n’importe où, où nous tournons la tête. Ah ! L’appétit est loin. Dieu qu’ils sont vilains et affreux, et dire que l’on dort dessus, comme moi, l’autre jour, ou à côté. Il y a des endroits où les cadavres servent de parapets aux tranchées…

Je vous envoie aujourd’hui avec cette lettre un petit paquet contenant quelques souvenirs de guerre, que j’ai trouvés dans la tranchée conquise par nous le 9 mai. Il y a d’abord deux chapeaux ou parachutes qui servent à maintenir le plus longtemps possible les fusées éclairantes, la nuit. Elles sont en soie blanche. Ce sont des françaises que j’ai trouvées, échouées sur les tranchées. Ensuite, il ya un aigle impérial allemand que j’ai arraché sur un casque à pointe du 111e bataillon d’infanterie badois. Régiment que nous avons battu le 9 mai…

Je vous enverrai bientôt une bague en aluminium provenant d’une fusée percutante d’obus allemand. C’est moi qui l’ai faite avec l’aide d’un camarade.

 Bien le bonjour à toutes les personnes qui s’intéressent à moi. Je vous quitte en vous embrassant bien fort.

Votre frère qui vous aime,

Lucien Kern.

 

Référence bibliographique :

« Lettres de tranchées » correspondance de guerre de Lucien, Eugène et Aimé Kern, trois frères manitobains, soldats de l’armée française durant la Première Guerre. Éditions du blé. Saint-Boniface (Manitoba) Canada.2007.

 

Un très chaleureux  merci à Suzanne et Denise Martel et à Roselyne Duclos.

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